La protection des logiciels en droit ivoirienpar Ariel Maixent KOUADIANE Université des Lagunes - Master 2 2024 |
B : L'action en parasitismeEn biologie, le parasite est un être vivant qui tire les substances nutritives d'un être vivant d'une autre espèce (appelée hôte), sur lequel cette association a généralement un effet négatif. Dans le langage courant, ce vocable renvoie à une personne qui vit aux dépens d'une autre ou de la société. On remarque ainsi que le parasite exploite injustement une autre personne. Cette idée se ressent également dans la notion juridique de parasitisme. Le parasitisme est le « fait pour un commerçant de chercher à profiter, sans créer nécessairement la confusion, de la réputation d'un concurrent ou des investissements réalisés par celui-ci.255(*) » Concrètement, « l'entreprise parasite cherche à utiliser pour son propre profit le succès commercial, la notoriété ou les investissements intellectuels d'autrui.256(*) » À l'examen, l'on constate que les juridictions combinent généralement la concurrence déloyale et le parasitisme. D'ailleurs, « à l'origine, le parasitisme était considéré par la jurisprudence comme une forme de concurrence déloyale »257(*). Mais, il convient de souligner que ces notions ne sont pas en tous points identiques. La principale différence est que le parasitisme peut être constaté, même lorsque les commerçants n'ont pas de rapport de concurrence258(*), alors que la concurrence déloyale présuppose ce rapport de concurrence. Cependant, à la vérité, la concurrence déloyale peut se superposer au parasitisme. C'est ce qu'affirmait la Cour de cassation dans un arrêt de 1999 : « le comportement parasitaire est un acte de concurrence déloyale lorsqu'il concerne, comme en l'espèce, des entreprises en situation de concurrence259(*) ». En d'autres termes, les agissements parasitaires sont également des faits de concurrence déloyale, quand les acteurs entretiennent un rapport concurrentiel. Les juges ont pu indemniser des éditeurs de logiciels, au motif que leurs logiciels avaient été « parasités ». Ainsi, dans un arrêt de 2018, la cour de Cassation a retenu que la Cour d'appel, tout en rejetant la contrefaçon , avait prononcé, à bon droit, une condamnation pour parasitisme en présence de logiciels au comportement similaire : « Attendu que, relevant que les ressemblances constatées entre les logiciels en présence, relatives aux spécifications fonctionnelles générales ainsi qu'à la présentation des écrans, à leur contenu et à leur séquencement, avaient pour origine les nombreuses captures d'écran du logiciel TSM, l'arrêt retient que de tels actes caractérisent une appropriation du savoir-faire de la société 3DSoft réalisée en trompant la confiance de cette dernière, qui a permis aux sociétés Toyota d'éviter de supporter des investissements financiers et un risque économique ; que la cour d'appel, qui n'a pas relevé d'office un moyen de droit nouveau, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision260(*) ». Suivant la même logique, la société canadienne Softimage Inc. a été condamnée pour parasitisme au motif qu'elle avait conçu un logiciel en utilisant le travail et le savoir-faire d'autrui, et que ce détournement lui avait permis de réaliser des économies importantes au détriment des victimes261(*). Par ailleurs, « Dans un cas d'espèce similaire, par un jugement rendu le 11 avril 2018, le Tribunal de commerce de Versailles a prononcé la condamnation de la société Wanadev pour des pratiques de « concurrence déloyale et parasitaire » après avoir constaté que celle-ci avait utilisé des éléments de design du logiciel « HomeByMe » créé par la société Dassault Systèmes et avait ainsi tiré indûment profit de son investissement financier et intellectuel en concluant un contrat avec ADEO, société avec laquelle Dassault Systèmes se trouvait simultanément en négociations 262(*)». En résumé, l'action en parasitisme peut permettre de combler certains angles morts de la protection des logiciels par droit d'auteur. Comme nous le précisions dès l'entame de cette étude, l'objectif de notre mémoire était de déterminer si le droit d'auteur offrait une protection satisfaisante aux auteurs logiciels. En effet, bien plus que toute autre oeuvre de l'esprit, le logiciel laissait planer des doutes quant à l'efficacité et la pertinence de la propriété littéraire et artistique, en raison de sa nature fonctionnelle. Il est apparu que la propriété littéraire et artistique protégeait expressément les formes d'expression du logiciel, c'est-à-dire le code source et le code objet. Nous avons également démontré que le droit d'auteur pouvait, à certains égards, couvrir les travaux de conception préparatoire, la documentation d'utilisation et l'interface du logiciel. Le législateur ivoirien, en incluant le logiciel dans la catégorie des oeuvres de l'esprit, permet aux développeurs d'exercer un monopole financier et moral sur leurs créations, lequel monopole est sanctionné judiciairement par l'action en contrefaçon. Mais nous avons pu constater que cette protection comportait certaines insuffisances. D'abord, s'agissant d'une protection privative sans titre, son existence est incertaine d'autant que l'examen de la jurisprudence permet de constater que la preuve des conditions de protection par le droit d'auteur est examinée avec sévérité par les juridictions. Ensuite, les auteurs salariés sont désavantagés dans la mesure où les droits patrimoniaux sur leur logiciel sont automatiquement transférés à l'employeur, sans contrepartie pour ce dernier de leur verser une rémunération compensatrice. Enfin, la durée de protection que prévoit le droit d'auteur est inutilement excessive, compte tenu des exigences du monde informatique, ce qui en fait un frein. Cependant, le désavantage majeur de la propriété littéraire et artistique est qu'elle est limitée quant à son objet. Certes, elle s'applique parfaitement aux éléments littéraires du logiciel, mais elle délaisse complètement les éléments fonctionnels du logiciel alors que ces derniers constituent le principal intérêt d'un programme d'ordinateur. Tout cela nous a permis de conclure que la protection des auteurs de logiciels, en l'état actuel, était inadaptée et insatisfaisante au regard des exigences du monde informatique. Ce constat a, dès lors, suscité en nous deux réactions. La première était de proposer des perspectives d'évolution de la loi ivoirienne sur le droit d'auteur. À ce titre, nous avons envisagé que le législateur ivoirien pourrait, à la faveur d'une éventuelle modification législative, prévoir une indemnité obligatoire de transfert des droits patrimoniaux des auteurs de logiciel salariés. De plus, il nous est apparu nécessaire d'instituer une présomption simple d'originalité afin de donner du sens et de la teneur au droit d'auteur. Par ailleurs, nous avons montré qu'en qualifiant le logiciel d'oeuvre des arts appliqués, l'on pourrait réduire la durée de protection manifestement excessive qui est de nature à freiner l'innovation. Après, la seconde réaction a été de rechercher des méthodes auxquelles pourraient immédiatement recourir les auteurs de logiciels. Elles sont principalement de deux ordres : les méthodes complémentaires et les méthodes supplémentaires. Nous avons présenté les méthodes complémentaires comme les techniques qui pouvaient combler certaines failles du droit d'auteur, en facilitant ainsi l'exploitation. Il s'agit, en premier lieu, du constat de création de logiciel qui devrait faciliter la preuve de la paternité des créateurs sur leurs créations, au moyen d'un acte authentique. En second lieu, nous avons envisagé la licence comme moyen de renforcer les droits des auteurs par la limitation et le contrôle de leurs obligations ainsi que des droits des utilisateurs. Par la suite, nous avons montré des méthodes supplémentaires que les auteurs pouvaient employer afin d'étendre la protection de leurs intérêts. Au premier abord, le droit des marques qui protègent la notoriété et l'image du logiciel. Bien qu'il ne porte pas sur le logiciel en lui-même le droit des marques protège indirectement le logiciel, en permettant d'agir contre toutes les copies du logiciel ne provenant pas de l'auteur. Dans ce cas, l'action en contrefaçon de marque se superpose à l'action en contrefaçon de logiciel. Au second abord, le droit de la concurrence qui, comme des exemples jurisprudentiels français le montrent, peut servir de moyen de protection des éléments du logiciel non protégés par le droit d'auteur. Ainsi, le comportement du logiciel en général, et ses fonctionnalités en particulier, peuvent être protégés par une action en concurrence déloyale et/ou une action en parasitisme. Cependant, ces actions constituent des moyens de protection non privatifs, dont l'efficacité dépend du résultat d'une instance en justice. À ce titre, ils sont également marqués du seau de l'incertitude. Par conséquent, il ressort que le seul moyen de protéger efficacement les logiciels dans l'espace OAPI en général, et la Côte d'Ivoire en particulier, serait d'autoriser la brevetabilité des fonctionnalités des logiciels, or, en l'état actuel des choses, ces derniers ne sont pas brevetables en tant que tels. Pour terminer, nous avons conscience que notre étude était orientée du côté des auteurs de logiciels, et nous n'occultons pas qu'elle pourrait être examinée du point de vue des utilisateurs de logiciels, notamment en ce qui concerne la responsabilité des auteurs de logiciels et la gestion des données personnelles des utilisateurs. Mais, à la vérité, nous n'entendions point épuiser la question de la protection des logiciels. D'ailleurs, vu l'immensité du chantier, cela eût été contreproductif. Alors, nous comptons bien clore notre étude sur ces dernières lignes, en laissant à d'autres la mission d'explorer les méandres de ce sujet. 1. Loi n°2016-886 du 08 novembre 2016 portant Constitution de République de Côte d'Ivoire 2. Accord de Bangui instituant une organisation africaine de la propriété intellectuelle, acte du 14 décembre 2015 3. Directive n°02/2018/CM/UEMOA portant harmonisation des dispositions relatives au droit d'auteur et aux droits voisins dans le domaine de l'image au sein de l'UEMOA 4. Loi n°2016-555 relative au droit d'auteur et aux droits voisins publié au journal officiel du jeudi 20 octobre 2016 Ouvrages généraux : 1. H. ABISSA, Droit du travail, Les éditions ABC, Abidjan, 2ème édition, 2021, 555 p. 2. C. ATIAS, Droit civil les biens, LexisNexis Litec, Paris, 11ème édition, 2011, 440 p. 3. A. BERTRAND, Le droit d'auteur et les droits voisins, Masson, Paris, 1991, 796 p. 4. A. BENSOUSSAN, Informatique, télécoms, internet : Réglementation, contrats, fiscalité, communications électroniques, Éditions Francis Lefebvre, 2012, 1103p. 5. Y. BISMUTH, Droit de l'informatique : éléments de droit à l'usage des informaticiens, L'Harmattan, Paris, 2011, 446 p. 6. C. CARON, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis Litec, Paris, 2006, 508 p. 7. P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, Paris, 5ème édition, 2004, 935 p. 8. M. MENJUCQ, Droit commercial et des affaires, Gualino, 9ème édition, 2015,263(*) 188 p. 9. P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, Librairie du Recueil Sirey, 1952. 10. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil les obligations, Dalloz, Paris, 7ème édition, 1999, 1294 p. 11. M. VIVANT, J.-M. BRUGUIERE, Droit d'auteur, Dalloz, Paris, 2009, 814 p. Ouvrages spécialisés : 1. C. D. DJOMGA, La contrefaçon des logiciels dans l'espace OAPI, Étude comparée de l'ABR révisé et des législations du Sénégal, du Gabon, de la Côte d'Ivoire et du Cameroun, Les Éditions ISIS, 2011, 74 p. 2. N. ETRANNY, Propriété littéraire et artistique : 111 clés pour comprendre le droit d'auteur, L'Harmattan, 2012, 112 p. 3. I. M. KOUM DISSAKE, La protection des logiciels par le droit des marques dans l'espace OAPI, Éditions universitaires européennes, 2012, 114 p. 4. B. SCHAMING, Le droit du logiciel, LA VILLEGUERIN Éditions, 1990, 416 p. Articles : 1. M. BEHAR-TOUCHAIS, Comment indemniser la victime de la contrefaçon de manière satisfaisante? in L'entreprise face à la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle, Actes du colloque de l'IRPI, 2003. 2. R. DESY, La protection par le droit d'auteur des logiciels créés par des employés en droit comparé et international, Thémis, 1996. 3. S. VERVILLE, La notion d'épuisement des droits : évolution et rôle actuel en commerce international, Les Cahiers de propriété intellectuelle, 2006. 4. Horn, F. (2007). II. L'importance croissante des logiciels : la « logicialisation » de l'activité économique et sociale. Dans : François Horn éd., L'économie des logiciels (pp. 24-40). Paris: La Découverte. 5. F. MACREZ, Logiciel : le cumulard de la propriété intellectuelle in L'articulation des droits de propriété intellectuelle, Dalloz, 2011. 6. Franck Macrez, Vers un droit spécifique pour le logiciel ? Retour vers le futur d'une protection amphibie in Christophe Geiger; Matthieu Dhenne, Les inventions mises en oeuvre par ordinateur : enjeux, pratiques et perspectives, LexisNexis, Collection du CEIPI, 2019, ffhal-04105663f. 7. M.-H. LOUTFI, Réflexions sur la protection juridique des logiciels, Bulletin du droit d'auteur, XXIII(4), 1989. 8. S. K. VERMA, L'étendue de la protection de la propriété intellectuelle en matière de logiciel en Inde in Brevet, innovation et intérêt général. Le brevet pourquoi et pour faire quoi ? Actes du colloque Louvain-la-Neuve organisé par la Chaire Arcelor, sous la direction de Bernard Remiche, Larcier, 2006. Thèses :
Mémoires :
Ressources du web : 1. M. PATUREL, J. RONDOT, Contrefaçon et concurrence déloyale sur le marché français de l'édition de logiciels, [15 mai 2024]. Lien 2. B. SFEZ, B. DELEPORTE, Droits d'utilisation des logiciels : de la nécessaire gestion des licences au sein de l'entreprise, [10 mai 2024]. Lien 3. A. BAMDE, La protection juridique du logiciel créé au sein d'une entreprise, [16 avr. 2024]. Lien 4. N. ARNAUD, La médiation, un moyen d'éviter l'aléa judiciaire, [21 mars 2024]. Lien 5. C. CHAMPAGNER KATZ, La preuve de la qualité d'auteur : un préalable indispensable à l'action en contrefaçon de droit d'auteur, [21 mars 2024]. Lien 6. C. URMAN, Concepteurs de logiciels : savez-vous si votre création est originale ?, [5 févr. 2024]. Lien 7. La Langue Française, Fonctionnalité, [8 févr. 2024]. Lien 8. Dictionnaire Juridique, Logiciel, [8 févr. 2024]. Lien 9. IONOS, Code source : définition et exemples, [8 févr. 2024]. Lien 10. Informatique en Prépas, Quelle est la différence entre un programme et un logiciel ?, [8 févr. 2024]. Lien 11. Business France, Les Logiciels en Côte d'Ivoire, 2020, p.1 [06.06.2024] : Lien 12. Logiciels - Le taux de piratage s'élève à 79% en Côte d'Ivoire, [06.06.2024] : Lien * 255 S. GINCHAUD, T. DEBARD, op. cit., p.770. * 256 M. MENJUCQ, op. cit., p.179. * 257 Ibid. * 258 Ibid. * 259 Com., 26 janvier 1999, 96-22.457, Inédit * 260 Civ. 1, 3 mai 2018, 16-26.531, Inédit * 261 Civ.1e, 13 déc. 2005, 03-21.154 * 262 M. Paturel, J. Rondot, Contrefaçon et concurrence déloyale sur le marché français de l'édition de logiciels, [15 mai 2024]. Lien |
|