b) Performance de l'économie
Õ i) Une stabilité
éphémère et précaire
La mise en oeuvre des réformes a donné des
résultats qui ont varié suivant les pays non sans soulever
d'énormes controverses. Certains pays ont pu freiner la chute de leur
croissance et la ramener à des taux appréciables. D'autres
ont été incapables à réagir
adéquatement pour amortir l'impact des différents chocs
et endiguer le déclin de leur économie et couper
court au processus de désindustrialisation. Dans une étude
publiée en 1994 prenant en compte 29 pays d'Afrique, la Banque mondiale,
avance que les pays africains qui ont mis en oeuvre des PAS dans
les années 80 ont enregistré une croissance positive plus
forte que ceux qui n'en ont pas appliqué.
Les réformes macroéconomiques ont
stimulé la compétitivité extérieure de ces
pays tout en
maintenant leur inflation à un niveau bas. Les
réformes commerciales ont élargi l'accès aux produits
d'importation nécessaires à leur croissance. Et
l'allégement de la fiscalité dans le secteur agricole a
aidé les pauvres tout en encourageant la production et les
exportations.[...] Les trains de mesure qui ont été prises
pour remédier aux effets défavorables des chocs
extérieurs et à l'extrême surévaluation des taux de
change réels au début des années 80 ont largement
porté leurs fruits.47
Par contre, une étude datant de la même
année réalisée pour le compte de la Commission
Européenne sur l'expérience des pays ACP
(Afrique-Caraïbes-Pacifique) indique qu'ils ont été
relativement décevants sauf dans le domaine de l'inflation :
L'expérience montre que les politiques d'ajustement
ont exercé le plus souvent des effets de
rééquilibrage dans certains domaines
tels les déficits budgétaires ou les tensions
inflationnistes 48.
En Haïti, les réformes ont conduit à
améliorations partielles et passagères. Sur courte
période, elles ont porté sur l'inflation et quelques
indicateurs le PIB global, le PIB par habitant, la balance des
paiements. Les progrès ont concerné essentiellement les
rééquilibrage macro-économiques, ce, le temps de la
mise en oeuvre des deux programmes.
¾ Le programme FAS
En 1987, le taux de croissance s'est amélioré de
0,6% comparé au -0,4% de la première moitié de la
décennie. La balance des paiements est devenue positive,
les prix à la consommation ont significativement
baissé entre juin 1986 et juin 1987. Au niveau sectoriel,
cette amélioration ne concerne que les manufactures pendant
que piétine l'agriculture. En valeur, les exportations
manufacturières ont légèrement augmenté, de moins
de 5% passant à 364 millions de dollars contre
349 millions en 1985. La production agricole a poursuivi dans son
déclin amorcé dans les années 70
consolidant une balance commerciale négative. Dès
1988, les échanges agricoles affichent un déficit
47BANQUE MONDIALE, L'ajustement en Afrique : La
réforme, les résultats et la voie à suivre,
Washington, 1994, p. 3 et 5.
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
33
de 65 millions de dollars49 résultant des
importations alimentaires consécutives à la libéralisation
des marchés et de la généralisation de la contrebande.
Quant aux investissements étrangers, en chute libre depuis 1980 (10
millions de dollars), ils sont restés à leur plus faible niveau
sur une dizaine d'années, soit 4.7 millions de dollars en 1987.
L'assistance internationale est augmenté de plus de 34% par
rapport à l'année antérieure atteignant en 1987, 250
millions de dollars.
¾ Le programme FASR
Le contrôle de l'inflation a été effectif :
de 20% en 1996 le taux d'inflation est passé respectivement à
12,7% et 9,9% respectivement en 1998 et 1999. Sur la
période 1995/99 le taux moyen annuel de croissance est de 2%,
insuffisant pour combler la chute occasionnée par les trois
années d'embargo. Les investissements étrangers sont
restés insuffisants et très instables : 11,7 millions de
dollars en moyenne annuelle pour 1995-2000. La balance des paiements
s'est améliorée substantiellement affichant un solde positif en
1997 contrairement à la balance commerciale qui est restée
déficitaire.
Tableau 2.1: Évolution du PIB par secteur
d'activité en rythme annuel de 1995-1999 (en %)
|
1995 1996 1997 1998 1999
|
Agriculture
Manufacture
Assemblage
Construction
Commerce
Transports & Communications
Tourisme
Institutions Financières
Secteur Industriel en % PIB
|
1 -1 -3 2 2
10 3 1 2 1
33 8 3 4 2
25 17 12 9 6
10 1 1 3 2
72 3 1 1 7
10 -2 1 0 -1
19 8 4 4 5
17.3 18.7 19.5 20.1 20.6
|
Source : Doura, 2001 construit à partir données BM,
BRH
Le secteur manufacturier, considéré comme la
branche la plus dynamique du secteur industriel durant
les années 70, en difficulté depuis la
décennie 80, a diminué de moitié dans la formation de la
valeur ajoutée du secteur secondaire (de 72% à 35%), confirmant
son effondrement dans les années 90. Selon
les données de la fournies par la CNUCED, ses taux
de croissance moyens sur les quatre dernières décennies ont
été pour 1960/70, 1970/80, 1980/89, 1989/99 respectivement de
-0.1%, 7.1%, -2.1% et -
11.8%.50
48 Voir GUILLAUMONT Patrick et Sylviane,
Ajustement et développement. L'expérience des Pays ACP.
Economica, Paris, 1994.
49 World Bank, Haïti : Agricultural Sector
Review, Report no. 9357-HA, March 1991
50 Cnuced, Rapport 2002..., op. cit.,
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
34
Le secteur industriel en pourcentage du PIB est passé
de 38% en 1989 contre 20% en 1999. Quant au secteur agricole, il est
resté en marge avec des taux de croissance relativement insignifiant en
dépit de l'amélioration survenue en 1998 et 1999.
Õ ii) Performance de l'économie et impacts
généraux
Les réformes économiques entreprises n'ont pu
freiner le déclin amorcé au début des années 80.
Elles ont donc échoué dans leur tentative de relancer
l'économie haïtienne. L'économie affiche une croissance
moyenne très faible, et déclinant sur des périodes
plus ou moins longues. Durant les périodes de rémissions,
notamment lors de la période post embargo où le PIB a
chuté de 30% en 1991-
94, le taux de croissance est resté insuffisant et
non durable en regard du rythme d'accroissement
annuel de la population (de l'ordre de 2%) et des conditions de
l'économie - comme par exemple les
4,5% de croissance du PIB enregistré en 1995
qui a décliné par la suite. Sur courte période,
il s'agissait selon l'analyse de Giovanni Caprio,51 d'un
renversement de tendance, d'une dégradation vers une situation plus
stable. Le tableau 2.2 illustre assez bien le recul enregistré sur
longue période dans le taux moyen de croissance annuelle qui est
resté inférieur à celui de la population et les faibles
ratios d'investissement qui ont été effectués. En dollar
de 1995, le PIB per capita a diminué d'environ
40% entre 1980 et 1998 (607 dollars et 370
respectivement)52. La balance des biens et services a
maintenu sa tendance déficitaire et s'est
détériorée à partir de 1995 pour maintenir
depuis un solde négatif dépassant les 500 millions de dollars
(Tableau 2.3).
Evolution du taux de cr oissance des vale ur s
ajoutées sector ielles
(Source: Données BRH, www.brh.net)
23
20
17
14
11
8
5
2
-1
-4
-7
-10
-13
-16
-19
-22
-25
-28
-31
-34
-37
-40
secteur primaire secteur secondaire secteur
tertiaire
51 Op. Cit., p. 291-292.
52 PNUD, Rapport mondial sur le développement
humain, 2000
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
35
Tableau 2.2 : Croissance et ratio d'Investissement ,
1967-1997
Période
Taux moyen de croissance en %
Ratio
d'investissement moyen en %
1967-85 2.50 13.31
1986-90 -0.03 15.53
1991-97 -1.76 9.45
1986-97 -1.04 11.99
Source: Banque mondiale, 1998
Contrairement aux promesses, ces politiques n'ont pas
constitué le cadre propice susceptible d'attirer
les investissements ni de conduire à l'utilisation
efficace des ressources ni favoriser le maintien d'une croissance durable.
Elles n'ont pas freiné la chute de la croissance du produit
intérieur brut, la baisse des revenus, le déficit de la
balance commerciale et la prévalence d'une situation
d'insécurité alimentaire. De 3,0% de moyenne pour la
décennie 1970-80 le PIB par habitant a drastiquement
chuté. Le revenu individuel moyen s'est significativement
infléchi (-2,6%) durant la période 1980-90 affectant la
consommation et compromettant la sécurité alimentaire des
ménages. Les investissements ont eux aussi décliné de 30%
en 1990 comparé à leur niveau en 1980.53
Tableau 2.3: Balance des biens & services en millions
de dollars US
Importations
|
1990
|
1992
|
1993
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
540
|
261
|
303
|
247
|
832
|
792
|
905
|
1033
|
Exportations
|
325
|
113
|
118
|
67
|
192
|
192
|
379
|
479
|
Solde
|
- 215
|
- 148
|
- 185
|
- 180
|
- 640
|
- 600
|
- 526
|
- 554
|
Source : IMF, World Economic Outlook, Trade and Finance, 2002
Au-delà des jeux de dissimulation ou de
l'inadéquation de certaines mesures, ces résultats
révèlent une contradiction majeure entre l'optique
d'équilibrage financier et la logique de reprise de la croissance et
du développement. De manière
générale, on a noté que
l'ajustement économique et la libéralisation
ont été imposés aux pays en développement dans une
conjoncture caractérisée par la baisse des prix des produits de
base, le recul de l'aide publique au développement, le tarissement
des prêts de source privée, l'aggravation des mesures
protectionnistes prises par le Nord contre les produits des PVD et
des niveaux d'endettement insoutenables. Ainsi s'explique que [un nombre
restreint de pays a] réalisé des progrès
appréciables sur la base des indicateurs qui donnent la mesure d'un
développement réel, durable et à dimension humaine.
La plupart ont au contraire replongé dans des
inégalités croissantes, la dégradation écologique,
la désindustrialisation et la
misère54..
53 Voir Lisa MC GOWAN « Ajustement
Structurel et le mythe de l'Aide en Haïti »
http://www.igc.org/dgap/haiti97.html
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
36
Généralement l'un des éléments de
divergence en ce qui a trait à l'interprétation des
résultats tient au fait que l'efficacité des politiques
macroéconomiques est jugée par rapport à la
maîtrise ou non de l'inflation : « les programmes de
réformes ont été particulièrement efficaces quand
ils ont permis de maîtriser l'inflation et ont entraîné la
baisse du taux réel qui s'imposait »55.
Malgré que ces résultats aient varié suivant les pays,
il demeure évident qu'ils étaient insuffisants, voire
décevants pour bon nombre d'entre eux. En Haïti, l'observation
des différents indicateurs montre qu'il n'y a pas eu de relance
de l'économie, et les rares améliorations obtenues ne peuvent pas
être totalement imputés aux seules réformes. Les
améliorations sont éphémères et le prix payé
par la majorité s'avèrent très élevé
d'autant que le retour aux équilibres macro-économiques,
financiers et commerciaux ont pris le pas sur
le développement. En un mot, les ajustements
régressifs (baisse des investissements) l'ont emporté sur
les ajustements progressifs (hausse de l'épargne, des
investissements et des exportations).56
|