B-L'IMPACT SOCIOCULTUREL DE LA DEFORESTATION
Ces effets de la déforestation sur le plan
socioculturel touchent aujourd'hui certaines populations de l'Est et de la
région de l'Océan.
1- Les populations de l'Est désarticulées
par la déforestation
En ce jour, ces communautés sont en train de perdre
leur source de biens et de services. Les grands arbres de leur forêt sont
abattus tous les jours. Et dans les villages, on ressent déjà
petit à petit cet impact. Il se traduit par la rareté des fruits
sauvages, les chenilles, les escargots ; etc. Ce qui porte un coup dure
à la ressource alimentaire forestière au Cameroun. La forêt
commence même à manquer pour l'agriculture de subsistance. La
preuve est qu'aujourd'hui, les populations de Madjoué font des longues
distances avant de trouver des parcelles cultivables0. Les espaces
forestiers disparaissent à un rythme plus rapide sans tenir compte des
générations futures. Phénomène qui est à
l'origine des conflits sociaux. Par exemple, le principe de délimitation
des zones agricoles et de chasse engagée par le WWF et mise en
application par le Ministère des forêts et de la faune camerounais
avait suscité en 2008 à Zoulabot-ancien, Maléa-ancien et
Ngatto-ancien, une vive contestation de la part des habitants de ces villages.
En effet, ces populations reprochaient au gouvernement et au WWF d'avoir
délimiter la forêt pour protéger les parcs nationaux de
Boumba-Bek et de Nki, sans tenir compte de leur forêt d'exploitation
agricole0. Les industries forestières d'une part et les
populations autochtones d'autre part se battent comme elles peuvent pour
survivre et faire entendre leur voix. Dans le village de Nomedjoh, les
exploitants sont même venus en 2000 couper des vieux moabi, pourtant
situés dans les champs et les cacaoyers des villageois. En 2002, environ
300 moabis ont été coupés à moins de deux
kilomètres du village de Bapilé0. Ceci entrave la
bonne exécution de la médecine traditionnelle et met en danger la
survie des populations concernées.
Pour Filip Verbelen, sur le plan social, l'installation d'une
société d'exploitation forestière n'entraine pas forcement
un développement durable dans la région. Elle est plutôt
0 Entretien avec Pkama théophile, 60 ans environ, paysan,
Madjoué, 14 novembre 2010.
0 Louis Defo and Olivier Njounan Tegomo, `'Ingenous people's
participation in mapping of traditional forest resources for sustainable
livelihoods and great ape conservation», rapport d'exécution du
projet WWF jengi south East forest programme, September, 2008, p.7.
0 Deravin, `'Projet Coeur de Forêt Cameroun», 2010,
p.10.
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un facteur de problèmes sociaux0. Les
exploitants forestiers ne respectent pas les valeurs traditionnelles que les
populations locales accordent à certaines essences. Par exemple le moabi
et le bubinga sont très utiles pour les populations riveraines. Soit
pour les rites traditionnels, soit pour le prélèvement des
médicaments ou encore pour l'alimentation0.
Aujourd'hui dans la région de l'Est, la forêt est
répartie entre plusieurs acteurs, les exploitants forestiers ont la part
du lion et interdisent aux populations qui n'ont qu'une minime partie de
s'approvisionner dans leur zone d'exploitation. Cette situation ne plait pas
aux riverains qui engagent souvent des conflits avec ces
sociétés0. L'exemple est celui du village de
Masséa dans la Boumba et Ngoko où en 2003, les dirigeants de la
CFE de la place ont subi des atrocités venant des populations de ce
village, sur un litige forestier0.
Des exemples comme celui là, on les rencontre partout
où il y a des entreprises qui exploitent le bois. En plus, les
sociétés forestières sont à l'origine des autres
problèmes sociaux liés à leur installation0.
Dans son étude, Filip Verbelen montre qu'elles sont à l'origine
des problèmes de santé, de famine, d'alcoolisme, de la
prostitution et du grand banditisme. S'agissant des problèmes de
santé, les médecins en fonction dans l'Est Cameroun ont
établi en 1999 un lien très net entre l'expansion de l'industrie
du bois et le développement de la prostitution, ainsi que
l'accroissement du taux de prévalence du SIDA0.
L'exploitation industrielle des forêts affecte la tradition des
populations locales ; elle les sèvre de leurs grands arbres, qui
étaient hier, leur source culturelle.
La plus frappante de ces conséquences sociales est la
destruction du milieu de vie des peuples pygmées. Ceux-ci assistent
impuissants à la destruction de leur précieux
environnement0. Ils représentent les couches les plus
vulnérables au Cameroun.
Pour les Pygmées-Bakas (population estimée
à 25 000 et 40 000 hts)0 de l'Est Cameroun, l'exploitation
industrielle des forêts est venue désarticuler leur mode de vie.
Les forêts que l'Etat attribue aux sociétés sont des
forêts permanentes et sont celles dans lesquelles vivent les
Pygmées. Que deviennent ces populations qui d'ici peu se retrouveront
0 Verbelen, `'Exploitation abusive des forêts», 1999,
p. 28.
0 Ibid.
0 Entretien avec André Kallo, 45ans environ, chef du
village Masséa, Masséa 8 novembre 2010.
0 Entretien avec Dieudonné Etom, 35 ans environs, Planteur
originaire de Masséa, Masséa, le 8 novembre 2010.
0 Verbelen, `'Exploitation abusive des forêts», 1999,
p. 29.
0 Ibid.
0 Ibid. P. 30.
0 A K Barume, Etude sur le cadre légal pour la
protection des droits des peuples indigènes et tribaux au
Cameroun, Génève, Organisation
Internationale du Travail, 2005, p. 24.
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sans leur biotope ? Inquiet de cette situation, un
Pygmée de Nomedjoh disait que : `'L'huile de moabi, c'est notre seule
richesse. Nous n'avons plus de moabi. Même les arbres de moins de un
mètre de diamètre sont abattus et rien n'est fait pour la
régénération''0. Pour ces populations,
`'Abattre un moabi en Afrique, c'est comme dévaliser une banque et
détruire une pharmacie''0.
En 1993, dans le district de Mbang (région de l'Est),
un tiers des moabi protégés par les Pygmées depuis
plusieurs siècles a été exploité par la
SFIL0. C'est semblablement ce que vivent les populations de
l'Océan.
2- Les Bulu et les Bagyeli face à la menace des
agro-industries
Dans le département de l'Océan, ce sont
plutôt les agro-industries qui déboisent. L'impact de cette
déforestation entraine les conflits sociaux avec les riverains. Les
communautés de ce département (les Bulu et le Bagyeli) sont en
conflit depuis plusieurs décennies aujourd'hui avec la SOCAPALM et
HEVECAM. Elles prétendent qu'elles ont été chassées
de leurs terres en 1939 par les Français0. Ces derniers ont
brûlé leurs maisons, leurs biens et les tombes des ancêtres
ont été abandonnées, les chefs et les notables ont
été jetés en prison pendant trois semaines0. Il
s'agissait des chefs des tribus Bulu d'Assakotan du village Afan-oveng et des
Yemon de Zingui et de Bifa0. Et en 1973, lors de la création
de ces deux agro-industries par l'Etat, elles se sont vues à nouveau
déguerpir. Ces populations revendiquent haut et fort ces terres
où se trouvent les anciennes tombes, leurs traces0. Dans les
villages de Nko'olong, afa-oveng, Mitzen, Bidou III au bord de la route
Kribi-Adjap où vivent les tribus Assakotan et Yemon toutes Bulu, la
contestation est forte0. En décembre 2005, les villageois
d'Afa-oveng écrivent une lettre au directeur d'HEVECAM pour faire
respecter leurs droits sur toutes les terres de Niété que la
société exploite. En aout 2006, constatant qu'elle est
restée sans réponse, ils écrivent une autre qu'ils
adressent au Ministre de l'économie0.
0 Deravin, `'Projet Coeur de Forêt Cameroun'', 2010, p.
8.
0 Ibid.
0Ibid. p. 10.
0Gerber, `'Résistance contre deux géants
industriels'', 2008, p. 26.
0Ibid. p. 27.
0 Ibid.
0 Ibid. p. 28.
0Ibid.
0 Ibid.p. 27.
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A Mitzen, les villageois ont été invités
de partir. Ils disent qu'en 2003, le chef de district de Niété et
le Directeur de la société d'hévéa leur ont
demandés de déguerpir en avançant que le gouvernement
avait cédé cette parcelle inclus leur village à la
société d'hévéa pour son extension. Restées
indifférentes, ces populations ont vu le 20 décembre 2006,
certains de leurs maisons et leurs champs détruits par les bulldozers de
la société d'hévéa0. Ce qui a
suscité une réaction qui s'est soldé par un affrontement
entre les conducteurs d'engins et ces populations0.
A Bidou III en janvier 2003, un affrontement a opposé
les gens de ce village aux gardes de la SOCAPALM. Le bilan était lourd.
Les blessés graves du coté des gardes et les arrestations chez
les villageois0. Les Bantou ont les droits de revendiquer leurs
terres. Pourtant, ce n'est pas le cas des Bagyeli (population indigène
estimée à 3500 et 40000)0 qui sont les peuples qui
habitaient depuis les siècles la zone où se trouve HEVECAM et
d'autres zones adjacentes0. Leur statu de peuples indigènes
ne leur permet pas d'être mis au même enseigne que les
Bantou0. Donc, cette situation marginale ne leur donne pas les
droits de revendication. Ce peuple déclare avoir été
victime d'une injustice historique grave, celle d'avoir été
dépossédé des droits et libertés sur des terres
qu'il considère avoir hérité des
ancêtres0. Pourtant on peut lire dans la constitution de 1996
du Cameroun que : `'L'etat assure la protection des minorités et
preserve les droits des populations autochtones conformement à la
loi''0. Ces populations se retrouvent prises en sandwiche entre les
agro-industries et la réserve de campo-ma'an.
Le campement Nyamabandé est un exemple de cette
situation. En effet, ce campement bagyeli se retrouve coincé entre la
réserve campo-ma'an et HEVECAM. Cette situation ne leur permet pas de
vivre dans les conditions normales. Ils n'ont aucun espace pour faire la chasse
et la cueillette. Interdits depuis 19950 d'extraire les produits
dans la réserve, ils ont aussi la prohibition de le faire dans la
plantation d'HEVECAM0. En outre, grâce à
0 Ibid. p. 28.
0Ibid. P. 30.
0 Ibid.
0 Barume, Etude sur le cadre légal pour la
protection, 2005, p. 24
0 Ibid.
0 Ibid. p. 38.
0 Barume, Etude sur le cadre légal pour la
protection, 2005, p. 24
0 AAN, `'Constitution camerounaise de 1996'', Titre I.
0 En 1995, les décrets n°-95/531 et 95/466 du
Ministre de forêts et de la faune ont institué l'interdiction
d'extraction de quoi que ce soit dans les zones
protégées.
0 Ibid. p. 38.
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l'intervention des ONG qui travaillent sur le terrain,
certains compromis ont été faits, malgré qu'ils
n'apportent rien0.
Un autre cas d'espèce est le village de Kilombo I
aujourd'hui coincé entre la SOCAPALM et HEVECAM. La situation des
habitants est difficile due à leur isolement et la destruction de leur
forêt. En 2006 selon certains témoignages, la
société de palmiers à huile leur a demandé de
quitter leur lieu de vie forestier contre un dédommagement pour la
destruction de leurs tombes et la construction des maisons modernes pour
céder la place à l'extension de la plantation0. Chose
que les intéressés ont fait, mais les promesses n'ont pas
suivi0. Aujourd'hui, ils vivent dans une zone marécageuse
inondable où pullulent moustiques et maladies. Ils ont les
problèmes de santé dûs à la mauvaise alimentation,
à l'eau contaminée et à l'insalubrité du site dans
lequel ils vivent, qui s'aggrave à cause de la perte de leur
pharmacopée traditionnelle. Le constat est ainsi fait.
Les Bagyeli vivaient bien avant sur leur territoire qui
comprenait ce qui est aujourd'hui d'HEVECAM ainsi que d'autres zones
adjacentes. La forêt n'existe plus et ils sont perçus comme les
intrus sur leur propre territoire, aujourd'hui sous le contrôle de
l'entreprise (...) il en résulte aujourd'hui que c'est un groupe humain
démoralisé, appauvri, mal nourri, exploité et
opprimé, acculé par la plantation et sans avoir nulle part
où aller0.
R. Carrere en 2007 estimait que les Bagyeli ont
été les principales victimes de la venue d'HEVECAM0.
Alors à travers ces deux communautés, nous avons la preuve
concrète que les plantations d'Hévéa et de palmiers
à huile posent d'innombrables problèmes dans la vie de celles-ci.
Nous pensons que les principaux problèmes que posent les plantations
découlent de la disparition d'une grande étendue de forêt
sur laquelle ils vivaient et dont leur mode de vie dépend
entièrement. Leur cas est le plus inquiétant, car en dehors des
forêts elles n'ont plus un autre milieu de vie favorable à leur
épanouissement. Ainsi, un adulte pygmée de Bipindi
révélait que : `' La forêt est tout ce que nous avons. Nous
sommes incapables de survivre en dehors d'elle''0. En conclusion, la
déforestation est une menace pour les populations riveraines ou
autochtones. La disparition des forêts tropicales touche les
populations
0 Cette situation a connu un changement en 2007, grâce
à l'intervention du centre pour l'environnement et le
développement (CED), qui a convaincu les responsables de
campo-ma'an et du WWF d'accorder un droit
d'usage aux Bagyeli. Du côté d'HEVECAM, les adultes
ont droit d'aller chercher les escargots, mais parc celui
de chasser. Les enfants y sont interdits.
0 Gerber, `'Résistance contre deux géants'', p.
39.
0Ibid.
0 Ibid.
0 Ibid.
0 Barume, Etude sur le cadre légal pour la
protection, 2005, p. 24
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riveraines qui sont entre autres les plus pauvres et
tributaires de leur environnement naturel0. Ainsi, pour Ismail
Serageldin :
Jusqu'à une date récente, ce sont les
populations vivant dans des airs géographiquement relativement
circonscrits qui ont subi la plupart des conséquences de la
dégradation de l'environnement. La baisse de la fertilité des
sols à la suite de l'érosion ou du surpâturage, et la
pollution des eaux d'un fleuve ou d'un lac ne touchait que des populations
humaines qui en étaient directement tributaires pour leur
subsistance0.
Au Cameroun, ces populations sont les Bantous
(Konabembé, Maka, Bulu, Eton, Douala, BAkweri ; etc.) et Pygmées
(Baka, Bakola, Bagiyeli) des régions de l'Est, du Sud, du Centre, du
Littoral et du Sud-Ouest qui dépendent plus des faveurs de la
forêt que les autres communautés0. A ces
conséquences socioculturelles de la déforestation s'ajoutent
celles qui sont environnementales.
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