2 - Les besoins industriels
Les industries du secteur bois ont aussi une grande partie de
responsabilité dans la déforestation au Cameroun. Beaucoup
d'études indiquent que l'exploitation forestière afflige
d'énormes dégâts aux forêts. L'exploitation
forestière qui serait une ancienne activité économique
comme l'agriculture, affectait dangereusement les forêts du pays
dès leurs premières heures. Elle est dévastatrice depuis
l'implantation de la société d'exploitation des essences
forestières.
L'installation d'une société forestière
dans une forêt d'exploitation exige l'aménagement d'un site
destiné à l'habitat, d'une scierie si c'est une
société de pointe, et plusieurs parcs à bois. Ces nombreux
espaces exigent de la réquisition de plusieurs hectares de forêts
vierges.
Le site d'habitat est l'endroit où sont
implantés le ou les différents camps où doivent habiter
les ouvriers et les cadres.
Dans son étude sur `'les techniques d'exploitation
à faible impact en forêt dense humide camerounaise'', Luc Durrieu
de Madron pose le problème de l'impact environnemental de l'implantation
du site ou ce qu'il appelle campement d'une société dans une
forêt. Il s'appuie sur l'implantation de la base de la
société forestière et industrielle de Dimako (SFID) dans
la forêt de Dimako. Il dit dont que pour cette implantation, il a fallu
raser 117 hectares pour le campement et le site industriel. Le projet API au
Cameroun concernant les implantations des sociétés partenaires de
la SFID sont du même ordre0.
0 Ibid.
0 L. D. De Madron, E. Forni et al, Les techniques
d'exploitation à faible impact en forêt dense humide
camerounaise, Campus international de Baillargnet, 1998, p. 4.
59
A la SFID de Mbang, 25 hectares de forêt ont
été détruits pour l'exploitation d'un massif de 60 000
hectares. Au Cameroun, Lumet cite un chiffre de 0,03 à 0,1% du couvert
forestier défriché pour la base vie0. Par exemple,
voilà une minime partie du site d'habitat des ouvriers de la
société SFIL de Deng.
Photo n°9 : Le site d'habitat des ouvriers
de la SFIL
![](Dforestation-et-dgradation-de-l-environnement-au-Cameroun-1960-201016.png)
Source : Photo prise par Marcel Songo, le
21 janvier 2007.
La grandeur de ce genre de camp varie selon l'importance de la
société. Autant une société est grande, autant elle
a un ou plusieurs sites plus grands que celui-ci.
Par ailleurs, le site d'une scierie est l'endroit où se
trouvent les machines qui servent au sciage du bois et parfois les structures
bureautiques0. Comme le site d'habitat, son importance dépend
aussi de la grandeur de l'entreprise. La photo suivante illustre mieux cet
endroit.
0 Ibid.
0 De Madron, Forni et al, Les techniques d'exploitation
à faible, 1998, p. 5.
60
Photo n°10 : La Scierie de
la SFIL de Deng
![](Dforestation-et-dgradation-de-l-environnement-au-Cameroun-1960-201017.png)
Source : Photo prise par Marcel Songo le
21 janvier 2007
Contrairement à l'espace réservé pour
l'habitat, l'endroit où est installée la scierie n'est pas
souvent aussi grand en tant que tel. Il est constitué d'un grand hangar
à l'intérieur du quel se trouvent plusieurs machines servant
à scier le bois0. Ce même hangar sert souvent de
dépôt du bois scié. Et dans les alentours, on trouve les
bâtiments de bureaux.
0 Ibid.
61
Les parcs à bois sont des espaces rasés à
l'intérieur des forêts qui servent à parquer le bois rond.
Il existe les parcs destinés au chargement des grumiers et les parcs
à bois destinés à la scierie. Une seule
société peut avoir plusieurs parcs. La création de ceux-ci
entraine toujours le déboisement d'un espace où les billes sont
toujours stockées avant leur transport0. Ils auraient une
superficie moyenne de 1000 m3. Selon une étude menée en
forêt semi-décidue du Sud-Est du Cameroun, ces parcs
représentent 0,3% de la surface exploitée0.
Lumet pense qu'au Cameroun, 2,5 à 5 m2 de parcs par m3
de bois exploité, soit en moyenne 30 hectares pour un chantier
produisant 100 000 m3 de bois0. Quant à Steve, il cite le
chiffre 2000 m2 de surface pour 100 hectares exploités pour les parcs
principaux destinés au chargement des grumiers0. Ces espaces
sont les plus grandes clairières créées par la
société en pleine forêt. Pourtant à
côté d'elles, il y a les routes, et les pistes de
débardage.
Les routes sont des embranchements qui relient les parcs
à la scierie et la société elle-même à la
route publique. Dans la forêt d'exploitation, la société
utilise souvent des centaines de kilomètres de routes pour relier ses
différents sites. Par exemple lors de notre entretien avec Bernard
Ndoumba, celui-ci nous confiait qu'en ce qui concerne la Transformation
Tropicale du Sud (TTS), `'le tronçon qui relie le premier village des
riverains le plus proche à la société est de 15
kilomètres, celui partant du camp des travailleurs à la scierie
mesure 7 kilomètres et la dernière qui part de la scierie
à la forêt s'étend sur 22
kilomètres''0.
Dans les études menées toujours par le projet
API en forêt semi-décidue passant en deuxième ou
troisième exploitation, riche en bois blanc, la largeur moyenne des
pistes principales est de 16,7 mètres, la largeur en moyenne des pistes
secondaires est de 8 mètres, 1,7% de la surface est occupée par
les pistes principales d'après une étude de Mbolo en
19940.
Alors les routes principales et secondaires
représentent en général 1 à 2% de surface
perturbée. Il faut entre 5 et 10 mètres de route par hectare.
Dans ce sens, Laurent et Maître en 1992 déclarent une largeur de
30 à 45 mètres défrichée0. L'image
suivante présente un tronçon de cette route.
0 Ibid. p. 6.
0 Ibid. p. 9.
0 Ibid.
0 Ibid.
0 Entretien avec Bernard Ndoumba, 35 ans environs,
opérateur radio à TTS, Masséa, 06 novembre 2010.
0 De Madron, Forni et al, Les techniques d'exploitation
à faible, 1998, p. 5.
0 Ibid.
62
Photo n° 11: Le tronçon de route
reliant la scierie de TTS à la route publique (22 km)
![](Dforestation-et-dgradation-de-l-environnement-au-Cameroun-1960-201018.png)
Source : Photo prise par Marcel Songo le
18 janvier 2010.
La forêt est parsemée des tronçons de
route de ce genre qui jouent un grand rôle dans le déboisemen.
Kelodjoué affirme que l'ouverture d'une route nécessite le
déboisement le long de celle-ci de deux bandes de forêt larges
d'environ 50 mètres de part et d'autre de la route. Ainsi, la
création d'un kilomètre de route forestière entraine le
déboisement de 10 hectares de forêt0. L'auteur indique
que cette estimation est celle de la route de Ngona-Ngossé construite
par la SABM dont il a personnellement été
témoin0. Un autre exemple vient des études
menées par le projet API (Aménagement pilote
intégré) de Dimako en forêt semi-
0 Kelodjoué, `'l'évolution de l'exploitation
industrielle», 1985, p. 268. 0 Ibid.
63
décidue passant en deuxième exploitation, riche
en bois blanc (exploitation de 0,77% d'arbres à l'hectare soit
10,8m3/hectare), la largeur moyenne des pistes secondaires est de 8
mètres, 1,7% de la surface est occupée par les pistes
principales. En forêt dense sempervirente et semi-décidue, pour
une première exploitation ayant prélevé 0,35 arbres par
hectare, on observe que 1,3% de la surface est occupé par les
pistes0.
Les pistes de débardages sont les ouvertures à
l'intérieur de l'assiette de coupe qui servent à évacuer
la bille abattue par les ouvriers. L'aménagement des routes (layons,
piste de débardage, routes qui relient les parcs aux scieries) est
responsable à 2% de la destruction de la forêt0. Dans
les études menées par le même projet API, 0,5 et 1 tige
à l'hectare (5 à 15 m3/ha), 3% de la surface au sol est couvert
par les pistes de débardage, soit la moitié des
dégâts causés par l'exploitation0.
Hormis l'installation de la société, d'autres
actes de la société pendant l'exploitation contribuent aussi
à la déforestation. Au nombre de ceux-ci, l'on peut citer
l'exploitation anarchique des essences, le gaspillage du bois abattu.
L'exploitation anarchique est l'expression qui désigne
l'abattage des bois en marge de la réglementation. Elle peut se faire
dans les limites d'exploitation ou hors de cette zone. Pour mieux comprendre le
terme limite, il faut d'abord le définir dans son contexte.
Ainsi, Roger Tene parle de limite spatiale et limite
temporelle. Les limites spatiales sont les espaces prévus pour
l'exploitation, clairement définis pendant l'octroi du titre
d'exploitation. Quant à la limite temporelle, elle est le nombre
d'années de validité du titre d'exploitation0.
Dans l'exploitation anarchique à l'intérieur des
limites, il s'agit des fraudes à l'intérieur de la zone
cédée pour l'abattage des bois et dans les délais
prévus dans le contrat d'exploitation. Elles sont quantitatives et
qualitative. Pour ce qui est des fraudes au niveau de la quantité et la
qualité de bois à exploiter, certaines entreprises abattent les
bois au-delà des nombres et les espèces exigés. Pourtant,
dans les années 1970, le nombre d'essences à abattre était
précisé dans le permis. On avait par exemple le permis ordinaire
et le permis spécial. Le permis ordinaire était
délivré pour l'exploitation de 10 essences au
maximum0.
0 Ibid.
0 Verbelen, `'Exploitation abusive des forêts», 1999,
p. 17.
0 De Madron, Forni et al, Les techniques d'exploitation
à faible, 1996, p. 9.
0 Tene, `' aspect juridique de la gestion», 1978, p. 72.
0 Ibid. p.73.
64
Cette fraude n'a pas disparu dans le secteur forestier, car de
nos jours, certaines sociétés continuent d'utiliser ces
méthodes destructrices de la forêt. L'exemple nous vient du
Sud-Ouest du pays où les Malaisiens font une exploitation intensive et
anarchique0. Ainsi, d'après le guide de Ben N'diaye : `'Les
Malaisiens travaillent 24/24 heures, sans se fatiguer. Ils coupaient tout,
même les petits arbres»0. Le cas de la SABM est
identique, car selon Ekomi Amoka, cette société abattait dans la
décennie 1980 les arbres qui ont un sous diamètre
d'abattage0.
Cette fraude est très pratiquée par les
sociétés. Pour ce faire, celles-ci surestiment pendant
l'inventaire le nombre d'essences présentes à l'intérieur
de l'UFA 0. C'est le cas des sociétés Malaisiennes
dans le Sud-ouest. Une autre fraude de même nature est l'entrée du
bois destinés au sciage à l'intérieur de l'usine sans
subir de contrôle. Amoka rapporte que c'étaient les jours
fériés, aux heures de repos ou les jours de dimanche quand le
garde forestier était absent, que les camions de la
société choisissaient d'entrer avec le bois dans
l'usine0.
L'exploitation abusive hors des limites est celle qui va au
delà de la zone d'exploitation. Cette pratique est prisée par les
exploitants de bois. A titre illustratif, la Camerounaise du bois (CAMBOIS)
exploitant à Campo a étendu ses activités hors des limites
de son assiette de coupe plusieurs fois0. Il s'agit là des
fraudes en dehors de limites spatiales. Le tableau suivant apporte des
informations intéressantes sur des infractions en dehors et à
l'intérieur des limites de concession.
Tableau n°5 : Nombre d'infractions
relatives à l'exploitation illégale du bois dans les provinces de
l'Est et du Centre du Cameroun entre 1995 et 1998
Type d'infractions
|
Province de l'Est
|
Province du Centre
|
En dehors des limites de concession
|
9 infractions
|
34 infractions
|
A l'intérieur des limites de concession 24 infractions 24
infractions
|
Total
|
33
|
58
|
Source : Bikié, Collomb. Et al
(eds), Aperçu de la situation de l'exploitation, 2000, p.
46.
0 B. N'diaye, `'Le mirage asiatique», le magazine de
l'écologie et du développement durable, `'filière
bois à
l'aube d'un grand sinistre écologique ?», n° 17,
octobre-décembre 1998, p. 5.
0 Ibid.
0 Ekomi Amoka , `' Exploitation et production du bois »,
2004, p. 95.
0 Ibid. p. 73.
0 Ibid.
0Labrousse, Verschaves, Les pillards de la forêt :
exploitation, 2002, p. 27.
En ce qui concerne les infractions hors des limites
temporelles, il semble qu'entre 1997 et 1998, certaines licences étaient
exploitées hors délais0.
Le constat est clair, l'exploitation illégale est une
pratique exercée par la majorité des exploitants forestiers. A
côté d'elle, on rencontre le gaspillage du bois. Cette pratique
s'observe à travers l'abandon des billes de bois et l'importance des
rebuts lors du sciage par les sociétés. Ce gaspillage cause
préjudice à la survie de la forêt au Cameroun.
Dans les activités forestières, certaines
sociétés abandonnent des billes pour plusieurs raisons. Ceci
arrive souvent dès qu'elles constatent que le tronc est en partie
pourri, d'autres abandonnent les troncs qui tombent dans les terrains
accidentés et pour beaucoup plus pour des raisons qu'on ignore.
Samuel Wafo nous fait constater dans ce sens que toutes les
sociétés concernées par l'exploitation forestière
dans le Sud ne transportent pas la totalité du bois abattu. Il insiste
en présentant un cas d'espèce. Ainsi, il dit que dans le
département de la Mvilla, la SOFAC a abattu en 1997 5970,556 m3 et n'a
transporté que 373,267 m30. Voici ce que Samuel Essono nous
présente sur cet aspect des choses. Il illustre par les images les
billes de bois abandonnés par la SFID de Mbang lors de l'exploitation.
Cette pratique s'accompagne de rebuts importants de bois.
Photo n° 12: Les billes de bois
abandonnées dans la concession de la SFID de Mbang
![](Dforestation-et-dgradation-de-l-environnement-au-Cameroun-1960-201019.png)
65
Sourc e : E. M. S. Essono, `'Etat des
rebuts d'exploitation et de transformation du bois de la SFID de Mbang : enjeux
économiques et impacts sur le processus de certification»,
mémoire de DEES en sciences forestières, Université de
Yaoundé I, 2011, p. 27.
0 Ibid. p. 54.
0 S. Wafo, `'La clairière au détour du
sentier», le magazine de l'écologie et du développement
durable, n° 17, octobre-décembre 1998, p. 5.
L'importance des rebuts pendant le sciage reste une
très grande perte dans l'exploitation durable des forêts. Pourtant
plusieurs sociétés au Cameroun sont championnes dans cette
pratique pour des raisons capitalistes qui ne riment pas avec le
développement durable. La photo ci-après tirée du le
travail de Samuel Essono est assez illustrative. Elle présente un tas de
rebuts de bois de sciage de la même société.
Photo n° 13 : Tas de rebuts provenant du
sciage de la SFID de Mbang
![](Dforestation-et-dgradation-de-l-environnement-au-Cameroun-1960-201020.png)
Source : Essono, `'Etat des rebuts
d'exploitation», 2011, p. 27.
A travers cette image, nous pouvons comprendre l'importance
des rebuts de bois de la SFID et rapprocher cela avec le cas des autres
sociétés. Quand on se penche sur le cas de la SFID, on se rend
compte que les pertes sont énormes. Ce que le tableau suivant nous
révèle.
Tableau n°6 : Evaluation des rebuts de
transformation de la SFID entre 2007 et 2009
66
Années 2007 2008 2009
67
Volumes grumes
|
133 060 m3
|
135 889 m3
|
1250249 m3
|
Volumes débités
|
43 057 m3
|
40 660 m3
|
37 168 m3
|
Volumes rebuts
|
90 003 m3
|
95 229 m3
|
88 082 m3
|
Rendement matière
|
32,24%
|
29,92%
|
29,68%
|
Source : Essono, `' Etat des rebuts
d'exploitation'', 2011, p. 27.
Nous constatons donc qu'à travers l'abandon des billes
et le prélèvement d'une infime partie du bois pendant le sciage,
les sociétés forestières gaspillent assez de produits
ligneux qui peuvent profiter aux autres fins. Alors quand on ajoute à ce
dégât celui causé par l'implantation de la
société, on se rend compte que les industries forestières
sont en partie à l'origine de la déforestation. Ces mêmes
sociétés portent la responsabilité de la
déforestation issue des activités agricoles des villageois ou des
ouvriers en bordure des routes forestières. A cette
responsabilité des sociétés forestières dans la
déforestation s'ajoute celle de l'Etat et de ses partenaires.
|