L'INTERDICTION D'AVOIR DES INTERETS.
L'obligation de désintéressement est une
obligation de solidarité dans l'éthique du corps qui interdit au
fonctionnaire d'avoir des intérêts dans des entreprises qui sont
sous le contrôle du corps auquel il appartient , ceci afin
d'éviter toute irrégularité dans l'exercice de ses
fonctions. Cette obligation est la jonction entre l'obligation de consacrer
exclusivement aux fonctions, l'obligation de moralité du non-cumul
d'activités. C'est pour cette raison que nous allons nous appesantir sur
le secteur concerné par l'interdiction(A) et sur les personnes
visées par l'interdiction(B).
A-Le secteur concerné par l'interdiction
Comme toute prohibition, l'obligation de
désintéressement n'est pas totale. C''est ainsi que le droit en
vigueur délimite le domaine de l'interdiction. Il s'agit des entreprises
qui sont sous le contrôle du corps dont appartient le fonctionnaire. Le
décret limite l'interdiction aux entreprises ou dans un secteur soumis
à son contrôle direct ou en relation avec lui(1) et cela quelle
que soit sa position statutaire(2).
1-les entreprises sous le contrôle ou en
relation avec le fonctionnaire.
L'obligation de désintéressement du
fonctionnaire touche toutes les entreprises qui sont non seulement sous son
contrôle direct mais également celles qui sont en relation avec
lui, c'est-à-dire en relation avec l'administration à laquelle il
appartient. Ce qui signifie a contrario que le fonctionnaire peut
avoir des intérêts dans tout autre secteur ou entreprises,
à la seule condition qu'elle ne soit pas sous son contrôle direct
ou en relation avec lui dans ses tâches administratives. Cette
interdiction faite au fonctionnaire d'avoir des intérêts dans les
entreprises de son secteur ou sous son contrôle direct permet de lier les
mains du fonctionnaire dans la mesure où il ne peut commettre une
violation du droit en vigueur afin de préserver ses
intérêts privés.
Cette obligation a beaucoup d'affinités avec
l'obligation de bonne gestion qui prescrit une séparation de
l'ordonnateur et du comptable, car elle permet de préserver les
intérêts de l'administration. Elle est conforme à la maxime
latine: « aliquis non debet esse judex in
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Les obligations du fonctionnaire en droit de la fonction
publique camerounais
propria causa, quia non potest esse judex et pars
» qui signifie : « personne ne doit
être juge de sa propre cause, parce qu'on ne peut être juge et
partie. ». Cela est d'autant plus vrai que si un
fonctionnaire était amené à contrôler une entreprise
où il a des intérêts, il serait quasiment impossible qu'il
dénonce des irrégularités s'il en trouvait quelques-unes
car il serait amené à juger ses propres intérêts.
C'est à titre préventif que le code pénal
camerounais 91prévoit des sanctions en cas de prise
d'intérêt. Ainsi, l'article 135 du code pénal camerounais
dispose qu' : « (1) Est puni d'un emprisonnement d'un à
cinq ans et d'une amende de 200.000 à 2.000.000 de francs, tout
fonctionnaire ou agent public qui, directement ou indirectement, prend ou
reçoit un intérêt : a) dans les actes ou adjudications
soumis à son avis ou dont il avait la surveillance, le contrôle,
l'administration ou la passation ; b) dans les entreprises privées, les
coopératives, les sociétés d'économie mixte ou
participation financière de l'Etat, les régies, les concessions
soumises à sa surveillance ou à son contrôle ; c) dans les
marchés ou contrats passés au nom de l'Etat ou d'une
collectivité publique, avec une personne physique ou morale ; d) dans
une affaire pour laquelle il est chargé d'ordonnancer le paiement ou
d'opérer la liquidation. (2) Les dispositions du présent article
sont applicables aux anciens fonctionnaires tels que définis à
l'article 131 du présent Code qui, dans les cinq ans à compter de
la cessation de leurs fonctions par suite de démission, destitution,
congé, mise en disponibilité ou à la retraite, ou pour
tout autre cause, prennent un intérêt quelconque dans les actes,
opérations ou entreprises susvisées et précédemment
soumis à leur surveillance, contrôle, administration ou dont ils
assuraient le paiement ou la liquidation » Cette obligation
de solidarité dans l'éthique du corps n'est pas une
particularité camerounaise ; on la retrouve dans la
quasi-totalité des Etats francophones.
En Afrique francophone pour commencer, la plupart des statuts
de la fonction publique reprennent presque mots pour mots la législation
française en matière de fonction publique ; et ce, que l'on soit
en Afrique de l'ouest ou en Afrique centrale. A titre d'illustration, en
Afrique de l'ouest, si l'on s'intéresse aux statuts de la fonction
publique du Sénégal92, du Mali93 , la
Côte d'ivoire 94et la Guinée95 pour citer
que ces quatre exemples formulent cette obligation dans le but de
protéger les intérêts de l'administration. Il en est de
même pour les états d'Afrique
91 Loi n°67-LF-1 du 12 juin 1967
92 Article 10 de Loi n°61-33 du 15 juin 1961
relative au statut général des fonctionnaires au
Sénégal. Réactualisée version 2005.
93 Article 11 de la Loi n°02-053 DU 16
décembre 2002 portant statut général des fonctionnaires au
Mali
94 Article 24 de la Loi n° 92-570 du 11 septembre
1992 portant statut général de la Fonction Publique en Côte
d'ivoire
95 Article 22 de Loi L 2001 028 du 31 décembre
2001 portant statut général des fonctionnaires en
Guinée.
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publique camerounais
centrale qui dans le même objectif de protéger
l'administration des violations de ses agents, formulent cette obligation
préventive qui limite l'action de ses agents.
En France, pour finir, la loi portant droits et obligations
des fonctionnaires96 prévoyait déjà que sauf
dérogation, le fonctionnaire ne peut prendre, par lui-même ou par
personne interposée, dans une entreprise soumise au contrôle de
l'administration à laquelle il appartient ou avec laquelle il est en
relation, des intérêts de nature à compromettre son
indépendance. Il convient tout de même de noter, dans un devoir de
mémoire que : bien avant la loi portant droits et obligations des
fonctionnaires, l'obligation de désintéressement figurait
déjà dans l'ordonnance de 1302 de Philippe le Bel. De même,
l'article 25-I, du titre premier la loi du 2 février 200797
dispose que les fonctionnaires ne peuvent prendre « par
eux-mêmes ou par personne interposée, dans une entreprise soumise
au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent ou en
relation avec cette dernière, des intérêts de nature
à compromettre leur indépendance ».
L'arrêt CE, 1996, Sté Lambda98 étend
l'obligation à toutes les positions statutaires de la fonction publique,
l'obligation de désintéressement étant auparavant mal
respectée dans la haute fonction publique, annulant un décret
présidentiel nommant un inspecteur des finances en détachement au
poste de sous-gouverneur du Crédit foncier de France. Ce qui signifie
que cette obligation continue quelle que soit la position statutaire du
fonctionnaire.
2-L'obligation de désintéressement et la
position statutaire du fonctionnaire
Avant de parler de la relation entre l'obligation de
désintéressement et la position statutaire, il convient de
préciser ce qu'on entend par position statutaire. En effet, l'article 50
du statut général de la fonction publique
camerounais99 définit la position statutaire du fonctionnaire
en ces termes : « (1) La position du fonctionnaire
décrit sa situation administrative précise à un moment
donné de sa carrière par rapport à un poste de travail.
(2) Le fonctionnaire est placé dans l'une des positions suivantes : -
l'activité ; - le détachement ; - la disponibilité.(3) Le
fonctionnaire stagiaire ne peut être placé qu'en position
d'activité. Toutefois, il peut être détaché pour
exercer des fonctions publiques électives ou de membre du gouvernement.
». Il convient, ici et maintenant de préciser que, de
ces trois positions, seules la deuxième et la troisième,
c'est-à-dire le détachement et la
96 Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits
et devoirs des fonctionnaires en France.
97 Loi du 2 février 2007 portant modernisation
de la fonction publique.
98 C.E. 6 décembre 1996 société
Lambda
99 Décret n° 94/199 du 07 octobre 1994
portant Statut Général de la Fonction Publique de l'Etat
modifié et complété par le décret n° 2000/287
du 12octobre 2000
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publique camerounais
disponibilité feront l'objet de notre étude de
par leur apport jurisprudentiel sur l'obligation de
désintéressement.
En tant qu'obligation de solidarité dans
l'éthique du corps, l'obligation de désintéressement pose
problème face aux positions de détachement et de
disponibilité car dans ces positions statutaires, le fonctionnaire est
placé hors de son corps. C'est dans la nécessité
d'apporter une réponse à ce problème, qu'il convient de
définir d'abord les positions de détachement et de
disponibilité. Le statut général de la fonction publique
camerounais100 définit le détachement en son article
70 comme : « la position du fonctionnaire placé
temporairement hors de son poste de travail pour servir auprès : - d'une
institution publique prévue par la Constitution, la loi ou par un acte
réglementaire ; - des collectivités publiques locales ou des
entreprises, organismes publics ou parapublics ; - des entreprises
privées nationales ; - des organismes privés
d'intérêt général ou de caractère associatif
assurant des missions d'intérêt général. ; - des
organisations internationales ou des organisations non gouvernementales. (2) Le
fonctionnaire peut également être détaché d'office
pour exercer les fonctions de membre du gouvernement, des fonctions publiques
électives ou un mandat syndical.». Selon le
Professeur Joseph Owona101 , la position de détachement reste
différente de la position « hors cadre »de la
fonction publique française où le fonctionnaire est totalement
assujetti aux règles de son nouveau corps. Cela se justifie par le fait
que le fonctionnaire en détachement est certes placé hors de son
corps, toutefois il continue de bénéficier du droit à
l'avancement et à la pension de retraite de son corps d'origine ; on
constate donc une sorte de double dépendance du fonctionnaire en
détachement.
Quant à la position de disponibilité, elle est
définie par le statut général de la fonction publique en
son article 81 « - (1) La disponibilité est la position
du fonctionnaire qui, placé temporairement hors de son cadre, cesse de
bénéficier pour la durée de cette position, de ses droits
à la rémunération, à l'avancement et à
pension. (2) La disponibilité est prononcée par
arrêté du Ministre en charge de l'Administration d'origine du
fonctionnaire concerné. Le Ministre chargé de la Fonction
Publique et cas échéant, le Ministre utilisateur en sont
informés. (3) Par dérogation aux dispositions du (2)
précédent, la disponibilité des fonctionnaires appartenant
au corps de l'Administration générale est prononcé par
arrêté du Ministre chargé de la fonction publique,
après avis du Ministre utilisateur ». Le
fonctionnaire mis en disponibilité n'étant pas en
activité, il apparait qu'il ne
100 Décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 portant
Statut Général de la Fonction Publique de l'Etat modifié
et complété par le décret n° 2000/287 du 12octobre
2000.
101Owona (J), Droit de la fonction publique
camerounaise, l'Harmattan, 2011.
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peut avoir de pouvoir de contrôle ; c'est pourquoi nous
allons nous intéresser uniquement à la position de
détachement.
Pour répondre à notre interrogation sur
l'influence de la position statutaire sur l'obligation de
désintéressement, il convient de dire que même en position
de détachement, cette obligation subsiste. Dans un
arrêt102 qui a eu un certain retentissement et qui a
provoqué l'émoi dans la haute fonction publique, le Conseil
d'Etat a conféré une portée relativement large à
l'obligation de désintéressement en précisant que celle-ci
s'imposait au fonctionnaire quelle que soit sa position statutaire. En
l'espèce, et pour la première fois, le juge administratif
suprême a annulé le décret pris par le président de
la république, nommant M. Beauffret, inspecteur des finances, au poste
de sous-gouverneur du Crédit foncier France (société
anonyme dont le capital est détenu à hauteur de 80% par des
investisseurs privés). En effet, pour le Conseil d'Etat, ce
fonctionnaire en détachement, ne pouvait pas être nommé
à ce poste dans la mesure où ses fonctions de chef du service des
affaires monétaires et financières à la direction du
Trésor l'ont amené à exercer un contrôle direct sur
l'entreprise concernée. Il en résulte que sa nomination le place
dans une position illégale au regard de l'obligation de
désintéressement.
L'arrêt Lambda n'est pas sans précédent.
En 1969 déjà, le Conseil d'Etat avait annulé
l'arrêté interministériel nommant un inspecteur d'une
direction régionale de sécurité sociale directeur d'une
caisse primaire sur laquelle il avait exercé un contrôle direct.
Toutefois, la solution consacrée en 1996 revêt une ampleur sans
commune mesure avec l'arrêt de 1969 puisque le Conseil d'Etat, qui a
statué uniquement sur le terrain de la légalité (M.
Beauffret n'avait pas commis le délit de prise illégale de
d'intérêts et son intégrité personnelle
n'était pas en cause), a créé du droit en adoptant une
position de principe sur les conditions de légalité du «
pantouflage ». La Cour administrative de Nantes a appliqué la
logique de l'arrêt Lambda dans la fonction publique territoriale en
jugeant illégal le détachement projeté du Directeur
général des services techniques d'une commune dans une
Société Anonyme (S.A.) au motif que l'intéressé
était « amené à émettre des avis sur les
autorisations d'urbanisme accordées par le maire et à
contrôler le respect des prescriptions par de telles autorisations
».Il devient donc un truisme que l'obligation de
désintéressement reste opposable au fonctionnaire même si
ce dernier est en détachement dans l'institution en question ; et
surtout d'après la jurisprudence française, il ne peut avoir
détachement régulier si le fonctionnaire dans son corps de
provenance avait un contrôle sur l'entreprise où il est en
détachement ; ce d'autant plus que l'alinéa 2 de l'article9 du
statut général de la fonction publique
sénégalais103 dispose que : «
Tout
102 C.E. ass. 6 décembre 1996, société
Lambda, ibid.
103 Loi n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut
général des fonctionnaires au Sénégal.
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Les obligations du fonctionnaire en droit de la fonction
publique camerounais
fonctionnaire en activité, en
détachement ou dans une position assimilée qui contrevient
à l'interdiction visée à l'alinéa
précédent, est passible de révocation après
consultation du conseil de discipline. ». Une fois que nous
connaissons les entreprises ou le secteur touché par l'interdiction, il
nous revient nous intéresser aux personnes touchées par
l'interdiction.
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