Le Cameroun sous les fourches caudines du fmi d'après les journaux: 1988-2006par Symphorien Loïc EMBOLO Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Histoire des relations internationales 2023 |
CHAPITRE IV : QUEL AVENIR POUR
LACOLLABORATION CAMEROUN-FMI ?
Après avoir passé 18 ans sous le joug de l'ajustement économique,c'est finalement par le communiqué n°06/85 du 1er mai 2006 que le Cameroun redevient un pays à revenu intermédiaire lorsqu'il atteint le point d'achèvement de l'initiative PPTE renforcé.Ildevientainsi le 15eÉtatafricain à franchir le cap474(*). Caractérisant également la fin des périodes sombres et la preuve d'une reprise économique prospère, signé par la fin d'une décennie d'endettement aigu, pourquoi est-ce que le Cameroun doit-il continuerde coopérer avec le FMI dans le cadre des programmes d'ajustement structurel ? I. LE FONDS MONETAIRE INTERNATIONAL : UN INSTRUMENT DEVANT PERMETTRE AUX POUVOIRS PUBLICS D'AMELIORER LES CONDITIONS FINANCIERESDURANT LA DECENNIE 1990 ? Sollicité en 1988 pour pallier aux effets néfastes de la crise,le FMIa fait partie de ceux quiont polarisé les opinions dans la presse locale.Celui qui est «pour'' croit que cette institution apporte une certaine stabilité économique et un développement quelconqueen édifiant des mécanismes de bonne gouvernance. Mais à l'inverse, celui qui est «contre'' dénonce le Fonds comme un rouleau compresseur écrasant tout ce qui entrave ses ambitions de créer une société multiforme, notamment leslégislations protectrices, les traditions et les spécificités475(*). 1. Le FMI,unepanacée contre les déséquilibres économiques au Cameroun Lorsquele FMI est crééà Bretton Woods en juillet 1944,la mission qui lui est assignée est celle de traiter des questions économiques et financières dans le monde, y compris dans les pays en développement.Cette démarche ne s'explique pas seulement par sa Charte constitutive fondée sur la dichotomie tranchée entre champ de l'économie et les considérations extra-économiques, mais également par les dogmes de la théorie économique servant à expulser les droits de l'homme476(*). C'est la raison pour laquelle cette institution opère une avancée majeure à l'encontre des jeunes États en 1960 lorsqu'elle modifieles structures économiques internationales afin defaciliter la résolution des problèmes d'industrialisation, de sous-développement, d'endettement et de crise économiques dans cesanciennes colonies477(*). De ce point de vue et au regard de la structure dérisoire de l'économie camerounaise en 1988, la démonstration de l'échec de l'ajustement autonome contraint les autorités camerounaises àprendre le chemin de New York afin derecourir à l'assistance du FMI, ceci après la rédactiond'une «Déclaration de Stratégie et de Relance Économique (DSRE)''communément appelé «lettre d'intention''. Après de laborieuses négociations, c'est finalementen septembre 1988 que le premier accord sollicité par le Cameroun est signé. Cela a permisde mettre en place des politiques de stabilisationet d'ajustement structurel.
Après la forte réticence des instances politiques camerounaises à recourir aux crédits du FMI en 1987, l'échec relatif de l'ajustement autonome et l'insistance des institutions françaisesobligent les autorités nationales à recourir aux PAS proposés par cette institution. Dès 1989 les premières politiques d'ajustement destinées à réduire le déficit public et à stabiliser les déséquilibres sont mises en place478(*). Il s'agit notamment de l'abandon des subventions aux produits et services de premières nécessité (pain, riz, lait, combustible, etc.), l'austérité budgétaire et réduction des dépenses (baisse de budgets sociaux non productifs (santé, éducation, subvention aux produits de base), la dévaluation de la monnaie locale, l'élévation du taux d'intérêt pour attirer les capitaux étrangers avec une rémunération élevée, la production agricole tout entière est tournée vers l'exportation pour faire rentrer les devises, l'ouverture totale des marchés par la suppression des barrières douanières, la libéralisation de l'économie par l'abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, la privatisation massive des entreprises publiques, et l'introduction d'une TVA pour préserver les revenus du capital479(*).Ces mesures devaient permettre de surmonter sans tarder les difficultés auxquelles se heurte déjà la balance des paiements etd'empêcher que les difficultés ne surgissent. En laissant jouer les forces du marché dans toute la mesure du possible, la main d'oeuvre et le capital se sont dirigés vers les emplois les plus productifs avec un enjeu suffisamment clair : «l'efficacité économique et une croissance non inflationniste''.Grâce à son assistance technique, pas toujours mentionné mais dont le but est de former les fonctionnaires de l'État et de banques centrales, le FMI réussit à transmettre aux autorités locales des connaissance sur la fiscalité, l'administration, la gestion des dépenses, la politique monétaire,et la politique macroéconomique480(*). Cela explique donc les multiples réformes socio-politiques et économiques entreprises au Cameroun entre 1988 et 2006, suivies desmissions de surveillance du Fonds dont le but était de d'aider le Cameroun à mieux affronter les chocs extérieurs dus à la récession générale, et de créer des conditions propres à rétablir la croissance économique. Avec le volet financement qui est un appui supplémentaire au profit de cet État dans le but de soutenir les réformes dans les domaines socio-économiques, les programmes de stabilisation et d'ajustement visaient surtout les institutions d'État, notamment le Secrétariat général de la présidence (SGP), le Ministère de l'Économie et desFinances (MINEFI), le Ministère de la Planification et du Développement (MINPAD) ;les partenaires du secteur privé ; et les entreprises publiques afin de favoriser une plus grande efficacité des marchés, et de réaménager l'ordre de priorité des investissements, réduisant ainsi les dépenses dans les domaines non productifs en y appliquant les lois de libre marché481(*).
La crise économique au Cameroun s'est traduite par une baisse tendancielle du PIB courant à partir de l'année 1985/86. Cette baisse est allée jusqu'en 1992/93. Mais après 1994, année de dévaluation du FCFA, dans le cadre l'ajustement structurel, le Cameroun renoue avec une croissance d'environ 4,5% par an. La production intérieurede cet État revient à son niveau d'il y a 20 ans environ, bien que n'étant pas fabuleux482(*). Depuis le tournant des années 2000, le Cameroun a assisté à une amélioration des indicateurs économiques et sociaux après le flirte plus ouvert du FMI avec des thèmes qui s'inscrivent dans la problématique d'une prise en compte des problèmes sociaux dans le développement économique du pays.Ce qui explique donc l'adoption des stratégies visant à réduire la pauvreté et à stimuler la croissance économique au Cameroun,notamment la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC), le Document de Stratégie pour laRéduction de la Pauvreté (DSRP), l'Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM), et l'Instrument de Soutien à la Politique Économique (ISPE)483(*). Dans le cadre de la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC), décidée au Cameroun en 2000 après l'atteintedu point de décision de l'initiative pays pauvre très endetté, le gouvernement camerounais élabore avec l'aide des bailleurs de fonds et de la société civile unDocument de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP) dont le but est de réduire la pauvreté et recourir au financement extérieur.Cette facilité permetau Cameroun d'améliorer l'accès aux services de santé, d'éducation, et de développement rural et économique d'une part. D'autre part, elle permetde renforcer l'État de droit, les politiques de lutte contre la corruption, le fond d'investissement des infrastructures, le soutienau développement du secteur privé, et les l'espaceentrepreneurialau Cameroun484(*). La FRPC favorise également une croissance économique plus inclusive après la mise en place des politiques de protection sociale, de renforcement des filets de sécurité sociale, et de promotion de l'égalité des chances pour tous. En 2002 par exemple, le Cameroun représente la moitié du PIB de la CEMAC avec un chiffreà hauteur de 8,8 milliards de dollars et un taux de croissance de 5%. Ce qui a permis deplacer le Cameroun au 132e rang mondiale des pays les plus performant et le 12e en Afrique subsaharienne des pays en voie de développement,selon le rapport de la session ordinaire du Sénat rapporté par M. J. Chaumont de 2002485(*). Concernant leDSRP, il s'agitd'un document élaboréen 2003 par les autorités gouvernantes, la société civile et les bailleurs de Fondscombinant à la fois les objectifs économiques et sociaux, conformément aux objectifs du millénaire pour le développement (OMD).Selon les rapports de 2004, 2005 etde 2006 dudit document, l'État camerounais réussi à consolider les progrès réalisés grâce à la FRPC surle plan économique et sociale. Notamment sur laréductionde la pauvreté, la stimulationde la croissance économique, lerenforcement de l'état de droit, la lutte contre la corruption, la promotionde l'éducation et la formation professionnelle, l'investissement dans les infrastructures, le soutiendu développement du secteur privé, et l'encouragement de l'entreprenariat486(*). Concernant l'Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) qui estdécidée en juin 2005 par le G8 dans le but de renforcer l'IPPTE, elle débiteune dette additionnelle de 229 millions de dollarsà l'Étatcamerounais à l'atteinte du point d'achèvement, ce qui a constitué un réel soulagement pour la santé financière de l'État487(*). Cependant,la réduction de201 millions de dollars dans la dette du Cameroun pendant la période intérimaire de 2000 à 2006permet de dégager des fonds pour construireles infrastructures routières en milieu rural et pour abonder les budgets des secteurs éducatif et sanitaire488(*). Aussi, l'IADM permetde réduirela pression fiscale sur les finances publiquesetd'améliorer la gestion des ressources du pays.Ce qui explique donc la créationd'un environnement plus propice à l'investissement privé et à d'emplois, réduisant ainsi la pauvreté et contribuant à améliorerles conditions de vie des Camerounais489(*).Par ailleurs,malgré le renforcement de l'intervention du FMI en 1999 et les évolutions en matière de traitement de la dette, des interrogations persistent quant à l'appréciation des politiques et des logiques qui sous-tendent cette institution internationale. 2.La contre-facettedel'interventions du FMI au CamerounLe fait qu'une personne comme Joseph Stiglitz qui a occupé une fonction clé dans «l'établissement de la mondialisation'' adopte une posture résolument critique à l'égard du FMI indique à quel point cette institution serait devenue une énorme bureaucratie progressivement affranchie de l'influence des Étatscapitalistes comme les USA, la France et la Grande Bretagne. Né en 1944 à Bretton Woods, le FMI trouve sa genèse doctrinale dans le plan de White qui incarnait le paradigme américain envahissant durant la guerre froide. C'est la raison pour laquelle au long de son histoire,les Etats-Unis ont été l'actionnaire principal et le pays membre le plus influent, d'oùla question sur la responsabilité internationale de cette institution490(*). Le cas de l'Argentine et du Brésil qui ont décidé fin 2005 d'anticiper leurs remboursements envers le FMI pour se libérer de sa tutelle est assez révélateur. * 474Anonyme, «Cameroun : l'économie après le point d'achèvement''...consulté en ligne sur www.cameroon-info.net, le 26 février 2023 à 14h03. * 475 J. E. Stiglitz J. E., La grande désillusion, New York, W. W. Norton &Company, 2002, p.29. * 476 M. Mohamed Salah, «L'irruption des droits de l'homme dans l'ordre économique'', in Les institutions financières internationales et les apories de la logique de la séparation, 2002, p.4. * 477M. Lelart, «Le Fonds monétaire international et le financement du développement'', in Mondes en développement, n°173, 2015, consulté en ligne sur www.cairn.info , le 7 juin 2023 à 11h00. * 478FMI, «L'économie mondiale au service du tous'', Rapport annuel 2007, p.1. * 479Bulletin du FMI, édition spéciale de septembre 1987, p.10. * 480 Collectif, Assistance technique du FMI..., p.3. * 481Ouvrage collectif, Assistance technique du FMI, transmettre les connaissances et les meilleures pratiques, Washington, FMI, mai 2003, p.3. * 482BAD et FAD, «République du Cameroun : un espace budgétaire renforcé pour la croissance et la réduction de la pauvreté'', Rapport sur l'étude économique des pays, décembre 2008, p.1. * 483M. Legzouli, «Les mécanismes d'aide au développement : FMI et OMC'', Thèse de Doctorat en Sciences politique, Université de Paris 5, 2009, consulté en ligne sur www.these.fr, le 11 juin 2023 à 13h30. * 484 T. Monzon, «Approche dominante de lutte contre la pauvreté dans les pays à faible revenu et logique de libéralisation commerciale du Fonds monétaire international (FMI)'', in Bulletin économique et social du Maroc, n°149, 2013, consulté en ligne sur www.researcgate.net , le 7 juin 2023 à, 10h00. * 485Senat, «Session ordinaire de 2001-2002'', Rapport, n°228, par M. J. Chaumont, 13 février 2002, p.8. * 486FMI, «Cameroun : Initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés..., p.11 * 487BAD, Cameroun-atteint le point d'achèvement au titre de l'initiative PPTE, Tunis, 26 juillet 2006, p.2. * 488FMI, «Cameroun : Initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés..., p.17. * 489Aguilar, «Révolution silencieuse de la Banque mondiale et du FMI...'', p.96. * 490Y. F. Nkodia, «L'idéologie des institutions internationales financières du développement : (Fonds monétaire international-banque mondiale). Le cas des pays africains'', Thèse de doctorat en Sciences politiques, Université de Nice, 2002, consulté en ligne sur www.these.fr , le 10 juin 2023 à 14h17. |
|