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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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Paragraphe 2 : La compétence normative du pouvoir exécutif

La compétence normative du président de la République se ramène à ses pouvoirs réglementaire et exécutif (A). Elle comprend en outre un pouvoir de législation déléguée (B).

85 La décision du 30 juillet 1982, blocage des prix, a été confirmée par une jurisprudence constante, notamment par deux décisions du 18 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, et du 19 janvier 1984, Contrôle des établissements de crédits. Elle a ensuite été tempérée par la décision du 21 avril 2005 relative à la loi sur l'avenir de l'école (Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 16e éd., Paris, Dalloz, 2011, p. 362-374) avant d'être pleinement réaffirmée (décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, cons. 10).

86 Le Conseil constitutionnel a par ailleurs décidé que toute atteinte à un principe général du droit ne pourra être faite que par une loi et en incluant dans la liste tous les principes déjà dégagés ou à dégager par le Conseil constitutionnel (observations relatives à la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 1969, Protection des sites, Grandes décisions, n° 18) tandis que les principes généraux de droit s'imposent au règlement selon le Conseil d'État (Syndicat général des ingénieurs conseils, G.A., n° 78) ; c'est une extension considérable de la compétence législative (François LUCHAIRE, « Le Conseil constitutionnel et la protection des libertés publiques », in Mélanges Waline, p. 506).

87 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 326.

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A/ Les pouvoirs réglementaire et exécutif

On considère de manière classique qu'il y a lieu de faire une distinction entre règlements autonomes et règlements dérivés (1). L'évolution de la jurisprudence constitutionnelle précédemment analysée conduit cependant à poser la question même du maintien de cette distinction classique (2).

1. La distinction classique entre pouvoir réglementaire (règlements autonomes) et pouvoir exécutif (règlements dérivés)

La Constitution de 2000 distingue entre les pouvoirs réglementaire et exécutif. Pour l'exercice de ces deux types de pouvoirs, le président de la République prend des décrets réglementaires. Mais au titre du pouvoir réglementaire, il dispose d'une liberté d'initiative absolue (a) tandis qu'au titre du pouvoir exécutif sa liberté d'initiative est beaucoup plus limitée (b)88.

a. Le pouvoir réglementaire, pouvoir de législation autonome et de droit commun

Le pouvoir réglementaire est celui en vertu duquel le président de la République dispose d'un pouvoir de législation autonome et de droit commun. Ce pouvoir de législation est autonome parce qu'il n'est pas subordonné à une loi : il intervient spontanément dans les matières en principe exclusives de la compétence législative par suite de la répartition matérielle des compétences entre la loi et le règlement opérée par la Constitution et il est directement subordonné à celle-ci et aux principes généraux du droit, mais non à la loi89. Le pouvoir réglementaire autonome rivalise pour ainsi dire avec le pouvoir législatif, chacun en son domaine90.

Il est par ailleurs un pouvoir de législation de droit commun91 puisqu'en dehors des matières énumérées par l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution ressortissant de la compétence de l'Assemblée nationale, toutes les autres matières rentrent dans le

88 Nous empruntons la judicieuse distinction entre « pouvoir réglementaire » et « pouvoir exécutif » à Maurice Duverger : le pouvoir réglementaire consiste à prendre des règlements autonomes tandis que le pouvoir exécutif est un pouvoir de mise en oeuvre des lois adoptées par le Parlement (op.cit., p. 560-562).

89 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 87.

90 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général : l'action administrative, 4e éd., Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 41.

91 René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, op.cit., p. 84.

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domaine du pouvoir réglementaire : l'article 72.1 énonce en effet que : « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi relèvent du domaine réglementaire ». Il en résulte que le pouvoir législatif dispose d'un pouvoir d'attribution et que, corrélativement, le pouvoir réglementaire est extrêmement large, les règlements autonomes peuvent intervenir dans des domaines très importants92.

Par ailleurs, les règlements autonomes peuvent valablement, dans leur domaine résiduel mais extrêmement large, modifier une loi après avis du Conseil constitutionnel si la loi est antérieure à la Constitution de 2000 (art. 72.2). Mais cette faculté donnée au président de la République d'obtenir la délégalisation des lois intervenues dans le domaine réglementaire ne vaut que pour les lois antérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution : celles postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution intervenues dans le domaine réglementaire échappent à toute délégalisation.

A côté de ce pouvoir réglementaire autonome, le président de la République conserve le droit de faire des règlements complémentaires des lois existantes.

b. Le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné d'application des lois

Le président de la République conserve le droit de faire des règlements complémentaires des lois existantes en complétant et en précisant leurs dispositions en application de l'article 44 de la Constitution : à cela correspond désormais la notion précise de « pouvoir exécutif »93.

Aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il appartient toujours et en toutes matières au pouvoir réglementaire de mettre en oeuvre les prescriptions législatives, c'est-à-dire d'arrêter les modalités d'application de ces prescriptions94. Il n'est donc pas nécessaire que la loi demande explicitement un décret d'application pour que le

92 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 561 et 616 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 232 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193 ; etc.

93 Avant 1958, le pouvoir réglementaire faisait partie du pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire était destiné à l'application des lois. Mais un embryon de pouvoir réglementaire distinct du pouvoir exécutif proprement dit existait mais se limitait à l'ordre public et aux services publics. Depuis 1958, c'est le pouvoir exécutif qui fait partie du pouvoir réglementaire : l'application des lois n'est désormais qu'un aspect d'un pouvoir plus large. C'est pourquoi l'on use parfois du terme de « pouvoir réglementaire » pour parler de l'application même des lois ; de même, on continue à parler plus généralement de « pouvoir exécutif » parlant du président de la République alors que son pouvoir va désormais bien au-delà de la seule application des lois.

94 Raymond ODENT, Contentieux administratif, Fascicule I, Les cours de droit, Paris, 1970-1971. p. 191. Même si le Parlement exerçait la plénitude de sa compétence législative, le Conseil constitutionnel admet que le pouvoir réglementaire pourrait toujours intervenir pour préciser les mesures d'application de la loi.

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Gouvernement puisse intervenir95. Le Parlement ne peut d'ailleurs pas se substituer à ce pouvoir exécutif, puisque le Conseil constitutionnel lui refuse le droit d'intervenir à l'égard des règlements d'application conformes à la loi96. Cela devrait logiquement conduire, en contrepartie, à un changement de la jurisprudence du Conseil d'État, admettant qu'une loi ne pouvait être appliquée, quand elle renvoyait à un règlement pour préciser ses dispositions, et que ce règlement n'avait pas été pris par l'exécutif. Mais en l'état actuel du droit positif, le président de la République se trouve investi à l'égard des lois d'un véritable droit de veto suspensif : il peut, en s'abstenant de prendre les décrets d'application requis, priver d'effet les lois votées par l'Assemblée nationale97.

Le pouvoir exécutif reste toutefois tenu de respecter la loi qu'il ne peut enfreindre, sinon le règlement pourra être annulé par le moyen d'un recours pour excès de pouvoir.

La distinction entre le pouvoir réglementaire et le pouvoir exécutif du président de la République -opérée par la lettre de la Constitution- peut difficilement être maintenue au regard de l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle.

2. De l'obsolescence de la distinction classique entre règlements autonomes et règlements dérivés : l'assimilation jurisprudentielle du pouvoir réglementaire au pouvoir exécutif

La conception classique (une conception matérielle) de la répartition des compétences entre le règlement et la loi avait confiné celle-ci dans un domaine d'intervention assez étroit quand celui-là bénéficiait au contraire d'un domaine le plus large possible98 (a). La tradition républicaine devait pourtant être plus forte puisque l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle est allée dans le sens d'une remise en cause de l'approche matérielle99 (b).

95 Si la loi demandait explicitement un décret d'application au Gouvernement, celui-ci intervient alors généralement par un décret en Conseil d'État. Mais sans que la loi n'en fasse la demande, le Gouvernement peut toujours intervenir. Cette situation n'est pas sans susciter des critiques de la doctrine (Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, Le gouvernement de la France sous la Ve République, 4e éd., Paris, Dalloz, 1992, p. 381) mais force est d'admettre qu'une limitation du pouvoir réglementaire d'application des lois exigerait sans doute une modification de la Constitution.

96 Décision du Conseil constitutionnel français du 27 novembre 1959 (J.O., Débats parlement, Sénat, 2 décembre). Voir également Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 450-452.

97 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 592.

98 Maurice DUVERGER, op.cit., pp. 561 et 615.

99 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 588 ; René DEGNI-SEGUI, Droit administrative général : l'action administrative..., p. 43-45 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 755 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 328. Au colloque d'Aix-en-Provence organisé les 2 et 3 décembre 1977, la doctrine -au vu d'une jurisprudence constitutionnelle qui a sans cesse élargi le domaine législatif- admet que « la révolution juridique

a. 30

L'approche matérielle de la répartition des compétences législatives et réglementaires

On a longtemps d'abord considéré, en se fiant à l'article 71, que le Parlement légiférait de deux façons : soit en fixant les règles soit en déterminant les principes fondamentaux. Le législateur devrait donc disposer d'une compétence plus étendue lorsqu'il fixe les règles que lorsqu'il détermine les principes fondamentaux. Une telle distinction entraînerait des conséquences sur le pouvoir exécutif du président de la République : dans le premier cas, celui-ci n'aurait pas à intervenir ou en tout cas son intervention serait assez limitée tandis que dans le second cas son intervention est nécessaire et de grande ampleur100.

Parallèlement à la compétence du législateur ainsi définie, on considérait que la compétence réglementaire elle-même se subdivisait en deux domaines différents : d'une part, il était autorisé, en application de l'article 72, à prendre des règlements dits autonomes dans les matières autres que celles qui relèvent du domaine de la loi et d'autre part, il pouvait aussi, en vertu du pouvoir d'assurer l'exécution des lois qui lui est reconnu par l'article 44, prendre des règlements dits d'application des lois et se situant par conséquent dans le cadre de l'article 71 et plus généralement du domaine législatif.

Cette interprétation des dispositions constitutionnelles relatives aux compétences respectives du président de la République et de l'Assemblée nationale consacrée à la fois dans l'esprit même des auteurs de la Constitution, par la doctrine et par la jurisprudence constitutionnelle des premières années peut être difficilement maintenue au regard de l'évolution ultérieure de cette dernière.

b. La remise en cause de l'approche matérielle au regard de l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle

La distinction classique entre les règlements autonomes et les règlements d'application des lois est remise en cause au regard de la jurisprudence constitutionnelle. Si le Conseil d'État procède toujours à un contrôle différencié des deux sortes de règlements dans la mesure où il ne peut confronter les premiers à des lois par hypothèse inexistantes ni les seconds à la Constitution en raison de la théorie de la loi-écran101, le Conseil constitutionnel

n'a pas eu lieu » (Jean Rivero) ; ce constat prend tout son sens avec la décision précitée du Conseil constitutionnel français du 30 juillet 1982.

100 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 583.

101 René CHAPUS, Droit administratif général, 3e éd. Paris, tome I, 1987, p. 481.

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assimile quant à lui -de manière indirecte dans sa jurisprudence relative à la loi- les deux types de règlements.

La jurisprudence constitutionnelle a recréé l'unité du pouvoir réglementaire en assignant aux dispositions constitutionnelles délimitant les domaines législatif et réglementaire une signification différente de celle qui avait été, jusque-là, admise. Selon cette signification nouvelle, l'article 37 (notre article 72.1) détermine l'étendue du pouvoir réglementaire qui s'exerce lorsque le législateur n'est pas ou pas encore intervenu et également, lorsqu'il est intervenu, pour préciser les modalités d'application des lois102. L'article 21 (notre article 44) détermine pour sa part l'autorité investie du pouvoir réglementaire général, à savoir le Premier ministre (le président de la République, dans notre régime politique).

Il en découle deux conséquences majeures : d'une part, il n'existe aucunement un pouvoir réglementaire autonome distinct du pouvoir réglementaire dérivé103 et d'autre part le pouvoir législatif dispose désormais et à l'égard de toutes les matières d'un pouvoir de mise en cause104. On aboutit ainsi timidement mais incontestablement à un retour au critère organique de la loi.

En définitive, l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel montre clairement une remise en cause de la distinction classique entre règlements autonomes et règlements dérivés par une assimilation du pouvoir réglementaire au pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire dont dispose le président de la République est presque toujours un pouvoir de mise en application des lois105.

102 Décision 76.94 du 2 décembre 1976, Rec., p. 67 : « Considérant que la Constitution, en son article 37, réserve au législateur la fixation des règles concernant les droits civiques... et laisse, en vertu de son article 37, au pouvoir réglementaire le soin d'édicter les mesures nécessaires pour l'application de ces règles ». Ainsi le degré d'intervention du législateur s'arrête à la « mise en cause » (de toute matière) et ne saurait descendre jusqu'aux modalités d'application laissées au pouvoir réglementaire. Cette conception condamne deux idées bien distinctes : celle de la distinction entre « la loi fixe les règles » et « la loi détermine les principes fondamentaux » et celle de l'existence même d'un pouvoir réglementaire autonome distinct du pouvoir réglementaire dérivé.

103 Louis FAVOREU, « Les règlements autonomes n'existent pas », Revue française de droit administratif, 1987, p. 871 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p.750-751.

104 Francis HAMON et Michel TROPER, ibid. ; René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 45.

105 Du domaine réglementaire autonome, on est passé à un « domaine de compétence partagée avec priorité au règlement » (Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 590) ; René DEGNI-SEGUI, ibid. ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 759. Certes un domaine réglementaire opposable au législateur existe, mais il n'est pas aussi étendu que l'on avait pu le croire. Le Conseil constitutionnel se montre assez subtil : il déclare en effet, dans la décision précitée du 30 juillet 1982, que la Constitution « a voulu, à côté du domaine de la loi,

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En revanche, le président de la République peut se voir investir d'un véritable pouvoir de législation à condition bien sûr d'en obtenir la délégation expresse de l'Assemblée nationale.

B / Le pouvoir de législation déléguée

Le président de la République peut se voir temporairement autoriser à légiférer sur les matières normalement réservées à la compétence de l'Assemblée nationale. Ce pouvoir de législation déléguée est soumis à des conditions de mise en oeuvre (1) et obéit à un régime juridique (2).

1. Les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de législation déléguée

Le pouvoir de législation déléguée ne peut être mis en oeuvre au profit du pouvoir exécutif que si certaines conditions sont satisfaites. Il faut d'une part le vote d'une loi d'habilitation (a) et d'autre part des conditions plus formelles (b).

a. L'autorisation législative

Aux termes de l'article 75, « le président de la République peut, pour l'exécution de son programme, demander à l'Assemblée nationale l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Plusieurs conditions tenant à l'autorisation législative découlent de cette disposition.

Le président de la République doit d'abord saisir l'Assemblée nationale, au moyen d'un projet de loi d'habilitation en principe106, d'une demande d'autorisation de prendre des ordonnances. L'Assemblée nationale peut accorder cette autorisation par l'adoption d'une loi d'habilitation ; celle-ci accorde au président de la République l'autorisation de prendre des ordonnances.

reconnaitre à l'autorité réglementaire un domaine propre ». (Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 535).

106 Le demande d'autorisation par voie d'amendement est cependant acceptée par le Conseil constitutionnel français (CC n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l'emploi..., cons. 5) et est qualifiée par une certaine doctrine d' « habilitation furtive » (Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, « Chronique constitutionnelle française », Pouvoirs, n° 125, p. 171).

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C'est pour faciliter au président de la République « l'exécution de son programme » que le législateur l'autorise à prendre des « mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

S'agissant des matières législatives sur lesquelles peuvent porter les ordonnances, le Conseil constitutionnel français veille à ce qu'elles soient fixées avec une précision suffisante. Si la loi d'habilitation n'est pas suffisamment précise, il n'hésite pas à utiliser la technique des décisions de conformité sous réserve et à énoncer lui-même les précisions lui paraissant nécessaires et que le Gouvernement (le président de la République, dans le régime politique ivoirien) devra par conséquent observer, sous le contrôle éventuel du juge administratif107.

Il y a également les conditions tenant aux délais impartis au président de la République. Il s'agit d'une part du délai que fixe la loi d'habilitation et pendant lequel le Président est autorisé à prendre des ordonnances ; d'autre part, l'intervention du président de la République dans le domaine législatif étant en principe soumis à un contrôle ultérieur de l'Assemblée nationale, la loi doit également impartir au président de la République un second délai - nécessairement plus long que le premier- pour déposer le projet de loi de ratification. Enfin, il faut noter l'exigence jurisprudentielle de respecter de la Constitution. Cette exigence va de soi et s'applique à la loi d'habilitation comme à toute loi en principe108.

A ces conditions de fond s'ajoutent nécessairement des conditions de forme tenant à l'édiction des ordonnances.

b. L'édiction des ordonnances

Aux conditions tenant à l'autorisation législative et qui se ramènent à des conditions de fond s'ajoutent des conditions plus formelles. Les ordonnances doivent avant tout être prises dans le délai imparti au président de la République. Elles peuvent faire l'objet d'un avis du Conseil constitutionnel, doivent avoir été délibérées en Conseil des ministres109 et être

107 La décision du Conseil constitutionnel 86-208 des 1er et 2 juillet 1986 relative à l'élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnances les circonscriptions électorales est tout à fait représentative de cette technique.

108 Le Conseil constitutionnel va même plus loin et rappelle que la loi d'habilitation ne saurait « avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont confiés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle » (Décision 86-208 des 1er et 2 juillet 1986). Ce qui lui permet de développer son contrôle sur les matières visées et sur les pouvoirs conférés par la loi.

109 La délibération des ordonnances en Conseil des ministres a une double origine constitutionnelle : d'une part, l'article 75 qui dispose : « (...) Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis éventuel du

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revêtues de la signature du président de la République ; en outre, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication.

Les actes édictés par le président de la République en vertu de son pouvoir de législation délégué obéissent en outre à un certain régime juridique.

2. Le régime juridique des ordonnances de l'article 75

De la distorsion entre leur auteur et leur contenu résulte un caractère hybride affectant le régime juridique des ordonnances. Celui-ci est dominé par les deux délais prévus par la loi d'habilitation : le délai imparti pour prendre des ordonnances (a) et le délai imparti pour déposer le projet de loi de ratification (b).

a. De la publication des ordonnances au délai de dépôt de la loi de ratification

Dès leur publication, les ordonnances entrent en vigueur et déploient leurs effets juridiques : elles peuvent, dans le cadre de l'autorisation parlementaire, modifier, abroger, remplacer les lois existantes ou édicter des mesures nouvelles. Cependant, elles demeurent des actes administratifs bien qu'ayant une finalité législative et, en cette qualité, sont susceptibles de recours contentieux et annulables par le juge administratif110 ; d'autre part, elles ne peuvent déroger ni à la Constitution ni aux principes généraux de droit111. Contrairement à ce qui a pu être soutenu112, l'Assemblée nationale n'est pas dessaisie de son droit de légiférer sur les matières déléguées de sorte que, pendant le premier délai, sur la même matière, deux types de compétences -présidentielle et parlementaire- peuvent s'exercer concomitamment113.

Conseil constitutionnel (...)» et d'autre part, l'article 51 : « (...) Le Conseil des ministres délibère obligatoirement (...) des projets de lois, d'ordonnances et des décrets réglementaires (...) ».

110 Conseil d'État, 3 novembre 1960, Damiani.

111 Les ordonnances prises par le président de la République en matière législative en vertu de l'article 38 (article 75 Constitution ivoirienne) de la Constitution sont soumises au respect des principes généraux de droit proprement dits (Conseil d'État, 24 novembre 1961, Fédération nationale des syndicats de police). Alors que l'on sait que ces principes généraux de droit ne s'imposent pas au législateur.

112 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 47 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 233.

113 L'article 76 de la Constitution n'autorise à prononcer l'irrecevabilité qu'à l'encontre des propositions et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi. L'omission voulue par les auteurs des Constitutions de 1960 (art. 46) et de 2000 (art. 76) autorise l'interprétation du non-dessaisissement de l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi d'habilitation. Francis Wodié écrit toutefois qu' « en bonne et stricte logique (technique) juridique, la délégation de compétence (pouvoir) entraîne ipso jure dessaisissement de l'autorité délégante pendant tout le temps de cette délégation ; ainsi l'autorité délégante ne peut évoquer pendant ce temps (délai)

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Lorsque le délai imparti pour prendre des ordonnances est expiré, les ordonnances demeurent des actes réglementaires. Le président de la République ne peut plus prendre de nouvelles ordonnances puisque l'autorisation législative qui lui avait été accordée a pris fin et il ne peut pas davantage, à l'égard des ordonnances déjà édictées et pour la même raison, modifier celles de leurs dispositions ayant un caractère législatif. Concernant l'Assemblée nationale, il n'est pas exact de dire qu'elle recouvre sa compétence sur les matières qui avaient fait l'objet de la loi d'habilitation car, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, elle n'a jamais perdu cette compétence ; mais elle dispose seule désormais de la faculté de modifier les ordonnances édictées. Nous sommes donc en présence d'une catégorie d'actes à valeur réglementaire, susceptibles en tant que tels d'annulation par le juge administratif, mais dont les dispositions matériellement législatives ne peuvent être modifiées que par la loi et non par le règlement.

Dès que ce premier délai est expiré, il faut envisager un régime juridique différent de celui que nous venons d'étudier.

b. Après l'expiration du délai de dépôt de la loi de ratification

Deux hypothèses doivent être distinguées selon que le président de la République a déposé ou non à temps le projet de loi de ratification sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Si le président de la République n'a pas déposé à temps le projet de loi de ratification, les ordonnances prises deviennent caduques : il s'agit donc d'une simple abrogation et non d'une nullité ab initio. Le simple dépôt du projet de loi de ratification par le président de la République suffit : si le projet est déposé mais ne vient pas en discussion, les ordonnances demeurent des actes administratifs avec les implications que cela comporte.

Si le président de la République dépose à temps le projet de loi de ratification, trois hypothèses peuvent être distinguées. D'abord, l'Assemblée nationale bien que saisie dans le délai ne se prononce pas : les ordonnances continuent à s'appliquer avec leur nature d'actes administratifs. Ensuite, l'Assemblée nationale refuse de ratifier les ordonnances prises et elles

une affaire comprise dans la délégation de compétence ; d'où le rejet de la concurrence de compétences pendant ce délai » (op.cit., p. 199).

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deviennent caduques. Enfin, elle ratifie les ordonnances114 et celles-ci acquièrent force de loi pour l'avenir et échappent à tout recours contentieux.

Mais le Conseil constitutionnel peut être amené à apprécier la conformité à la Constitution de certaines ordonnances auxquelles la confirmation parlementaire -exercée le cas échéant en les modifiant- a conféré valeur législative. Ce faisant, le président de la République pourrait saisir le Conseil constitutionnel au titre de l'article 72.2 pour lui demander de constater que certaines dispositions d'une ordonnance ayant acquis valeur législative sont matériellement réglementaires.

La répartition des compétences entre l'Assemblée nationale et le président de la République telle qu'opérée par la Constitution n'est pas sans susciter d'éventuels empiètements d'un organe sur le domaine de compétences de l'autre. Des procédures sont donc prévues pour non seulement protéger les domaines respectifs du président de la République et de l'Assemblée nationale mais également pour sanctionner les ingérences réciproques.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry