PARAGRAPHE II : LE DEVOIR DE DESOBEISSANCE.
Le devoir d'obéissance cité
précédemment, s'accompagne d'un devoir de
désobéissance énoncé dans le même article.
Face à « un ordre manifestement illégal et de nature
à compromettre gravement l'intérêt public », un
fonctionnaire a le devoir de désobéir. Il est important de bien
peser chacun des mots qui énoncent ce principe et de ne pas le prendre
à la légère car tout fonctionnaire est responsable de la
tâche qui lui est confiée. Un refus de désobéir dans
un cas nécessaire engage sa responsabilité ; un refus
d'obéir en l'absence d'ordre manifestement illégal et de nature
à compromettre gravement l'intérêt public engage de
même sa responsabilité. Pour mieux appréhender le devoir de
désobéissance, nous parlerons des motifs du devoir de
désobéissance (A) avant de nous intéresser à la
cause subjective du devoir de désobéissance (B).
A-Les motifs du devoir de
désobéissance.
La désobéissance constitue comme nous l'avons
précédemment dit une violation de l'obligation
d'obéissance hiérarchique qui s'impose au fonctionnaire et ce
dernier encourt des sanctions disciplinaires, ou des retenues sur le
traitement, s'il s'agit d'un fonctionnaire français. Ainsi pour ne pas
s'exposer à de telles conséquences qui seraient néfastes
pour le fonctionnaire, ce dernier doit avoir des motifs de
désobéissance qui l'exonèrent de ses
responsabilités et qui sont acceptées par le juge. Nous
retiendrons deux motifs du devoir de désobéissance : l'ordre
manifestement illégal(1) et le droit de retrait des fonctionnaires
(2).
1-Le devoir de désobéissance pour ordre
manifestement illégal.
La plupart, pour ne pas dire toutes les réglementations
francophones en matière de droit de la fonction publique s'accordent
là-dessus, le fonctionnaire ne doit pas obéir à un ordre
illégal. Le statut général de la fonction publique
prévoit cette exception à l'obligation d'obéissance en ces
termes : « toutefois, il a le devoir de refuser
d'exécuter un ordre manifestement illégal et de nature à
compromettre gravement l'intérêt public, sauf réquisition
de l'autorité compétente établie dans les formes et
procédures légales. Dans
225 Décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 portant
statut général de la fonction publique de l'Etat modifié
et complété par le décret n° 2000/287 du 12octobre
2000.
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Les obligations du fonctionnaire en droit de la fonction
publique camerounais
ce cas, sa responsabilité se trouve
dégagée. Il en est de même lorsqu'il a
exécuté des instructions légales et / ou données
sous la forme légale »226. Cette
obligation est très ancienne car elle a été
instituée par le juge administratif français au profit des
fonctionnaires et agents publics depuis 1944227.
En lisant les dispositions du statut et la jurisprudence, tout
parait simple ; en effet, le fonctionnaire doit être très prudent
lorsqu'il désobéit. La question intéressante est celle-ci
: pourquoi a t-il fallu édicter une norme de désobéissance
dans la fonction publique ? D'autant plus que cette norme est difficile
à comprendre donc à mettre en oeuvre : qu'est-ce qu'un ordre
illégal et peut-on juger de sa nature à compromettre le service
public ? Il faut de plus que les deux conditions soient réunies...
Doit-on obéir à un ordre manifestement illégal même
s'il ne gêne pas le déroulement du service public? En fait, il
semble que la volonté du législateur soit plus de secouer la
léthargie du fonctionnaire que de codifier un comportement de
désobéissance. Car cet état de soumission de l'agent
public existe et peut s'exprimer grâce à des notions juridiques et
psychosociologiques.
De plus, l'appréciation de l'illégalité
de l'acte est du ressort du juge. Il peut donc arriver que le subordonné
désobéisse, considérant que l'ordre est illégal
(parce qu'il n'est pas conforme à la loi), mais que le juge ne soit pas
du même avis que lui. De plus, si le fonctionnaire fait partie de la
fonction publique militaire où l'obligation d'obéissance est
très tricte du fait de la discipline, elle-même stricte, tout se
complique encore. A côté de ce devoir de
désobéissance, figure le droit de retrait qui est
également une exception à l'obligation d'obéissance
hiérarchique.
2-Le droit de retrait d'une situation de travail
dangereuse.
Avant toute chose, il convient de faire remarquer que ce droit
ne figure pas le statut général de la fonction publique
camerounais et encore moins dans le statut général de la fonction
publique français. On pourrait le déduire du droit à la
protection que possède le fonctionnaire camerounais (article 25 du
statut général)228. Le droit de retrait est
justifié par la nécessité pour l'agent pour
protéger sa vie d'une situation de travail éminemment.
L'instrument
226 Article 39 alinéa 2 du décret n° 94/199 du
07 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique de
l'Etat modifié et complété par le décret n°
2000/287 du 12octobre 2000.
227 C'est dans un arrêt de 1944 que le Conseil
d'État a affirmé que les agents publics ne sont pas tenus
d'exécuter les instructions qui leur sont données quand elles
sont de toute évidence illégales et compromettent gravement le
fonctionnement du service public : CE Section, 10 novembre 1944, Langneur,
où un agent est révoqué pour avoir obéi à un
ordre du maire visant à permettre à ses agents électoraux
de percevoir indûment des allocations chômage.
228 Article 25 : « l'Etat est tenu d'assurer au
fonctionnaire protection contre les menaces, outrages, violences, voies du
fait, injures ou diffamations dont il peut être victime en raison ou
à l'occasion de l'exercice et des fonctions».
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Les obligations du fonctionnaire en droit de la fonction
publique camerounais
juridique qui le consacre en France est le décret
n° 95/680 du 9 mai 1955 dont l'article 5 alinéa 6 dispose qu'
«aucune sanction ni retenue de salaire ne peut être
prise à l'encontre d'un agent public ou d'un groupe d'agents qui se sont
retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable
de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou
la santé de chacun d'eux ». Au regard des conditions
exigées, il n'est pas sûr que le droit de retrait exercé
par des enseignants à la suite d'une agression d'un collègue,
soit légal. Cet « abus de droit de retrait » pose toutefois un
problème que le droit ne peut résoudre.
Le droit de retrait est logiquement refusé à
certains fonctionnaires assurant des missions de sécurité des
biens et des personnes qui mettent précisément leur vie en danger
en accomplissant, dans des conditions souvent périlleuses, leur
fonction. On imagine mal des fonctionnaires du RAID ou du GIGN exercer le droit
de retrait lors d'une prise d'otage ou encore d'un policier d'une brigade
anti-criminalité refuser de constater un flagrant délit en
arguant du caractère dangereux d'une telle mission. La seule limite
à l'exercice du droit de retrait est la création pour autrui
d'une nouvelle situation de danger grave et imminent résultant,
précisément, d'un retrait intempestif du fonctionnaire au poste
de travail. En dehors des raisons objectives de désobéissance
à l'ordre du supérieur, il y a une cause subjective incitant
à la désobéissance.
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