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Pratiques culturelles des Antilles françaises: l'exemple du spectacle vivant en Guadeloupe et de ses dynamiques territoriales


par Jennyfer ADNET
Université de Rouen Normandie - Master direction de projets et d'établissements culturels, parcours diversification des publics 2023
  

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III. Les défis des pratiques culturelles dans une

société insulaire fragmentée

a) Une difficulté d'accès à la formation

Durant mon entretien avec Chantal LOÏAL, en mars 2023, avant d'intégrer la compagnie Difé Kako en tant que stagiaire, nous avons discuté à propos du sujet de ma recherche. Selon la directrice artistique, une réelle difficulté d'accès et de production se fait ressentir en Guadeloupe. En effet, il faut savoir que l'un des volets le plus important de la compagnie de danse est de promouvoir et valoriser la culture afro-caribéenne aussi bien en France Hexagonale qu'aux Antilles-Guyane. C'est en mettant en lumière ce point que Chantal LOÏAL m'a fait part de son désarroi face à la situation en Guadeloupe. Elle se rend compte qu'il y a tout à faire en termes d'installation et d'action culturelle. Pour cause, les politiques culturelles ne sont pas respectées bien que j'aie pu citer dans ma partie précédentes les engagements en matière de politiques culturelles que la Région Guadeloupe a défini.

La directrice artistique a ainsi clairement identifié un besoin criant en matière d'installation d'infrastructures culturelles et de mise en place d'actions culturelles sur l'île. Elle considère qu'il est impératif de travailler à l'amélioration de la diffusion artistique et, plus important encore, à un meilleur accompagnement des artistes locaux. Chantal LOÏAL est consciente que la réalité sur le terrain ne correspond pas toujours aux intentions de la Région. C'est précisément pour cette raison qu'elle s'investit davantage aux Antilles-Guyane. Elle croit en la nécessité de repenser et de renforcer les politiques culturelles dans la région. Le festival Mois Kréyol, par exemple, offre aux artistes une mobilité et une opportunité de promotion à travers un large éventail de disciplines artistiques. Cela représente une alternative précieuse aux dispositifs locaux qui sont souvent limités en termes de champ d'action et de diversité artistique. La compagnie, en partenariat avec des communes de l'archipel tel que le Moule et le Gosier, oeuvre à la valorisation des pratiques artistiques caribéennes avec des associations locales sur le territoire. Il s'agit non seulement de mettre en lumières ces médiums artistiques mais aussi de donner une chance aux artistes d'avoir de se produire de manière itinérante.

Pour revenir sur la notion de production artistique, mais aussi pour introduire mon propos quant à la difficulté d'accès à la création et à la production culturelle, j'ai choisi de

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reprendre les mots de Maryse CONDÉ. La Guadeloupe serait effectivement inondée par la culture française. Je me suis penchée sur son interview retranscrit dans Africultures pour appuyer mon propos mais aussi pour choisir l'exemple du théâtre qui est extrêmement révélateur. Elle remarque ainsi que « Si on regarde les pièces locales, elles ont toutes pour modèle des séries télévisées. Il n'y a pas de possibilité de création autonome. Il y a trop de faux modèles qui circulent en Guadeloupe et en Martinique.»41. Ce n'est pas par hasard que l'auteure fait ce constat. En regardant du côté de la République haïtienne, il y a une richesse de production artistique au point où un véritable foisonnement est observable.

Durant ma recherche sur les pratiques théâtrales dans la Caraïbe, j'avais déjà pu remarquer que la Martinique et Haïti avaient une place importante et non négligeable en matière de de production théâtrale pour les colons. Haïti n'a alors pas perdu sa réputation créative malgré les difficultés économiques, des artistes s'exportent internationalement : notons par exemple Jean D'AMÉRIQUE, dramaturge né à Port au Prince. Bien qu'il ne soit pas question de productions essentiellement en créole, ses oeuvres sont marquées par une authenticité caribéenne avec l'introduction d'éléments culturels comme le vaudou. Ayant déjà pu assister à une de ses pièces, Opéra poussière, au CDN de Rouen en 2022, ces éléments m'ont frappé l'esprit : il est possible d'être antillais et d'avoir des oeuvres qui traduisent, transmettent des codes propres à ma culture caribéenne. Quelque chose que je n'ai que rarement pu constater, d'un point de vue personnel, du côté des dramaturges des Antilles françaises. De plus, cet artiste s'exporte de manière internationale.

Ma réflexion s'est articulée sur les difficultés qu'éprouve l'archipel à trouver son autonomie, les moyens qu'elle met en oeuvre afin d'aller au plus près de son épanouissement. Cependant, il faut bien prendre en compte la difficulté de création et de renouvellement artistique dans des champs qui ont été tournés vers des élites. Tel est le cas du théâtre selon Maryse CONDÉ, cependant, il est tout de même nécessaire de faire un constat plus large et de ne pas cantonner la créolité répondant à un prisme plus important que d'autres : celui de la langue. A mon avis, le théâtre antillais doit, effectivement, valoriser les langues créoles mais aussi et surtout se diversifier en matière de production artistique et technique sur les bases de l'écriture. C'est de cette manière que je rejoins l'auteure lorsqu'elle expose un souci de formation. Les artistes, et pas seulement les comédiens, doivent être encadrés dans un environnement de professionnalisation. Un grand nombre d'artistes autodidactes peuplent la

41 Africultures « Le théâtre aux Antilles a toujours souffert d'être un parent pauvre », vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 30-33.

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Guadeloupe, ce qui n'est pas une mauvaise chose mais cela peut desservir le territoire. Comment s'épanouir artistiquement, avoir accès à un moyen de production artistique lorsque les espaces sont peu nombreux ? Voire méconnus à cause de problèmes de visibilité ? Ces problématiques demeurent un réel frein pour ces artistes qui ont besoin de se développer.

Pour illustrer mes propos, rapprochons-nous encore de l'exemple du théâtre avec les propos de Stéphanie BÉRARD :

« La Guadeloupe et la Martinique sont très en retard en matière de professionnalisation en comparaison avec les îles voisines : Cuba, la Jamaïque, Trinidad disposent de troupes nationales et d'écoles d'art dramatique ; rien de tel pour les Antilles françaises où l'absence d'un conservatoire d'art dramatique se fait cruellement sentir. Le Diplôme d'Etudes Théâtrales (DETUAG) mis en place par Michèle Césaire en 1996 a aujourd'hui disparu. » 42.

La gravité de la situation fait écho à ce que Chantal LOÏAL a pu m'expliquer durant notre entretien. Ce sont des lacunes qui poussent à un ralentissement le rayonnement artistique : cela met en désavantage autant les artistes, obligés de migrer en France hexagonale, au Canada ou encore aux Etats-Unis généralement afin de mieux s'exporter et se former. L'archipel ne compte que quelques centres de professionnalisation de danses contemporaines et traditionnelles ainsi que d'arts dramatiques répartis avec lacune sur le territoire (essentiellement sur la Grande-Terre et la Basse-Terre). En faisant mes recherches, j'ai fait face à cette difficulté de répertorier les structures car, en effet, il y a beaucoup plus de compagnies et d'associations oeuvrant à la valorisation et à la transmission des arts que d'établissements officiels. Quelques noms d'établissements de formation sont tout de même relevables tels que :

- Le centre de Danse et d'Études Chorégraphiques Lenablou aux Abymes destiné aux enfants qui enseigne la danse contemporaine, modern jazz, classique, hip hop, dancehall, gwo ka, etc.

- L'école Liliane Bimont à Baie Mahault qui enseigne la danse contemporaine, modern jazz, classique, hip hop ainsi que la dancehall et le théâtre ouvert à tous.

- Espace danse Wargnier à Basse-Terre à destination des enfants enseignant la danse contemporaine, modern jazz, classique, hip hop, dancehall, gwo ka, etc.

42 BÉRARD, Stéphanie. « Panorama sur l'archipélisme théâtral de la Caraïbe », Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 14-23.

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- Le centre culturel Sonis situé aux Abymes, ouvert à tous, est orienté vers une pluridisciplinarité avec des formations à la musique contemporaine et traditionnelle, aux arts visuels et scéniques.

Il est indéniable que des manquements sont présents. Ce maigre nombre de centres et d'écoles ne suffisent pas à la population, et allons plus loin, pour un territoire comptant alors 6 îles. Il n'y a pas de conservatoires à proprement dit en plus d'une précarité de formation artistique lorsqu'il est question d'école de danse, de musique ou de théâtre. Il est important de constater que les trois centres de formations cités se basent sur les deux plus grandes îles de la Guadeloupe et sont majoritairement à destination des enfants. Il n'y a pas de diversification au niveau des publics visés sur les critères d'âge et de localisation. Comment un habitant de la Désirade peut-il s'orienter vers une de ces écoles quotidiennement ? La question est aussi : faudrait-il finalement inaugurer une école de formation artistique pluridisciplinaire et le basé à Pointe à Pitre, la capitale pour rester dans un principe de centralisation ? Je me rends compte de la difficulté que peut être l'implantation de multiples centres et écoles de formation artistique sur les différentes îles constituant l'archipel. Mais la nécessité de bâtir un point de professionnalisation est nécessaire avant toute chose. Cela constituerait dans un premier temps un grand pas.

Ces manquements résultent aussi bien au manque de reconnaissance des artistes : les pratiques vont alors être considérées comme étant amatrices et remettre en question la professionnalisation de ces derniers. Des actions vont, malgré tout, être prises par les Antilles françaises dans le but d'oeuvrer contre le manque de moyens et d'espaces professionnels avec par exemple l'association Collectif des Espaces de Diffusion Artistique et Culturelle créée en 2009. Ce système de réseautage culturel rassemble au total 9 centres culturels guadeloupéens est nécessaire dans la lutte contre la précarité en matière culturelle sur les deux territoires. Subventionné par la Région Guadeloupe et par la DAC, il se spécialise dans le spectacle vivant avec le développement de contact de structures artistiques afin de faciliter les tournées de concerts, danses et même de théâtre hors-les-murs ce qui est encourageant pour l'avenir. Ainsi, le réseautage reste un moyen nécessaire à la promotion artistique et pour circuler sur tout le territoire.

En parallèle, les artistes du Centres des Arts et de la Culture se plaignent dans leurs revendications politiques d'un manque de normes contemporaines quant à la préservation

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d'objets culturels. L'effervescence de nouveaux outils technologiques peut aussi l'expliquer et de cette manière dépouiller de moyens les populations locales déjà écartées de scènes artistiques majeures. Cette explication rejoint ma précédente pensée en rapport avec un schéma de légitimation culturelle. Les artistes sont contraints de créer leurs propres espaces, ou bien, ce sont les professionnelles qui doivent s'armer d'idées afin de pérenniser les actions de leur lieu et constituer un carnet d'adresses non-négligeable face à leur manque de moyens matériels. Ainsi, cela explique la naissance d'associations telles que Collectif des Espaces de Diffusion Artistique et Culturelle ou encore de Textes en Parole, ce dernier, qui, existant depuis 2003 sous l'initiative d'acteurs culturels comme que Michèle MONTANTIN, s'active à la promotion des écritures théâtrales caribéennes. Sur plusieurs champs d'action, il est question d'un devoir de diffusion mais aussi de formation avec une logique d'essaimage professionnelle en liant artistes, compagnies, associations et professionnels de la sphère théâtrale. Finalement, il existe tout de même quelques espaces qui symbolisent une force de proposition en termes de ressources pour les acteurs du secteur. Ajoutons à cela qu'avec notamment les subventions de la DAC, d'ARTCENA, le Ministère des Outre-Mers, la Région et le Département de Guadeloupe ainsi que quelques communes, un festival gratuit et itinérant a pu avoir lieu du 26 juin au 1er juillet 2023. Cela a permis aux professionnels non seulement de parcourir artistiquement les île de la Basse-Terre et de Grande-Terre et d'autant plus de se former auprès de ARTCENA par le biais d'ateliers. En approfondissant ma recherche, j'ai pu constater un volet de ces ateliers/rencontres dont une intitulée Construire un budget de production et d'exploitation. Ce regard porté sur le développement des acteurs culturels est surprennant car il répond à des problématiques actuelles. Nous pouvons alors citer le scandal actuel dont fait l'objet le centre caribéen d'expression et de mémoire de l'esclavage , le Mémorial ACte. Plutôt axé sur les arts visuels, le lieu se trouve actuellement fermé jusqu'à nouvel ordre depuis le 23 août 2023. Cet exemple met en exergue la nécessité de former les professionnels à la direction d'établissements culturels sous l'angle de la gouvernance.

Bien que les initiatives soient en bon nombre, il n'y a, encore une fois, pas de formations importantes de longue durée. Ce que suggère alors Dominique DAESLCHER, ancienne conseillère du spectacle vivant, de l'action culturelle et de la coopération régionale à la DAC de Martinique, c'est consolider les actions de développement sur des principes de création, diffusion et formation. Tout cela en tissant des liens avec les collectivités locales et l'Etat. C'est ce qu'elle explique dans son interview menée en 2010 dans Africultures. Ce

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point est en effet non négligeable comme elle le souligne parfaitement: « Accompagner, c'est encourager les rencontres avec d'autres artistes, la formation continue, les projets de création métissée... Or élaborer un projet culturel sur un territoire ça se construit à petits points, c'est de la broderie ! »43. Avant de s'exporter en dehors du territoire, il faut d'abord s'assurer que les équipements culturels se nourrissent mutuellement et soient dans une démarche d'accompagnement avec la mutualisation d'espaces. Les politiques culturelles dictées par les forces régionales semblent ne tenir qu'à moitié. Les revendications des espaces de création et d'éducation artistique le font remarquer. Il est alors peu vraisemblable de se rendre compte, au fur et à mesure de mon étude, que ce sont souvent des professionnels, des artistes ou bien même des non-professionnels qui oeuvrent au respect des principes voulus par la Région.

Néanmoins, d'autres espaces de représentation artistiques sont présents sur l'archipel bien qu'ils présentent des limites observables. Nous pouvons citer le centre culturel Sonis inauguré depuis 2002, qui est non seulement un lieu de formation mais également un lieu de production équipé d'une salle de 250 places pour la programmation de concerts, de spectacles et de rencontres. Cela reste à mon goût assez limité pas seulement pour la population guadeloupéenne car les Abymes compte en 2015 selon l'INSEE 55 306 habitants. Ces paramètres renforcent ces critères de manque d'accessibilité et de formation car les inscriptions aux cours sont bien évidemment très limitées. De plus, comme nous l'avons vu, il existe la scène nationale l'Artchipel présente à Basse-Terre depuis 1996, cette scène nationale financée par l'Etat tient des missions de diffusion et d'accompagnement d'artistes par le biais de dispositifs de résidences de création. Avec le Centre des Arts et de la Culture basé à Pointe-à-Pitre, le territoire jouissait de emplacements dynamiques à la diffusion et au divertissement culturel. Néanmoins, le CAC a été abandonné depuis 2009 après des travaux par manque de moyens budgétaires. Ce lieu ne connaît aucune gouvernance pour l'instant bien qu'il ait été repris depuis 2015 par la Communauté d'Agglomération Cap Excellence dans son volet de dynamisme culturel. Des travaux sont, selon l'entité, prévus pour les mois à venir mais il n'en reste pas moins qu'un manque se fait ressentir lorsque des moyens ont été déployés par les fonds nationaux et européens avec un total de 26 milliards d'euros. Cela témoigne, selon le collectif Awtis Rézistans d'une mauvaise gestion des collectivités et plus encore, d'un désintérêt porté par l'Hexagone. Il m'aurait été intéressant d'interviewer le

43 Africultures « Pour une politique culturelle sur mesure dans la Caraïbe », vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 42-45.

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collectif mais ces derniers m'ont fait comprendre que la distance géographique rendait mon étude compliquée auprès d'eux. Je peux tout de même confirmer que ce lieu pluridisciplinaire s'implantait fièrement dans la capitale avec une programmation foisonnante et des offres culturelles intéressantes. Ma famille voyait ce lieu en un espace de prédilection de divertissement ainsi que de formation artistique. Il s'engageait depuis sa construction à la diffusion de spectacles mais aussi à la formation culturelle avec des cours de danses traditionnelles et contemporaines, des cours de musique et d'ateliers de gwo ka. Il demeure toujours ouvert avec des propositions culturelles, néanmoins, le manque de pouvoirs administratifs dessert le lieu qui était autrefois géré par la municipalité.

En comparaison, la Martinique connaît un essor culturel divergent du cas de la Guadeloupe. Elle se montre en avance depuis ces 60 dernières années. Pour cause, la dominance culturelle de Fort-de-France l'explique en plus du combat de l'auteur et ancien maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, Aimé CÉSAIRE. Il a mené une vive lutte à l'égard de la promotion des arts et de la culture sur son île avec des initiatives telles que la création du Festival Culturel de Fort-de-France en 1970 au Théâtre Municipal. Avant ces évènements, la première prise de conscience d'une ouverture d'animation culturelle et ainsi de programmation a été les représentations théâtrales martiniquaises dans l'espace public bien qu'il existait depuis le début des années 60 le Théâtre Municipal et l'association du Théâtre Populaire Martiniquais au Lamentin. L'éclosion des projets d'Aimé CÉSAIRE s'est manifestée par le besoin de mettre en valeur les pratiques culturelles folkloriques martiniquaises tout en laissant un espace de formation aux amateurs. En 1971, le maire de Fort-de-France proposa donc le projet du centre socio-culturel de Dillon spécialisé dans les arts scéniques et les pratiques artistiques folkloriques où des médiums artistiques tels que la danse et la musique traditionnelle martiniquaise comme le bèlè ou la biguine. Ce centre, ouvert à tous, constitue encore de nos jours le dynamisme culturel de la Martinique. Il se positionne autour de sept centres culturels régis sous le statut d'association loi 1901 et répertoriés sur le site de la Ville de Fort-de-France. Ils oeuvrent pour la formation et la préservation des pratiques artistiques. Tout comme la Guadeloupe, la Martinique connaît une forte concentration d'associations culturelles sur plusieurs de ses villes, mais à la différence, les structures culturelles s'implantent d'une toute autre façon à la capitale et se développent dans une volonté de pérennisation.

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Pour revenir aux actions menées par l'ancien maire de Fort-de-France, nous pouvons alors relever le Service Municipal d'Action Culturelle, inauguré en 1975 et basé à la capitale. Il accompagna le Festival Culturel de la ville, car celui-ci, connaissant un fort essor en termes de formations et de stages représentait une charge budgétaire trop lourde pour la municipalité. Ce lieu pluridisciplinaire existe toujours aujourd'hui et permet des stages dans le domaine du théâtre, des arts visuels. Dans la même veine, l'association Centre Martiniquais d'Action Culturelle naît en 1974, de la volonté du Ministère de la Culture et du Conseil Régional à Fort-de-France. Il apparaît dans la mission d'action culturelle pensée par ces différentes entités en 1971 pour les besoins en matière culturelle de la Martinique. Un grand volet autour du développement de la production artistique et culturelle locale est relevé durant cette période où la culture locale est mise à la même échelle que les productions culturelles hexagonales. Ainsi, cet établissement se préfigure en un lieu de création, de diffusion ainsi que de recherche favorisant les relations entre les professionnels tout en allant à la recherche du public et c'est en 1992 qu'il fut labellisé comme étant scène nationale. Il a récemment fusionné avec la scène artistique réputée qu'est l'Atrium. Ouvert depuis 1998, ce dernier a également été financé par le Ministère de la Culture et de l'Outre-Mer, le Conseil Régional et en plus de cela par la ville de Fort-de-France. Ces deux lieux distincts s'ouvrent une programmation éclectique avec des spectacles de danses, du théâtre, des concerts et des expositions d'arts visuels.

Nous pouvons nous apercevoir que les efforts de mise en place d'équipement et de dynamisme territorial menés par Aimé Césaire ont été très favorables au maintien d'une vie culturelle. Cependant, tout comme en Guadeloupe, il n'y a pas de conservatoire sur l'île. Depuis octobre 2021, le président du conseil exécutif de Martinique, Serge LETCHIMY a pour mission d'inaugurer un Conservatoire de musique et d'arts en Martinique44 afin d'y transmettre non seulement les arts plastiques mais aussi les arts scéniques sur 3 à 4 cycles. La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) imagine ce projet courant 2023. La Guadeloupe doit continuer à persévérer dans ses initiatives. Les collectivités territoriales ainsi que la Région sont des acteurs qu'il ne faut pas perdre de vue étant donné leurs pouvoirs. Ces entités se doivent de soutenir les structures sans les laisser dans le flou et s'engager à être des forces en termes de propositions.

44 Rédaction Martinique 1er, « Le projet du "Conservatoire de Musique et d'Arts de Martinique" est lancé » 21 octobre 2021 URL : https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/le-projet-du-conservatoire-de-musique-et-d-arts-de-martinique-est-lance -1133815.html

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Ainsi, les politiques culturelles dictées par les forces régionales semblent ne tenir qu'à moitié sur l'archipel guadeloupéen. Les revendications des espaces de création et d'éducation artistique le font remarquer. Persiste alors ce réel besoin de directives à mettre en place pour le développement de l'archipel dans le domaine de la culture.

b) Repenser la démocratisation culturelle sur un territoire archipélique

Les axes de démocratie et de démocratisation s'ancrent dans les politiques culturelles de l'Etat après la Seconde Guerre mondiale. Nous les connaissons sous André MALRAUX (1959 -1969) et Jack LANG (1981-1986 et 1988-1993). L'enjeu est de donner accès à la culture au plus grand nombre des français. Néanmoins, ces deux notions restent différentes dans leurs approches : André MALRAUX défendait la démocratisation de la culture, se basant sur l'accès de tous à un art élitiste lorsque Jack LANG voyait par la démocratie culturelle, la possibilité de mettre sur un pied d'égalité les diversités artistiques accessibles au plus grand nombre. Dans les deux cas de figure, ces modèles se fondent sur des principes de soutien à la création, le développement des structures, l'aide à la production et l'enseignement artistique. La démocratie culturelle permet cependant une participation directe et active des citoyens à la vie culturelle ainsi qu'à une dimension créative. Il y a une notion de diversification des publics et de production culturelle tout en réduisant des écarts sociaux.

Après avoir examiné ces termes, il m'a semblé important de centrer mon propos sur le principe de démocratie culturelle. En effet, comme nous avons pu le percevoir, la Guadeloupe compte énormément d'établissements pluridisciplinaires. En ayant remarqué cela dans ma recherche, je me suis rappelée des mécanismes de créolisation dont fait l'objet mon peuple. Elle se répercute dans une certaine mesure au niveau des pratiques culturelles et de la structuration culturelle qui en découle avec des établissements comme tel. Les Antilles et donc la Guadeloupe sont plurielles. Il y a une multiplicité artistique ce qui doit engendrer une multiplicité des publics. Ce sont des éléments à prendre en compte dans l'étude de ces territoires insulaires.

L'acheminement de notre réflexion arrive à présent sur les moyens à mettre en oeuvre pour aller au plus près des principes de démocratie culturelle voulus par les engagements de

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la Région Guadeloupe. Néanmoins, il reste important de remettre en perspective les revendications des acteurs culturels de l'archipel. Comme expliqué dans la précédente partie, il y a une précarité au niveau des équipements culturels et de la formation, celle-ci va bien évidemment de pair avec les problématiques d'archipélisation. C'est sur ce point que cette partie va dans un premier temps se centrer en prenant appuie sur l'interview d' Alain FOIX, un journaliste et critique du théâtre et opérateur culturel guadeloupéen. Il a été le directeur de l'Artchipel. Dans son intervention auprès de Africultures retranscrite en 2010, il livre les limites de la création théâtrale en Guadeloupe en prenant tout autant en compte les espaces de représentation et de formation artistiques lacunaires sur le territoire.

Ainsi, des problèmes persistent, non seulement dans la diversification des espaces, mais aussi dans la diversification et le développement des publics. J'ai pris l'exemple du cas d'une salle de spectacle pluridisciplinaire telle que l'Artchipel pour rendre compte des problématiques d'archipélisation : basée la commune de Basse-Terre, dans le sud-ouest de l'île de la Basse-Terre, des problèmes d'accessibilité à la culture se fait ressentir au niveau de la population. Le parcours d'Alain FOIX en tant que directeur soulève bien cette faille:

« Il faut aller chercher les publics où ils se trouvent. Or la ville de Basse-Terre n'a que 13 000 habitants, dont beaucoup d'administratifs en congé le vendredi. Cela ne donnait pas de possibilité de développement de public et créait des problèmes de gestion pour venir jusqu'à Basse-Terre puisque les frais d'approche sont exorbitants. » 45

Sylvie CHALAYE, dans son article Archipélisme et création contemporaine dans la Caraïbe française : pour une « é-margence » diasporique datant de 2010 rejoint dans sa réflexion les quelques points que j'ai cité. De plus l'éloignement dû à l'insularité pousse à une fascination pour l'hexagone qui se place en une terre des chances et opportunités comme nous avons pu le comprendre. La difficulté d'accès aux oeuvres qu'éprouve les publics ne peut que se faire ressentir du côté des artistes à la recherche de reconnaissance mais aussi auprès des professionnels de la culture.

45 Africultures « Le théâtre d'une identité en mouvement», vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 38-41.

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Carte du réseau Karulis en 2018 (c) Karulis

Par ailleurs, les problèmes liés au manque de transports en commun en Guadeloupe accentuent ce phénomène d'éclatement au niveau des publics. Le service de transport Karulis, créé en 2004, ne dessert que les communes de la zone Cap Excellence en plus de Sainte Anne et le François. En 2009 encore, des grèves importantes traversaient l'archipel avec des revendications politiques à propos des conditions de vie précaires et laissées au dépourvu à cause de l'insularité. Le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon46 rapportait déjà dans son discours le manque de mise en place de services de transports sur tout l'archipel. La voiture est le mode de transport privilégié pour les personnes excentrées du plan desservi par Karulis. A partir de ces considération, il est important de remarquer que, certes, l'archipélisation oblige une distanciation entre chaque îles, mais comment développer un contact avec des publics venant de communes de parts et d'autres de la Basse-Terre et de la Grande-Terre, rappelons-le, reliées par le Pont de l'Alliance ? Cet éclatement géographique ne facilite guère la circulation des oeuvres et perturbe un accès à la culture égal à tous. Au-delà de cela, les conditions de vie difficiles doivent être prises au sérieux par l'Etat français car tous ces critères paramètrent avec lacunes le quotidien des guadeloupéens. La commune de Petit-Canal, au nord de la Grande-Terre s'est bien rendue compte de ces problématiques en mettant en place des dispositifs pour ses habitants excentrés de la culture. La précarité rentre en compte dans cette problématique et rend la dimension de démocratisation culturelle peu vraisemblable. Durant ma formation en master de direction de projets et d'établissements culturelles parcours diversification des publics, nous avons pu, de par la création de projets fictifs mettre en oeuvre des idées afin de toucher les publics sans

46 Collectif guadeloupéen qui regroupe organismes syndicaux, associatifs, politiques. Il a été à l'origine de la grève de 2009 ayant touché l'archipel.

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bafouer les principes de démocratisation culturelle. Le manque d'accessibilité pour les personnes précaires relève d'une discrimination. Je me suis alors demandée de quelle manière les acteurs politiques de la Guadeloupe peuvent opérer afin de rendre accessible la culture au plus grand nombre lorsque l'on sait que l'éloignement géographique est une des problématiques les plus courantes.

Ainsi, j'ai pu lire dans le média France-Antilles47 le projet, porté par Rodrigue VIRASSAMY, président du centre social La Source dans la commune de Petit-Canal. Il a été pensé de manière à mutualiser les moyens et afin de rendre possible l'accès à la culture pour les publics exclus de la vie culturelle en Guadeloupe. Avec des bus gratuits pour les habitants de ces communes, l'accessibilité aux lieux de représentation, principalement sur la commune de Basse-Terre et la zone Cap Excellence, est possible. Financé par la Préfecture, il s'agit d'une proposition à l'appel à projet de 2022 « Stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté ». De cette manière, ce projet Kilté épi penti est acté depuis 2023 et selon mes constatations, il est nécessaire de déployer ce type d'actions sur les communes excentrées en Basse-Terre.

Cap Excellence demeure la zone d'attractivité culturelle. En effet, les politiques culturelles de cette communauté d'agglomérations, gouvernées par la directrice Jocelyne DARIL sont orientées vers la mise en valeur du patrimoine culturel qui se hisse en un véritable atout du développement local. Les territoires regroupant la communauté, et surtout Pointe-à-Pitre, relèvent de zones prioritaires qu'il ne faut pas mettre de côté. Entre la précarité, la délinquance et des lacunes sur le plan de l'enseignement scolaire, Cap Excellence oeuvre à redonner une attractivité à ces communes tout en mettant les habitants au coeur des actions menées. C'est pour cette raison que le CAC a été récupéré dans un besoin d'animation et d'éducation culturel orientés principalement auprès de ces publics prioritaires de par les critères cités précédemment. Cependant, un retard se fait ressentir comme nous avons pu le constater et retarde le rayonnement ainsi que la liaison culturelle entre Pointe-à-Pitre, Baie Mahault et les Abymes permise par le réseau des transports en communs Karulis. Le plan du réseau a été pensé de manière à, effectivement, lier les habitants et également à rendre plus confortable et adapté l'accessibilité aux lieux de spectacles en

47 Rédaction France-Antilles, « Mutualiser un bus solidaire pour aller à la rencontre de l'art et la

culture »,juin 2023.

URL :

https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/social/mutualiser-un-bus-solidaire-pour-aller-a-la-rencontre-d e-lart-et-la-culture-938213.php

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fonction de la distance ainsi que des horaires de programmation. Il s'agit d'une mutualisation des moyens, bien qu'elle soit bien érigée, il demeure tout de même l'exclusion des habitants dépourvus de transports en commun. Il est cependant envisageable que le projet conçu à Petit-Canal s'étende sur le territoire car le rayonnement ne peut pas seulement se faire sur trois communes de proximité. L'ensemble des habitants ont besoin d'avoir accès à ces équipements et cette problématique doit également servir aux artistes.

De nombreux projets ont été créés par la communauté d'agglomération et nous pouvons citer Cap Excellence en théâtre engagé dans la démocratisation du théâtre en portant les pratiques amatrices comme professionnelles et la formation de ces dernières. De plus, les politiques culturelles sont tournées vers les enfants avec des projets comme Démos centré sur la pratique d'instruments de musique en orchestre, rendant accessibles et gratuits des cours de musique sur chaque année scolaire. Cette action cible, depuis 2017, les jeunes enfants de 7 à 14 ans. Avec ces prises de mesures, la culture devient un partage et un droit.

Par rapport à son île soeur, la Martinique connaît un grand essor au niveau du développement de ses politiques culturelles. Pour cause, la situation géographique de la Guadeloupe scinde, encore une fois, d'une part l'accessibilité des lieux culturels, les publics mais aussi l'organisation administrative. L'article de Stéphanie BERARD48 met en exergue ce manque d'uniformité qui se résulte dans la gestion des équipements culturels. Le centre administratif de la Guadeloupe est en effet basé à la commune de Basse-Terre car nous y trouvons à la fois le Conseil Régional, le Conseil Départemental mais aussi la Direction des Affaires Culturelles. Il aurait été plus logique de concentrer les forces administratives là où il y a une plus grande concentration d'habitants qui se répartissent comme Pointe-à-Pitre, les Abymes et le Gosier. La ville de Pointe-à-Pitre se présente en un point de concentration administrative plus cohérente d'un point de vue stratégique car il s'agit de la capitale de la Guadeloupe et c'est aussi en ce lieu voire à ses environs (la communauté de communes Cap-Excellence pour être plus précise) que se concentrent le plus de structures culturelles. En reprenant les lignes de l'auteure, une nouvelle fois, la répartition démographique est inégalitaire, nous pouvons percevoir un véritable morcellement comparé à la Martinique:

« En Martinique, 381 427 habitants se répartissent sur une superficie de 1128 km2 avec une concentration sur l'agglomération de Fort-de-France et de Schoelcher qui abritent plus d'un quart de la population totale martiniquaise. En Guadeloupe continentale, la

48 BÉRARD, Stéphanie. « Panorama sur l'archipélisme théâtral de la Caraïbe », Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 14-23

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population est beaucoup plus éparpillée sur un territoire de 1438 km2, on compte 21 000 habitants à Pointe-à-Pitre et 12 000 à Basse-Terre sur une population globale de 453 000 habitants. »49.

La concentration des pouvoirs administratifs en Martinique sont situés, comme il l'est suggéré à la capitale qu'est Fort-de-France avec la Collectivité Territoriale de Martinique ainsi que la DAC et à Schoelcher avec le Conseil Régional de Martinique. Notons alors que la ville de Schoelcher est une ville avoisinant la capitale de l'île comparé à Pointe à Pitre et Basse-Terre qui comptent environ 60 kilomètres de distance.

De surcroît, j'ai pu remarquer en entrecroisant mes lectures et la situation de la Guadeloupe que la fragmentation se fait aussi bien démographiquement que idéologiquement. Un enfermement des populations mène intrinsèquement à une marginalisation. De ce fait, une enquête sur les habitudes culturelles des habitants d'Outre Mer a été élaborée par l'INSEE avec le département des études de la prospective des statistiques et de la documentation. Il s'agit de la première étude de ce caractère auprès de ces territoires. Elle a été réalisée avant le COVID en 2018 elle révèle une réalité concernant la fréquentation de lieux culturels tant au niveau du spectacle vivant qu'au niveau des arts visuels. En effet:

« La fréquentation des musées, des théâtres et des salles de cinéma reste inférieure à celle de l'Hexagone. Souvent, l'offre culturelle y est moins développée en Martinique par exemple, 200 films sortent en salle tous les ans contre 700 en France hexagonale. Et parfois, cette offre disponible ne correspond pas forcément aux attentes des populations. Sur un an, 43% des Martiniquais se sont rendus au cinéma, 40% en Guadeloupe, 38% en Guyane, 44% à La Réunion, contre 62% en France hexagonale. ».

Avec cette étude assez générale, nous pouvons constater qu'il est possible qu'un désintérêt persiste au sujet des offres culturelles. Sans doute par rapport aux effets de la stratification sociale, aussi appelée hiérarchisation sociale, définie par la classe sociale, le bagage culturel et l'éducation qui gravitent les uns autour des autres. De même, les pratiques culturelles varient selon le sexe, le niveau de formation, la catégorie socio-professionnelle et la tranche d'unité urbaine. Mon cours en sociologie des publics dispensé en première année de Master m'a été bénéfique pour l'analyse suivante. Je peux affirmer que la notion de goût est en grande partie socialement construite selon Pierre BOURDIEU. Il met en exergue le fait que celui-ci est le produit de la position sociale de par les critères qui suivent:

49 Ibidem.

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- Capital économique étant la capacité d'un individu à acquérir des biens selon la logique de Karl MARX.

- Capital social qui ajoute de la complexité dans une approche économique : cette stratification est produite de manière dominante par le critère économique, mais d'autres éléments interviennent. C'est la capacité de pouvoir mobiliser des relations pour en obtenir une contrepartie économique ou symbolique.

- Capital culturel qui se constitue de biens matérialisés et de biens immatériels avec la notion d'habitus. Il s'agit de la prédispositions à apprécier ; on intègre inconsciemment des systèmes de valeur qui nous font apprécier ou déprécier des goûts). L'habitus est déterminant dans les pratiques sociales et culturelles. Par l'intermédiaire de notre environnement, nous modelons nos goûts.

A partir de cette réflexion large, plusieurs hypothèses sont envisageables face à la différence de fréquentation des lieux dédiés à la culture en hexagone et aux Antilles. Au-delà de l'éloignement géographique ainsi que la classe sociale, l'habitus joue un rôle indéniable. Dans mon chapitre abordant les pratiques folkloriques, je me suis rendue compte qu'il y a effectivement une autre façon de concevoir la culture en Guadeloupe ce qui résulte à un tout autre paramètre dans le mode de consommation de la culture. Ceci peut alors expliquer ce qui semble, du point de vue de L'INSEE, être un dysfonctionnement. De mon analyse, il s'agit de plusieurs facteurs incluant la distanciation socio-démographique, financière et enfin le critère de l'habitus. L'axe de démocratisation culturelle voulu par la Région tend à prendre en considération ces aspects au fur et à mesure des années avec des actions.

c) Une coopération culturelle caribéenne : une étape à franchir?

Les entretiens passés par Africultures grâce à Sylvie CHALAYE auprès des acteurs culturels en Guadeloupe ont été une ressource intéressante. Bien que son étude se concentre sur le théâtre, de réelles notions en faveur du développement des infrastructures culturelles en découlent. Les différents parcours cités peuvent alors donner des clés en termes de pistes d'amélioration.

Dans cette grande partie, j'ai mis en avant le fait que les difficultés d'épanouissement et de diffusion poussent les artistes à s'exporter en hexagone, et plus encore, à l'étranger. Il me semble cependant nécessaire de développer une coopération culturelle régionale dans le

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bassin des Caraïbes. Pour résumer, mon observation se fait de cette manière : mutualiser les moyens au niveau des infrastructures, développer des réseaux professionnels, accompagner et soutenir les artistes guadeloupéens par le biais de dispositifs est indispensable. En addition, se rapprocher au plus près des politiques culturelles voulues par la Région, rendre la culture accessible au plus grand nombre tout en prenant en compte les besoins de la population afin que les propositions artistiques coïncident. En ayant rempli les devoirs que j'ai relevé, il est logique de s'intéresser au rayonnement du territoire. Une expansion culturelle inter-caribéenne doit avoir lieu dans un premier temps car ce serait intéressant, d'une part d'un point de vue culturelle de par la proximité géographique mais aussi en termes de liaison. Dominique DAESCHLER relève alors que « les artistes bien souvent ne sont pas très enclins à ce type de circulation et à faire oeuvre de développement en faveur des territoires de proximité, ils sont plus attirés par une diffusion à l'étranger et vers le vieux continent. Or la circulation de proximité est un engagement citoyen, elle apprend aussi aux artistes à s'adapter et les prépare à des tournées internationales.»50. Des échanges et rencontres devraient cependant constituer un levier pour le développement de nos territoires.

La coopération interrégionale en tant que nouveau niveau de lecture m'a amené à rechercher les connexions entre la Guadeloupe et la Caraïbe qui ont pu s'établir. L'association Textes en Paroles créée en 2003 et initiée en partie par Michèle MONTANTIN a su faire exporter les oeuvres de la Caraïbe en partant de la Guadeloupe. A la même période s'institue, par l'accord de la DRAC, le Comité d'Experts Pour le Théâtre. Ces espaces de lectures et de performances théâtrales comptaient, de cette manière, un comité d'auteurs et d'universitaires internationaux. Il ne s'agissait donc pas seulement de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane mais aussi d'Haïti, qui, comme nous le savons, se propulse particulièrement dans ce champ artistique. Comme nous pouvons le constater, il est plutôt question d'une connexion franco-créolophone ce qui résulte ainsi à un réseautage de production, de promotion ainsi que de création. Des rencontres annuelles avaient lieu par le biais d'appels à projets d'écritures et des sélections de textes par le comité. Avec des engagements à la diffusion théâtrale, des textes sélectionnés comme celui de Marie Thérèse PICARD en 2008 ont été interprétés dans les Caraïbes et en France. Il y a une possibilité de nourrir une effervescence culturelle sur ces régions francophones en ouvrant des portes et en élargissant des publics toujours à proximité. C'est également ce que tend à faire l'Artchipel en faisant circuler des spectacles d'artistes

50 « Pour une politique culturelle sur mesure dans la Caraïbe », Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 42-45.

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pluridisciplinaires et internationaux dans l'enceinte de son établissement par le biais de résidences artistiques et avec la possibilité de programmer des artistes internationaux.

Incontestablement, les liens et échanges au coeur même des Caraïbes sont une aubaine au développement de la Guadeloupe, et plus large, du bassin caribéen. J'ai tenu à me renseigner sur les projets de coopération culturelle entre la Caraïbe et l'Union Européenne, lancé depuis le 13 novembre 2019 durant le Forum de la Paix de Paris. Ainsi, l'UNESCO s'est uni avec l'UE et L'Institut International TRANSCULTURA. Cette dernière, créée en 1988 et constituée d'universitaires, a pour objectif d'établir un lien anthropologique entre l'Europe et les territoires non-occidentaux pour une réflexion plus élargie des cultures. Par le biais de leur projet tourné vers les Caraïbes, ces entités s'engagent auprès des 17 territoires de la Caraïbes. A ce jour, sont comptés : Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Barbade, Bélize, Cuba, la Dominique, la République dominicaine, la Grenade, la Guyane, Haïti, la Jamaïque, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le Suriname et enfin Trinité-et-Tobago. Les Antilles françaises ne font malheureusement pas partie, pour l'instant, de cette union mais j'ai trouvé cela intéressant d'observer des actions de cette nature mises en oeuvre dans les Caraïbes. L'un des volets de ce projet vise à favoriser l'accès à la formation mais aussi à créer des emplois et des dispositifs de professionnalisation tout en contribuant aux problématiques liées au développement durable plus que jamais au coeur de nos sociétés. En permettant l'épanouissement et l'entraide interrégionale, les opportunités de circulations, de réseautages, de diffusion sont consolidées. Cuba porte fièrement ce programme avec son centre de formation culturel et créatif. L'objectif sera, par ailleurs, d'accroître la mobilité des jeunes qui se forment aux métiers de la culture et des industries créatives par le biais de dons de bourses et l'octroi de formations. Grâce aux fonds européens, les frais liés au déplacement, l'hébergement sont pris en charge par le centre. De plus, en mai dernier un appel à projet a été lancé pour que 17 femmes caribéennes âgées de 18 à 35 ans se forment aux métiers du management culturel sur 14 jours intensifs. En parallèle des cours sont ouverts à La Havana pour les mois à venir apprenant les métiers de la musique, la création de scénarios, les métiers de la mode, etc. Plusieurs institutions de Cuba sont associées au programme comme l'Université des Indes Occidentales, le Collège Universitaire San Gerónimo de La Havane, le Higher Institute for Industrial Design, l'Office of the City Historian et le Ministère de la Culture de Cuba.

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Ainsi, j'aurais aimé me pencher de plus près sur toutes ces initiatives pour pouvoir y observer les résultats, cependant, elles sont beaucoup trop récentes pour que je puisse les constater. Après avoir résumé les objectifs et les actions de ce programme, il reste tout de même certain que les Antilles françaises doivent s'inscrire durablement dans des programmes de cette envergure. Cela leur serait bénéfique et les aides européennes constituent un tremplin pour oeuvrer au développement de territoires. J'ai tout de même relevé un projet issu du programme européen INTERREG qui s'est étendu de septembre 2019 à avril 2020. Le projet «Un espace d'expression et de promotion des cultures caribéennes populaires acte ii » a réuni la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Sainte Lucie, Trinité-et-Tobago ainsi que Cuba autour de la valorisation et la promotion des musiques populaires caribéennes, les danses, la gastronomie et la vannerie. Avec un coût total de 1 160 686 €, il a réuni plus de 15 partenaires comptant la ville de Sainte Marie en Martinique, la DRAC de Martinique ainsi que des associations et établissements de l'île accompagnés des autres territoires cités.

Ces initiatives permettent une meilleure connaissance des territoires ainsi que leurs pratiques culturelles de façon à les propulser. Il est question d'échanges, de circulations tout autant qu'une connaissance réciproque. Celle-ci peut être intéressante afin de mutualiser les équipements culturels à l'avenir ou encore d'exporter des artistes avec leurs pratiques artistiques. Pour aller plus loin, il est tout aussi question de construire des projets culturels qui prennent en compte les identités propres de chaque région des Caraïbes bien qu'elles soient dans une certaine mesure similaires. Il serait alors intéressant pour la Guadeloupe de s'inscrire dans ces programmes lorsqu'on remarque que des structures telles que Textes en Paroles ont été pensées dans un besoin de coopération interrégionale. La scène qu'est l'Artchipel peut s'inscrire davantage en tant que point de diffusion et de promotion pour les artistes caribéens internationaux. Nous avons pu pointer du doigt un manque d'accès à la formation. Bien évidemment, combler cette lacune est plus que nécessaire mais il est envisageable de se former au sein même de sa zone géographique qu'est la Caraïbe. Cela peut être un atout incontestable et une possibilité parmi les autres lorsque l'on sait que les artistes et professionnels migrent en hexagone ou dans les pays de l'Amérique du Nord afin de s'épanouir. L'intérêt particulier que je vois dans cet objet passe aussi par le fait de pouvoir naviguer d'un environnement à un autre avec des problématiques plus ou moins similaires. Il y a un enjeu d'identification et d'appartenance fort en tant que caribéen. L'insularité joue une place importante dans la structuration des territoires, et comme j'ai pu le détailler, elle va influer sur la manière de concevoir la culture.

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