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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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Paragraphe 2 : Le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences

Le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences résulte de ce que le domaine réglementaire est rigoureusement protégé (A) tandis que la protection du domaine législatif est incertaine (B).

A/ Une protection rigoureuse du domaine réglementaire

La protection du domaine réglementaire du président de la République est efficacement assurée si celui-ci veut bien user des armes que lui donne la Constitution297. Cette protection est à la fois préventive (1) et a posteriori (2).

1. Une protection préventive : l'opposition d'irrecevabilité

Le président de la République peut soulever une opposition d'irrecevabilité contre toute proposition de loi qu'il juge comme empiétant sur le domaine réglementaire qui est le sien (a). Mais si l'auteur de cette proposition n'est pas d'accord avec la décision d'irrecevabilité prononcée par le président de l'Assemblée nationale, il saisira le Conseil constitutionnel qui dira en définitive si la proposition empiète bien sur le domaine réglementaire (b).

a. L'opposition d'irrecevabilité, soulevée par le président de la République

Si l'Assemblée nationale tente d'intervenir sur une matière non législative, le Président a la possibilité de l'arrêter net. Dès le dépôt de la proposition ou de l'amendement, il peut lui opposer une exception d'irrecevabilité (art. 54.3 du règlement). Celle-ci est le corollaire de la répartition des matières entre les deux pouvoirs, législatif et réglementaire : c'est un moyen de protéger le Président contre les empiètements du Parlement qui, jusqu'à la révolution juridique de la Constitution française de la Ve République298, rappelons-le, fut tout puissant.

Cette protection préventive aux mains du président de la République ou du Gouvernement est une disposition habituelle que l'on retrouve dans tous les régimes

297 René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 85.

298 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit., p. 351. La révolution juridique est le bouleversement radical de l'état du droit sous les Républiques antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958 : le Parlement souverain disposant de la plénitude des pouvoirs sera désormais cantonné dans des limites strictes définies par la Constitution et un Conseil constitutionnel, gardien de ce cantonnement, est créé.

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politiques africains consacrant la répartition des matières entre exécutif et le Parlement. Ainsi, aux termes de l'article 104.1 de la Constitution béninoise : « les propositions, projets et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables. (...) ».

Toutefois, le pouvoir exécutif -président de la République ou Premier ministre ou Gouvernement selon les régimes politiques- n'a que la faculté d'opposer, c'est-à-dire de demander l'irrecevabilité car il appartient en définitive à une autre autorité -le président de l'Assemblée nationale- de prononcer l'irrecevabilité, c'est-à-dire de la décider ou non (art. 76.1). Il faut noter au passage que celui-ci peut valablement prononcer l'irrecevabilité d'office, c'est-à-dire sans que le président de la République n'en ait formulé la demande : il suffit pour cela qu'il prenne l'avis de la conférence des présidents (art. 54.3 du règlement).

Si le président de l'Assemblée nationale est d'accord avec l'irrecevabilité invoquée par le président de la République, il la prononcera et la proposition ou l'amendement ne pourront plus être discutés mais les députés qui entendent contester sa décision pourraient toujours saisir le Conseil constitutionnel. Mais si le président de l'Assemblée nationale refusait de donner une suite favorable à la requête du président de la République, ce dernier pourrait également saisir le Conseil constitutionnel. Dans tous les cas, celui-ci reste en définitive le juge de l'irrecevabilité en raison de la matière.

b. La saisine du Conseil constitutionnel en cas de désaccord

Si l'irrecevabilité est soulevée par le président de la République -en fait par ses ministres- lors de la procédure législative, le président de l'Assemblée nationale se chargera de la prononcer. C'est ce cas qui est le plus susceptible de se produire compte tenu de contexte politique ivoirien où présidents de la République et de l'Assemblée nationale appartiennent toujours à une même majorité. Mais il n'est pas complètement exclu qu'il refuse de prononcer l'irrecevabilité demandée par le président de la République.

Dans l'un et l'autre cas, la Constitution a prévu la possibilité de contester la décision du président de l'Assemblée nationale en saisissant le Conseil constitutionnel (article 76.2). Cette possibilité est ouverte à la fois au président de la République et à un quart des députés299. Une telle égalité entre les parties devant la décision du président de l'Assemblée nationale n'existe

299 La proposition tendant à la reconnaissance au député auteur de la proposition ou de l'amendement le droit de saisir le Conseil constitutionnel a été finalement rejetée de l'article 17 de la loi n° 94-439 du 16 août 1994 relative au Conseil constitutionnel.

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cependant pas dans tous les régimes politiques africains. Ainsi aux termes de l'article 104.3 de la Constitution béninoise « en cas de contestation..., la Cour constitutionnelle, saisie par le président de l'Assemblée nationale ou le Gouvernement, statue dans un délai de huit jours » ; les députés béninois -contestant une décision d'irrecevabilité prononcée par le président de l'Assemblée nationale- n'ont donc pas la faculté de saisir la Cour constitutionnelle300.

Le Conseil constitutionnel ainsi saisi par le président de la République ou par un quart au moins des députés décidera si la proposition ou l'amendement en cause est bien du domaine législatif ou si au contraire ils empiètent sur le domaine réglementaire. Quelle que soit la décision que prendra le juge constitutionnel, il est certain qu'il veillera à ce que l'Assemblée nationale reste bien dans le cadre des limites que lui a fixées l'article 71 de la Constitution et quelques autres articles établissant la compétence législative.

En plus de la protection préventive de son domaine réglementaire, le président de la République dispose entre ses mains d'une protection a posteriori.

2. Une protection a posteriori

La protection a posteriori du domaine réglementaire consiste en un déclassement des dispositions matériellement réglementaires des lois intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 (a) et en une déclaration d'inconstitutionnalité des mêmes dispositions mais intervenues, cette fois, après l'entrée en vigueur de la Constitution (b).

a. La déclassement des dispositions matériellement réglementaires des lois intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000

L'article 72.2 de la Constitution donne la faculté au président de la République de modifier par décret les lois et ordonnances intervenues avant la Constitution de 2000 et portant sur les matières devenues législatives en vertu de celle-ci : il faut pour cela un décret pris après avis du Conseil constitutionnel. On retrouve des dispositions similaires dans toutes les Constitutions africaines reconnaissant au président de la République ou au Gouvernement un domaine réglementaire autonome. Ainsi l'article 100.2 de la Constitution béninoise dispose que « les textes de forme législative intervenus en ces matières antérieurement à

300 Il en également ainsi dans le cadre des Constitution du Sénégal (art. 83.2), de la France (art. 41.2), etc.

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l'entrée en vigueur de la présente Constitution peuvent être modifiés par décret pris après avis de la Cour constitutionnelle ».

Il est toutefois à noter que cette procédure de délégalisation ne vaut que pour les textes en forme législative intervenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000. La même observation vaut également pour la délégalisation telle que consacrée par de nombreuses Constitutions africaines (art. 100.2 de la Constitution du Bénin, 103.2 de la Constitution du Niger, etc.). Dans d'autres régimes politiques africains en revanche, la délégalisation vaut autant pour les textes de forme législative intervenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution que pour ceux intervenus après cette entrée en vigueur (art. 76.2 de la Constitution du Sénégal). Ainsi même si un Gouvernement ne défère pas au juge constitutionnel, avant sa promulgation, une loi intervenant dans le domaine réglementaire, lui ou ses successeurs ne sont pas enchaînés par cette décision puisqu'ils pourront toujours - c'est-à-dire même après la promulgation de la loi- la remettre en cause devant le juge constitutionnel et la modifier par décret.

Le Président ivoirien ne disposant pas de chaînes aussi solides pour contenir l'Assemblée nationale, devra pour sa part s'en remettre à la déclaration d'inconstitutionnalité des lois votées après l'entrée en vigueur de la Constitution s'il estime qu'elles empiètent sur le domaine réglementaire.

b. La déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions matériellement réglementaires des lois postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000

Si le président de la République n'use pas de la faculté qui lui est offerte de soulever l'irrecevabilité de l'article 76.1 tendant à faire échec à une proposition ou à un amendement empiétant sur le domaine réglementaire, il peut toujours, après son adoption mais avant sa promulgation, déférer la loi au contrôle et à la censure éventuelle du Conseil constitutionnel (art. 95.2 de la Constitution).

Le président de la République qui estime que la loi adoptée par l'Assemblée nationale ignore les limites du domaine législatif dispose d'une arme efficace lorsque son droit de saisine du Conseil constitutionnel est conjugué avec son droit de promulgation des lois. Tout en s'abstenant de promulguer la loi qu'il conteste, il saisira, avant l'expiration du délai de promulgation, le Conseil constitutionnel : il évite ainsi que la loi ne soit déclarée exécutoire à l'expiration dudit délai de promulgation (art. 42.2 de la Constitution). Au contraire, il pourrait

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immédiatement promulguer une loi qu'il ne conteste pas avant même que les autres titulaires du droit de saisine ne puissent la déférer au Conseil constitutionnel la rendant ainsi inattaquable301.

Si le Conseil constitutionnel est saisi, il doit statuer dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine, le délai de promulgation étant évidemment suspendu (art. 77 in fine de la Constitution). Si une disposition est déclarée inconstitutionnelle, elle ne peut être promulguée ou appliquée (art. 99 de la Constitution). Si ladite disposition n'est pas inséparable de l'ensemble de la loi, le président de la République peut soit promulguer la loi amputée de ses dispositions censurées soit demander une seconde délibération de la loi.

Il peut toutefois arriver que le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, ne lui donne pas satisfaction en estimant que les dispositions litigieuses ont bien un caractère législatif. Mais le président de la République n'est pas désarmé pour autant car il peut -au lieu de promulguer la loi- en demander une seconde délibération soit dans son ensemble soit en certains de ses articles : cette seconde délibération -on l'oublie souvent-enterre quasiment la loi puisqu'à défaut de la majorité des 2/3 exigée, elle est censée tomber.

Contrairement à un domaine réglementaire qui est efficacement protégé, la protection du domaine législatif est incertaine.

B/ Une protection incertaine du domaine législatif

L'incertitude de la protection du domaine législatif résulte de l'inexistence de moyens constitutionnels de sa protection302 (1). En conséquence, celle-ci ne peut se faire que par des voies détournées (2).

1. L'inexistence de moyens constitutionnels de protection du domaine législatif aux mains des députés

Il n'existe pas de moyens constitutionnels de protection du domaine législatif aux mains des députés. Si l'inexistence de protection préventive contre les projets de décrets réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine législatif est compréhensible (a), celle

301 Le président de la République n'est guère obligé d'attendre les derniers jours du délai de promulgation pour promulguer la loi. Mais il peut attendre le dernier moment afin de permettre aux titulaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel (en particulier les députés de l'opposition) d'exercer leur droit.

302 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 83.

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de la possibilité de déférer les décrets réglementaires à la censure du Conseil constitutionnel l'est beaucoup moins (b).

a. L'inexistence d'une protection préventive contre les projets de décrets réglementaires empiétant sur le domaine législatif

A l'égard des projets de décrets réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine législatif, les députés ne disposent d'aucune faculté pour faire échec à cet empiètement. Il n'y a pas de contrepartie, aux mains des députés, de l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution dont dispose le président de la République pour faire échec aux propositions et amendements d'origine parlementaire susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire.

L'inexistence d'une protection préventive contre les projets de décrets réglementaires se justifie toutefois par le fait qu'étant des actes administratifs unilatéraux, ils sont formulés par le président de la République seul et n'ont pas par conséquent à être soumis à la délibération de l'Assemblée nationale303. C'est la nature même des décrets réglementaires qui rend donc impossible une opposition d'irrecevabilité à leur encontre. Et même si leur nature le permettait, encore aurait-il fallu qu'une telle irrecevabilité fût prévue par la Constitution.

Tout au plus, le président de la République peut, s'il le désire, soumettre pour avis au Conseil constitutionnel les projets de décrets réglementaires avant leur examen en Conseil des ministres (art. 52). Cet avis du Conseil constitutionnel pourrait mettre en lumière les empiètements éventuels du projet de décret réglementaire sur le domaine législatif mais le président de la République reste, là encore, libre de faire fi de ses observations.

Si l'on peut parfaitement comprendre l'inexistence d'une procédure d'irrecevabilité opposable aux projets de décrets réglementaires en ce que cela nuirait gravement à l'action gouvernementale, l'inexistence de la possibilité de déférer au contrôle du Conseil constitutionnel les décrets réglementaires et de la possibilité de reclassement de la matière inconstitutionnellement introduite dans le domaine réglementaire est beaucoup moins compréhensible et plus éloquente des rapports qu'entretiennent les pouvoirs exécutif et législatif.

303 Aux termes de l'article 51 de la Constitution, les projets de décrets réglementaires sont obligatoirement soumis à la délibération du Conseil des ministres. Mais la nature présidentielle du régime politique ivoirien fait qu'en définitive, le Conseil des ministres se présente comme un organe purement consultatif dont l'avis - requis en certaines matières- laisse le Président libre de la décision définitive.

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b. L'inexistence de la possibilité de déférer les décrets réglementaires empiétant sur le domaine législatif à la censure du Conseil constitutionnel et du déclassement de ces règlements

Si le président de la République -en vertu de son pouvoir réglementaire qu'il tient de l'article 72.1 de la Constitution- prend un décret réglementaire portant sur des matières législatives, l'Assemblée nationale ne peut l'en empêcher. Cet empiètement-type du règlement sur le domaine de la loi est destiné à se prolonger dans le temps jusqu'à un éventuel recours devant le juge administratif. Il n'existe en effet aucun moyen constitutionnel à la disposition des députés ou du président de l'Assemblée nationale pour saisir le Conseil constitutionnel d'une telle violation des frontières tracées par la Constitution entre domaines législatif et réglementaire ni permettant au Conseil constitutionnel de statuer.

Il aurait été pourtant plus logique et plus juste de donner aux députés des moyens constitutionnels de protection du domaine législatif des empiètements éventuels du président de la République. Cela n'aurait été au demeurant que la contrepartie de la faculté offerte au président de la République de déférer au Conseil constitutionnel les lois votées par l'Assemblée nationale. Sur ce point, il est intéressant de voir que dans la Constitution du Gabon, l'article 84 dispose que : « la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation, des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques (...) » ; si le contrôle exercé, ici, ne concerne qu'une catégorie déterminée d'actes réglementaires, la possibilité se trouve incontestablement ouverte pour la Cour constitutionnelle d'exercer un contrôle de constitutionnalité sur les actes de l'exécutif304.

En raison de l'absence d'une disposition semblable dans la Constitution ivoirienne, il faut donc s'en remettre à une protection du domaine législatif par des voies indirectes et détournées.

2. Une protection par des voies indirectes et détournées

304 Nous retrouvons une disposition similaire dans la Constitution béninoise en son article 117. Mais dans les deux cas (les Constitutions gabonaise et béninoise), la Constitution ne dit pas qui a compétence pour saisir la Cour constitutionnelle. La Constitution du 3 novembre 1960, profondément modifiée à la suite de la révision du 2 juillet 1998, prévoyait en son article 46.3 que : « les décrets réglementaires notamment en matière de libertés publiques peuvent être déférés au Conseil constitutionnel par le président de chaque assemblée ou par un quart des députés ».

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Puisque les auteurs de la Constitution ne se sont pas particulièrement préoccupés de la protection du domaine législatif, celle-ci ne peut dès lors se faire que par des voies indirectes, détournées. Ce sont d'une part, la saisine éventuelle de la chambre administrative de la Cour suprême par la voie d'un recours pour excès de pouvoir (a) et d'autre part, la procédure de déréglementation de facto (b).

a. La saisine éventuelle de la chambre administrative par la voie d'un recours pour excès de pouvoir305

Un règlement qui empiète sur le domaine législatif, bien qu'inconstitutionnel, entre en application puisque les députés ne disposent pas de la faculté de saisir le Conseil constitutionnel ; celui-ci n'a pas non plus la possibilité de statuer. Pour que ce règlement soit annulé, il faut attendre qu'un administré saisisse d'un recours pour excès de pouvoir le juge administratif et que celui-ci se prononce. Le juge administratif -la chambre administrative de la Cour suprême- exercera un contrôle de constitutionnalité de l'acte réglementaire et l'annulera s'il est contraire à la Constitution, en l'occurrence s'il empiète sur les matières législatives306.

Le contrôle de constitutionnalité de l'acte réglementaire par le juge administratif est un procédé indirect et moins énergique de protection du domaine législatif. D'abord, parce que ce n'est pas l'Assemblée nationale qui peut former le recours. Celui-ci ne peut être formé que par le particulier se sentant lésé par le règlement. En fait, il y aura toujours quelqu'un à avoir intérêt à voir le règlement annulé et, par conséquent, à former le recours. Mais il reste que le moyen de défense n'est pas ouvert aux députés. Ensuite, le recours pour excès de pouvoir n'est pas une protection préventive à la différence de l'irrecevabilité de l'article 76.1 de la Constitution. Le juge est saisi alors que le règlement est exécutoire et le recours est enfermé dans un délai court de deux mois à partir de la publication de l'acte. Enfin, le recours n'est pas suspensif car le règlement continuera à produire ses effets tant que l'annulation n'aura pas été prononcée. Malgré toutes ces insuffisances, le recours pour excès de pouvoir semble bien pourtant la seule voie de protection efficace du domaine législatif.

305 Il s'agit de la chambre administrative de la Cour suprême.

306 Le juge administratif est bien juge de la constitutionnalité, et pas seulement de la légalité stricto sensu. Le seul contrôle qu'il se refuse à exercer est celui de la constitutionnalité des lois qui, dans le respect de l'office, revient au Conseil constitutionnel. C'est ce qu'affirme sans détour le Conseil d'État français dans un arrêt Deprez et Baillard (Sect., 5 janvier 2005, n° 257341, Rec. p. 1) dans lequel il précise que « l'article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution ».

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Le succès de l'autre voie indirecte de protection du domaine législatif -une procédure de déréglementation de facto des décrets réglementaires- reste en effet sujet à caution.

b. La procédure de déréglementation de facto : la proposition de loi sur la matière objet du règlement contesté

Un moyen détourné dont les députés pourraient user pour faire échec à l'empiètement de l'autorité réglementaire sur le domaine législatif est de déposer une proposition de loi sur la matière qui vient de faire l'objet du règlement contesté pour essayer de la rétablir dans le domaine législatif. Si cette proposition de loi était adoptée, cela rétablirait dans le domaine législatif la matière qui y avait été inconstitutionnellement soustraite par le règlement : on assisterait ainsi à une procédure de déréglementation de facto.

Cette procédure de déréglementation risque cependant de demeurer une hypothèse gratuite, c'est-à-dire peu susceptible d'aboutir. En effet, le président de la République peut opposer l'opposition d'irrecevabilité de l'article 76, auquel cas le Conseil constitutionnel tranchera la difficulté. Mais comme il est possible que tel ait été en définitive le but recherché par les députés auteurs de la proposition de loi de déclassement, le président de la République -craignant que le Conseil constitutionnel ne déclare la matière législative- s'abstiendra de soulever l'irrecevabilité. S'il est assuré de sa majorité comme cela a toujours été le cas depuis 1959, il laissera venir la proposition en discussion car ayant toutes les chances d'en obtenir le rejet. La proposition écartée, le règlement éventuellement inconstitutionnel continuera à s'appliquer, sans que le Conseil constitutionnel ne se fût prononcé et que les controverses eussent été tranchées.

Cantonnée dans un domaine étroitement défini et mal protégé, les initiatives de l'Assemblée nationale sont par ailleurs bridées.

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