PARAGRAPHE II : LA NATURE ET LES MODALITES DE MISE EN
OEUVRE DE L'OBLIGATION DE RESERVE.
La nature de l'obligation de réserve fait
référence ici à ce qui la caractérise. Au regard
général, cette obligation a ses effets quelques peu
indésirables pour le fonctionnaire. L'obligation de réserve,
consistant donc en une retenue dans l'extériorisation des opinions
s'appréhende donc classiquement comme une limite plutôt
sévère de la liberté de pensée (A), bien que ses
modalités de mise en oeuvre concourent au bon fonctionnement de
l'administration (B).
A-La nature de l'obligation de réserve : une
limite à la liberté de pensée.
L'obligation de réserve a des aspects plutôt
aliénants vis-à-vis du fonctionnaire car elle apparait souvent
comme une privation de la liberté de pensée du fonctionnaire car,
ne pouvant pas exprimer ses opinions, elle le pousse à se taire,
à refouler son envie de s'exprimer. Cela n'est qu'une facette de la
nature de cette obligation. Selon l'article 10 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme
pour tout citoyen : « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que
leur manifestation ne trouble pas l'ordre établi par la loi. »
. La liberté de pensée dont bénéficie
le fonctionnaire comprend la liberté d'opinion et la liberté
d'expression. Si la première est absolu, la seconde reste
conditionnée (1). Il convient de dire également concernant la
nature de l'obligation de réserve que c'est une obligation d'origine
jurisprudentielle (2).
1-L'obligation de réserve comme limite à la
liberté d'expression.
L'obligation de réserve est donc une
sévère limite à la liberté d'expression. Ce
d'autant plus que le préambule de la constitution garanti ladite
liberté250. En France, dans les années 1950,
Michel Debré donnait sa définition : «
le fonctionnaire est un homme de silence, il sert,
250 Préambule de la loi n° 96/06 du
18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972.
« la liberté de culte et le libre exercice des pratiques sont
garantis ; la liberté de communication ; la liberté d'expression
; la liberté de presse...».
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Les obligations du fonctionnaire en droit de la fonction
publique camerounais
il travaille et il se tait «, c'était la
conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du
fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation
à servir l'intérêt général et de la
responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude
des droits du citoyen. » Pour terminer ainsi « C'est cette
conception qui est en cause dans les mesures d'intimidation
précédemment évoquées prises au plus haut niveau de
l'Etat, préliminaires d'une vaste entreprise de démolition du
statut général des fonctionnaires ». C'est sans doute
pourquoi elle ne figure pas explicitement dans la loi le Pors de 1983, car elle
va à contre-pied de son article 6 qui dispose que : «la
liberté d'opinion est garantie aux
fonctionnaires».
En effet, l'obligation de réserve a été
supprimée en France par la loi du 13 juillet 1983. Elle ne s'applique
plus que pour les magistrats (auxquels s'adresse toujours l'article 10 de
l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958) ou certains
fonctionnaires à l'occasion de circonstances exceptionnelles (le
contexte diplomatique par exemple) qui ne concernent pas l'exercice ordinaire
des agents de l'Éducation nationale. La loi du 13 juillet 1983 leur
reconnaît une totale liberté d'opinion (article 6),
l'activité politique (article 7) et syndicale (article 8) et le droit de
grève (article 10) que certains ministres autoritaires voudraient bien
voir disparaître selon les dires de certains français. Tribune
libre du journal Le Monde daté du 31 janvier 2008, rappelle notamment
son rejet à l'Assemblée nationale le 3 mai 1983 d'un amendement
tendant à l'inscription de l'obligation de réserve dans la loi.
Il souligne que l'obligation de réserve ne figure pas dans le statut
général ni dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon
celui des membres du Conseil d'État. C'est pour cette raison que l'on
dit que c'est une obligation jurisprudentielle.
2-Une obligation d'origine jurisprudentielle.
Il faut avouer que le statut général de la
fonction publique camerounais fait preuve d'originalité vis-à-vis
du droit français en consacrant l'obligation de réserve dans son
article 40 ; car comme nous l'avons dit précédemment, elle a
été supprimée dans la loi le Pors. En fait, à
partir des jurisprudences examinées plus haut, l'on peut conclure que
l'obligation de réserve est d'origine jurisprudentielle au Cameroun. En
effet, dans une approche historique, si l'on voit l'antériorité
de la jurisprudence Mama Eloundou (1957) par exemple au statut
général en vigueur, et surtout le fait qu'elle ne figure pas dans
la loi portant statut général des
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publique camerounais
fonctionnaires du Cameroun (1958)251 et le
décret portant statut général de la fonction publique
fédérale (1966)252, il devient un truisme qu'elle est
d'origine jurisprudentielle au Cameroun.
En France par contre, elle n'est pas seulement d'origine
jurisprudentielle, elle reste jurisprudentielle de par sa suppression du statut
général. On pourra d'ailleurs citer Anicet Le Pors, qui en tant
que Ministre de la fonction publique, a conduit l'élaboration et
l'esprit de cette loi, et qui explique que le devoir de réserve
été volontairement exclu du statut des fonctionnaires en
1983, et qu'à contrario il leur accorde la liberté d'opinion. Le
statut des fonctionnaires impose la discrétion professionnelle, ce qui
n'est absolument pas la même chose. Néanmoins, ce qui existe
depuis en matière de devoir de réserve, c'est « une
construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait
dépendre la nature et l'étendue de l'obligation de réserve
de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire
dans la hiérarchie » (Anicet Le Pors) qu'on peut
résumer ainsi : « plus on a de responsabilités
hiérarchiques, plus le devoir de réserve est grand. Moins on en
a, moins on a de devoir de réserve ». Que dire des
modalités de mise en oeuvre de cette obligation ?
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