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L'analyse de l'Etat et de l'Etat démocratique dans la Philosophie politique d'Eric Weil


par Davy Dossou
Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2006
  

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Chapitre 2 : Du processus historique de l'institution de l'Etat

Introduction

L'Etat n'est pas simplement un donné ou une invention humaine qui s'est effectuée par un coup de baguette magique. Il est le fruit d'un travail de longue haleine, le produit pratique de la rationalisation humaine. Tout comme l'humanité a connu des cycles d'évolution, de même l'Etat, avant d'être tel, a été précédé par un certain nombre d'étapes ; étapes que je qualifierai de hiérarchique, allant de la morale à la communauté, de la communauté à l'Etat.

Ce chapitre a pour but de montrer les étapes expliquant la genèse de ce que nous appelons aujourd'hui l'Etat.

1 - La genèse de l'Etat

1.1 - De la morale à la communauté

La question de la destinée, du sens de la vie, de la fin à poursuivre par toutes ses actions, l'homme la pose à l'intime de sa conscience. Et c'est en cela que consiste l'originalité de l'expérience morale, prescrivant à chacun une règle de conduite, une norme à observer dans ses engagements quotidiens. Emmanuel Kant a bien défini la pure expérience de la morale en y voyant le triomphe de la raison sur les passions. C'est en effet la raison universelle qu'il s'agit de promouvoir, dépassant les réactions arbitraires d'une subjectivité qui n'a pas encore accédé à l'authentique liberté.

Mais une telle référence à Kant suffit à marquer les limites d'une telle expérience morale. La considération purement formelle peut certes gouverner la vie des communautés. Mais agir, c'est se déterminer ; et le critère négatif de la lutte contre tout arbitraire de la « volonté empirique » ne peut dès lors suffire. Toute action est un choix positif, une incarnation dans le monde lui aussi empirique. L'universalité de la raison, révélée par l'expérience du devoir, doit dès lors se déterminer dans l'histoire concrète.

C'est alors que l'homme moral rencontre, s'offrant à la détermination de son choix, une communauté où s'inscrit son action morale. Son engagement le plonge dans un univers de relations et d'interactions où la morale individuelle le laisse dépourvu, mais il découvre par contre une autre loi, immanente au monde et à sa communauté particulière entendue par Eric Weil comme « ce qui est vécu dans une expérience directe de compréhension « humaine », dans le cadre d'institutions qui n'ont pas été créées ni « ré-organisées » par un organisateur rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux « origines », aux temps « immémoriaux », au mos majorum »7(*). Si cette loi ne traduit pas immédiatement sa volonté raisonnable, elle est cependant dans le monde une réalisation inchoative de la raison, sans laquelle la liberté morale resterait fixée aux vains désirs. Non pas sans doute qu'il faille tout de suite adhérer à ces prescriptions extérieures et identifier à la loi positive de la communauté où l'individu vit la loi intérieure de l'éthique. Le décalage peut exister parfois et les conflits ne pourront pas toujours être évités. Comme tout individu, fût-ce celui dont les passions indomptées se rebellent, l'homme parfaitement moral pourra dès lors éprouver, bien qu'à un autre niveau, l'opposition entre la loi positive et la liberté. Mais puisque cette liberté est en lui pleinement fidèle aux invitations du devoir moral, ce conflit ne fera que manifester la tension qui existe entre les deux lois : la loi morale et la loi positive ; conflit inévitable que celui-là, dans la mesure où l'histoire n'est pas achevée et où la morale des communautés doit encore découvrir sa pleine réalisation. Mais, conflit qu'il faut se garder de trancher en rejetant l'un des termes de l'alternative. Car sous la loi positive, la loi morale reste, dans toute sa pureté, incomplète et insuffisante, faisant abstraction des conditions concrètes d'incarnation de la liberté. Et la loi positive n'est vraiment adéquate que dans la mesure où elle recouvre les exigences authentiques de la réalisation des libertés. La morale juge la loi, sans laquelle cependant elle ne pourrait s'exercer. C'est ici que le philosophe pourra dégager la notion importante du droit naturel d'une part, en tant « celui auquel le philosophe se soumet lui-même, quand bien même le droit positif ne l'y obligerait pas : il veut agir afin de contribuer à la réalisation de l'universel raisonnable, de la raison universelle »8(*). C'est une sorte de moyen terme entre la loi positive et la loi morale. Si le philosophe emprunte à la loi morale le principe d'égalité entre les êtres raisonnables, le droit naturel s'en distingue en effet par son exigence intrinsèque d'un droit positif historique. De celui-ci aussi il se distingue, puisque sa fonction propre est de le juger et de le promouvoir : « le droit naturel comme instance critique, doit donc décider si les rôles prévus par la loi positive ne sont pas en conflit et si le système que forme leur ensemble ne contredit pas au principe de l'égalité des hommes en tant qu'êtres raisonnables »9(*). En d'autres termes, la notion de droit naturel joue un rôle fondamental dans l'histoire de la pensée politique. Cette notion fonde en effet la possibilité de juger des imperfections et des insuffisances du droit positif. Le droit naturel définit le point de vue d'extériorité qui permet de porter un jugement sur un système social et un régime politique. Il permet de dénoncer, là où ils se trouvent, l'arbitraire et l'injustice. L'originalité de la théorie weilienne du droit naturel10(*), c'est qu'elle dépasse cette opposition entre droit naturel et droit positif. En effet, Eric Weil fait toute sa place à la notion de droit naturel. Elle lui permet d'élaborer une théorie du jugement politique, de définir la possibilité d'une analyse critique des sociétés et de leurs institutions politiques. Mais en même temps, Weil reprend à son compte les objections opposées par le positivisme juridique aux doctrines classiques du droit naturel, celles de Hobbes ou de Spinoza. Eric Weil n'accepte pas l'idée d'un droit que l'individu aurait par nature. Il n'y a pas de droit de l'individu isolé, atomisé, considéré indépendamment de son appartenance à une société. Seul le membre d'une société organisée a des droits. Il s'agit pour Eric Weil d'élaborer une théorie qui tienne compte de ce fait fondamental, qui fasse un usage non-métaphorique du concept de droit. Mais il s'agit en même temps de fonder les critiques que nous opposons aux systèmes juridiques cohérents et performants, mais néanmoins inadmissibles parce que discriminatoires ou contraires aux principes de la dignité humaine. A cette fin, Eric Weil élabore sa propre théorie du droit naturel à partir d'une double référence, la théorie aristotélicienne du juste de nature et la conception kantienne de la loi morale.

  Historique par sa liaison essentielle à la loi positive, le droit naturel juge cependant l'histoire. Il trouve son contenu dans l'histoire à partir des « convictions, des moeurs, des traditions de la Cité »11(*) . Sa source n'est pas la moralité immédiate de l'individu mais la morale historique d'une communauté vivante. Si l'homme moral peut agir dans le monde, s'il peut remettre en question les lois positives qui imposent l'exercice concret de sa liberté, c'est qu'il trouve déjà la raison au travail dans l'histoire. La communauté qui le porte moule sa conscience morale et fait naître à chaque époque les principes capables de dépasser une loi positive désormais insuffisante. C'est par ce droit naturel de sa communauté, révélation extérieure de la raison que l'homme moral peut agir dans le monde en conformité avec les exigences les plus intérieures de sa propre raison. Dès lors apparaît l'éducation qui s'affirme nécessaire à la morale. Car, c'est elle qui permet à l'individu d'accéder au plan de l'universel où il doit poser son action. Il appartiendra au philosophe, qui a découvert ce rapport et cette nécessité d'éduquer à son tour les membres de sa communauté, afin de constituer un monde où toute liberté puisse se réaliser de manière authentique. Au lieu de limiter sa réflexion au monde olympien des « réalités éternelles », il comprendra que rien n'existe pour l'homme qui n'ait son corps dans l'histoire. C'est justement là qu'il faut agir et trouver l'inspiration de sa réflexion. Il ne cherchera pas seulement à former le monde à partir des exigences intérieures découvertes en soi, mais, s'ouvrant au sens dont est déjà porteuse l'histoire et que révèle la communauté vivante, il s'interroge sur la manière de s'y insérer et de le parfaire.

L'homme qui veut agir moralement dans le monde n'est jamais un point de départ, car le monde lui-même où il agit révèle la présence d'une moralité déjà au travail et dont vivent et s'inspirent les communautés en tant que « unité vivante au-dessus des passions contradictoires »12(*). Les lois positives elles-mêmes ne sont que les réalisations toujours en sursis de ce souffle de moralité présent dans les communautés humaines. Vaincre la violence de l'arbitraire et établir ainsi le règne de la vraie liberté, c'est pour l'homme qui ne se retire pas au désert, obéir non seulement à l'inspiration de la conscience, mais aussi à la moralité dont vit aujourd'hui sa communauté historique. Qu'en sera -t-il alors du passage de la société à l'Etat ?

* 7 Eric Weil, Philosophie politique, Paris, J. Vrin, 1984, p.70

* 8 Eric Weil, op.cit, p.34

* 9 Eric Weil, idem , pp.37-38

* 10 Cette théorie est pour l'essentiel exposée dans deux textes. D'une part, elle est développée dans la Philosophie politique, dans les paragraphes 11 à 14 ( Cf Eric Weil , Philosophie politique , Paris, Vrin, 1956) . D'autre part, Eric Weil y consacre un texte de 1968 intitulé « Du droit naturel » qui est repris dans le premier tome des Essais et Conférences, Paris, Plon,1970, réédité depuis aux éditions Vrin.

* 11, idem p.38

* 12 Eric Weil, Logique de la philosophique, Paris, J Vrin, 1950, p.148

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