Paragraphe 2 : La compétence normative du
pouvoir exécutif
La compétence normative du président de la
République se ramène à ses pouvoirs réglementaire
et exécutif (A). Elle comprend en outre un pouvoir de législation
déléguée (B).
85 La décision du 30 juillet 1982,
blocage des prix, a été confirmée par une
jurisprudence constante, notamment par deux décisions du 18 juillet
1983, Démocratisation du secteur public, et du 19 janvier 1984,
Contrôle des établissements de crédits. Elle a
ensuite été tempérée par la décision du 21
avril 2005 relative à la loi sur l'avenir de l'école (Louis
FAVOREU et Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil
constitutionnel, 16e éd., Paris, Dalloz, 2011, p.
362-374) avant d'être pleinement réaffirmée
(décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, cons. 10).
86 Le Conseil constitutionnel a par ailleurs
décidé que toute atteinte à un principe
général du droit ne pourra être faite que par une loi et en
incluant dans la liste tous les principes déjà
dégagés ou à dégager par le Conseil constitutionnel
(observations relatives à la décision du Conseil constitutionnel
du 26 juin 1969, Protection des sites, Grandes
décisions, n° 18) tandis que les principes
généraux de droit s'imposent au règlement selon le Conseil
d'État (Syndicat général des ingénieurs
conseils, G.A., n° 78) ; c'est une extension considérable de
la compétence législative (François LUCHAIRE, « Le
Conseil constitutionnel et la protection des libertés publiques »,
in Mélanges Waline, p. 506).
87 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 326.
27
A/ Les pouvoirs réglementaire et exécutif
On considère de manière classique qu'il y a lieu
de faire une distinction entre règlements autonomes et règlements
dérivés (1). L'évolution de la jurisprudence
constitutionnelle précédemment analysée conduit cependant
à poser la question même du maintien de cette distinction
classique (2).
1. La distinction classique entre pouvoir réglementaire
(règlements autonomes) et pouvoir exécutif (règlements
dérivés)
La Constitution de 2000 distingue entre les pouvoirs
réglementaire et exécutif. Pour l'exercice de ces deux types de
pouvoirs, le président de la République prend des décrets
réglementaires. Mais au titre du pouvoir réglementaire, il
dispose d'une liberté d'initiative absolue (a) tandis qu'au titre du
pouvoir exécutif sa liberté d'initiative est beaucoup plus
limitée (b)88.
a. Le pouvoir réglementaire, pouvoir de législation
autonome et de droit commun
Le pouvoir réglementaire est celui en vertu duquel le
président de la République dispose d'un pouvoir de
législation autonome et de droit commun. Ce pouvoir de
législation est autonome parce qu'il n'est pas subordonné
à une loi : il intervient spontanément dans les matières
en principe exclusives de la compétence législative par suite de
la répartition matérielle des compétences entre la loi et
le règlement opérée par la Constitution et il est
directement subordonné à celle-ci et aux principes
généraux du droit, mais non à la loi89. Le
pouvoir réglementaire autonome rivalise pour ainsi dire avec le pouvoir
législatif, chacun en son domaine90.
Il est par ailleurs un pouvoir de législation de droit
commun91 puisqu'en dehors des matières
énumérées par l'article 71 et quelques autres articles de
la Constitution ressortissant de la compétence de l'Assemblée
nationale, toutes les autres matières rentrent dans le
88 Nous empruntons la judicieuse distinction entre
« pouvoir réglementaire » et « pouvoir exécutif
» à Maurice Duverger : le pouvoir réglementaire consiste
à prendre des règlements autonomes tandis que le pouvoir
exécutif est un pouvoir de mise en oeuvre des lois adoptées par
le Parlement (op.cit., p. 560-562).
89 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p.
87.
90 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif
général : l'action administrative, 4e éd.,
Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 41.
91 René DEGNI-SEGUI, Introduction au
droit, op.cit., p. 84.
28
domaine du pouvoir réglementaire : l'article 72.1
énonce en effet que : « les matières autres que celles qui
sont du domaine de la loi relèvent du domaine réglementaire
». Il en résulte que le pouvoir législatif dispose d'un
pouvoir d'attribution et que, corrélativement, le pouvoir
réglementaire est extrêmement large, les règlements
autonomes peuvent intervenir dans des domaines très
importants92.
Par ailleurs, les règlements autonomes peuvent
valablement, dans leur domaine résiduel mais extrêmement large,
modifier une loi après avis du Conseil constitutionnel si la loi est
antérieure à la Constitution de 2000 (art. 72.2). Mais cette
faculté donnée au président de la République
d'obtenir la délégalisation des lois intervenues dans le domaine
réglementaire ne vaut que pour les lois antérieures à
l'entrée en vigueur de la Constitution : celles postérieures
à l'entrée en vigueur de la Constitution intervenues dans le
domaine réglementaire échappent à toute
délégalisation.
A côté de ce pouvoir réglementaire
autonome, le président de la République conserve le droit de
faire des règlements complémentaires des lois existantes.
b. Le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné
d'application des lois
Le président de la République conserve le droit
de faire des règlements complémentaires des lois existantes en
complétant et en précisant leurs dispositions en application de
l'article 44 de la Constitution : à cela correspond désormais la
notion précise de « pouvoir exécutif
»93.
Aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il
appartient toujours et en toutes matières au pouvoir
réglementaire de mettre en oeuvre les prescriptions législatives,
c'est-à-dire d'arrêter les modalités d'application de ces
prescriptions94. Il n'est donc pas nécessaire que la loi
demande explicitement un décret d'application pour que le
92 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ;
Maurice DUVERGER, op.cit., p. 561 et 616 ; Obou OURAGA,
op.cit., p. 232 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193 ;
etc.
93 Avant 1958, le pouvoir réglementaire
faisait partie du pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire
était destiné à l'application des lois. Mais un embryon de
pouvoir réglementaire distinct du pouvoir exécutif proprement dit
existait mais se limitait à l'ordre public et aux services publics.
Depuis 1958, c'est le pouvoir exécutif qui fait partie du pouvoir
réglementaire : l'application des lois n'est désormais qu'un
aspect d'un pouvoir plus large. C'est pourquoi l'on use parfois du terme de
« pouvoir réglementaire » pour parler de l'application
même des lois ; de même, on continue à parler plus
généralement de « pouvoir exécutif » parlant du
président de la République alors que son pouvoir va
désormais bien au-delà de la seule application des lois.
94 Raymond ODENT, Contentieux
administratif, Fascicule I, Les cours de droit, Paris, 1970-1971.
p. 191. Même si le Parlement exerçait la plénitude de sa
compétence législative, le Conseil constitutionnel admet que le
pouvoir réglementaire pourrait toujours intervenir pour préciser
les mesures d'application de la loi.
29
Gouvernement puisse intervenir95. Le Parlement ne
peut d'ailleurs pas se substituer à ce pouvoir exécutif, puisque
le Conseil constitutionnel lui refuse le droit d'intervenir à
l'égard des règlements d'application conformes à la
loi96. Cela devrait logiquement conduire, en contrepartie, à
un changement de la jurisprudence du Conseil d'État, admettant qu'une
loi ne pouvait être appliquée, quand elle renvoyait à un
règlement pour préciser ses dispositions, et que ce
règlement n'avait pas été pris par l'exécutif. Mais
en l'état actuel du droit positif, le président de la
République se trouve investi à l'égard des lois d'un
véritable droit de veto suspensif : il peut, en s'abstenant de prendre
les décrets d'application requis, priver d'effet les lois votées
par l'Assemblée nationale97.
Le pouvoir exécutif reste toutefois tenu de respecter
la loi qu'il ne peut enfreindre, sinon le règlement pourra être
annulé par le moyen d'un recours pour excès de pouvoir.
La distinction entre le pouvoir réglementaire et le
pouvoir exécutif du président de la République
-opérée par la lettre de la Constitution- peut difficilement
être maintenue au regard de l'évolution de la jurisprudence
constitutionnelle.
2. De l'obsolescence de la distinction classique entre
règlements autonomes et règlements dérivés :
l'assimilation jurisprudentielle du pouvoir réglementaire au pouvoir
exécutif
La conception classique (une conception matérielle) de
la répartition des compétences entre le règlement et la
loi avait confiné celle-ci dans un domaine d'intervention assez
étroit quand celui-là bénéficiait au contraire d'un
domaine le plus large possible98 (a). La tradition
républicaine devait pourtant être plus forte puisque
l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle est allée dans
le sens d'une remise en cause de l'approche matérielle99
(b).
95 Si la loi demandait explicitement un
décret d'application au Gouvernement, celui-ci intervient alors
généralement par un décret en Conseil d'État. Mais
sans que la loi n'en fasse la demande, le Gouvernement peut toujours
intervenir. Cette situation n'est pas sans susciter des critiques de la
doctrine (Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, Le gouvernement de
la France sous la Ve République, 4e
éd., Paris, Dalloz, 1992, p. 381) mais force est d'admettre qu'une
limitation du pouvoir réglementaire d'application des lois exigerait
sans doute une modification de la Constitution.
96 Décision du Conseil constitutionnel
français du 27 novembre 1959 (J.O., Débats parlement,
Sénat, 2 décembre). Voir également Francisco
MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 450-452.
97 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 592.
98 Maurice DUVERGER, op.cit., pp. 561 et
615.
99 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 588 ;
René DEGNI-SEGUI, Droit administrative général :
l'action administrative..., p. 43-45 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric
GICQUEL, op.cit., p. 755 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p.
328. Au colloque d'Aix-en-Provence organisé les 2 et 3 décembre
1977, la doctrine -au vu d'une jurisprudence constitutionnelle qui a sans cesse
élargi le domaine législatif- admet que « la
révolution juridique
a. 30
L'approche matérielle de la répartition des
compétences législatives et réglementaires
On a longtemps d'abord considéré, en se fiant
à l'article 71, que le Parlement légiférait de deux
façons : soit en fixant les règles soit en déterminant les
principes fondamentaux. Le législateur devrait donc disposer d'une
compétence plus étendue lorsqu'il fixe les règles que
lorsqu'il détermine les principes fondamentaux. Une telle distinction
entraînerait des conséquences sur le pouvoir exécutif du
président de la République : dans le premier cas, celui-ci
n'aurait pas à intervenir ou en tout cas son intervention serait assez
limitée tandis que dans le second cas son intervention est
nécessaire et de grande ampleur100.
Parallèlement à la compétence du
législateur ainsi définie, on considérait que la
compétence réglementaire elle-même se subdivisait en deux
domaines différents : d'une part, il était autorisé, en
application de l'article 72, à prendre des règlements dits
autonomes dans les matières autres que celles qui relèvent du
domaine de la loi et d'autre part, il pouvait aussi, en vertu du pouvoir
d'assurer l'exécution des lois qui lui est reconnu par l'article 44,
prendre des règlements dits d'application des lois et se situant par
conséquent dans le cadre de l'article 71 et plus
généralement du domaine législatif.
Cette interprétation des dispositions
constitutionnelles relatives aux compétences respectives du
président de la République et de l'Assemblée nationale
consacrée à la fois dans l'esprit même des auteurs de la
Constitution, par la doctrine et par la jurisprudence constitutionnelle des
premières années peut être difficilement maintenue au
regard de l'évolution ultérieure de cette dernière.
b. La remise en cause de l'approche matérielle au
regard de l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle
La distinction classique entre les règlements autonomes
et les règlements d'application des lois est remise en cause au regard
de la jurisprudence constitutionnelle. Si le Conseil d'État
procède toujours à un contrôle différencié
des deux sortes de règlements dans la mesure où il ne peut
confronter les premiers à des lois par hypothèse inexistantes ni
les seconds à la Constitution en raison de la théorie de la
loi-écran101, le Conseil constitutionnel
n'a pas eu lieu » (Jean Rivero) ; ce constat prend tout
son sens avec la décision précitée du Conseil
constitutionnel français du 30 juillet 1982.
100 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 583.
101 René CHAPUS, Droit administratif
général, 3e éd. Paris, tome I, 1987, p.
481.
31
assimile quant à lui -de manière indirecte dans
sa jurisprudence relative à la loi- les deux types de
règlements.
La jurisprudence constitutionnelle a recréé
l'unité du pouvoir réglementaire en assignant aux dispositions
constitutionnelles délimitant les domaines législatif et
réglementaire une signification différente de celle qui avait
été, jusque-là, admise. Selon cette signification
nouvelle, l'article 37 (notre article 72.1) détermine l'étendue
du pouvoir réglementaire qui s'exerce lorsque le législateur
n'est pas ou pas encore intervenu et également, lorsqu'il est intervenu,
pour préciser les modalités d'application des lois102.
L'article 21 (notre article 44) détermine pour sa part l'autorité
investie du pouvoir réglementaire général, à savoir
le Premier ministre (le président de la République, dans notre
régime politique).
Il en découle deux conséquences majeures : d'une
part, il n'existe aucunement un pouvoir réglementaire autonome distinct
du pouvoir réglementaire dérivé103 et d'autre
part le pouvoir législatif dispose désormais et à
l'égard de toutes les matières d'un pouvoir de mise en
cause104. On aboutit ainsi timidement mais incontestablement
à un retour au critère organique de la loi.
En définitive, l'évolution de la jurisprudence
du Conseil constitutionnel montre clairement une remise en cause de la
distinction classique entre règlements autonomes et règlements
dérivés par une assimilation du pouvoir réglementaire au
pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire dont dispose le
président de la République est presque toujours un pouvoir de
mise en application des lois105.
102 Décision 76.94 du 2 décembre 1976,
Rec., p. 67 : « Considérant que la Constitution, en son
article 37, réserve au législateur la fixation des règles
concernant les droits civiques... et laisse, en vertu de son article 37, au
pouvoir réglementaire le soin d'édicter les mesures
nécessaires pour l'application de ces règles ». Ainsi le
degré d'intervention du législateur s'arrête à la
« mise en cause » (de toute matière) et ne saurait descendre
jusqu'aux modalités d'application laissées au pouvoir
réglementaire. Cette conception condamne deux idées bien
distinctes : celle de la distinction entre « la loi fixe les règles
» et « la loi détermine les principes fondamentaux » et
celle de l'existence même d'un pouvoir réglementaire autonome
distinct du pouvoir réglementaire dérivé.
103 Louis FAVOREU, « Les règlements autonomes
n'existent pas », Revue française de droit administratif,
1987, p. 871 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p.750-751.
104 Francis HAMON et Michel TROPER, ibid. ; René
DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 45.
105 Du domaine réglementaire autonome, on est
passé à un « domaine de compétence
partagée avec priorité au règlement » (Bernard
CHANTEBOUT, op.cit., p. 590) ; René DEGNI-SEGUI, ibid.
; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 759.
Certes un domaine réglementaire opposable au législateur existe,
mais il n'est pas aussi étendu que l'on avait pu le croire. Le Conseil
constitutionnel se montre assez subtil : il déclare en effet, dans la
décision précitée du 30 juillet 1982, que la Constitution
« a voulu, à côté du domaine de la loi,
32
En revanche, le président de la République peut
se voir investir d'un véritable pouvoir de législation à
condition bien sûr d'en obtenir la délégation expresse de
l'Assemblée nationale.
B / Le pouvoir de législation
déléguée
Le président de la République peut se voir
temporairement autoriser à légiférer sur les
matières normalement réservées à la
compétence de l'Assemblée nationale. Ce pouvoir de
législation déléguée est soumis à des
conditions de mise en oeuvre (1) et obéit à un régime
juridique (2).
1. Les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de
législation déléguée
Le pouvoir de législation déléguée
ne peut être mis en oeuvre au profit du pouvoir exécutif que si
certaines conditions sont satisfaites. Il faut d'une part le vote d'une loi
d'habilitation (a) et d'autre part des conditions plus formelles (b).
a. L'autorisation législative
Aux termes de l'article 75, « le président de la
République peut, pour l'exécution de son programme, demander
à l'Assemblée nationale l'autorisation de prendre par
ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont
normalement du domaine de la loi ». Plusieurs conditions tenant à
l'autorisation législative découlent de cette disposition.
Le président de la République doit d'abord
saisir l'Assemblée nationale, au moyen d'un projet de loi d'habilitation
en principe106, d'une demande d'autorisation de prendre des
ordonnances. L'Assemblée nationale peut accorder cette autorisation par
l'adoption d'une loi d'habilitation ; celle-ci accorde au président de
la République l'autorisation de prendre des ordonnances.
reconnaitre à l'autorité réglementaire
un domaine propre ». (Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 535).
106 Le demande d'autorisation par voie d'amendement est
cependant acceptée par le Conseil constitutionnel français (CC
n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l'emploi...,
cons. 5) et est qualifiée par une certaine doctrine d' «
habilitation furtive » (Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, « Chronique
constitutionnelle française », Pouvoirs, n° 125, p.
171).
33
C'est pour faciliter au président de la
République « l'exécution de son programme » que le
législateur l'autorise à prendre des « mesures qui sont
normalement du domaine de la loi ».
S'agissant des matières législatives sur
lesquelles peuvent porter les ordonnances, le Conseil constitutionnel
français veille à ce qu'elles soient fixées avec une
précision suffisante. Si la loi d'habilitation n'est pas suffisamment
précise, il n'hésite pas à utiliser la technique des
décisions de conformité sous réserve et à
énoncer lui-même les précisions lui paraissant
nécessaires et que le Gouvernement (le président de la
République, dans le régime politique ivoirien) devra par
conséquent observer, sous le contrôle éventuel du juge
administratif107.
Il y a également les conditions tenant aux
délais impartis au président de la République. Il s'agit
d'une part du délai que fixe la loi d'habilitation et pendant lequel le
Président est autorisé à prendre des ordonnances ; d'autre
part, l'intervention du président de la République dans le
domaine législatif étant en principe soumis à un
contrôle ultérieur de l'Assemblée nationale, la loi doit
également impartir au président de la République un second
délai - nécessairement plus long que le premier- pour
déposer le projet de loi de ratification. Enfin, il faut noter
l'exigence jurisprudentielle de respecter de la Constitution. Cette exigence va
de soi et s'applique à la loi d'habilitation comme à toute loi en
principe108.
A ces conditions de fond s'ajoutent nécessairement des
conditions de forme tenant à l'édiction des ordonnances.
b. L'édiction des ordonnances
Aux conditions tenant à l'autorisation
législative et qui se ramènent à des conditions de fond
s'ajoutent des conditions plus formelles. Les ordonnances doivent avant tout
être prises dans le délai imparti au président de la
République. Elles peuvent faire l'objet d'un avis du Conseil
constitutionnel, doivent avoir été
délibérées en Conseil des ministres109 et
être
107 La décision du Conseil constitutionnel 86-208 des
1er et 2 juillet 1986 relative à l'élection des
députés et autorisant le Gouvernement à délimiter
par ordonnances les circonscriptions électorales est tout à fait
représentative de cette technique.
108 Le Conseil constitutionnel va même plus loin et
rappelle que la loi d'habilitation ne saurait « avoir ni pour objet ni
pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui
sont confiés en application de l'article 38 de la Constitution, du
respect des règles et principes de valeur constitutionnelle »
(Décision 86-208 des 1er et 2 juillet 1986). Ce qui lui
permet de développer son contrôle sur les matières
visées et sur les pouvoirs conférés par la loi.
109 La délibération des ordonnances en Conseil
des ministres a une double origine constitutionnelle : d'une part, l'article 75
qui dispose : « (...) Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres
après avis éventuel du
34
revêtues de la signature du président de la
République ; en outre, les ordonnances entrent en vigueur dès
leur publication.
Les actes édictés par le président de la
République en vertu de son pouvoir de législation
délégué obéissent en outre à un certain
régime juridique.
2. Le régime juridique des ordonnances de l'article 75
De la distorsion entre leur auteur et leur contenu
résulte un caractère hybride affectant le régime juridique
des ordonnances. Celui-ci est dominé par les deux délais
prévus par la loi d'habilitation : le délai imparti pour prendre
des ordonnances (a) et le délai imparti pour déposer le projet de
loi de ratification (b).
a. De la publication des ordonnances au délai de
dépôt de la loi de ratification
Dès leur publication, les ordonnances entrent en
vigueur et déploient leurs effets juridiques : elles peuvent, dans le
cadre de l'autorisation parlementaire, modifier, abroger, remplacer les lois
existantes ou édicter des mesures nouvelles. Cependant, elles demeurent
des actes administratifs bien qu'ayant une finalité législative
et, en cette qualité, sont susceptibles de recours contentieux et
annulables par le juge administratif110 ; d'autre part, elles ne
peuvent déroger ni à la Constitution ni aux principes
généraux de droit111. Contrairement à ce qui a
pu être soutenu112, l'Assemblée nationale n'est pas
dessaisie de son droit de légiférer sur les matières
déléguées de sorte que, pendant le premier délai,
sur la même matière, deux types de compétences
-présidentielle et parlementaire- peuvent s'exercer
concomitamment113.
Conseil constitutionnel (...)» et d'autre part, l'article
51 : « (...) Le Conseil des ministres délibère
obligatoirement (...) des projets de lois, d'ordonnances et des décrets
réglementaires (...) ».
110 Conseil d'État, 3 novembre 1960, Damiani.
111 Les ordonnances prises par le président de la
République en matière législative en vertu de l'article 38
(article 75 Constitution ivoirienne) de la Constitution sont soumises au
respect des principes généraux de droit proprement dits (Conseil
d'État, 24 novembre 1961, Fédération nationale des
syndicats de police). Alors que l'on sait que ces principes
généraux de droit ne s'imposent pas au législateur.
112 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 47 ; Obou
OURAGA, op.cit., p. 233.
113 L'article 76 de la Constitution n'autorise à
prononcer l'irrecevabilité qu'à l'encontre des propositions et
amendements qui ne sont pas du domaine de la loi. L'omission voulue par les
auteurs des Constitutions de 1960 (art. 46) et de 2000 (art. 76) autorise
l'interprétation du non-dessaisissement de l'Assemblée nationale
dans le cadre de la loi d'habilitation. Francis Wodié écrit
toutefois qu' « en bonne et stricte logique (technique) juridique, la
délégation de compétence (pouvoir) entraîne ipso
jure dessaisissement de l'autorité délégante pendant tout
le temps de cette délégation ; ainsi l'autorité
délégante ne peut évoquer pendant ce temps
(délai)
35
Lorsque le délai imparti pour prendre des ordonnances
est expiré, les ordonnances demeurent des actes réglementaires.
Le président de la République ne peut plus prendre de nouvelles
ordonnances puisque l'autorisation législative qui lui avait
été accordée a pris fin et il ne peut pas davantage,
à l'égard des ordonnances déjà
édictées et pour la même raison, modifier celles de leurs
dispositions ayant un caractère législatif. Concernant
l'Assemblée nationale, il n'est pas exact de dire qu'elle recouvre sa
compétence sur les matières qui avaient fait l'objet de la loi
d'habilitation car, ainsi que nous l'avons déjà indiqué,
elle n'a jamais perdu cette compétence ; mais elle dispose seule
désormais de la faculté de modifier les ordonnances
édictées. Nous sommes donc en présence d'une
catégorie d'actes à valeur réglementaire, susceptibles en
tant que tels d'annulation par le juge administratif, mais dont les
dispositions matériellement législatives ne peuvent être
modifiées que par la loi et non par le règlement.
Dès que ce premier délai est expiré, il
faut envisager un régime juridique différent de celui que nous
venons d'étudier.
b. Après l'expiration du délai de
dépôt de la loi de ratification
Deux hypothèses doivent être distinguées
selon que le président de la République a déposé ou
non à temps le projet de loi de ratification sur le bureau de
l'Assemblée nationale.
Si le président de la République n'a pas
déposé à temps le projet de loi de ratification, les
ordonnances prises deviennent caduques : il s'agit donc d'une simple abrogation
et non d'une nullité ab initio. Le simple dépôt du
projet de loi de ratification par le président de la République
suffit : si le projet est déposé mais ne vient pas en discussion,
les ordonnances demeurent des actes administratifs avec les implications que
cela comporte.
Si le président de la République dépose
à temps le projet de loi de ratification, trois hypothèses
peuvent être distinguées. D'abord, l'Assemblée nationale
bien que saisie dans le délai ne se prononce pas : les ordonnances
continuent à s'appliquer avec leur nature d'actes administratifs.
Ensuite, l'Assemblée nationale refuse de ratifier les ordonnances prises
et elles
une affaire comprise dans la délégation de
compétence ; d'où le rejet de la concurrence de
compétences pendant ce délai » (op.cit., p.
199).
36
deviennent caduques. Enfin, elle ratifie les
ordonnances114 et celles-ci acquièrent force de loi pour
l'avenir et échappent à tout recours contentieux.
Mais le Conseil constitutionnel peut être amené
à apprécier la conformité à la Constitution de
certaines ordonnances auxquelles la confirmation parlementaire -exercée
le cas échéant en les modifiant- a conféré valeur
législative. Ce faisant, le président de la République
pourrait saisir le Conseil constitutionnel au titre de l'article 72.2 pour lui
demander de constater que certaines dispositions d'une ordonnance ayant acquis
valeur législative sont matériellement réglementaires.
La répartition des compétences entre
l'Assemblée nationale et le président de la République
telle qu'opérée par la Constitution n'est pas sans susciter
d'éventuels empiètements d'un organe sur le domaine de
compétences de l'autre. Des procédures sont donc prévues
pour non seulement protéger les domaines respectifs du président
de la République et de l'Assemblée nationale mais
également pour sanctionner les ingérences réciproques.
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