CHAPITRE II :
Les obligations de responsabilité du service peuvent
être regroupées en deux catégories : l'obligation de servir
que nous avons analysée plus haut et les obligations de
confidentialité, objet de notre étude. Ce qui fait la
caractéristique de ces obligations, c'est qu'elles ont en commun le
secret. En effet, le robert définit la confidentialité comme
le maintien du secret d'information (dans une
administration...)233. La confidentialité est donc le
caractère de ce qui doit rester secret, la préservation du
caractère secret d'une chose. Sur le plan juridique, le vocabulaire
juridique la définit comme le caractère de ce qui est
confidentiel (exemple, confidentialité de correspondance entre avocats,
obligation de confidentialité. Voir secret)234.Pour
mieux comprendre la confidentialité, il faut définir le terme
« confidentiel ». Est confidentiel, ce qui est
communiqué à quelqu'un sous l'interdiction, pour celui-ci, de le
révéler à quiconque ; qui est livré par
écrit ou oralement sous le sceau du secret (en confiance et confidence).
Exemple, lettre confidentielle, dossier confidentiel, aveu confidentiel. Ce qui
est accompli en secret comme une mission confidentielle235. Ceci
fait, il revient de se poser la question suivante : quelles sont les
obligations de confidentialité ? Cette question revêt son pesant
juridique et pratique : sur le plan juridique, elle nous permettra de savoir
quelles sont les interdictions que le droit fait au fonctionnaire sur sa
liberté d'expression en ce qui concerne son travail ; sur le plan
pratique elle apprend aux usagers du service quels sont leurs droits en cas de
révélation de leurs secrets par un fonctionnaire qui en a
connaissance. C'est dans cette optique que nous traiterons de l'obligation de
réserve (section I) et des obligations de discrétion
professionnelle et de secret professionnel (section II).
233 Dictionnaire le Robert de poche, 2012.
234 Cornu (G), vocabulaire juridique, PUF, 2011.
235 Cornu (G), ibid.
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Les obligations du fonctionnaire en droit de la fonction
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SECTION I : L'OBLIGATION DE RESERVE.
L'obligation de réserve est la première
obligation de confidentialité. Pour mieux l'appréhender, il
convient de commencer par définir le terme « réserve »
et donner le sens contextuel du terme. Pour commencer, il convient de
préciser que la réserve dont il est question ici n'est pas la
même qu'on retrouve en droit international, c'est-à- dire la
clause qu'un Etat ajoute pour éviter qu'un traité soit
interprété dans un sens qui ne lui convient pas, qu'il
n'apprécie pas. Il s'agit en fait de la qualité de se garder de
tout excès, de circonspection, retenue236. Le vocabulaire
juridique définit l'obligation de réserve comme, le devoir
statutaire incombant aux fonctionnaires (notamment aux magistrats) de
s'abstenir de manifestations individuelles intempestives, incompatibles avec la
dignité, l'impartialité et la sérénité de
ses fonctions237. Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent de
la fonction publique est tenu à une prudence et doit faire abstraction
de ses opinions politiques ou religieuses. L'obligation de réserve est
la conséquence du principe de la neutralité de l'administration
qui a pour corollaire la neutralité et l'impartialité des agents
publics. Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent doit faire preuve de la plus
grande correction. Hors du service, il doit avoir un comportement
irréprochable et incarner la dignité de l'Etat, il doit
s'exprimer avec modération. Pour appréhender cette obligation,
nous analyserons sa consistance (paragraphe I) avant de nous d'apprécier
sa nature et ses modalités de mise en oeuvre (paragraphe II).
PARAGRAPHE I : LA CONSISTANCE DE L'OBLIGATION DE
RESERVE.
La consistance de l'obligation de réserve que nous
allons étudier ici, fait référence à ce qui
constitue l'obligation de réserve. Le statut général de la
fonction publique permet saisir, même s'il n'est pas très
précis, la consistance de l'obligation de réserve. L'article 40
du statut dispose que : « (1) Tout fonctionnaire est tenu
à l'obligation de réserve dans l'exercice de ses fonctions. (2)
L'obligation de réserve consiste pour le fonctionnaire, à
s'abstenir d'exprimer publiquement ses opinions politiques, philosophiques,
religieuses, ou de
236 Voir Dictionnaire le Robert de poche, 2012.
237 Cornu (G), vocabulaire juridique, PUF, 2011.
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servir en fonction de celle-ci
»238. De cette disposition, il ressort deux
volets de cette obligation : l'interdiction d'exprimer publiquement ses
opinions (A) et l'interdiction de servir en fonction desdites opinions (B).
A-L'interdiction d'exprimer publiquement ses
opinions.
L'interdiction que pose cette disposition du statut
général de la fonction publique, concerne bien évidemment,
l'expression des opinions politiques, philosophiques et religieuses
publiquement. Il convient de préciser ici et maintenant cette
interdiction ne se limite pas à la restriction de la liberté
d'expression des opinions, elle s'étend aux gestes dans certains corps
de la fonction publique mais le statut ne parle pas du type d'opinions
politiques, philosophiques et religieuses. C'est dans ce sens que nous verrons
l'imprécision de la restriction textuelle de l'expression des opinions
(1) avant de parler de la précision jurisprudentielle de la restriction
des opinions (2).
1-L'imprécision de la restriction textuelle de
l'expression des opinions.
Le statut général oblige le fonctionnaire
d'exprimer publiquement ses opinions politiques, philosophiques et religieuses.
Cela signifie sans doute par interprétation négative du texte que
le fonctionnaire est libre d'exprimer de telles opinions en privé. On
peut aussi comprendre par là que le statut interdit l'expression de ces
opinions pendant le service, vu que l'administration est un lieu public, tout
comme dans tout autre lieu public. Toutefois, comme nous l'avons dit, le statut
ne précise pas le type d'opinions politiques, philosophiques et
religieuses prohibées. S'agit-il de toutes les opinions politiques,
philosophiques et religieuses ?
Dans les législations étrangères, on
trouve des éléments de réponses. Au Gabon, tout proche de
nous, le statut général de la fonction publique dispose que :
«Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent public est
également soumis à :... l'obligation de réserve en se
gardant notamment de donner à l'expression de ses opinions une forme
excessive ou insultante à l'égard des collègues, des chefs
hiérarchiques ou des pouvoirs publics
»239.Ce qui revient à dire que le
fonctionnaire ne doit pas tenir des propos mettent du discrédit sur
l'administration. Dans la même lancée, le statut
général de la fonction publique tchadien apparait plus
précis que le statut général camerounais. En effet, son
article18 dispose que : «...le fonctionnaire
est
238 Article 40 du décret n° 94/199 du 07 octobre 1994
portant statut général de la fonction publique de l'Etat
modifié et complété par le décret n° 2000/287
du 12 octobre 2000.
239 Article 43 de Loi n°001/2005 du 4 février 2005,
portant statut général de la fonction publique.
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tenu de servir les intérêts de la
nation avec efficacité, loyauté, dignité,
dévouement et intégrité. Il doit veiller à tout
moment à la protection et à la promotion des
intérêts de la collectivité et éviter tout ce qui
est de nature à ternir l'image de l'administration publique...
»240.
Cette imprécision des textes est telle que même
les statuts spéciaux parlant de l'obligation de réserve ne disent
pas qu'il s'agit de celle-ci. C'est après interprétation qu'on se
rend compte qu'il s'agit de cette obligation. A titre d'exemple, l'article 53
du statut spécial des fonctionnaires de l'administration
pénitentiaire241 dispose en son article 26 alinéa 6
que : « les fonctionnaires de l'Administration
Pénitentiaire doivent en tout temps qu'ils soient en service ou non,
s'abstenir en public de tout acte, geste, parole ou manifestation quelconque de
nature à porter le discrédit sur les institutions nationales, sur
le corps auquel ils appartiennent ou à troubler l'ordre public
». C'est peut-être parce que le juge administratif
avait déjà apporté des précisions que la
réglementation possède des lacunes.
2-La précision jurisprudentielle de la restriction
des opinions.
Fort heureusement, le juge administratif a
remédié à cette lacune des textes dans la retentissante
jurisprudence Ateba Victor242. En effet, ce n'est que dans cette
jurisprudence que le sens exact des attitudes et déclarations
prohibées se déclinera. On peut en effet y lire que :
« l'obligation de réserve qui ne se confond pas avec
l'obligation de discrétion professionnelle, se confond avec l'exigence
d'un comportement qui ne soit pas à même de jeter le
discrédit sur la fonction publique ; que de façon plus exigeante,
l'obligation de réserve vient sanctionner des attitudes ou des
déclarations du fonctionnaire excessivement critiques à
l'égard de lui-même ou du service ». Etendons
par discrédit ici, la perte d'une estime acquise.
Autre exemple d'explication de la jurisprudence, l'affaire
Mama Eloundou243. En effet, le Sieur Mama Eloundou a, dans le
n° 32 en date du 26 novembre 1956 du quotidien KAMERUN MON PAYS, organe
progressiste d'information paraissant à Douala, publié l'article
suivant : « Il faut nous entendre de façon solennelle.
On a trop hésité. On a trop travaillé dans
l'obscurité. Ce n'est pas là le remède du mal. Que ne
serviraient or, argent,
240 Loi 01-017 2001-12-31 PR portant statut général
de la fonction publique.
241 Décret n°2020/365 du 29 novembre 2010 portant
statut spécial du corps des fonctionnaires de l'Administration
Pénitentiaire.
242 Jugement n° 99/82-83 du 29 septembre 1983, ATEBA Victor
c/ Etat du Cameroun.
243 Arrêt n°674/CCA. , du 13 décembre 1957 Mama
Eloundou Engelbert c/ Etat du Cameroun.
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canon, bombe atomique et ces policiers au
garde-à-vous chaque matin si au milieu de ces forêts denses qui
m'ont vu naître, personne ne peut dire exactement ce à quoi il
pense. Et bien, j'en suis à bout. Que les français comprennent
que leurs comportements vis-à-vis de ceux qui sont fiers d'être ce
qu'ils sont, mènent chaque jour à des conflits. Je me prononce,
bien que policier pour mon pays. Car, pour ma part, mon pays reculant toujours
derrière ses libertés, les manoeuvres françaises
s'épuiseront à le poursuivre, l'organe international fera le
reste. En terminant, je lance un vibrant appel à tous les compatriotes,
à quelques professions qu'ils appartiennent, de se souvenir des nuits
d'octobre où les nobles et seigneurs français de 1790 ont
été les premiers à supprimer leurs privilèges, pour
se joindre au peuple qui souffrait ». Le juge estima ainsi
que le Sieur Mama Eloundou, inspecteur de police, a manqué au devoir de
réserve en publiant cet article, au motif qu'en sa qualité de
policier, il doit s'interdire, même en dehors du service et à
l'occasion d'une campagne électorale de tenir publiquement des propos
excessifs pouvant être interprétés comme un appel à
la rébellion ou comme une critique de l'action de leur service, propos
de nature à jeter le trouble dans les esprits et le discrédit sur
le corps auquel il appartient244. L'autre volet de la consistance de
cette obligation réside dans l'interdiction de servir en fonction de ses
opinions.
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