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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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PREMIÈRE PARTIE :

L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

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Un régime de séparation des pouvoirs suppose une certaine égalité des organes exécutif et législatif par laquelle l'équilibre recherché des pouvoirs est susceptible d'être réalisé. Il est ainsi souhaitable voire indispensable de conférer à chacun des organes en présence des compétences propres -et qui se contrebalancent- sur lesquelles les empiètements réciproques ne sont en principe guère tolérables ; c'est à l'intérieur de ce domaine réservé de compétences que se meuvent les pouvoirs exécutif et législatif et c'est de l'exercice de ces compétences que chacun des deux pouvoirs politiques tire sa force en présence de l'autre50. Chacun des organes exécutif et législatif étant en droit absolument puissant en son domaine réservé et parfaitement impuissant dans le domaine réservé d'en face, une collaboration s'établit de fait entre eux pour éviter des blocages institutionnels et politiques inhérents au régime présidentiel51. C'est pourquoi des mécanismes juridiques de collaboration ne sont pas eux-mêmes contraires à l'esprit d'un tel régime52. Les auteurs de la Constitution du 1er aout 2000 ont fait un tel choix : ils ont recherché l'équilibre entre le pouvoir exécutif et le Parlement d'abord par une délimitation matérielle de leurs compétences respectives (chapitre I) et ensuite par une nécessaire collaboration entre eux (chapitre II)53.

CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE DES COMPÉTENCES

Les titulaires respectifs des pouvoirs exécutif et législatif -le président de la République et l'Assemblée nationale- ne peuvent entretenir des rapports d'équilibre que si une délimitation équitable des compétences existe -et est respectée- entre eux. Cette délimitation équitable des compétences est en effet un frein à l'absolutisme du pouvoir en faveur de l'un

50 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 145-147 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 119121 ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, Droit constitutionnel, 7e éd., Abidjan, Les éditions ABC, 2007, p. 101-104 ; Yédoh S. LATH, op.cit., p. 11.

51 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153.

52 Dans un régime présidentiel, des mécanismes de collaboration pas nécessairement juridiques existent toujours entre le Président et le Parlement (Francis HAMON et Michel TROPPER, op.cit., p. 120-121 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 146-147).

53 Les auteurs de la Constitution n'ont pas, de ce point de vue, fondamentalement innové puisque l'on retrouvait déjà une délimitation des compétences normatives entre les organes exécutif et législatif dans le cadre des Constitutions du 26 mars 1959 et du 3 novembre 1960 (art. 37 et art. 39 de la Constitution de 1959, art. 41 et art. 44 de la Constitution de 1960) et des mécanismes juridiques de collaboration entre eux (art. 40, 43, 44 etc. de la Constitution de 1959, art. 40, 45, etc. de la Constitution de 1960). D'autre part, en séparant les pouvoirs exécutif et législatif tout en prévoyant des mécanismes de collaboration entre eux, les constituants ivoiriens ont fait le choix d'un régime encore présidentiel mais comprenant une dose de régime parlementaire ; ce que Georges Pompidou, parlant du régime politique de la Constitution française du 4 octobre 1958, a qualifié de « régime bâtard » (un régime né d'un croisement « impur » entre régime présidentiel et régime parlementaire).

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ou l'autre des organes. C'est sans conteste dans une telle perspective que le président de la République et l'Assemblée nationale disposent chacun -en vertu de la Constitution- d'un domaine respectif de compétences (section I) et qu'à cette répartition des tâches est attachée une sanction (section II).

Section I : Le domaine respectif des compétences

Il est nécessaire que des compétences -notamment normatives- soient attachées aux pouvoirs exécutif et législatif et qu'elles constituent leurs domaines réservés respectifs. C'est ainsi qu'aux termes des articles 71 et 72 de la Constitution se trouvent établies à la fois la compétence normative de l'Assemblée nationale (paragraphe 1) et celle du président de la République (paragraphe 2)54.

Paragraphe 1 : La compétence normative du Parlement

L'article 71 de la Constitution fournit d'abord une définition matérielle de la loi constitutive du tracé originaire du domaine législatif (A). Mais ce tracé originaire est ensuite assez immensément élargi par la jurisprudence (B).

A/ La définition matérielle de la loi selon la Constitution de 2000, tracé originaire du domaine législatif55

Il y a certes une définition organique de la loi56 mais celle-ci doit être jointe à une définition matérielle : cette définition matérielle se réfère au contenu de l'acte et détermine le domaine de la loi. Le domaine législatif découle d'une part de l'article 71 de la Constitution (1) et d'autre part d'autres dispositions constitutionnelles (2).

54 Cette technique de délimitation du domaine de la loi et du règlement -déjà utilisée dans la Constitution de 1960 (art. 41 et 44.1)- est reprise par les auteurs de la Constitution de 2000 de la Constitution française du 4 octobre 1958, notamment les articles 34 et 37 de celle-ci (Karim DOSSO, L'influence du droit administratif français sur le droit administratif ivoirien, thèse pour le doctorat, Abidjan : Université de Cocody, 2006, p. 67).

55 Il y a, aux termes de l'article 71 de la Constitution de 2000, prééminence du critère matériel de la loi (René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 83). L'article 71 de la Constitution de 2000 -qui reprend l'article 34 de la Constitution française de 1958- opère une véritable « révolution juridique » : la compétence législative du Parlement n'est plus illimitée, elle a une compétence d'attribution définie par les matières limitativement énumérées à l'article 71 (art.34 de la Constitution française) ; le président de la République acquiert, en revanche, un pouvoir normatif autonome (Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 9e éd., Paris, Montchrestien, 2010, p. 321).

56 La loi reste l'acte élaboré par l'Assemblée nationale, suivant une certaine procédure et promulgué par le président de la République. C'est en ce sens que l'article 71.2 de la Constitution dispose que l'Assemblée nationale « vote seule la loi ».

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1. L'article 71, chef de compétence principal du législateur

L'article 71 de la Constitution énumère les matières législatives en distinguant formellement entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux (a) mais il semble que cette distinction formelle n'ait plus d'incidence sur la compétence du législateur (b).

a. La distinction formelle entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux

La Constitution de 2000, imitant en cela la Constitution française en son article 34, détermine un domaine réservé à la loi, hors duquel l'Assemblée nationale ne peut pas légiférer. L'article 71 de la Constitution délimite de deux façons essentielles ce domaine réservé à la loi. Pour certaines matières, la loi « fixe les règles » ; pour d'autres, elle « détermine les principes fondamentaux ».

Ainsi aux termes de l'article 71.3 de la Constitution sont donc matières législatives par détermination de la Constitution, les règles concernant : la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ; la procédure selon laquelle les coutumes sont constatées et mises en harmonie avec les principes fondamentaux de la Constitution ; la détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l'amnistie ; l'organisation des tribunaux judicaires et administratifs et la procédure suivie devant ces juridictions ; le statut des magistrats, des officiers ministériels et des auxiliaires de justice ; le statut général de la fonction publique ; le statut du corps préfectoral ; le statut du corps diplomatique ; etc.57

En outre aux termes de l'article 71.4 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux : de l'organisation générale de l'administration ; de l'enseignement et de la recherche scientifique ; de l'organisation de la défense nationale ; du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; du droit du travail, du droit

57 L'énumération de ces matières n'est pas exhaustive (voir article 71 de la Constitution de 2000).

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syndical et des institutions sociales ; de l'aliénation et de la gestion du domaine de l'État ; du transfert d'entreprises du secteur public au secteur privé ; etc.58.

Enfin les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État (art. 71.5), et les lois de programme fixent les objectifs de l'action économique et sociale de l'État (art. 71.6). Cette énumération des matières législatives est d'ailleurs limitative car, à la différence de l'article 34 de la Constitution française, l'article 71 de la Constitution ivoirienne ne prévoit la possibilité ni de la préciser ni de la compléter59.

Il semble toutefois, en dépit de la distinction formelle entre règles et principes, que l'on ait désormais une lecture unitaire de la compétence du législateur.

b. Une lecture unitaire de la compétence du législateur60

L'article 71 distingue formellement les règles que la loi fixe des principes fondamentaux que la loi détermine. Cette opposition est en apparence fondée61, car on peut penser que, pour certaines questions, le législateur devrait disposer d'une compétence plus étendue lorsqu'il fixe les règles, l'autorité réglementaire n'ayant plus qu'à préciser les dernières modalités d'application62 et que pour d'autres questions, il se limite à énoncer des orientations générales de la réglementation -en déterminer le principe fondamental- en laissant le soin au pouvoir exécutif d'édicter les mesures d'application concrètes63.

Dans la pratique, la distinction entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux d'un objet n'est pas aisée à préciser. Si l'Assemblée nationale veut

58 L'énumération de ces matières n'est pas non plus exhaustive (voir article 71 de la Constitution de 2000). L'article 71 innove sur plusieurs points par rapport à l'article 41 de la Constitution de 1960. Il ajoute en effet à l'énumération des matières dont la loi fixe les règles : les statuts du corps préfectoral, du corps diplomatique, du personnel des collectivités locales, de la fonction militaire et des personnels de la police nationale ; l'organisation générale de l'administration ne figure plus par ailleurs dans la liste des règles à fixer. D'autre part, quant aux matières dont la loi détermine les principes fondamentaux, l'article 71 ajoute par rapport à l'article 41 de la Constitution de 1960 : l'organisation générale de l'administration, le transfert d'entreprises du secteur public au secteur privé, la protection de l'environnement et le statut des partis politiques (Karim DOSSO, op.cit., p. 70). L'article 71 -à l'instar de son devancier de la Constitution de 1960 (l'article 41)- continue d'omettre les nationalisations d'entreprises du domaine de la loi (Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 192-193).

59 L'article 34 in fine de la Constitution française dispose au contraire que : « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ».

60 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 760 ; Dominique ROSSEAU, op.cit., p. 327.

61 La distinction fut respectée dans les premières années par le Conseil constitutionnel français avant d'être abandonnée.

62 Décision 57.1 du 27 novembre 1959. Rec. p. 670 ; n° 62.20 du 4 décembre 1962. Rec., p. 34 ; 64.30 D.C. du 17 septembre 1964. Rec., p. 41.

63 Décision 63.23 D.C. du 19 février 1963. Rec., p. 29.

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entrer dans les détails des mesures édictées là où le président de la République estime au contraire qu'elle devrait se borner simplement à déterminer les principes fondamentaux, des conflits sont à redouter. Ces difficultés perçues très tôt par la doctrine64 seront finalement balayées par la jurisprudence ultérieure du Conseil constitutionnel.

Celle-ci s'accorde désormais à dire que la distinction formelle entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux n'a pas d'incidence sur la compétence du législateur. A une répartition horizontale des compétences législatives et réglementaires, le Conseil constitutionnel français a en effet substitué une répartition verticale qui s'établit comme suit : au pouvoir législatif revient la « mise en cause » des règles et au pouvoir réglementaire leur « mise en oeuvre »65. Ainsi le degré d'intervention du législateur s'arrête à la mise en cause et ne saurait descendre jusqu'aux modalités d'application et il ne saurait par conséquent être question de faire une quelconque distinction entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux par le législateur66.

« Finalement, règles et principes se rapprochent ou se confondent lorsqu'il s'agit de les appliquer autant... que pour les déterminer »67.

D'autres dispositions de la Constitution -à côté de l'article 71- concourent à définir les matières dans lesquelles il appartient exclusivement à l'Assemblée nationale de légiférer.

2. Les autres dispositions de la Constitution, chefs de compétence complémentaires du législateur

L'extension du domaine législatif par ces dispositions-là repose sur une étude plus poussée des textes constitutionnels par la doctrine et est reconnue par la jurisprudence

64 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p.615.

65 C'est le critère tiré de l'importance de la matière ; il rejoint, comme le note Jean et Jean-Éric Gicquel, la vision de Portalis, exprimée dans son Discours préliminaire du Code civil, en 1804 : « Les lois sont des commandements... C'est aux lois de poser dans chaque matière les règles fondamentales et à déterminer les règles essentielles. Les délais d'exécution... les objets instantanés ou variables... sont du ressort du règlement ». Et de conclure : « Les règlements sont des actes de magistrature et les lois des actes de souveraineté « (op.cit., p. 761).

66 Décision du 6 octobre 1976, Conseil constitutionnel ; CHANTEBOUT Bernard, Droit constitutionnel, 29e éd., Paris, Sirey, p. 589-590 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, ibid., p. 760-762 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 749.

67 Alain-Gérard COHEN, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au domaine de la loi d'après l'article 34 de la Constitution », Revue du droit public, 1963, n° 4, p. 767 ; voir également les observations de Louis FAVOREU et Loïc PHILIP sur la décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 1959, R.A.T.P., Grandes décisions, n°5.

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constitutionnelle (a). Elle se fait soit par le renvoi à la loi soit par l'autorisation par celle-ci (b).

a. Une extension reposant sur une étude plus poussée des textes constitutionnels et reconnue par la jurisprudence constitutionnelle

Des auteurs tels que Louis Favoreu et Loïc Philip ont fait observer que la rédaction finalement adoptée pour l'article 37 -qui correspond à notre article 72.1- : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire » comportait une modification très importante par rapport à la rédaction initialement envisagée et qui était : « Les matières autres que celles visées à l'article 31 (devenu l'article 34 et qui correspond à notre article 71, al. 3, 4, 5 et 6) ont un caractère réglementaire ». Cette modification paraît bien confirmer, en effet, que les constituants n'ont pas voulu limiter le domaine législatif aux seules matières énumérées par l'article 34 (art. 71, al. 3 et 4 de notre Constitution). Il s'en suit une conséquence majeure : les matières législatives vont au-delà de l'énumération de l'article 34 (art. 71, alinéas 3 et 4 de la Constitution ivoirienne).

Cette extension du domaine législatif au-delà de l'énumération de l'article 34 -à propos de la Constitution française- est d'ailleurs explicitement reconnue par le Conseil constitutionnel. Il énonce en effet que : « Considérant que, d'après l'article 37 de la Constitution, « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire » et que « ce domaine est déterminé non seulement par l'article 34, mais aussi par d'autres dispositions de la Constitution... »68.

Par conséquent, le domaine de la loi cerné au moyen conjugué des articles 71 et 72.2 de la Constitution n'est pas ainsi borné69. Il est nécessaire de se référer à d'autres dispositions constitutionnelles très nombreuses qui étendent la compétence de l'Assemblé nationale.

b. Le renvoi à la loi ou l'autorisation par une loi

68 Décision du Conseil constitutionnel français du 2 juillet 1965 (Rec., p. 75). A partir de cette décision, le Conseil constitutionnel français reconnaît, admet la compétence de la loi relativement à une diversité de matières : la libre administration des collectivités locales sur le fondement des articles 72 à 776 (C.C. 69-52 L., févr. 1969, rec., p. 21 et autres décisions), l'autorisation de la ratification de certains traités sur celui de l'article 53 (C.C. 75-59 D.C., 30 déc., 1975, rec., p. 26), etc.

69 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193.

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En de nombreuses autres matières, la Constitution confie ou renvoie à la loi, exige l'autorisation du législateur. Ainsi pour la déclaration de guerre (art. 73), la prorogation au-delà de quinze jours de l'état de siège (art. 74.2), l'autorisation de ratifier certains traités ou d'approuver certains accords (art. 85), la fixation des règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel ainsi que la procédure et les délais (art. 100), la composition, l'organisation et le fonctionnement des juridictions suprêmes (art. 102.2), les conditions d'application des dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature (art. 107), la détermination du nombre des membres, des attributions et des règles de fonctionnement de la Haute cour de justice et de la procédure suivie (art. 108.2), la mise en accusation du président de la République et des ministres (art. 111), les attributions, l'organisation et le fonctionnement du Médiateur de la République (art. 118), les principes de la libre administration des collectivités territoriales ainsi que de leurs compétences et de leurs ressources (art. 119), etc.70.

Certains auteurs ont observé que ces quelques autres articles de la Constitution renvoyant à la loi peuvent paraître assez négligeables dans la mesure où l'article 71 contient déjà des positions très proches sinon identiques. Par conséquent, l'on peut penser que ces autres articles font double emploi avec lui71. Il n'en reste pas moins de toute façon que, pour définir le domaine de la loi, il ne faut guère se limiter à l'article 71 de la Constitution72.

Ces autres dispositions que nous venons d'évoquer et qui étendent le domaine de la loi sont encore inscrites dans le texte même de la Constitution. Mais le véritable élargissement du domaine législatif découle de la jurisprudence constitutionnelle.

B/ L'élargissement jurisprudentiel du domaine législatif

L'élargissement jurisprudentiel du domaine législatif se situe à deux niveaux : d'abord dans l'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule (1) et ensuite dans l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire par volontés concordantes du Parlement et de l'exécutif (2).

70 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 761 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 749 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 325 ; Francis V. WODIÉ, ibid., p. 193.

71 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 522.

72 L'article 34 (article 71 de la Constitution ivoirienne) a perdu le monopole de la définition de la compétence du législateur (François LUCHAIRE, « Les sources des compétences législatives et réglementaires », AJDA, 1979, p. 3).

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1. L'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule et ses conséquences au regard de la compétence du législateur

Les juridictions françaises -et notamment le Conseil constitutionnel- ont admis la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1958 et des normes auxquelles il renvoie. Cette jurisprudence française nous intéresse à deux titres : parce qu'elle est susceptible d'être transposée dans notre droit constitutionnel d'une part (a) et que cette transposition entraînerait des conséquences importantes au regard de la compétence du législateur d'autre part (b).

a. L'extension du bloc de constitutionnalité au Préambule, à la Déclaration universelle de 1948 et à la Charte africaine de 198173

La valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution française ne semble pas faire de doute aujourd'hui après la controverse d'avant 197174. Le Conseil d'État français avait en effet déjà jugé que, si la Constitution a attribué compétence au pouvoir réglementaire pour déterminer les contraventions et les peines assorties, c'est par dérogation au principe général énoncé à l'article 8 de la Déclaration de 1789 à laquelle se réfère le Préambule et qui prescrit le caractère légal des peines. Si donc seul le constituant peut déroger à un tel principe contenu dans le préambule, c'est que celui-ci a valeur constitutionnelle75.

Dans sa décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans le même sens en décidant de procéder à un contrôle au fond de la conformité de la loi à la Constitution et plus précisément à son préambule76. Ce faisant, il reconnaît valeur constitutionnelle non seulement au préambule de la Constitution de 1958 mais également à la

73 Il s'agit de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981.

74 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 98. Jusqu'en 1971, deux écoles s'affrontent sur la valeur juridique de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946 : pour Carré de Malberg (Contribution à la théorie générale de l'État, p. 580) et A. Esmein (Eléments de droit constitutionnel, Sirey, I, p. 601) par exemple, ces textes ne peuvent pas avoir de valeur juridique tandis que pour d'autres tels que Hauriou (Précis de droit constitutionnel, Sirey, p. 618) et Duguit (Traité de droit constitutionnel, Paris, II, p. 184), les déclarations ont une valeur identique à celle du texte constitutionnel lui-même et s'imposent au législateur.

75 Conseil d'État français, section, 12 février 1960, Société Eky.

76 Le Conseil constitutionnel a d'abord posé le principe que la liberté d'association fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (P.F.R.L.R.) et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution. Il a ensuite jugé qu'une loi, qui porte atteinte à ce principe en substituant l'autorisation préalable à la simple déclaration préalable exigée pour la constitution des associations, n'est pas conforme à la Constitution.

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Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946 auxquels il renvoie ainsi qu'aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » visés par ce dernier77.

Dès lors, la voie était ouverte pour ajouter à l'énumération de l'article 34 de nouvelles matières législatives procédant des normes visées par le Préambule.

Cette jurisprudence française est importante au regard même de notre droit constitutionnel car elle est susceptible d'y être transposée. En effet, si le fait même que le Préambule soit incorporé dans le texte de la Constitution suffisait à lui conférer valeur constitutionnelle, celui figurant en tête de la Constitution de 2000 possède bien une telle valeur de même que les normes auxquelles il renvoie78.

Si donc l'on tient ainsi pour obligatoires les dispositions du préambule de la Constitution de 2000, la liste des matières législatives s'allonge considérablement79.

b. Les conséquences de l'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule au regard de la compétence du législateur

L'extension du bloc de constitutionnalité au Préambule et aux normes auxquelles il renvoie entraînerait certaines conséquences au regard de la compétence du législateur. En effet, le domaine d'intervention de celui-ci ne serait plus seulement déterminé par référence exclusive au texte même de la Constitution mais également en se fondant sur le Préambule et les textes juridiques auxquels il renvoie : le domaine législatif s'en trouverait élargi.

C'est ainsi que le Conseil constitution français, dans sa décision du 28 novembre 1973, décidera que la matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables est législative lorsque lesdites peines comportent des mesures privatives de liberté. Cette décision ne pouvait prendre appui sur l'article 34 puisque la matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables ne figure pas dans l'énumération dudit article par suite d'une omission qui semble délibérée, les crimes et les délits étant eux expressément visés. Cette

77 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 100.

78 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général : l'action administrative, 4e éd., Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 29.

79 Dans certaines de ses décisions, le Conseil constitutionnel ivoirien a confirmé la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1960 : il s'agit de la décision n° L. 001/96 du 11 décembre 1996 relative à la Convention du 3 juillet 1996 portant création du Conseil régional de l'épargne publique et des marchés financiers et de la décision n° L. 005/97 du 16 juin 1997 relative à la Convention de l'Organisation de l'Unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée le 10 septembre 1969 à Addis-Abeba (Ethiopie).

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décision du Conseil constitutionnel est d'autant plus significative qu'elle marque un revirement complet de sa jurisprudence antérieure lorsque, se fondant exclusivement sur le texte de la Constitution et précisément à son article 34, il décidait que : « la détermination des contraventions et des peines dont celles-ci sont assorties est de la compétence réglementaire »80. Il a suffi au Conseil constitutionnel de viser désormais l'article 66 et surtout les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 à laquelle renvoie le Préambule.

Si l'on tient également pour obligatoire le préambule de la Constitution de 2000 qui renvoie à deux textes majeurs en matière de droits de l'homme -à savoir la Déclaration de 1948 et la Charte africaine de 198181- le domaine législatif s'élargit puisque l'article 71 de la Constitution renvoie à la loi toutes les matières ayant trait aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques82.

D'autre part, si la possibilité était reconnue à l'Assemblée nationale d'intervenir en dehors même de son domaine, cela contribuerait plus encore à l'élargissement de celui-ci.

2. L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire par volontés concordantes du législateur et de l'exécutif

Si le Parlement veut intervenir dans le domaine réglementaire et que le président de la République ne s'y oppose pas, cette intervention en principe contraire à la délimitation matérielle des compétences législatives et réglementaires (a) ne sera cependant pas sanctionnée par le Conseil constitutionnel (b).

a. Une intervention en principe contraire à la délimitation matérielle de la loi par la Constitution

Initialement et en s'en tenant à la lettre de la Constitution qui opérait la délimitation des domaines législatif et réglementaire, le Conseil constitutionnel français veillait très strictement à ce que la loi porte bien sur des matières législatives prévues à l'article 34 ou,

80 Déc. n° 63-22 du 19 février 1963, Rec. p. 27. La nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel résultant de sa décision du 28 novembre 1973 (compétence législative en matière de contraventions et des peines applicables) va également à l'encontre de la position adoptée par le Conseil d'État (12 février 1960, Société Eky).

81 Le préambule de la Constitution de 2000 ne se réfère plus à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cela traduirait, selon René Dégni-Ségui, la volonté des auteurs de la Constitution de 2000 de couper le « cordon ombilical avec l'ex-colonisateur » (Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 72).

82 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193. Pour plus de développements sur l'extension du domaine législatif : voir Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 322-329.

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plus rarement, à un autre article de la Constitution. Ainsi, une loi comportant des dispositions à caractère non législatif -ne satisfaisant donc pas au critère matériel de l'article 34 (notre article 71)- eût été exposée à la censure du Conseil constitutionnel saisi par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou au moins un dixième des députés en application de l'article 61.2 de la Constitution (notre article 95.2). Le domaine de droit commun dont dispose le président de la République était par conséquent un domaine exclusif et il ne pouvait en principe se montrer généreux en autorisant le Parlement à y intervenir. Le domaine législatif ne présenta jamais au contraire ce caractère exclusif : le président de la République peut y intervenir soit avec l'accord du législateur -les ordonnances de l'article 75-soit sans son accord -les décisions présidentielles de l'article 48 et les ordonnances budgétaires83.

Désormais, l'intervention du législateur dans le domaine réglementaire est admise à condition de satisfaire à certaines exigences que nous aborderons tout à l'heure. La voie se trouve ainsi ouverte de voir des lois empiétant sur le domaine réglementaire et qui ne seraient pas déclarées inconstitutionnelles en cas de saisine du Conseil constitutionnel.

Certes une telle intervention de l'Assemblée nationale est en principe contraire à la délimitation matérielle des compétences voulue par les auteurs de la Constitution, mais elle ne saurait dorénavant être systématiquement censurée.

b. Une intervention non systématiquement sanctionnée par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel français ne considère plus que l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire doive être sanctionnée en cas de recours lorsque l'accord du Gouvernement et du Parlement vient à couvrir cette intervention84. Le domaine réglementaire a été institué au profit du seul Gouvernement et la Constitution lui donne des moyens de le protéger des empiètements du législateur : l'article 41 (notre article 76) lui

83 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 84. La délimitation des compétences législative et réglementaire tracée par la Constitution est originairement voulue comme étant immuable, absolue : des mécanismes sont alors destinés à assurer, selon le mot de Francis V. Wodié, « l'intangibilité des frontières » (op.cit., p. 194). Mais cette intangibilité des frontières n'est pas autant assurée au profit du domaine législatif que du domaine réglementaire : celui-ci est rigoureusement protégé tandis que celui-là l'est assez faiblement.

84 Décision du 30 juillet 1982 du Conseil constitutionnel relative à la loi sur les prix et les revenus. Cette décision du Conseil constitutionnel constitue un véritable tournant et est largement commentée par la doctrine : elle relativise la limitation du domaine de la loi (Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 755), elle sonne le glas du critère matériel de la loi défini à l'article 34 -notre article 71- (Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 34), etc.

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permet d'opposer l'irrecevabilité aux propositions et amendements qu'il juge ne pas être du domaine de la loi tandis que l'article 37.2 lui permet d'obtenir la restitution de son pouvoir réglementaire sur les matières irrégulièrement introduites dans une loi. Dès lors que le Gouvernement consent aux empiètements du législateur soit en s'abstenant à l'égard d'une proposition de loi d'user de la procédure de l'article 41 soit en déposant lui-même un projet de loi portant sur des matières non législatives, l'irrégularité commise -l'intervention du pouvoir législatif dans le domaine réglementaire- est couverte85.

Dès lors, l'article 61.2 (notre article 95.2) de la Constitution ne saurait désormais constituer une telle protection que dans la stricte mesure où le Gouvernement aurait manifesté son hostilité à l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire.

En définitive, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et la pratique gouvernementale concordent toutes deux à retenir une conception extensive du domaine de la loi86 au point que certains se demandent s'il n'y a pas tout simplement un abandon du critère matériel87. Cette conception extensive du domaine de la loi est par ailleurs confortée par la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel qui oblige le législateur à exercer pleinement sa compétence (théorie de l'incompétence négative du législateur).

Bien que la compétence législative de l'Assemblée nationale soit largement étendue et élargie, il reste qu'elle n'est plus le seul législateur au sens large du terme. A côté d'elle, le président de la République dispose d'une compétence normative importante.

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