39
2.1.4.2. Interculturelle
Le concept interculturel est composé du mot
culture défini plus haut ; et du préfixe latin « inter
» qui signifie : « entre, parmi, au milieu de, lier »
(Gaffiot, 1934, p. 838). L'interculturel signifie donc, les rapports ou
les contacts entre les cultures. En d'autres mots, l'interculturel signifie :
lier des cultures, dans le sens de créer des liens entre elles. En
citant le Conseil de l'Europe, Olivier (2012) dit :
« L'emploi du mot interculturel implique
nécessairement, si on attribue au préfixe « inter » sa
pleine signification, interaction, échange, élimination des
barrières, réciprocité et véritable
solidarité. Si au terme de « culture » on reconnait toute sa
valeur, cela implique reconnaissance des valeurs, des modes de vie, et des
représentations symboliques auxquels les êtres humains, tant les
individus que les sociétés, se référent dans les
relations avec les autres et dans la conception du monde » (p.
25)
· Origine et historique du concept
interculturel
L'historique du concept interculturel montre qu'il
est né aux USA dans les années 1970-1980. Il est
désigné en anglais par le vocable «
cross- cultural ».
Pour Clanet (1993), par l'interculturel, l'on
désigne « un mode particulier d'interactions et
d'interrelations qui se produisent lorsque des cultures différentes
entrent en contact ainsi que l'ensemble des changements et des transformations
qui en résultent » (p. 22).
En réalité, l'interculturel nait
à partir des situations de contact entre des cultures
différentes.
Mais comment distinguer l'interculturel d'avec
d'autres compétences générées par des cultures en
contact ? En fait, qu'est-ce qui distingue l'interculturel d'avec le
multiculturel et le transculturel ?
· Inter culturalisme et multiculturalisme,
transculturalisme
L'usage commun tend à créer une
confusion entre les concepts interculturel, multiculturel et transculturel. En
effet, cette confusion découle du fait que l'interculturel tout comme le
multiculturel et le transculturel, participent toutes, des compétences
qui sont inhérentes à toute situation de pluralité
culturelle. Et pourtant, ces trois notions sont distinctes les unes des
autres.
40
En effet, le multiculturalisme consiste à
reconnaitre la pluralité des cultures ou la reconnaissance de la
pluralité culturelle. Il est question ici de distinguer le «
Eux » du « Nous ». C'est dire que dans le
multiculturalisme les identités culturelles de chaque
société sont reconnues, promues et même
revendiquées. En effet, pour Kymlicka, toutes les sociétés
sont de fait multiculturel. Car, même les sociétés les plus
homogènes en apparence, comportent en leur sein des groupes, des
associations qui sont organisés sur la base des classes, du genre,
d'idéologies, d'orientations sexuelles (2001, p.
34).
Il en résulte que dans les
sociétés multiculturelles, les différentes cultures
peuvent chacune revendiquer le droit à la reconnaissance de leur
spécificité, le droit à la différence. Et selon
Abdallah- Pretceille (1999) : « la différence suppose un
jugement de valeur, une norme, elle est ethnocentrique et souffre de la marque
de l'énonciateur » (p.60). Cela signifie que, la promotion des
différences identitaires induite par le multiculturalisme,
déboucherait à une société atomisée en
particularismes.
En allant dans cette perspective-là de la
reconnaissance et de la
promotion des identités culturelles reconnues
et promues, Hunyadi (2002) dira
que :
Tel qu'il est conçu par les pensées
de la réduction identitaire, le pluralisme se résout en autant de
zones protégées de l'identité, d'autant plus
étouffantes qu'elles sont communautaires et d'autant plus rigides
qu'elles veulent y conformer le cadre (p. 56).
En bref, dans le multiculturalisme, les
différences culturelles sont exacerbées et accentuées. Une
expression prosaïque rendrait mieux compte de ce qu'est le
multiculturalisme, qui dit que : l'on peut être ensemble, et ne pas se
mélanger.
Or, les particularismes identitaires très
souvent sont des avatars des conflits imminents. Alors, l'interculturel se
propose d'aller au-delà de cette simple juxtaposition des cultures du
multiculturalisme. Soutenant cette idée- là, Cuq (2003) affirme
que ce qui fait la particularité de l'interculturel par rapport au
multiculturel :
« Était le préfixe inter qui
permettait de dépasser le multiculturel. Interculturel suppose
l'échange entre les différentes cultures, l'articulation, les
connexions, les enrichissements mutuels. Le contact effectif des cultures
différentes constitue un apport ou chacun trouve un supplément
à sa propre culture (à laquelle il ne s'agit bien sûr en
rien de renoncer) » (p. 136).
41
Quant au transculturalisme, il consiste à ce
que Puren (2023) citant Durkheim nomme par : « Savoir retrouver, sous
la diversité des manifestations culturelles, le « fonds commun
d'humanité » » (p. 3). Il s'agit en fait de se mettre
à la place de l'autre. Dans le transculturalisme, il y a un simple
sentiment, une posture morale. Or, dans l'interculturel, il y a action
effective.
En bref, le multiculturel et le transculturel se
réduisent à une adjonction des cultures en présence. Il
s'agit d'une addition simple des cultures en présence. Alors que pour
l'interculturel, il est question de l'ouverture de chaque culture à
toutes les autres.
En s'appropriant les composantes de la
compétence culturelle de Puren (2023), la distinction entre :
interculturalisme, multiculturalisme et transculturalisme peut mieux être
établie.
Tableau n° 6 :
interculturalisme-Multiculturalisme-Transculturalisme
COMPOSANTES
|
DÉFINITIONS
|
ACTIONS
|
Interculturalisme
|
Savoir gérer les interactions culturelles
lors des contacts avec des étrangers rencontrés
|
Découvrir les autres et entrer en contact
avec eux
|
Multiculturalisme
|
Savoir gérer
quotidiennement sa cohabitation personnelle et aider
à la cohabitation des autres au sein d'une
société
|
Vivre avec les autres
|
Transculturalisme
|
Reconnaitre dans l'autre, l'humanité
commune
|
Reconnaître dans l'Autre la
même
humanité
commune
|
|
En réalité, l'interculturel consiste
à nouer ou tisser des liens entre les différentes cultures qui
existent dans une société. C'est une instance relationnelle ou
collaborative dans un contexte des cultures différentes en contact. Elle
peut être appréhendée dans sa dimension théorique
d'une part, et dans sa dimension pratique d'autre part.
· Dimension théorique de
l'interculturel
Dans sa dimension théorique, l'interculturel
est perçue comme un ensemble de valeurs et d'attitudes à
l'égard de la diversité culturelle. Ce sont entre autres des
valeurs comme la civilité, la tolérance, le respect, l'ouverture
d'esprit, entre autres. Qu'en est-il ?
42
D'après Clanet (1993) «
l'interculturalité est l'ensemble des processus - psychiques, et
interpsychiques, relationnels, groupaux, institutionnels - engendrés par
ces mises en relation, ainsi que les changements et transformations qui en
résultent » (p. 70). En fait l'interculturel est
conséquent d'un environnement de diversité culturelle et du
processus de réciprocité dans les échanges qui s'y
établissent.
Pour Leray (2001) : « la
nécessité d'une attitude interculturaliste s'impose par le
pluriculturalisme réel de notre environnement et du type de relations
existant entre les cultures » (p. 147). En effet, dans un contexte
marqué par des différences culturelles, il y a lieu de promouvoir
l'interculturel.
Bien plus, selon Meunier (2007), l'interculturel est
« une manière d'analyser la diversité culturelle et de
s'interroger sur les interactions culturelles » (p.7). En d'autres
mots, dans l'interculturel, il est question de construire des espaces qui
favorisent des relations entre des cultures différentes.
Par ailleurs, pour le Conseil de l'Europe, une
société interculturelle est celle dans laquelle
:
Différentes cultures et groupes nationaux,
ethniques et religieux vivant sur le même territoire, entretenant des
relations ouvertes d'interaction, avec des échanges et la reconnaissance
mutuelle de leurs modes de vie et valeurs respectives. Il s'agit dans ce cas
d'un processus de tolérance active et de maintien de relations
équitables au sein desquelles chacun a la même importance
(1995, p. 27).
Pour le dire autrement, l'interculturel est une
attitude d'ouverture, de tolérance et de reconnaissance mutuelle qui
accompagne toute situation de diversité culturelle.
En outre, Abdallah-Pretceille estime que «
L'interrogation identitaire de soi par rapport à autrui fait partie
intégrante de la démarche interculturelle (...) La vraie nature
de l'interculturalisme est de s'adresser à tout le monde »
(2003, p. 214). En fait, l'interculturel sous-entend le respect de la
diversité culturelle. C'est dans cette perspective-là que
l'auteure dira que Abdallah-Prétceille, (2004) dira que l'interculturel
c'est d'aller à la rencontre de l'autre, de le connaitre et non pas
seulement d'apprendre sa culture. Cela mène à la tolérance
et à une coexistence pacifique entre les différentes
sociocultures en présence. La finalité dans l'interculturelle est
l'ouverture du Soi à Autrui.
43
Mais, l'interculturel ne s'épuise pas dans sa
dimension théorique. Ce sens-là est très aérien. Il
serait intéressant d'aborder son aspect concret. Ainsi, à quoi
renvoie l'interculturel dans le sens pratique ?
· La dimension pratique de
l'interculturel
Dans son sens pratique, l'interculturel
désigne non plus seulement des intentions et éléments
moraux mais des actions ou des actes concrets. Que dire ?
Pour De Carlo, l'interculturel vise l'interaction,
l'échange, la réciprocité, une véritable
solidarité et l'élimination des barrières en contexte de
diversité culturelle.
Dans l'approche de l'interculturelle par Porcher, il
soutient le même point de vue en affirmant que : «
L'interculturel est l'attitude qui consiste à construire entre des
cultures différentes des relations de réciprocité »
(1986, p. 128). Les qualités qui résultent de
l'interculturel sont :« la générosité,
l'hospitalité, le respect effectif, la confiance [...] l'enrichissement
par les différences ». En fait, il s'agit dans
l'interculturel, de la compréhension de ce que « l'autre est
à la fois différent de moi et identique à moi ».
Ainsi, par l'interculturel sont construites entre des cultures
différentes, des relations de réciprocité. Les mots
choisis dans cette approche porcherienne, désignent davantage des
actions ou des actes, et pas seulement des éléments moraux,
abstraits et aériens.
· La compétence interculturelle
Les concepts de compétence et d'interculturel
ayant été définis, il s'agit maintenant d'en donner une
définition qui subsume les deux. Dans ce sens-là, disons
d'emblée que la compétence interculturelle est une configuration
de savoirs, savoir-faire et savoir-être qui permet à un apprenant
de comprendre, d'entretenir une interaction et de communiquer avec des
personnes de cultures différentes.
Ainsi, d'après Friedman et Antal (2005) la
compétence interculturelle c'est : « la capacité de
reconnaitre et utiliser les différences culturelles comme une ressource
pour apprendre et concevoir une action efficace en contexte spécifique
» (p. 70). En fait, il s'agit dans la compétence
interculturelle, de comprendre à la fois la culture de soi et celle de
l'autre.
Pour les auteurs Hammer, Bennett et Wiseman (2003, p.
425), la compétence interculturelle est « l'habileté
à fonctionner avec efficacité dans un contexte marqué par
les différences culturelles et la capacité de s'adapter,
d'accepter et d'interpréter un comportement propre à une culture
autre que la sienne ». Pour le dire en d'autres termes,
la
44
compétence interculturelle est une
capacité d'adaptation que développe un individu en face d'une
culture différente.
En plus, Lussier et al. (2007) affirment :
L'apport et l'épanouissement d'une
personne qui favorise les contacts et les échanges avec
différentes cultures à l'intérieur d'une même
société ou de sociétés différentes et
capables d'apprécier et d'évoluer dans cette diversité.
(...) Son développement repose sur trois composantes : le
développement des savoirs, savoir-faire et
savoir-être.
Pour le dire autrement, la compétence
interculturelle c'est la configuration des savoirs, savoir-faire et
savoir-être.
En fait, la compétence interculturelle
intègre des instances diverses. Citons : les
c a p a c i t é s cognitives, affectives et
comportementales ; la motivation, la compréhension, le respect,
l'ouverture à l'autre, etc...
C'est dans ce sens-là que Bennett dira que la
compétence interculturelle c'est un « éventail de
caractéristiques et aptitudes cognitives, affectives et comportementales
qui soutiennent une interaction efficace et appropriée dans divers
contextes culturels » (p. 16). En bref, la compétence
interculturelle constitue une prédisposition à l'adaptation
constante en situation de diversité de cultures.
Pour Janson (2017), faisant une recension des
différentes approches définitionnelles de la compétence
interculturelle, établit à partir des définitions de
différents auteurs, trois approches de conceptualisation de la
compétence interculturelle (pp. 75- 84). Le tableau ci-après en
fait une synthèse, à partir de la lecture que nous en
faisons.
Tableau n° 7 : Approches de conceptualisation de la
CI
APPROCHES DE LA C.I
|
DIMENSIONS
|
CARACTÉRISTIQUES
|
Capacité à interagir
|
Comportementale
|
comportement à suivre pour communiquer
efficacement
|
Résultat d'un apprentissage
|
Cognitive
|
connaissance, conscience de sa propre culture,
ouverture
|
Traits de personnalité
|
Affective
|
adaptation, ambiguïté,
empathie, flexibilité, ouverture,
stabilité émotionnelle, tolérance
|
|
· 45
Application de la CI dans le processus
enseignement-
apprentissage
La CI a été appliquée dans
divers champs scientifiques. Entre autres, citons : la communication, la
psychologie, l'anthropologie, le management et bien évidement,
l'éducation.
Dans le champ éducatif, la CI a
été conceptualisée sous l'approche de l'éducation
interculturelle. Cette dernière connait diverses définitions.
Nous en retenons quelques-unes.
Pour Windermuller (2011), l'éducation
interculturelle c'est « d'effectuer un apprentissage qui se dirige
vers l'Autre, mais avant tout vers lui-même avant de trouver sa raison
d'être en situation de contact entre les personnes de cultures
différentes » (p. 19). En effet, l'interculturel en
éducation a pour objectif l'ouverture à l'Autre à travers
sa découverte.
En réalité, à travers
l'éducation interculturelle, l'apprenant est conduit progressivement
à relativiser la vision du monde induite par sa culture pour comprendre
et accepter l'Autre et sa différence. Au terme de processus-là,
l'apprenant comprend le relativisme de toute culture et peut ainsi engager des
rapports d'égalité mutuelle.
Ainsi, selon Defays (2006, p. 143),), pour le
développement de la compétence interculturelle en situation de
classe, il faut suivre un processus à trois étapes qui sont : la
décentration, l'acceptation et la négociation. Ces trois
étapes sont synthétisées dans le tableau suivant, à
partir de la lecture que
nous en faisons.
ÉTAPES
|
DÉFINITIONS
|
ACTIONS
|
Décentration
|
Prise de distance avec soi-même
|
Les apprenants prennent du recul vis-à-vis
de leur propre culture lors du contact avec l'Autre
|
Acceptation
|
Connaissance et découverte de l'autre
|
Les apprenants découvrent les comportements
et les habitudes de l'Autre et abandonnent l'ethnocentrisme
|
Négociation
|
Création d'un espace commun
|
Les apprenants comprennent l'Autre et vivent en
harmonie
|
|
Tableau n° 8 : Développement de la CI en
situation de classe
46
En fait, parler de CI dans le processus
enseignement-apprentissage, c'est donc conduire les apprenants vers un
processus d'ouverture, de relativisation et de relation avec des autres
cultures. C'est sans doute la raison pour laquelle Windermuller (2011) dira :
« l'acquisition de la compétence interculturelle se
réalise en faisant parler l'apprenant de sa vision des
différences culturelles qu'il rencontre, de ses émotions lors des
situations » (p. 24).
Pour l'étude en cours, la compétence
interculturelle sera comprise comme la capacité que développent
les apprenants pour s'ouvrir à d'autres cultures à partir des
connaissances acquises sur leurs propres cultures et sur celles des autres avec
qui des contacts et intercalions existent.
Si la notion de compétence interculturelle est
comprise, que dire du concept ; apprenants du niveau 3 du cycle primaire
?
|