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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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Section II : Les initiatives bridées

Les initiatives de l'Assemblée nationale sont doublement bridées et précisément là où elles devraient être le plus libre possible, c'est-à-dire au plan législatif (paragraphe 1) et au plan financier (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Au plan législatif

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Conformément à l'article 42, l'initiative des lois appartient concurremment au président de la République et aux députés. En droit, il n'y a pas de différences entre projets et propositions de lois mais celles-ci n'ont pas les mêmes chances d'aboutissement que ceux-là. Cet état de fait tient à des entraves politique (A) et institutionnelle (B) posées aux propositions de lois.

A/ L'entrave politique aux propositions de lois émanant des députés de la majorité et de l'opposition

L'entrave politique aux propositions de lois réside essentiellement dans l'existence d'une majorité parlementaire de soutien au programme du président de la République. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de cette majorité parlementaire (1), certainement nécessaires à la réalisation du programme de Gouvernement, entraînent nonobstant des conséquences peu fastes pour le prestige de l'Assemblée nationale (2).

1. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de la majorité parlementaire

Le président de la République apparaît comme le chef d'une majoritaire parlementaire au sein de laquelle règne une discipline stricte autour de sa personne. Ce fait fondamental de la science politique ivoirienne entraîne une quasi-inexistence de propositions de lois émanant des députés de la majorité d'une part (a) et assure une mort certaine aux propositions de lois émanant des députés de l'opposition parlementaire d'autre part (b).

a. Une quasi-inexistence de propositions de lois émanant des députés de la majorité

Le fait majoritaire explique et aggrave la rareté des initiatives parlementaires, spécifiquement celles émanant des députés de la majorité. Dès la veille de l'indépendance, le parti présidentiel est en effet constamment demeuré le parti majoritaire soit seul soit en alliance avec d'autres formations politiques. Ainsi de 1959 à 1999, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire a détenu à lui seul la quasi-totalité des sièges à l'Assemblée nationale sans qu'en fait le multipartisme, à partir de 1990, eût changé grand-chose à cette réalité307 ; à partir de 2000 jusqu'en 2010, le Front populaire ivoirien -en alliance, il est vrai, avec des députés

307 Sous la dernière législature de la première République, la répartition des sièges était ainsi faite : P.D.C.I. (parti présidentiel) : 150/225 ; R.D.R. : 13 ; F.P.I. : 12 et sièges non alloués : 50.

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d'autres formations politiques- est parvenu à obtenir la majorité absolue des sièges308 et enfin depuis 2011, le Rassemblement des républicains détient à lui tout seul presque la majorité absolue309. Ce fait majoritaire doit être conjugué avec la stricte discipline de parti au sein de la majorité parlementaire.

Cette discipline de parti au sein de la majorité parlementaire a elle-même une explication résidant dans la personne du président de la République, leader emblématique, historique et/ou charismatique du parti présidentiel. Il en fut ainsi, à divers degrés, sous les différentes présidences de la République si l'on met entre parenthèses la période transitoire ouverte avec le coup d'État du 24 décembre 1999310 : sous celle, d'abord, d'Houphouët-Boigny et de Konan Bédié ; sous celle, ensuite, de Laurent Gbagbo et enfin depuis 2010 sous celle d'Alassane Ouattara. Le président de la République -incarnant toujours à lui tout seul le parti présidentiel- cristallise et renforce une discipline rigoureuse autour des orientations et des directives qu'il détermine.

Ces deux faits expliquent que le président de la République -leader naturel du parti présidentiel et par conséquent chef de la majorité parlementaire- non seulement obtienne le vote de ses projets de lois mais également que les députés de la majorité lui délaissent toute initiative en matière législative. Il en résulte une rareté des propositions de lois émanant des députés de la majorité parlementaire.

Quant au sort réservé aux propositions de lois formulées par les députés de l'opposition dans un tel contexte, l'on peut aisément le deviner.

b. Les propositions de lois émanant des députés de l'opposition, des propositions mort-nées

Les députés de l'opposition disposent théoriquement de l'initiative en matière législative. En réalité, s'ils peuvent toujours exercer cette initiative législative en soumettant à l'Assemblée nationale des propositions de lois et des amendements, ils ont peu de chances de les voir adoptés. L'explication en est toute simple : elle réside à la fois dans le fait majoritaire en faveur du parti présidentiel que nous avons précédemment analysé mais surtout dans le fait

308 Sous la première législature de la seconde République : F.P.I. (parti présidentiel) : 96/225 ; P.D.C.I. : 94 ; Indépendants : 22 ; R.D.R. : 5 ; P.I.T. : 4 ; M.F.A. : 1 ; U.D.C.I. : 1 et sièges non alloués : 2.

309 La répartition des sièges sous la 2e législature de la seconde République se fait comme suit : R.D.R. : 127/255 ; P.D.C.I. : 77 ; les non-inscrits : 35 ; U.D.P.C.I. :7 ; R.H.D.P. : 4 et M.F.A. : 3.

310 Après le coup d'État du 24 décembre 1999, tous les pouvoirs publics constitutionnels ont été dissouts par le Général Robert Guéi à l'exception de la Cour suprême.

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que cette majorité parlementaire -en réalité le président de la République- est peu disposée à voir adoptées des lois issues de propositions de députés de l'opposition.

A la différence donc du droit d'initiative législative des députés de la majorité parlementaire qui ne s'exerce même pas puisque ces derniers préfèrent le délaisser au président de la République, celui émanant des députés de l'opposition se manifeste bien et beau et leurs propositions sont même discutées mais elles demeurent vouées à l'échec. Dès lors, le droit d'initiative législative apparaît avoir un but détourné : le député de l'opposition qui dépose une proposition de loi est certainement conscient de son sort définitif mais précisément, il espère démontrer par le rejet même de sa proposition le peu de disposition de la part de la majorité parlementaire -et partant du président de la République- à permettre certaines réformes.

Le fait majoritaire que nous venons d'étudier et les autres éléments qui s'agglutinent à ce fait majoritaire (fait personnel, discipline de parti, etc.) entraînent certaines conséquences qui ne participent pas de l'équilibre dans les rapports entre le président de la République et l'Assemblée nationale.

2. Les conséquences du fait majoritaire sur le prestige de l'Assemblée nationale

Les conséquences du fait majoritaire sont que d'une part, il y a un faible taux des propositions de lois dans la production législative (a) et d'autre part, l'Assemblée nationale est ravalée au rang de faire-valoir du président de la République (b).

a. Un faible taux des propositions de lois dans la production législative

La plupart des lois qui sont adoptées à l'Assemblée nationale proviennent non des initiatives des députés -que ce soit ceux de la majorité ou, encore moins, ceux de l'opposition- mais du président de la République. Ce phénomène est perceptible dans tous les régimes politiques où Gouvernement et Parlement participent à l'élaboration de la loi311.

Cette situation pose la question de l'effectivité du droit d'initiative législative d'origine parlementaire consacré à l'article 42 de la Constitution. Ce droit d'initiative législative

311 Pierre Pactet écrit ainsi en parlant de la situation française : «... au cours de l'année civile 1991, 141 projets de lois ont été déposés et 80 adoptés, cependant que 915 propositions de lois étaient déposées et 14 adoptées » (op.cit., p. 423).

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d'origine parlementaire tend en effet à devenir de plus en plus théorique, à être dépourvu de toute substance : il n'y a que le président de la République ou le Gouvernement -selon le régime politique- qui exerce véritablement le droit d'initiative législative que leur reconnaît la Constitution. A ce rythme, l'on peut se poser la question de savoir si l'initiative législative d'origine parlementaire ne tombera pas en désuétude.

Plus fondamentalement encore, nous pouvons nous poser la question de l'actualité de la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. A la séparation classique entre organe législatif et organe exécutif se serait en effet substitué, selon Maurice Duverger, la séparation entre le pouvoir de la majorité ou pouvoir d'État et le pouvoir de l'opposition ou pouvoir tribunicien. Le premier détient à la fois le pouvoir de légiférer et le pouvoir d'exécuter ; le second le pouvoir de contrôler312.

Si l'on s'en tenait à cette nouvelle forme de séparation des pouvoirs reposant davantage sur un critère politique que sur un critère institutionnel, il en résulterait que l'Assemblée nationale -composante législative du pouvoir de la majorité à côté de sa composante exécutive qui est le président de la République- serait ravalée au rang de faire-valoir de ce dernier.

b. Le ravalement de l'Assemblée nationale au rang de faire-valoir du président de la République

En conséquence de ce qui vient d'être analysé à savoir d'une part, le fait que les députés de la majorité parlementaire n'exercent quasiment pas leur droit d'initiative législative et d'autre part, le fait que ceux de l'opposition -bien qu'ils l'exercent- voient leurs propositions toujours rejetées, il découle le fait devenu habituel dans la plupart des régimes politiques où Gouvernement et Parlement collaborent à l'élaboration de la loi313 que la plupart des lois qui sont adoptées à l'Assemblée nationale proviennent de projets du président de la République ou du Gouvernement.

Le fait que la plupart des lois votées à l'Assemblée nationale provienne de projets de l'exécutif ne serait pas grave en lui-même si ces lois faisaient l'objet -tout au long de la procédure législative- de débats contradictoires, d'une véritable délibération, d'amendements substantiels, etc. Malheureusement, les projets de lois déposés par le président de la

312 Catherine CLESSIS et al., Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1995, pp. 47-48.

313 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 423.

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République font seulement l'objet d'une ratification quasi-systématique à la fois en commission et en séance plénière. En effet, les députés n'ont en fait ni la possibilité de modifier le texte en commission -les membres du Gouvernement s'y opposant très souvent et victorieusement- ni en fait celle de rejeter le texte, le parti majoritaire disposant de la majorité des sièges nécessaires à leur adoption : les textes déposés par le président de la République sont par conséquent purement et simplement entérinés en leur état.

Cette situation a pu faire dire à certains que l'Assemblée nationale -conçue pour être, dans un régime présidentiel, un contrepoids au pouvoir du président de la République- est devenue une caisse de résonance de ce dernier.

A l'entrave politique posée aux propositions de lois résultant, somme toute, d'un phénomène aléatoire (le fait majoritaire), il faudrait également ajouter un phénomène plus invariable, moins casuel, c'est-à-dire les entraves institutionnelles.

B/ Les entraves institutionnelles spécifiques aux propositions de lois émanant des députés de l'opposition

Des entraves institutionnelles sont susceptibles d'être posées à toutes les propositions de lois d'où qu'elles émanent. Mais comme les députés de la majorité ont abandonné leur droit d'initiative législative au président de la République ainsi que nous l'avons vu, c'est contre les propositions de lois émanant des députés de l'opposition que seront opposées plus spécifiquement ces entraves institutionnelles. Ce sont d'une part, les irrecevabilités (1) et d'autre part, les autres types d'entraves institutionnelles (2).

1. Les irrecevabilités, entraves institutionnelles majeures aux propositions de lois

Ce sont d'une part, l'irrecevabilité contre les propositions susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire et d'autre part, l'irrecevabilité en matière financière.

La première a été abondamment étudiée jusqu'à maintenant. Il s'agit seulement de rappeler, ici, qu'elle entrave les seules propositions de lois et les amendements d'origine parlementaire. Elle ne concerne par conséquent guère les projets de lois et les amendements

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d'origine gouvernementale : ce qui serait d'ailleurs absurde car il s'agirait en fait de chercher à protéger le président de la République de lui-même314!

Si le président de l'Assemblée nationale est bien d'accord, le président de la République pourrait étouffer dans l'oeuf toutes les propositions de lois déposées par les députés de l'opposition que ces propositions soient ou non susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire, le but étant moins de protéger ce domaine-là que d'annihiler toute démarche législative émanant de l'opposition. Il serait intéressant de voir à cet égard quelle serait l'attitude du Conseil constitutionnel : saisi par l'opposition, pourrait-il manifester une réelle indépendance à cette occasion et faire taire les critiques le jugeant à la solde du président de la République315 ?

Le deuxième type d'irrecevabilité opposable aux propositions de lois -spécifiquement celles qui émanent des députés de l'opposition- concerne la matière financière et sera étudié plus amplement dans les développements suivants.

2. D'autres entraves institutionnelles aux propositions de lois

D'autres entraves institutionnelles sont opposables aux propositions de lois et elles méritent que l'on s'y penche même si, évidemment, elles ne sont pas de la même importance que celles qui découlent de la Constitution. Ces entraves procèdent en effet du règlement de l'Assemblée nationale et sont prévues par deux de ses dispositions : l'article 56.1 (a) et l'article 56.2316 (b).

a. L'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale

Aux termes de l'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale, toute proposition de loi qui est repoussée par les députés ne peut être réintroduite avant le délai de trois mois. Une telle entrave tenant à une limite temporelle ne concerne évidemment que les seules propositions de lois : si un projet de loi était repoussé, il n'y aurait aucun empêchement

314 Si le président de la République dépose lui-même un projet de loi empiétant sur le domaine réglementaire, c'est dire qu'il consent, à n'en point douter, à l'empiètement de la loi sur le domaine que la Constitution lui a pourtant réservé (le domaine réglementaire).

315 Nous reviendrons sur le problème de l'indépendance du Conseil constitutionnel, et plus généralement du pouvoir judiciaire, à l'égard du pouvoir exécutif dans la conclusion de notre travail.

316 C'est l'ancien article 54, alinéas 1 et 2 du règlement de l'Assemblée nationale avant sa modification par la résolution de 2006.

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pour le président de la République de le soumettre à nouveau à la délibération des députés. Mais c'est là une hypothèse peu probable de se produire en l'état actuel du fonctionnement du régime.

Cette disposition tire en réalité la conclusion d'un fait : le rejet des propositions de lois des députés de l'opposition. En effet, comme les députés de la majorité parlementaire ne déposeront que très rarement des propositions de loi pour les raisons précédemment évoquées, les seules propositions de lois qui seront formulées le seront par les députés de l'opposition. Le règlement de l'Assemblée nationale interdit donc de réintroduire avant trois mois une proposition de loi rejetée : il évite ainsi que les députés de l'opposition ne harcèlent constamment l'Assemblée nationale avec des propositions certes condamnées à rester lettre morte mais dont le dépôt, l'envoi en commission et la discussion en plénière pourraient réellement gêner le travail de l'Assemblée nationale. Par l'effet de l'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale, les députés de l'opposition se trouvent privés d'un certain moyen de harcèlement et de pression à l'égard de la majorité parlementaire et partant du président de la République317.

A cette première entrave institutionnelle résultant du règlement de l'Assemblée nationale nous devons en ajouter une deuxième : celle découlant de son article 56, alinéa 2.

b. L'article 56, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale

Aux termes de l'article 56, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale, la proposition de loi -et non pas le projet de loi- sur laquelle l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée devient caduque de plein droit à la clôture de la deuxième session ordinaire qui suit celle au cours de laquelle elle a été déposée. Mais elle peut être reprise en l'état dans un délai d'un mois (art. 56, alinéa 3).

Les initiatives de l'Assemblée nationale ne sont pas seulement bridées au plan législatif, elles le sont également relativement à un domaine très sensible puisque celui-ci conditionne toute la politique gouvernementale.

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