B -Les implications de l'obligation de
désintéressement.
Le désintéressement qui est recommandé au
fonctionnaire, suppose le détachement de tout intérêt. Tout
agent de la fonction publique doit garder une certaine dignité, c'est
à dire le respect de soi, par un comportement correct, dans tous les
rapports avec les usagers, les supérieurs hiérarchiques, les
collègues de service et les subordonnés. L'agent est tenu
d'éviter toute expression indigne. Ce comportement général
va jusqu'à l'habillement. Ainsi, l'agent de la fonction publique doit
être désintéressé. Il lui est interdit de prendre ou
recevoir quelque intérêt que ce soit dans les actes ou entreprises
dont il a l'administration ou le contrôle. La loi sanctionne
sévèrement le délit d'ingérence112 et
les faits contraires à la probité et à l'honneur. L'agent
est donc tenu à une obligation de moralité. Dans cette mouvance
de comportement éthique, l'obligation de désintéressement
implique donc que le fonctionnaire n'obtienne pas de
111 Conseil Etat, 3 juin 1994, centre de cure médicale de
pignelin.
112 L'article L 432-13 sanctionne la violation constitutive du
délit de prise illégale d'intérêts (délit
d'ingérence dans l'ancien code pénal français)
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publique camerounais
gains privé dans l'exercice de ses fonctions (1) et
qu'il n'utilise pas l'argent public à des fins personnelles (2).
1-L'interdiction d'obtenir des gains
privés
L'obligation de désintéressement implique une
interdiction d'obtenir des gains privés. En fait, cette interdiction
concerne des gains ou des avantages que le fonctionnaire serait amené
à solliciter de la part des particuliers pour accomplir ou s'abstenir
d'accomplir un acte de sa fonction. Le statut général de la
fonction publique camerounais ne prévoit pas cette interdiction
d'obtenir des gains privés. Cela ne signifie pas pour autant que le
droit camerounais ne réprime pas les fonctionnaires qui seraient auteurs
de ces actes car le code pénal camerounais qualifie cette pratique de
« corruption ». Pour être plus clair, l'article 134 du
code pénal camerounais113 dispose que : «
(1) Est puni d'un emprisonnement de cinq à dix ans et d'une amende de
200.000 à 2.000.000 de francs, tout fonctionnaire ou agent public qui,
pour lui-même ou pour un tiers, sollicite, agrée ou reçoit
des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s'abstenir de faire
ou ajourner un acte de sa fonction. (2) L'emprisonnement est de 1 à 5
ans et l'amende de 100.000 à 1.000.000 de francs si l'acte n'entrait pas
dans les attributions de la personne corrompue, mais a été
cependant facilité par sa fonction. (3) Est puni des peines
prévues à l'alinéa 2 précédent, tout
fonctionnaire ou agent public qui sollicite ou accepte une rétribution
en espèce ou en nature pour lui-même ou pour un tiers, en
rémunération d'un acte déjà accompli ou une
abstention passée. ».
Dans une publication parue dans la revue juridis
périodique n° 75, juillet /Aout 2008, le professeur Bernard
Raymond Guimdo fait remarquer dans l'articulation consacrée à
la prévention de la corruption pendant la carrière du
fonctionnaire que « si le fonctionnaire a des droits,
il a aussi des obligations, qui en sont la contrepartie. C'est ainsi qu'entre
autres obligations, il est tenu de se consacrer au service à lui
confié « en toutes circonstances avec diligence,
probité, respect de la chose publique et sens de responsabilité
»et avec « désintéressement
». Il est donc tenu à une obligation de
moralité ; autrement dit à une obligation de
bonnes moeurs ».114
En droit étranger, cette interdiction d'obtenir des
gains privés qu'implique l'obligation de désintéressement
figure dans le statut général de la fonction publique. C'est le
cas au Gabon où
113 Loi n°67-LF-1 du 12 juin 1967. Dans le cas de la
corruption, il a été greffé la loi n° 77-23 du 6
décembre
1977 au code pénal. Pour l'explication, dans le but
camerounais d'unification du droit, le législateur camerounais a
regroupé tous les textes en matière pénale pour former le
code pénal camerounais.
114Guimdo Dongmo (B.R), « la corruption dans
le droit de la fonction publique : le cas du Cameroun, juridis
périodique n°75, P61.
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le statut général des fonctionnaires dispose en
son article 44 qu' « Il est interdit à tout agent
public : - de solliciter ou de recevoir, directement ou par personne
interposée, en raison de ses fonctions, des dons, promesses,
gratifications ou avantages quelconque afin d'accomplir ou de s'abstenir
d'accomplir un acte de sa fonction; - d'avoir des activités de nature
à compromettre son indépendance ou à réduire son
rendement professionnel; - de tenir des propos, de se livrer à des actes
ou comportements contraires à l'éthique ou de nature à
perturber le fonctionnement du service »115. De
même, le statut général de la fonction publique
sénégalais dispose également en son article 10 que :
« il est interdit, à tout fonctionnaire, de solliciter
ou d'accepter, en échange de l'exécution du service, soit
directement, soit indirectement, soit par personne interposée, des
usagers du service public, des dons ou prêts, en nature ou en
espèce, des services gratuits ou à tarif minoré, ou
quelque avantage que ce soit »116. En plus de
l'interdiction d'obtenir des gains privés, l'obligation de
désintéressement implique également l'interdiction
d'utiliser l'argent public à des fins personnelles
2-L'interdiction d'utiliser l'argent public à
des fins personnelles
L'obligation de désintéressement a d'abord pour
but de préserver les intérêts de l'administration. C'est
pour cette raison qu'elle implique que le fonctionnaire n'utilise pas les
deniers publics dans son intérêt ou à des fins
personnelles. Il s'agit d'une exigence de moralité d'une très
grande valeur. C'est dans ce sens que Daniel-Rops affirme qu'«
un homme n'est pleinement affirmé que dans un certain
désintéressement. Ce mot s'entend de façons diverses :
mais il ne s'agit pas de démissionner du monde et de s'abriter dans la
trop célèbre tour d'ivoire. De celui qui tend trop avidement vers
les biens de ce monde des doigts crochus, la langue populaire dit qu'il est
intéressé : c'est le désintéressement, le contraire
de cet intérêt, qui est vraiment une haute valeur de l'homme
»117.Là encore l'objectif est double :
protéger l'agent public des différents pouvoirs susceptibles de
s'exercer sur lui et l'empêcher d'abuser des prérogatives qui lui
sont confiées. L'agent public ne saurait mettre en contradiction son
intérêt personnel et celui de la collectivité qu'il
sert118. L'obligation de désintéressement, composante
du devoir de probité, exclut en premier lieu l'utilisation des moyens du
service à des fins privées, mais ouvre surtout le vaste champ de
la corruption : elle se traduit par de
115Loi N°001/2005 du 4 février 2005,
portant Statut Général de la Fonction Publique au Gabon
116 Loi n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut
général des fonctionnaires.
Réactualisée version 2005.
117Daniel-Rops, Ce qui meurt..., v, p. 183.
118Principe exposé dans un avis du Conseil
d'Etat du 17 février 1954.
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nombreux délits assortis de lourdes sanctions
pénales visant tout autant l'agent public que celui qui tenterait de le
corrompre119
Dans le même sens, le code pénal camerounais
condamne le détournement des fonds publics. C'est dans cette logique que
l'article 184 dispose que « (1) Quiconque par quelque moyen
que ce soit obtient ou retient frauduleusement quelque bien que ce soit,
mobilier ou immobilier, appartenant, destiné ou confié à
l'Etat fédéral ou fédéré, à une
coopérative, collectivité ou établissement, ou publics ou
soumis à la tutelle administrative de l'Etat ou dont l'Etat
détient directement ou indirectement la majorité du capital, est
puni : a) Au cas où la valeur de ces biens excède 500.000 francs,
d'un emprisonnement à vie ; b) Au cas où cette valeur est
supérieure à 100.000 francs et inférieure ou égale
à 500.000 francs, d'un emprisonnement de quinze à vingt ans ; c)
Au cas où cette valeur est égale ou inférieure à
100.000 francs, d'un emprisonnement de cinq à dix ans et d'une amende de
50.000 à 500.000 francs. (2) Les peines édictées ci-dessus
ne peuvent être réduites par admission de circonstances
atténuantes respectivement au-dessous de dix, cinq ou de deux ans et le
sursis ne peut en aucun cas être accordé. (3) Dans les cas
prévus à l'article 87 (2) du présent Code le minimum de la
peine est respectivement de cinq ans, de deux ans et d'un an et le sursis ne
peut être accordé sauf excuse atténuante de
minorité. (4) La confiscation prévue par l'article 35 du
présent code est obligatoirement prononcée ainsi que les
déchéances de l'article 30 pendant cinq ans au moins et dix ans
au plus. (5) La publication de la décision doit être
ordonnée. (6) Le présent article n'est pas applicable aux
détournements et recels d'effets militaires visés aux codes de
justice militaire ». Il apparait donc que cette interdiction
ne concerne pas seulement l'argent public mais également tous les biens
publics meubles et immeubles.
En définitive, les obligations de solidarité
dans l'éthique du corps visent à faire du fonctionnaire un homme
honnête sur qui, non seulement l'administration peut compter mais
également les administrés. Le fonctionnaire doit être un
exemple de moralité comme l'a formulé le juge dans l'affaire
Mikoma Albert c/ Administration du territoire120
sous le motif « qu'en effet, un fonctionnaire se doit de
garder en toutes circonstances un comportement digne et honorable être un
exemple pour tous ses concitoyens ». C'est ainsi qu'il ne
peut solliciter des
119 Ensemble de délits énumérés
dans le nouveau code pénal français (art. 432-10 et suivants) :
concussion, corruption
passive et trafic d'influence, prise illégale
d'intérêt, délit d'ingérence, atteintes à la
liberté d'accès et à l'égalité des candidats
dans les marchés publics et les délégations de service
public, la soustraction ou le détournement de biens.
Particulièrement lourdes, les sanctions pénales peuvent de
surcroît être complétées par des sanctions
disciplinaires
120 Arrêt n°263/ CCA du 27 novembre 1953
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avantages des personnes privées, qu'il ne peut abuser
de sa qualité. Il doit servir avec désintéressement afin
de servir l'intérêt de l'administration. De plus, il doit
respecter les obligations de la discipline du corps.
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LES OBLIGATIONS DE SOLIDARITE DANS LA DISCIPLINE DU
CORPS
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