4. Les relations interpersonnelles
Il serait, dans notre cas, pertinent de constater les relations qui
s'établissent entre les membres du forum. Le système d'expression
de la relation interpersonnelle s'organise à partir de trois axes :
celui de la distance, celui de la domination ou du systèmes de places et
celui du conflit ou du consensus187(*).
Dans l'interaction, les partenaires peuvent se montrer plus ou moins proches ou
éloignés, cette distance est fonction de leur degré de
connaissance mutuelle, de la nature du lien socio-affectif qui les unit et de
la nature de la situation communicative. La question est de savoir quels sont
les principaux signes du lien. Ces marqueurs peuvent être de nature
verbale, para-verbale ou non-verbale. On trouve les termes d'adresse : le
pronom de la deuxième personne implique soit une distance
(« vous ») soit une proximité ou une
solidarité(« tu »). Le
« tu » peut permettre un mouvement d'inclusion /
exclusion, de circonscrire un groupe d'individus qui
« partagent » le
« tu » , ce
« tu » fonctionnant comme un ciment social qui
soude efficacement l'ensemble communautaire. Bien sûr certains facteurs
peuvent entraîner des modifications comme l'âge, aujourd'hui les
jeunes se tutoient dés la première rencontre, ou le lien
familial, en principe les membres d'une famille se tutoient. Les thèmes
abordés peuvent aussi fournir des éléments quant à
la relation des interactants ; si la relation est distante, on aura des
thèmes généraux et impersonnels ; au contraire si
elle est plus familière, les sujets de conversation seront
eux-mêmes privés, personnels ou intimes ; on retrouve les
mêmes caractéristiques dans le niveau de langue utilisé.
Enfin les « mots de passe » ou les termes
et jargons spécialisés sont souvent corrélatifs d'une
relation de solidarité entre les interlocuteurs ou du désir de
l'instaurer. Ici, Internet implique dés le départ une interaction
basée sur la familiarité libérée de toutes
contraintes physiques. De plus, les mots de passe188(*) sont obligatoires pour
pouvoir « entrer » sur un forum de discussion et
les discussions nécessitent en effet, l'utilisation d'un jargon
particulier189(*) :
ne participe pas aux forums de discussions sur un sujet bien précis, qui
veut.
Au cours du déroulement de l'interaction, les différents
partenaires se trouvent placés en un lieu différent sur l'axe de
la domination qui structure leur relation interpersonelle. Nous pouvons dire
que l'un a une position haute (de dominant) et l'autre une position basse (de
dominé). Cette relation est de nature graduelle. Dans notre cas, il n'y
a pas de tour de parole à proprement parlé, chacun est libre de
poster un message quand bon lui semble. A priori, il n'y a pas de rapport de
domination. Cependant, lorsque l'on occupe plus longtemps le terrain que les
autres participants de l'interaction, on a plus de chances de faire valoir ses
vues, de dominer la conversation et d'en être la vedette : avoir le
privilège d'entamer la conversation, c'est être en mesure de
décider de son orientation générale, de
« donner le ton »190(*). Ceci pourrait s'observer chez les membres qui
postent le plus souvent ou encore celles qui ont une distinction
particulière comme nous avons pu le voir. Celui qui a le dernier mot est
important aussi dans les systèmes de places. Dans ces systèmes,
il faut distinguer les places qui sont déterminées par le
contexte institutionnel (c'est le cas pour les modérateurs du site
Internet représentant en quelque sorte l'institution du site) et celles
qui sont exprimées dans le discours par le jeu de l'interaction.
L'interaction peut donner lieu soit à une coopération soit
à un conflit. Cela s'exprime par une dimension affective dans le
discours exprimée à travers un certain nombre de marqueurs de
« bonne » ou de « mauvaise
volonté » interactionnelle. S'ils sont en
« bons termes », les participants vont
s'employer à coopérer pour
« s'entendre » et s'ils sont en
« mauvais termes », ils vont cultiver
l'affrontement, et chercher à se mettre des « bâtons
dans les roues »191(*) : nous retrouvons là la distinction
entre les thèmes « coups de coeur » et
« coups de gueule ».
* 187 KERBRAT-ORECCHIONI C.
Les interactions verbales (tome 2), A.Colin, Paris, 1990
* 188 Le mot de passe
accompagne le « pseudo » : surnom que l'on emprunte
pour se rendre sur un forum de discussion, une messagerie instantanée ou
un jeu en ligne ; LARDELLIER P. op.cit.
* 189 Voici des exemples de
mots utilisés par les internautes en général, et pas
seulement au sein du groupe qui nous intéresse ici :
- ADSL : Asymetric Digital Subscriber Line,
c'est-à-dire « ligne d'abonné numérique
à débit asymétrique », technologie
permettant de transporter des données numériques sur une ligne
téléphonique classique et d'atteindre des débits
très importants (plusieurs centaines de Kbit/s.
- Blog : nous avons déjà vu la
définition plus avant.
- Chat : mot d'origine nord-américaine
(to chat = discuter) définissant le dialogue
électronique, une conversation numérique synchrone.
- MP3 : Motion Picture Expert Group ; il
s'agit d'un format permettant de compresser de la musique tout en conservant
une très grande qualité, et de l'échanger sur Internet.
- Net : abréviation communément
employée pour désigner le réseau Internet.
- Peer to peer : il s'agit de l'échange de
données (sons, images...) entre internautes.
- Webcam : petite caméra numérique
connectée à l'ordinateur et au réseau, permettant de
chatter en joignant son image vidéo à l'écrit.
In LARDELLIER P. op.cit.
* 190 KERBRAT-ORECCHIONI C.
Les interactions verbales (tome 2), A.Colin, Paris, 1990
* 191 KERBRAT-ORECCHIONI C.
op.cit.
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