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Pratiques culturelles des Antilles françaises: l'exemple du spectacle vivant en Guadeloupe et de ses dynamiques territoriales


par Jennyfer ADNET
Université de Rouen Normandie - Master direction de projets et d'établissements culturels, parcours diversification des publics 2023
  

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II. Aménagement culturel et expressions

artistiques en Guadeloupe

a) De la stigmatisation à la réappropriation

La danse, la musique et les manifestations artistiques telles que le théâtre et les contes sont, comme nous avons pu le remarquer, prépondérantes dans les Antilles françaises. Le spectacle vivant tient donc une place importante avec des spécificités propres au processus de créolisation. Après avoir questionné les problématiques de l'eurocentrisme aux côtés de ce qui est et a été considéré comme étant folklorique, il est question dans cette partie d'examiner les dynamiques culturelles propres à l'archipel guadeloupéen. De quelle façon se manifestent-elles sur un territoire où s'opèrent de véritables luttes ? Quels en sont les résultats au niveau des dynamiques territoriales ? Afin d'élargir cette réflexion, il est intéressant d'aborder une nouvelle fois le cas du théâtre antillais. En effet, bien que l'une de ses spécificités est d'avoir été emporté par les colons durant le XVIIe siècle, il est tout aussi caractéristique de son bassin caribéen. Étant une pratique étroitement proche des codes de la tradition orale afro-descendante, nous remarquons que cette réappropriation du théâtre s'explique par la présence des contes. Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT le soulignent également dans leur ouvrage Lettres créoles : tracées antillaises et continentales de la littérature, 1635-1975 :

« De toute éternité, sitôt après l'effondrement des habitations, la saynète, petite comédie quasi spontanée, avait fait son apparition dans les lieux de la vie collective : marchés, presbytères, salles paroissiales, petits spectacles de quartiers, fêtes scolaires... Tout un chacun y participait, enfants et grandes personnes, dans un mélange naturel de créole et de français; et les occasions de saynètes étaient nombreuses. [...] D'où provenait la saynète ? Du conteur bien sûr.»

Au-delà des pièces importées d'un répertoire français et imposées pour un mimétisme culturel, il existait réellement des pratiques théâtrales créoles, bien que spontanées. Ces pratiques déambulantes et présentes dans les champs de cannes s'inspirent des codes du conte antillais en y reprenant aussi le créole en tant que langue d'interprétation. L'oralité et la mise en scène permises dans ces deux champs de création expliquent cette souplesse qu'ont eu les antillais à s'approprier le théâtre. Ce sont pour ces raisons qu'il n'existe pas de traces écrites témoignant ces évènements en dehors des pièces de théâtres européennes.

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Cependant, durant le XIXe siècle, la production théâtrale diminue en Guadeloupe ainsi qu'au sein de son île soeur. Pour cause, une montée de maladies virales ne cesse d'accroître sur les deux territoires empêchant alors l'activité des comédiens sur scène. Malgré ces difficultés, les colons parviennent à introduire une nouvelle écriture théâtrale sur la base d'un critère inédit : une écriture en créole. L'un des dramaturges les plus connus implanté en Guadeloupe fut le français Paul BAUDOT, qui, au XIXe siècle réécrivait des classiques en langue créole. La motivation principale était de divertir les cours bourgeoises demandant de l'exotisme.

Il est tout de même observable qu'au début du XXe siècle, toujours dans l'archipel guadeloupéen, le théâtre créolophone détient toujours une place indéniable. Ce dernier se porte comme revendication identitaire. Il anime le besoin de rompre avec les chaînes d'une acculturation en se saisissant d'un médium artistique qui s'est imposé de force. La comédie est le genre privilégié à Pointe-à-Pitre avec un répertoire de classiques français transposés en langue créole. Malheureusement, dans les années 50 la troupe française de Jean GOSSELIN va venir entraver les ambitions du théâtre créolophone. En jouant des pièces de théâtre d'un répertoire parisien en Guadeloupe et en Martinique. Ces actions vont de pair avec la politique d'assimilation voulue et renforcée depuis 1946. Les associations et compagnies de théâtre locales se dissipent peu à peu dans l'obscurité. Le théâtre devient une pratique et un divertissement tourné principalement pour une élite bourgeoise privilégiée dans un contexte où inégalités sociales règnent dans les Antilles françaises. Les répertoires en créole vont davantage susciter l'attention de classes populaires dans les communes rurales avec des initiatives comme les après-midis culturelles. Avec des jeux d'improvisations totales, ces pièces de théâtres n'auront malheureusement que peu de traces écrites. Il faudra attendre le milieu du siècle pour observer la croissance d'un théâtre antillais avec des auteurs guadeloupéens et martiniquais dont le célèbre Aimé CÉSAIRE. Ce temps marque une affirmation et une présence car ces auteurs vont exprimer dans leurs écrits des revendications liées à des problématiques sociales et politiques propres à leurs réalités. Il n'est plus question de se calquer aux canons français : d'après Stéphanie BÉRARD dans son article Petite histoire du théâtre francophone et créolophone de la scène coloniale aux dramaturgies antillaises contemporaines, ce théâtre finalement:

« est aussi l'agitation qui règne à cette époque sur la scène sociale et politique antillaise les grèves, les manifestations étudiantes et ouvrières se multiplient et mettent en lumière le mécontentement grandissant d'une population déçue par la départementalisation

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et par la France qui pratique une politique d'assimilation sans tenir compte des spécificités culturelles, linguistiques, économiques et sociales des îles.».

Au-delà d'être un médium artistique et culturel, le théâtre dans les Caraïbes françaises des années 60 se mue en une arme de dénonciation.

Soirée léwoz,

Article Et revoilà le temps des « léwòz » en Guadeloupe par Yvor J. LAPINARD, 14 avril 2023 C France-Antilles

Ces mouvements anti-assimilationnistes se sont nourris, à la même période, par la pratique du gwoka en Guadeloupe. Souvent rattaché au domaine des champs de cannes et des faubourgs, ce médium artistique s'apprête en une arme d'affranchissement culturel et de revendication identitaire avec la création d'espaces. Les lieux de performances existaient déjà depuis la période coloniale avec : l'espace urbain et les soirées léwoz traditionnelles et particularisées en Guadeloupe. La rue se manifeste comme un environnement propre au phénomène de reculturation en Guadeloupe avec la production, l'écoute et la pratique musicale. Ces éléments témoignent et révèlent la relation qu'entretient le peuple avec sa culture : il y a une notion de liberté qui se dégage avec l'expression de l'individualité possible avec le contact à l'autre, la vie en communauté. Ces moments de vie culturelle sont possibles grâce à la classe ouvrière des années 60 ainsi que les classes les plus modestes car rappelons-le, les classes bourgeoises voyaient d'un mauvais oeil les pratiques culturelles afrodescendantes. C'est ainsi que ces classes sociales vont se comporter en de véritables leviers en faveur de la diffusion culturelle notamment dans les espaces publics (la rue notamment). Ils sont réinvestis et repensés de manière symbolique : les personnes de grands mornes ont finalement eux aussi droit d'exprimer leur identité culturelle et de faire valoir celle-ci dans l'espace public, qu'il s'agisse aussi bien du centre ville ou bien de zones rurales.

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Ces lieux sont donc très importants en Guadeloupe notamment dans l'univers gwoka. Des associations d'apprentissage ont par la suite commencé à s'implanter sur l'archipel, permettant la pérennisation de cet univers et une transmission vers les jeunes générations. C'est par ce processus que le champ politique s'est armé du gwoka avec l'émergence des manifestations sociales rythmées par celui-ci. Ces nouveaux éléments constitutifs du gwoka sont à l'origine d'une expression contemporaine pas seulement rattachée aux systèmes de la canne à sucre. L'ajout de tels paramètres confirment l'idée que BOURDIEU avait de la notion de « mouvement culturel ». Il désigne alors divers courants artistiques dans le domaine académique : la peinture, la littérature, la musique etc. Il existe cependant, selon l'auteur et son texte Les Règles de l'art, un art social venant de mouvements culturels. Il se détache de l'Etat et se soucie du peuple. L'art peut alors prendre des positions politiques comme nous pouvons le constater avec le théâtre et le gwoka.

Si le contexte socio-historique des Antilles françaises a fortement influencé le rapport à la culture, il n'en est pas moins du tourisme. De la date de la départementalisation à 1971, un véritable plan de politique touristique se dessine dans un besoin de développer la Guadeloupe. Ces actions s'accompagnent d'installations d'équipements touristiques et d'hôtels performants. De ce constat, une volonté d'ouvrir et de développer une attractivité d'une part d'un point de vue national puis international est caractéristique de cette période car un tourisme de masse est notable des années 90 aux années 2000. Il va favoriser la pratique de ce qu'appelle Monique DESROCHES le spectacle touristique35 avec l'émergence de scènes musicales dédiées au divertissement des visiteurs sur l'archipel. Le gwoka est ainsi encore une fois mis au devant de la scène mais également la kalenda, danse afro-descendante associée à la fertilité. Encore une fois, il y a un déplacement symbolique: ces deux pratiques empreintes spirituellement et associées aux plantations se déplacent dans un environnement de divertissement. Dès lors, une nouvelle trajectoire est donnée aux pratiques culturelles traditionnelles guadeloupéennes.

35 MARCOUX-GENDRON, Caroline. « Compte rendu de Monique Desroches Territoires musicaux mis en scène. » Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal. Intersections, 2011, p. 139-146.

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Pochette disque Groupe Folklorique Martiniquais

Danseurs et musiciens sont engagés par les offices du tourisme dans le but d'augmenter l'attractivité du territoire auprès des vacanciers. Nous pouvons citer en Martinique, le Groupe folklorique martiniquais, qui, comme le fait présager de son appellation, nourrit finalement une image doudouisante des danses antillaises. Cette nécessité d'attiser l'intérêt et l`émerveillement des touristes fut totalement intéressée même si ces actions ont contribué à la réhabilitation de ces danses dites de vyé nèg36 dans des espaces accueillant le plus grand nombre. Il s'agissait cependant bel et bien d'une tourisficiation d'une culture considérée comme étant indigène : un imaginaire colonial avec des minorités se prêtant en spectacle, présentées en tenues traditionnelles et accompagnées de chansons clichées sous les cocotiers.

Néanmoins, afin de mettre en avant les pratiques culturelles issues de la traite négrière sur un territoire insulaire, il faut passer par la reconnaissance auprès des institutions politiques. Le Ministère de la Culture et la Direction des Affaires Culturelles contribue au rayonnement de pratiques culturelles de manière symbolique avec des subventions. Le maintien des pratiques artistiques dans l'espace urbain émane en effet d'une continuité historique mais aussi d'un manque d'infrastructures dédiées. Ne pas mettre en valeur le patrimoine caribéen, ni même investir en ces fins accentue un phénomène d'exclusion dans la scène culturelle. Les Antilles, dans ce cas-là, ne sont que des admirateurs passifs d'une

36 Vieux nègre en créole.

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diversité de productions artistiques et culturelles présente hors de leur territoire: c'est comme si on leur ôtait la parole pour n'être que des spectateurs. Une remise en question de la légitimité s'opère. En partant de ce postulat, la volonté est de faire des Antilles un point de relais de la culture française en niant en partie les traditions afro-descendantes de ces territoires. Ainsi, dès les années 60 afin de contrer les politiques d'assimilation bien installées, les habitants et professionnels vont oeuvrer pour la visibilité et à la transmission de pratiques artistiques et culturelles avec la création de structures mais surtout d'associations.

b) La création d'espaces pour un spectacle vivant guadeloupéen : contrer les institutions culturelles et affirmer sa légitimité

Comme nous l'avons partiellement vu, le manque d'infrastructures dédiées à la culture en Guadeloupe va nourrir ce besoin de s'affranchir des institutions culturelles que l'on va considérer comme étant légitimes. Avec un réel manque de salles de production et de diffusion comme les théâtres, salles de concerts, opéras, etc., les habitants se retrouvent extorqués de lieux d'expression artistique divers bien qu'il existe des lieux que nous verrons dans la troisième partie de ce mémoire. Les espaces restent cependant limités.

La création d'espaces est alors nécessaire. Sans espaces de production, les pratiques culturelles sont dissimulées au plus grand nombre. Un lieu d'exploitation de spectacles voire même d'éducation artistique permet de nourrir un lien avec les habitants et leur culture locale. Il mobilise des individus munis de conscience et attise dans une certaine mesure une sensibilité et une curiosité. C'est donc, en un sens que les espaces d'expressions viennent interroger le rapport qu'entretiennent les institutions culturelles avec les mouvements culturels. Ces derniers se définissent selon Lionel ARNAUD comme étant une « volonté de mobiliser et d'organiser de façon concertée et stratégique une variété de ressources humaines, techniques et financières, doublée d'une transmission méthodique d'un ensemble de manières d'être, de penser et de sentir. »37. Les mouvements culturels constituent donc l'identité d'un groupe d'humains. En partant suivant l'idée qu'il s'agirait d'un ensemble de manières de pensées : les pratiques culturelles d'un groupe donné peuvent s'exprimer dans un espace que lui-même aura désigné. Ce procédé réinterroge alors les espaces dédiés à la

37 ARNAUD Lionel. « De la résistance culturelle à l'action par et sur la culture en Martinique. Éléments pour une analyse des mouvements culturels », Sociologie, 2022 (Vol. 13), pp. 361-379.

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culture : nous nous rendons compte que ces derniers peuvent faire sens hors-les-murs. De plus, comme le développe l'article du même auteur, les espaces élitistes dédiés à la culture, bien que le Ministère de la Culture et de la Communication tende à démocratiser l'accès à ceux-ci, apparaissent comme inaccessibles pour les publics marginalisés. Qu'il soit question d'âge, de classe sociale, de genre ou même de leur couleur de peau. Il y a un réel sentiment d'illégitimité qui se dégage sur une population comptant 34% d'individus vivant sous le seuil de pauvreté contre 14% en Hexagone en 2017 selon l'étude de l'INSEE38. Ces chiffres restent tout de même récents et révélateurs de la situation de la Guadeloupe.

En faisant interagir ces éléments ensembles, il est indéniable que les manières de vivre et de concevoir le monde sont réécrites afin de pouvoir espérer un moyen de survie. L'espace public comme lieu de création et de production ouvre aussi une diversification des publics où les générations se mélangent. Ne perdons pas de vue que la famille est une notion importante dans ces sociétés. Un lien intergénérationnel se tisse de la même manière que l'art vient au public : ce dernier fait partie de la création artistique car il est souvent inclus par la danse, la musique et les interactions entre conteur et public dans la sphère des contes.

La manifestation de ces évènements culturels en dehors des sphères dites élitistes s'établissent en majorité avec des codes. Tel est le cas pour les swaré léwoz, élément incontournable de l'univers gwoka. Ces soirées avaient autrefois lieu le dimanche, de manière clandestine durant la période de l'esclavage. Néanmoins, elles ont été reprises post-esclavage le vendredi et le samedi soir lors de fêtes communales et patronales sur la Grand-Terre et la Basse Terre en grande partie. Étant ouvertes et gratuites à tous, elles ont lieu dans des salles closes ou des lieux ouverts dédiés.

L'île soeur, la Martinique, se prête de son côté depuis les années 70 à des swaré bélè. Elle naquirent de la volonté de militants anti-assimilationnistes martiniquais qui voyaient une nécessité à reconnaître le monde négro-martiniquais. Ce souhait reflète en effet le besoin de légitimité à appartenir à un patrimoine culturel reconnu et à part entière. Dans la même veine que les swaré léwoz, ces soirées bèlè régissent à des codes : elles commencent le samedi soir dans une salle des fêtes. Ces moments de vie culturelle apparaissent dans des lieux que l'on va considérer comme étant « non dédiés à la culture ». Pourtant, la mobilisation de publics et

38 Études officielles de l'INSEE, 12 % des Guadeloupéens en situation de grande pauvreté en 2018, 11 novembre 2022 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6468373#:~:text=En%20Guadeloupe%2C%2034%20%25%20de%20la,%C3 %A0%2014%20%25%20en%20France%20m%C3%A9tropolitaine

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l'existence de pratiques artistiques pérennes ont été possibles par l'investissement dans ces espaces.

Un bon nombre de paramètres est à prendre en compte dans cette nécessité d'affranchissement. J'ai tenu aussi à noter l'hétérogénéité de l'archipel constitué de plusieurs îles mais aussi de zones rurales importantes autour de Pointe-à-Pitre et Les Abymes. Ces enclavements ont résulté à la préservation de pratiques culturelles car ils constituent un mode organisationnel d'une société. Les plus aisés vont se situer dans les mêmes zones tandis que les groupes sociaux issues de classes populaires et marginalisées vont graviter également dans les mêmes points. Lionel ARNAUD souligne ce phénomène de hiérarchisation sociale allant de pair avec les pratiques culturelles. Lorsque nous savons que les classes aisées méprisaient les expressions artistiques indigènes, une répression envers celle-ci s'opère lorsque les groupes sociaux des quartiers populaires et de communes rurales progressent à la sauvegarde de leur culture. De plus, la Guadeloupe et la Martinique connaissent à peu près la même histoire, il en va de même pour ces phénomènes d'enclavement:

« Jusqu'aux années 1950-1960, la pratique du tambour, de la musique et des danses bèlè se maintenait dans les régions rurales les plus reculées, véritables « zones refuges » qui, via une sorte de mécanisme homéostatique, contenaient dans certaines limites l'oppression qu'exerce l'État français dans les vallées et le littoral.».39

Nous pouvons faire ce constat : ces modes de vie hiérarchisés ont garanti une certaine protection quant à la pratique de musiques et danses afro-descendantes.

Il est nécessaire de se rappeler que depuis les années 60, un bon nombre d'associations culturelles fleurissent autant en Guadeloupe qu'en Martinique. Nous pouvons alors citer le combat de Victor TREFFE qui a oeuvré durant cette période à la préservation des danses en Martinique auprès des jeunes par la création d'associations tels que Rénovation Culturelle, Lavwa Pitjan. De manière globale, ces associations sont principalement à destination de la jeunesse et s'ancrent dans un processus de revalorisation et d'union sociale. La transmission va de pair avec la vie en communauté. D'autres pratiques telles que la quadrille, danse sociale répandue en Grande-Terre et à Marie Galante, sont remises au goût du jour depuis les années 90 avec des actions. En effet cette danse rurale a été pendant des décennies oubliée, pour cause : elle renvoyait aux anciens et à la ruralité. Aujourd'hui cette

39 ARNAUD, Lionel. « Chapitre 1. Du bélé des mornes au bélé des villes, La politique des tambours. Cultures populaires et contestations postcoloniales en Martinique », sous la direction de Arnaud Lionel. Karthala, 2021, pp. 29-61.

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image est néanmoins restée mais il est certain que les actions associatives de l'archipel ont permis la pérennité de la quadrille. Ces différentes présences témoignent d'un besoin de légitimation, comme l'implantation du conte créole dans les écoles scolaires. Cette pratique culturelle a longtemps été rattachée aux zones campagnardes reculées et aux veillées mortuaires dans le but de divertir et unir de manière conviviale les proches du défunt. Ce déplacement vers le champ scolaire et périscolaire dénote une volonté de transmettre des fondamentaux culturels, mais plus encore, de partager une expression artistique fondamentale dans la société afro-caribéenne : l'oralité. Nous pouvons constater que ces dispositions prises par le peuple s'assemblent de façon à redessiner un univers caribéen à part entière pour abattre l'hégémonie culturelle occidentale.

Du côté du théâtre, nous pouvons observer les bribes de son histoire en Guadeloupe avec le parcours de Michèle MONTANTIN. J'ai choisi, dans cette étude, de me concentrer sur son interview40 retranscrite dans Africultures. Ainsi, nommée en 1983 directrice du Centre d'Action Culturelle, l'enjeu de son poste a été la diffusion des spectacles théâtraux pluridisciplinaires. Dramaturge guadeloupéenne, son goût pour le théâtre naît dès l'enfance à la lecture de textes et classiques que son père avait. Dans les années 70, elle part étudier en France le théâtre et le métier de comédienne et de menteuse en scène au Centre universitaire international de formation et de recherche dramatique de Nancy créé par Jack LANG. On se rend compte également de la nécessité de quitter son archipel pour pouvoir accéder à des formations dans le spectacle vivant. Dès son retour en Guadeloupe en 1973, elle fait face à une montée d'indépendantiste rejetant l'eurocentrisme et la culture des dominants. Cela témoignait déjà l'avenir du territoire. Cette prise de conscience va diviser l'île entre : les locaux assimilés à la culture française que l'on va qualifier d'élites et les indépendantistes. Des attaques terroristes de la part des indépendantistes marqueront ainsi la Guadeloupe, des événements qui ont marqué au fer rouge l'archipel et qui sont pourtant peu connus. Dans ce contexte, Michèle MONTANTIN imagine alors que le théâtre pourra apporter des vertus réparatrices. Elle pense que la création peut réellement unir le peuple et contribuer à une cohésion sociale. Le théâtre véhicule des messages politiques et sociaux et est selon elle un bon outil. Ainsi, elle considère que « le théâtre est un atelier du « faire ensemble » On remarque dans ce cheminement d'idées que le théâtre réinterroge la vie sociale, tout comme les autres médiums artistiques guadeloupéens émanant du spectacle vivant. Mais est-ce

40 Africultures, « Textes En Paroles. Retour sur 40 ans de théâtre en Guadeloupe avec Michèle Montantin », 2010, pp. 190-197.

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vraiment possible sur un territoire fragmenté de par sa situation géographique et traumatisé par son histoire ? De plus, un apriori sur le théâtre subsistait chez les élus locaux de l'époque, pourtant considérés comme étant une élite: le théâtre antillais n'est fait que pour la farce et le divertissement. Pour eux, l'intérêt de créer un établissement de théâtre avec des comédiens classiques ou des créations sur un ton plus grave n'avait que peu d'intérêt. Pourtant, des pièces ont été jouées en créole, mais les comédiens tombent vite dans un piège, comme Maryse CONDÉ l'expliquait dans son interview. En effet, selon Michèle MONTANTIN « Les traductions ou adaptations en langue créole doivent éviter le piège d'une vision folkloriste, certaines traductions-adaptations dérivant trop souvent vers l'apparence du conte, la comédie créole, la farce, comme si la langue créole ne pouvait pas devenir langue de création mais uniquement vecteur social. ». Les pièces de théâtre en créole auront de bons jours devant eux s'ils ne se limitent pas à la traduction de textes ou même à la farce. Il faudrait manier un autre ton pour la mettre en valeur.

Les formes théâtrales diverses étaient donc stigmatisées. Michel MONTANTIN s'opposa à ces discours car cantonner la Guadeloupe à un genre, surtout que la farce n'était absolument pas la ligne d'horizon de son établissement. Ce serait restrictif au vu des auteurs tel que Maryse Condé, écrivant des textes aux genres diversifiés. Il fallait donc mettre en valeur les talents de l'archipel, mais les élus locaux n'étaient pas de cet avis. Les guadeloupéens n'auraient pas cette culture où les classes populaires peuplent en majorité le territoire. Ils ne saisissaient donc pas la mission de l'ex-directrice qui était de diversifier les publics et ouvrir à tous le théâtre peu importe son genre. Il ne devait pas toucher de classe élitiste. En plus de ce besoin incontestable, ce lieu se devait d'être bien situé car rappelons-le, la Guadeloupe est un archipel.

L'Artchipel, labellisée scène nationale, fut tout de même créée en 1996. En un espace pluridisciplinaire, il offre non seulement une programmation théâtrale mais aussi événementielle avec des concerts, de la danse traditionnelle et contemporaine. Après avoir vu sur ce dernier point les problématiques liées à la création d'espaces, il est nécessaire de comprendre et définir les axes d'action de la Région au sujet des politiques culturelles.

c) La décentralisation des pouvoirs de l'État : une autonomie avérée en matière culturelle?

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est peut-être nécessaire de noter une particularité française : il s'agit du Ministère de la Culture. Créé par le décret du 24 juillet

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1959, son but a été de rendre accessible la culture à une plus large audience, d'enrichir l'esprit des français en leur permettant une ouverture sur l'art et la culture. Pour ce fait, il y a effectivement eu un point très important sur l'enseignement artistique ainsi que la création artistique. C'est un souci d'égalité et de démocratisation culturelle qui découle en rendant accessibles des lieux et en créant plus des infrastructures, des enseignements. Avant cela, le préambule de l'article 13 de la Constitution de 1946 a été replacé en 1958 dans les discours afin de rendre légitime et logique ce point: « La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat.». Plus que jamais la culture est un droit. Il y a un besoin de l'argumenter avec des principes de lois fondamentales.

Par la suite, plusieurs mesures ont été prises afin de promouvoir la culture et de la rendre accessible au plus grand nombre. Ces décisions se reflètent dans différentes lois, dont celles relatives à la décentralisation et la déconcentration du pouvoir où les collectivités (qui se composent des communes, régions, départements) atteignent au fur et à mesure plus d'autonomie. Ainsi, nous pouvons à présent citer 3 lois importantes promulguées dans les années 80 : la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État et la loi du 22 juillet 1983 relatif au transfert des compétences également.

Ainsi, la loi de 1982 relative à la décentralisation des pouvoirs de l'Etat dans les institutions culturelles permet une progression vers une autonomie dans les départements et régions françaises. Notons que cette loi précède la création de la Région Guadeloupe et son irrigation en tant que collectivité territoriale ce qui va participer à une évolution notable. La loi n° 82-1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion correspond de ce fait à un nouveau tournant dans l'administration des territoires d'Outre-mer. L'article I stipule que : « Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région. Il a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des départements et des communes. ». Ces conseils régionaux comportent ainsi, selon l'Article III, quarante et un membres chacun. Ils sont assistés par un comité économique et social et un autre relatif à la culture, à

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l'éducation et enfin à l'environnement. Un nouvel aspect est aussi mis au goût du jour avec ces mesures prises, à savoir, une généralisation de la consultation des conseils généraux et régionaux. Ils sont sollicités pour la consultation de textes de lois, d'ordonnances, décrets. En effet, l'Article VI abrogé de la même loi souligne que « Le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement est obligatoirement et préalablement consulté lors de la préparation du plan de développement et d'équipement de la région et de l'élaboration du projet de budget de la région en ce qui concerne l'éducation, la culture, la protection des sites, de la faune, de la flore et le tourisme.» A partir de ce moment, le territoire s'administre à un double statut de région-département qui lui confère un mode d'administration particulier. Nous verrons cela avec plus de précision après avoir un bref constat de l'évolution de la Guadeloupe en matière de politique culturelle.

Rappelons par ailleurs que le budget alloué à la culture n'est plus géré par l'Etat mais par une autre entité : la Direction Régionales et Affaires Culturelles présente dans chaque région de France ainsi que l'Action Régionale de Développement Culturel. La présence de ces identités politiques sur les territoires ont alors pour but de s'adapter aux besoins en matière culturelle de la population locale. Les financements sont donc gérés de manière autonome pour les projets artistiques et culturels et les équipements culturels. Ainsi, les pratiques artistiques relatives à la richesse culturelle de chaque région ont la possibilité d'être habilitées grâce à la victoire de la gauche. Un besoin de diversité culturelle afin de prôner la richesse de la France est mise à l'honneur. Ce transfert de compétences fut, aux yeux des antillais, une nouvelle opportunité pour vaincre les affres de l'assimilation culturelle. La prise en compte de l'individualité des départements français et l'adaptation des lois et réglementation hexagonale aux réalités de chacun de ces territoires est au centre des besoins. Une stabilité de gouvernance et de gestion institutionnelle va de pair avec l'essor économique voulu. De plus, dès lors que les infrastructures gèrent de manière autonome leurs activités, une nouvelle attention est accordée aux pratiques culturelles. Elle est alors plus ciblée et les subventions nationales allouées aux associations locales peuvent jouir d'une gestion plus centralisée sur les besoins des habitants.

Les pouvoirs exécutifs sont transmis aux présidents de Régions et ne sont plus relatifs aux préfets comme c'était le cas auparavant. Ces lois permettent un meilleur équilibre et de donner également le choix à la population de choisir ses élus. Ils disposent de compétences sous différentes échelles : la culture, le sport, la promotion de la langue régionale, l'éducation

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populaire, etc. Il n'est plus question d'une « unité de la nation française », aujourd'hui, ce sont les collectivités territoriales qui assurent 70% des finances en matière culturelle.

Les lois relatives à la décentralisation impliquent un intérêt pour la population et les différentes régions/départements français qui mènent des dispositifs qui leur sont propres. Elles contribuent donc, en plus de faire rayonner ces territoires de manière singulière, à rendre compte de ce que c'est la diversité culturelle, mais plus encore à se focaliser sur des problématiques qui leur sont propres. Les collectivités mettent en place des dispositifs avec, en grande partie, leurs moyens. Cependant, il ne faudrait pas oublié cette loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer qui appuie bien sur des thématiques sociales :

« Résorber les écarts de niveaux de développement en matière économique, sociale, sanitaire, de protection et de valorisation environnementales ainsi que de différence d'accès aux soins, à l'éducation, à la formation professionnelle, à la culture, aux services publics, aux nouvelles technologies et à l'audiovisuel entre le territoire hexagonal et leur territoire ».

C'est un des devoirs de l'Etat français et les collectivités se mobilisent également pour faire respecter cela.

Avec un budget alloué annuellement par l'Etat, les politiques culturelles sont définies

par la Région Guadeloupe. Celles-ci s'articulent sur les axes suivants:

- La gestion et la rénovation patrimoniale

- Le volet du livre et de l'édition

- Le cinéma

- La valorisation du spectacle vivant et notamment des festivals

- L'enseignement artistique et culturel

- Le soutien des artistes et des espaces d'arts visuels contemporains

- Le soutien de projets musicaux ponctuels

En complémentarité avec les pouvoirs de la Région, la Direction des Affaires Culturelles s'occupe de mettre en exécution ces politiques culturelles. Le président de la Région détient l'autorité bien que la DAC s'adonne à des qualités d'expertise et de conseil auprès des collectivités territoriales et partenaires culturels divers. Siégée à Baillif, dans le nord de la Basse-Terre, elle intervient dans le développement culturel de l'ensemble de l'archipel avec l'aide des collectivités locales (Saint Martin et Saint Barthélémy). Elle se spécialise dans la valorisation, la protection, la promotion et la conservation du patrimoine

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culturel guadeloupéen. Pour ce faire, la DAC se spécialise dans le soutien à la création artistique, la diffusion des actions culturelles et le soutien des industries culturelles locales en ne perdant pas de vue les valeurs d'enseignement culturel, de transmission et de démocratisation de la culture. Une attention particulière est donnée à l'éducation artistique et à la diversification des publics.

Toujours dans une coordination, le Conseil départemental de la Guadeloupe tient des engagements de solidarité quant à l'accès à la culture avec notamment l'animation culturel et l'éducation artistique auprès des publics spécifiques (collégiens, personnes en situation de handicap, personnes âgées et bénéficiaires du RSA) par le biais de dispositifs (ex : ateliers dans les écoles). Il se spécialise également dans la valorisation du patrimoine culturel immatériel guadeloupéen dont la langue et la culture créole. Ainsi, cette entité politique veille au dynamisme du territoire en soutenant des projets culturels et artistiques portés par des artistes locaux, des associations, infrastructures ou encore collectivités territoriales. Le Conseil départemental sert également d'appui financier en mettant en place des dispositifs d'aide dans les milieux artistiques en tenant des résidences artistiques et en se chargeant en partie d'un volet de diffusion artistique.

Cependant, la répartition des budgets par région demeure inégalitaire : les sièges principaux comme le Ministère de la Culture qui se trouve à Paris. La situation insulaire de la Guadeloupe comme de la Martinique provoque des ralentissement quant à l'essor des équipements culturels. Pour pouvoir illustrer ce propos, j'ai choisi de faire un comparatif entre la Guadeloupe et Strasbourg : d'une part car en terme de superficie et de démographie, ces territoires sont plus ou moins comparables et d'autres part car la Ville de Strasbourg jouit d'une vie culturelle dynamique bien quand bien même elle se situe au Grand-Est. De cette façon, le bilan budgétaire inscrit sur le site internet de la Région Guadeloupe indique une somme allouée à la culture et aux activités sportifs de 6 233 987 € en 2020 sur environ 383 559 habitants. Du côté de Strasbourg, l'Institut Montaigne dénote un montant de 46,3 millions d'euros en 2018 sur 281 512 habitants. Nous pouvons voir dans ces données un véritable écart se dessiner et confirmer que les promesses d'égalité sociale ne sont pas réellement tenues à ce niveau. Après des mouvements et des revendications anti-hégémoniques face aux puissances assimilationnistes, la Guadeloupe a oeuvré pour la reconnaissance de sa culture ainsi que ses besoins liés aux infrastructures. Face à ces difficultés, les habitants du territoire se sont bien rendus compte qu'un besoin d'autonomie

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est indispensable dans la gestion de leur patrimoine et pratiques culturelles ce qui explique alors le création d'un bon nombre d'associations culturelles présentes sur l'archipel. Il y a non seulement un besoin de reconnaissance identitaire prôné mais aussi un besoin de préservation culturelle à explorer par ces biais cités.

Nous l'avons remarqué, les directives prises par l'Etat français auprès de ses régions, et plus encore, celles d'Outre-mer tendent à la pondération d'une égalité sociale et une reconnaissance. Il est question des spécificités culturelles de chacun des territoires en prenant en compte leurs caractéristiques. Malgré ces nouvelles administrations régionales, du fait de la décentralisation, nous faisons face au maintien d'inégalités au sein de la Guadeloupe et plus généralement, des Outre-Mer. La caractère insulaire et outre-Atlantique de ces territoires mettent au défi leur développement lorsque, malgré tout, les pouvoirs généraux siègent à Paris. Nous verrons alors, en arpentant cette réflexion, les conséquences de cette insularité d'un oeil précis.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle