I. Les facteurs environnementaux
1. La mondialisation
1.1. Approche d'une
définition3
«La mondialisation est un processus non linéaire
d'uniformisation, d'homogénéisation,
de standardisation planétaire des actes de produire, de
consommer et de répartir».
«Dans une formulation moins savante, le contexte
mondialisé d'aujourd'hui rend compte
de l'importance du degré de contagion internationale des
principes mouvants de l'économie libérale».
1.2. Caractéristiques
essentielles4
1.2.1. Le marché mondial
La mondialisation du marché signifie, qu'en
principe, tout acteur économique peut exercer son activité
à n'importe quel endroit de la planète dans les
mêmes conditions. Si l'établissement d'un tel marché
n'est pas encore accompli, il n'existe aucune certitude non plus sur sa
fatalité. Néanmoins, quelques tendances sont assez
caractéristiques :
La constitution de grands ensembles régionaux (UE,
ALENA ...etc.) ;
L'accroissement du volume des échanges commerciaux
internationaux ;
1 Il s'agit de : Peter F. Drucker, Esther
Dyson, Charles Handy, Paul Saffo et Peter M. Senge.
2 Drucker P F., Dyson E., Handy C,
Saffo P et Senge P M., Looking Ahead: Implications of
the Present, Harvard Business Review, Boston, Septembre-Octobre, 1997,
p.18.
3 Adapté de : Boudjema R.,
La mondialisation : concept et réalité. Les
Cahiers du CREAD, Alger, n°61, 3ème
trimestre 2002, pp.49-69.
4 Adapté de Boudjema R.,
Cours de stratégie à l'international, document
de lecture, ISGP, Alger, 2006.
11
L'apparition d'acteurs agissants à un nivaux global,
échappant ainsi au contrôle des
Etats. Ce sont les firmes transnationales, les institutions
financières internationales et
la mafia internationale ;
Le développement des moyens de communication et de
transport.
Pour les entreprises, cela signifie que le marché
mondial est érigé en moteur de la croissance durable.
Remarque 1 : les conditions du
marché dépassent le cadre d'une législation des
affaires, le marché mondial suppose surtout une
homogénéisation des manières d'être et de
consommer.
Remarque 2 : la standardisation
brutale imposée par le processus de mondialisation soulève des
résistances caractérisées par la résurgence des
nationalismes et des régionalismes ainsi que par
l'apparition de nouveaux types de communautés réclamant le
droit à la différence
(alter mondialistes, gays...etc.)
Remarque 3 : ces courants qui
s'opposent à l'hégémonie du standard, alimentent
encore plus la mondialisation.
1.2.2. La complexité
Caractérisée par le nombre élevé
de produits, de segments de marché, de technologies, de canaux de
distribution et de communication et d'acteurs économiques.
La relation qu'entretiennent ces éléments est aussi complexe
puisqu'elle n'est ni causale ni unique. L'une des conséquences de ce
phénomène est le raccourcissement du cycle de vie du produit avec
introduction rapide de nouveaux produits et obsolescence
accélérée des anciens.
1.2.3. L'incertitude
C'est l'impossibilité de prévoir les changements
qui se produisent dans l'environnement ainsi que les résultats des
actions de l'entreprise dans celui-ci. De plus en plus, l'incertitude porte sur
le court terme _si ce n'est sur le présent. L'entreprise ne peut plus
prétendre à une intelligence suffisante des situations de gestion
ou à une connaissance entière de l'information indispensable. Du
même coup, la planification stratégique perd de sa
substance dans un environnement incertain.
1.3. Implications
1.3.1. Implications du marché mondial
Pour une firme qui doit coordonner ses activités
au niveau mondial, un système d'information performant est
nécessaire. Il doit répondre notamment à ces challenges
:
Assurer la communication entre des filiales
géographiquement dispersées afin de créer une
synergie pour pouvoir profiter des économies d'échelle,
produire à moindre coût et conquérir des parts de
marché ;
Etre à l'écoute des différents
acteurs : clients, fournisseurs, autorités locales, ONG...etc.
;
Répondre aux impératifs de veille
technologique, concurrentielle et commerciale.
12
Si ces impératifs semblent plus puissants pour
des firmes globales, les entreprises agissant localement ne sont pas
dispensées de telles préoccupations. Elles ne peuvent
faire l'économie d'une vision globale de leur environnement qui passe
par la mise en place d'un système d'intelligence économique.
1.3.2. Implications de la complexité
Pour répondre au raccourcissement du cycle de vie des
produits et afin d'introduire de nouveaux produits plus rapidement les
entreprises performantes ont recours à deux stratégies :
a. L'innovation :
La R&D est considérée comme le lieu
par excellence de production de l'innovation. Selon le courant de
l'information processing view, la R&D a pour fonction de
transformer les données de la technologie et du marché en
nouveaux produits et nouvelles connaissances5 . Les
connaissances sont au coeur des activités de R&D, elles en
constituent les «entrées» et les
«sorties»6 . La dimension cognitive de ces
activités est fondamentale et elles ont pu, à ce titre,
être caractérisées en tant qu'activités de
«traitement cognitif»7 . Pour certains auteurs, la
R&D
peut être considérée comme un système
d'apprentissage8 . De façon plus générale,
Rothwell R. définit l'innovation comme un «processus d'accumulation
de savoir-faire»9 .
Le nombre des technologies parmi lesquelles une
entreprise doit faire un choix a augmenté
considérablement. Les bases technologiques pour une
industrie changent rapidement et de manière
imprévisible. Dans beaucoup d'industries le spectre des
technologies à prendre en compte pour un produit donné est de
plus en plus large. Aucune compagnie aujourd'hui ne peut faire de la
recherche dans toutes les disciplines pertinentes comme l'avait fait IBM
et AT&T dans les années 1970 et au début des années
1980.
Au même moment, les sources des nouvelles
technologies ont proliférées. Toute compagnie doit rester
à l'écoute de ces sources et toutes les compagnies
doivent contrôler constamment les endroits d'où pourrait venir la
prochaine révolution technologique.
Le jeu compétitif a changé : l'avantage va souvent
aux entreprises qui savent choisir entre
un nombre important d'options technologiques et pas
nécessairement à celles qui les créent10 .
5 Tushman M L. et Moore P.,
Readings in the management of innovation, Ballinger publishing
company, 1988,
Moenaert R K. et Souder W E., An analysis of
the use of extrafunctional information by R&D and marketing personal:
review and model, Journal of Product Innovation Management, 1991,
cités par Simoni G., Capitaliser
les connaissances générées dans les
projets R&D, document de travail, LEST-CNRS, UMR 6123, p.3,
disponible sur Internet.
6 Simoni G., ibid.,
p.4.
7 Zhang T., Facteurs
déterminants de la performance des projets de recherche et
développement : Un modèle intégrateur et un
système à base de connaissances. Thèse de
doctorat en sciences de gestion, Programme
doctoral IAE/ESSEC, sous la direction de Tarondeau J. C.,
1994, cité par Simoni G., ibid.,
p.4.
8 Carlsson B., Kean P. et Martin
J., R&D organizations as learning systems, Sloan
Management Review,
1976, pp.1-16, cité par Simoni G.,
ibid., p.4.
9 Rothwell R., Industrial
Innovation: Success, Strategy, Trends, In Dogson M. et
Rothwell R. (ed.), The handbook of industrial innovation,
1994, cité par Simoni G., ibid., p.4.
10 Adapté de Iansiti M. et West
J., Technology Integration: Turning Great Research into
Great Products,
Harvard Business Review, Boston, May-June 1997, pp.69-79.
13
b. La flexibilité :
La flexibilité se veut une réponse à
la complexité et à l'incertitude. Elle concerne les
structures organisationnelles et les processus de développement de
nouveaux produits. C'est
ce deuxième point qui sera abordé
maintenant, le premier fera l'objet d'un long développement
dans la section consacrée aux nouvelles formes organisationnelles.
L'environnement actuel confronte le processus de
développement des nouveaux produits
à des challenges sans précédents dans
l'histoire récente. Les besoins du marché que le produit doit
satisfaire et les technologies qu'il doit utiliser peuvent changer radicalement
alors même que le produit est en phase de développement.
Un processus de développement flexible permet d'incorporer
rapidement et à moindre coût les changements de la
demande et de la technologie dans le design jusqu'au moment le plus tardif
avant le lancement du produit.
Dans l'approche traditionnelle, le futur produit est
conçu, développé et transféré à
la production selon des phases bien articulées et séquentielles.
Typiquement, le processus débute par la détermination des
besoins du client et le choix de la technologie, les
spécifications détaillées sont arrêtées et
approuvées. A ce moment l'attention se tourne vers la transposition
industrielle et les modifications se réduisent au minimum.
Au contraire, dans un processus flexible, tout engagement ferme
sur les caractéristiques
du produit est retardé au maximum. Les phases de
conception et de transposition se chevauchent au lieu de se suivrent. Ce
qui permet d'intégrer les nouvelles données du marché
et de la technologie et opérer des changements
moins coûteux11 . (Voir figure 1 : Deux approches pour le
développement des produits).
11 Adapté de Iansiti M. et MacCormack
A., Developing Products on Internet Time, Harvard Business
Review, September-October 1997, pp 109-117.
14
Figure 1: Deux approches pour le développement des
produits
Approche Traditionnelle
Début du projet Arrêt de la conception
Introduction sur le marché
Conception
Transposition
Temps de conception Temps de réponse
Lead time total
Approche Flexible
Début du projet Arrêt de la conception
Introduction sur le marché
Conception
Transposition
Temps de conception Temps de réponse
Lead time total
La rapidité est un concept subtil dans ce
modèle. Le lead time total _le temps pour atteindre les objectifs
du projet_ est clairement important mais les temps de conception et
de réponse sont importants en eux-mêmes.
Le temps de conception est la fenêtre d'opportunité pour
inclure de nouvelles informations et optimiser l'adéquation entre
la technologie et son application. Le temps de réponse est le
temps où cette fenêtre est fermée, l'architecture du
produit est arrêtée et le projet est incapable de
réagir aux nouvelles informations. Bien que le lead time soit
approximativement le même dans les deux processus, l'approche flexible a
un temps de réponse plus court et elle est préférable dans
un environnement changeant.
Source: Iansiti M. et MacCormack A.,
Developing Products on Internet Time, Harvard Business
Review, September-October 1997, p 110.
15
1.3.3. Implications de l'incertitude
Nous soutenons que l'incertitude qui caractérise
l'action d'une entreprise dans son environnement est due à son
incapacité d'élaborer une représentation adéquate
d'elle-même et
de cet environnement, représentation qui
rendrait compte des relations de causalité qu'entretiennent
les différents éléments du système
entreprise-environnement.
Le développement des représentations de
l'entreprise dans la science économique a conduit progressivement
à la considérée comme une machine de traitement de
l'information12 . «Ainsi s'est développée
l'image implicite d'une organisation dotée d'un corps physique (la
structure) dans lequel circuleraient, en y subissant divers traitements, des
flux d'information multiples et changeants»13 . Le
fonctionnement optimum de cette machine suppose qu'elle crée une
représentation fidèle de son environnement en respectant
les conditions économiques du marché, c'est-à-dire un
traitement rapide, voir instantanée du plus grand nombre d'informations.
Cette double description en termes physique et informationnel n'est pas sans
rapport avec la conception du problème du rapport du corps et de
l'esprit et de
la solution qu'on en donne. Nous verrons que c'est la
prévalence des solutions matérialistes qui constitue le fondement
philosophique de cette représentation.
«La conception informationnelle de l'entreprise
envisage le traitement de l'information comme un processus ascendant :
les éléments d'information disponibles sont collectés
et assemblés de manière à produire du
sens»14 . On trouve des éléments explicites
de cette conception dans le «modèle du système humain de
traitement de l'information» de Newell A.
et Simon H.15 , le «processus de prise
de décision» de Simon H.16 ou encore le
«modèle économique de gestion de l'information» de
Reix R.17 Cette conception ascendante du processus
informationnel est en rapport direct avec les thèses
computo-représentationnelles
qui ont prévalu en psychologie cognitive et en
intelligence artificielle (IA) symbolique. Pour s'en convaincre, rappelons que
Simon H., prix Nobel d'économie, est l'un des fondateurs de ces deux
disciplines.
Une nouvelle approche cognitive de l'entreprise s'est
développée depuis quelques années. Cette approche se
propose d'expliquer le rapport entre la «réalité
extérieure» et la «réalité
intérieure» de l'entreprise. Les bases de ce nouveau
paradigme se trouvent dans les développements récents en
sciences cognitives et qui se traduisent par le passage :
D'une solution matérialiste du problème
du rapport du corps et de l'esprit à une solution
fonctionnaliste largement admise ;
D'une vision computo-représentationnelle de
la pensée humaine à une vision connectionniste.
12 Voir sur ce point Le Moigne
J-L., Les systèmes de décision dans les
organisations, PUF, Paris, 1974, reprenant les travaux de
Galbraith J., Organization Design. An information
processing view. Sloan working
paper, Cambridge, Mass. M.I.T, 1969, cité par
Dupuy Y., Kalika M., Marmuse E. et Trahand J., Les
systèmes
de gestion, Vuibert, Paris, 1989.
13 Laroche H., L'entreprise
close : une approche cognitive, in Dedans, Dehors,
Coordonné par Besson P.,
Vuibert, Paris, 1997, p.171.
14 Laroche H., ibid.,
p.174.
15 Newell A. et Simon H.,
Human Problem Solving, Printice-Hall, Englewood Cliffs, NJ, 1972,
reproduit par
Reix R., Systèmes d'information et
management des organisations, Vuibert, Paris, 4ème
édition, 2004, p.23.
16 Simon H., Administration et
processus de décision, Economica, Paris, 1983, reproduit par
Reix R., ibid., p.13.
17 Reix R., ibid., p.32.
16
D'une IA symbolique à une IA connectionniste18
.
Selon la conception de l'école cognitive,
l'esprit impose une interprétation de l'environnement, il
construit son univers. Cette construction se fait selon des structures
mentales dites schémas, terme le plus utilisé en psychologie ou
encore cartes, terme utilisé par Weick K E.19 . Huff
opère une distinction entre cartes cognitives qui identifient les
facteurs essentiels pour le dirigeant et celles qui indiquent les rapports
entre ces facteurs20 .
Cette construction est aussi sociale. L'hypothèse
sous-jacente est que personne dans l'entreprise ne «voit»
l'environnement, c'est l'organisation qui le construit à
partir d'informations riches et ambiguës. On trouve un bon exemple dans
les travaux de El Sawy O
A. et Pauchant T C.21
Pour la stratégie de l'entreprise, les implications
sont nombreuses. Nous proposons quelques points ci-dessous22
:
Abandonner la règle selon laquelle
l'organisation devrait s'adapter à son environnement. Dans un
secteur donné, le dirigeant ne peut se contenter de s'adapter aux
tendances : ce sont ses actes qui font la tendance ;
Repenser les contraintes, les menaces et les occasions
;
Envisager différemment le rôle de la
stratégie comme acte d'imagination et de création ;
Créer le contexte. En répondant à
des questions tels que : qui sommes-nous ? Sur quoi mettons-nous l'accent
? Que faisons-nous ? Que ne faisons nous pas ?
Favoriser des réalités multiples par de
nouvelles interprétations de faits connus ;
Tester et expérimenter.
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