II - LES CAUSES DE LA DEFORESTATIONS ET DE LA
DEGRADATION DE L'ENVIRONNEMENT
0 Ibid.
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Les facteurs de la déforestation sont multiples au
Cameroun. Ils sont tous anthropiques contrairement à ceux qui affectent
les forêts dans les autres régions du monde (Europe, Asie et
Amérique), à savoir les catastrophes naturelles, les causes
biotiques. Au Cameroun, il ne serait pas le cas. Ils existent certes, mais avec
une force destructrice très minime. Ces causes liées à
l'activité humaine, sont subdivisées en causes à vocation
agricole et liées à l'exploitation industrielle, les
défaillances de l'Etat et ses partenaires et la mauvaise gestion des
forêts communautaires et le rôle négatif de certains
Camerounais.
A-LES CAUSES A VOCATION AGRICOLE ET LIEES A
L'EXPLOITATION
FORESTIERE
L'intensification de l'agriculture et l'exploitation
industrielle du bois sont responsables en partie de la déforestation et
la dégradation de l'environnement.
1 - L'intensification de l'agriculture
L'agriculture qui est définie comme la culture du sol,
est une activité très pratiquée dans les pays
sous-développés. Le Cameroun faisant partie de cet ensemble
d'Etats qui voient ses sols depuis plusieurs décennies remués,
car la majeure partie de sa population est paysanne et tributaire de la terre.
On l'estime à 80%. Ce sont les forêts qui payent le prix fort,
puisqu'elles sont dévastées pour céder la place aux sols
nus, fertiles et cultivables. Sur ce point, Hugue pensait que : `'Lhomme ne
détruit pas la forêt ou les arbres par plaisir, mais par
nécessité''0.
A titre de rappel, il faut souligner que l'agriculture est un
legs colonial. Puisque avant cette période, les hommes vivaient du
ramassage et de la cueillette. La forêt ne connaissait pas une forte
pression, mais l'introduction des nouvelles cultures industrielles par les
occidentaux, l'instauration du système des impôts et le
développement des cultures urbaines sont autant de facteurs qui ont
développé l'agriculture au Cameroun0. La triple
colonisation qu'a connue le Cameroun a donc été responsable de
l'introduction de l'agriculture industrielle dans le pays.
Ce développement de l'agriculture s'est fait d'abord
pendant la période allemande. Le Cameroun étant une colonie
d'exploitation, avait vu se développer l'agro-industrie dans son
territoire. Au départ, l'administration coloniale allemande cède
des dizaines de millions d'hectares de forêts aux sociétés
agro-industrielles et forestières européennes0. Ainsi,
en 1896, une concession de 7 200 000 hectares est obtenue par la Gesellschaft
Süd-Kamerun, puis la
0 Elong, `'L'impact d'une exploitation forestière'', 1984,
p. 274. 0Kelodjoué, `'l'évolution de l'exploitation
industrielle'', 1985, p. 254.
0 Gerber, `'Resistance contre deux géants industriels'',
2008, pp. 12-13.
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Gesellschaft Nord-West-Kamerun obtient 4 450 000 hectares. Ces
deux concessions occupent un cinquième de la colonie. Dans ces
concessions, elles exploitent le caoutchouc, naturel, les fruits de palmier
à huile, l'ivoire, les minéraux et les bois
précieux0. N'ayant pas donné des résultats
escomptés, l'Etat se tourne alors vers le système de grandes
plantations. Il opte pour la monoculture. Ainsi dont, les plantations de
caoutchouc, de cacao et d'hévéa sont créées entre
1885 et 1906. Pour y parvenir, il fallait dévaster des grandes
étendues de forêt dans les régions du Sud-ouest, du
Littoral, particulièrement dans la vallée inférieure de la
Sanaga (Dizangué), et le Mungo0. Ces produits étaient
destinés à la métropole0. Ceci a fait subir
à la forêt camerounaise ses premières grandes pertes.
Après les Allemands, les Français et les Anglais
ont hérité de ces immenses plantations pendant les
périodes de mandat et de tutelle. Et aujourd'hui ces plantations
coloniales sont regroupées au sein de la Cameroon Development
Corporation(CDC)0.
L'installation d'une agro-industrie exige : le rasage
systématique des grandes étendues de forêts, et que la
superficie défrichée soit supérieure à celle
effectivement cultivée. En plus, les agro-industrielles coloniales
pratiquaient la monoculture0. A travers cette action agricole
coloniale, le Cameroun devenait ainsi un pays à vocation agricole.
Après l'indépendance de la partie sous tutelle
française en 1960, l'agro-industrielle n'a fait que se
développer. C'est dans ce contexte que très vite naissent des
nouvelles sociétés agro-industrielles, à savoir la
Société Camerounaise de Palmerais (SOCAPALM) initiée en
1963 par le programme gouvernemental et la Société
d'Hévéa du Cameroun (HEVECAM) fondée en 1975. Ces
nouvelles industries agricoles ont continué à déboiser les
énormes terres pour leurs cultures. A titre illustratif, la
création d'HEVECAM conditionnait l'abatage de 2250 hectares de
forêt pour la surface à cultiver, par ailleurs, 1750 hectares ont
été défrichés pour les bordures de routes pour la
société d'hévéa. Ainsi comme nous le constatons,
5000 hectares de forêts ont été détruits pour
cultiver sur seulement 2250 hectares, preuve que les agroindustriels sont des
grands destructeurs des forêts0.
La culture du tabac ne nécessite pas l'usage des
engrais. Ainsi, chaque année il faut des nouvelles terres pour sa
culture. Les anciennes sont délaissées aux femmes qui en font
0 Ibid.
0 Ibid.
0 Kelodjoué, `'l'évolution de l'exploitation
industrielle», 1985, P. 258.
0 Ibid.
0 Ibid.
0 Ibid.
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leur usage0. C'est ainsi qu'on estimait en 1977
à 98 000 hectares la superficie occupée par les seules
agro-industries dans les forêts camerounaises0. Ce qui n'est
pas le cas aujourd'hui. Puisque ces deux agro-industrielles ont fait des
extensions ces dernières années. On peut apprendre par Gerber que
la SOCAPALM de Kienki et ses autres plantations ont une superficie de 31 000,
alors qu'HEVECAM possède une vaste étendue de 41 339 hectares de
forêt0. Soient des augmentations respectivement de plus de 30
000 pour SOCAPALPM et de 36 339 pour HEVECAM. Ce qui a normalement
changé les anciennes données chiffrées sur l'estimation
des surfaces dévastées de forêt pour l'agriculture. Si on
s'amuse à faire des calculs, avec les superficies actuelles des deux
géants de l'agro-industriel, sachant que dans les années
passées, elles deux occupaient à peine une superficie de 6000
hectares de forêt. En soustrayant ce nombre des 61 339 d'hectares des
deux entreprises, on se retrouve avec 55 339 hectares. Ajoutant donc aux 98 000
hectares, on se retrouve avec 153 339 hectares qu'occupent seulement ces deux
entreprises.
Ce chiffre représente seulement ce qu'occupaient et
occupent les agro-industries sans tenir compte des plantations paysannes.
Pourtant, il est connu de tous que beaucoup de cultures tant vivrières
que de rente avaient été mises à la disposition des
populations paysannes. C'étaient les cultures du cacao, du café,
du coton, de l'ananas, des arachides, de la banane plantain, du manioc, etc.
C'est avec ces cultures que la majorité des populations
paysannes au Cameroun s'étaient lancées dans l'agriculture pour
subvenir à leurs besoins alimentaires et pécuniaires. Alors, au
lendemain de l'indépendance, on a assisté au Cameroun au
développement des cultures de rente. Dans les régions de l'Ouest,
la culture du café était préférée, au
Centre-Sud et Est c'était le cacao, au Littoral les deux et au Nord, le
coton fut introduit.
En effet, la culture de ces produits exigeait la conversion
définitive des étendues de terre. Sur ce point, François
Tatala affirmait que `'la culture du cacao passe par la
récupération des terres abandonnées par les femmes
après leur récolte''0.
A côté de ces cultures citées haut, s'est
ajoutée la culture du palmier à huile par les paysans dans les
régions de l'Ouest et du littoral. Avec une pression
démographique très accentuée, conjuguée de la
domination de l'activité agricole comme activité
économique, la
0 Ibid.
0 Ibid.
0 Gerber, `'Resistance contre deux géants industriels'',
2008, p. 20.
0 Entretien avec François Tatala, 52 ans environ, planteur
de cacao, Ngouonepoum nouveau, 06 novembre 2010
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forêt paye un prix fort. Car, `'la pression agricole est
fille de la pression démographique'' comme affirmait
Kelodjoué0. Cette population qui était de 8, 6
millions est passée en 1998 à 14,3 millions. Elle est
essentiellement agricole. En 1994, cette population agricole était
estimée à 74% de la population totale, de nos jours, elle
s'évalue à 88,5%0. Ces chiffres qui croient rapidement
nous renseignent sur la pression qu'une population de cette envergure peut
faire subir aux forêts du pays. Surtout, depuis que les réserves
pétrolières se sont épuisées, les forêts sont
devenues comme `'des vaches laitières à traire''0.
Toujours sur ce plan, l'agriculture itinérante est
très consommatrice de forêt. Elle qui consiste à
défricher et brûler des nouvelles forêts chaque année
est à l'origine en majorité à la destruction des
forêts. A cause de la pauvreté des sols, chaque année des
nouvelles terres sont exploitées pour assurer une bonne récolte.
Sydonie Tapio disait par exemple sur ce sujet que `'la culture de l'arachide
avait besoin des sols vierges pour espérer une récolte
signifiante et la parcelle défrichée doit être
brulée pour que la cendre issue de cette carbonisation fertilise le
sol''0.
Il faut souligner que de nombreuses primes accordées
par le gouvernement aux agriculteurs dans les années 1970 et
l'augmentation soutenue des prix des différents produits agricoles
étaient autant de facteurs qui avaient accéléré
l'extension de l'agriculture0. Ces différentes motivations
avaient encouragé l'agriculteur camerounais à créer de
plus en plus des grandes plantations afin de se faire de l'argent. Et par
conséquent les terres étaient déboisées chaque
année à un rythme très fulgurant. Ce qui a emmené
la majorité des experts à s'accorder par le fait que
l'agriculture est la principale cause de la déforestation.
Ainsi, une étude de la FAO, PNUD et SODECAO sur la
surface défrichée pour l'agriculture en 1972 estime à 80
000 hectares de forêts qui sont détruites chaque année,
sous toutes les différentes formes que nous venons de décrire et
sans tenir compte de la zone forestière de l'Ouest0. En
tenant compte de la croissance démographique rapide au Cameroun, on peut
dire qu'en cette année 2010, ce chiffre a dû évoluer. Car
en 1972, avec une population de moins de 8,6 millions d'habitants, l'impact de
l'agriculture était important
0 Kelodjoué, `'l'évolution de l'exploitation
industrielle'', 1985, p. 254.
0 P. T. Mbous, `'l'exploitation forestière et le
développement des forêts communautaires au Cameroun. Une
action collective pour la protection e la biodiversité'',
mémoire en vue d'obtention du diplôme d'étude
approfondie, Institut universitaire d'étude de
développement, Université de Génève, 2002/2003, p.
5.
0 M. Ghattas et L. Doumia, `'biodiversité africaine'', p.
48.
0 Sydonie Tapio, 50 ans environ, cultivatrice, Madjoué, 24
octobre 2010
0 Kelodjoué, `'l'évolution de l'exploitation
industrielle'', 1985, p. 255.
0 Ibid. p. 266.
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dans l'environnement. Avec l'augmentation de cette population
qui est passée à 19 millions d'habitants aujourd'hui, il est
certain que celui-ci a aussi augmenté.
Ce que nous venons d'examiner sur le rôle que joue
l'agriculture sur des forêts permet de penser que l'agriculture est et
reste la plus grande menace pour les forêts camerounaises. Car
l'agriculture de subsistance est à 63% responsable du
déboisement, alors que l'agriculture permanente l'est à 17%.
C'est dans ce sens que S. Kelodjoué affirmait dans son étude que
`'l'agriculture est sans doute le principal ennemis de la forêt dense
camerounaise''0. Pourtant, elle n'est pas le seul facteur.
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