Paragraphe 2 : Le caractère unilatéral
des mécanismes de protection des compétences
Le caractère unilatéral des mécanismes de
protection des compétences résulte de ce que le domaine
réglementaire est rigoureusement protégé (A) tandis que la
protection du domaine législatif est incertaine (B).
A/ Une protection rigoureuse du domaine réglementaire
La protection du domaine réglementaire du
président de la République est efficacement assurée si
celui-ci veut bien user des armes que lui donne la Constitution297.
Cette protection est à la fois préventive (1) et a posteriori
(2).
1. Une protection préventive : l'opposition
d'irrecevabilité
Le président de la République peut soulever une
opposition d'irrecevabilité contre toute proposition de loi qu'il juge
comme empiétant sur le domaine réglementaire qui est le sien (a).
Mais si l'auteur de cette proposition n'est pas d'accord avec la
décision d'irrecevabilité prononcée par le
président de l'Assemblée nationale, il saisira le Conseil
constitutionnel qui dira en définitive si la proposition empiète
bien sur le domaine réglementaire (b).
a. L'opposition d'irrecevabilité, soulevée par le
président de la République
Si l'Assemblée nationale tente d'intervenir sur une
matière non législative, le Président a la
possibilité de l'arrêter net. Dès le dépôt de
la proposition ou de l'amendement, il peut lui opposer une exception
d'irrecevabilité (art. 54.3 du règlement). Celle-ci est le
corollaire de la répartition des matières entre les deux
pouvoirs, législatif et réglementaire : c'est un moyen de
protéger le Président contre les empiètements du Parlement
qui, jusqu'à la révolution juridique de la Constitution
française de la Ve République298,
rappelons-le, fut tout puissant.
Cette protection préventive aux mains du
président de la République ou du Gouvernement est une disposition
habituelle que l'on retrouve dans tous les régimes
297 René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit,
Abidjan, EDUCI, 2009, p. 85.
298 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD,
op.cit., p. 351. La révolution juridique est le bouleversement
radical de l'état du droit sous les Républiques
antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958 : le Parlement
souverain disposant de la plénitude des pouvoirs sera désormais
cantonné dans des limites strictes définies par la Constitution
et un Conseil constitutionnel, gardien de ce cantonnement, est
créé.
129
politiques africains consacrant la répartition des
matières entre exécutif et le Parlement. Ainsi, aux termes de
l'article 104.1 de la Constitution béninoise : « les propositions,
projets et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables.
(...) ».
Toutefois, le pouvoir exécutif -président de la
République ou Premier ministre ou Gouvernement selon les régimes
politiques- n'a que la faculté d'opposer, c'est-à-dire de
demander l'irrecevabilité car il appartient en définitive
à une autre autorité -le président de l'Assemblée
nationale- de prononcer l'irrecevabilité, c'est-à-dire de la
décider ou non (art. 76.1). Il faut noter au passage que celui-ci peut
valablement prononcer l'irrecevabilité d'office, c'est-à-dire
sans que le président de la République n'en ait formulé la
demande : il suffit pour cela qu'il prenne l'avis de la conférence des
présidents (art. 54.3 du règlement).
Si le président de l'Assemblée nationale est
d'accord avec l'irrecevabilité invoquée par le président
de la République, il la prononcera et la proposition ou l'amendement ne
pourront plus être discutés mais les députés qui
entendent contester sa décision pourraient toujours saisir le Conseil
constitutionnel. Mais si le président de l'Assemblée nationale
refusait de donner une suite favorable à la requête du
président de la République, ce dernier pourrait également
saisir le Conseil constitutionnel. Dans tous les cas, celui-ci reste en
définitive le juge de l'irrecevabilité en raison de la
matière.
b. La saisine du Conseil constitutionnel en cas de
désaccord
Si l'irrecevabilité est soulevée par le
président de la République -en fait par ses ministres- lors de la
procédure législative, le président de l'Assemblée
nationale se chargera de la prononcer. C'est ce cas qui est le plus susceptible
de se produire compte tenu de contexte politique ivoirien où
présidents de la République et de l'Assemblée nationale
appartiennent toujours à une même majorité. Mais il n'est
pas complètement exclu qu'il refuse de prononcer l'irrecevabilité
demandée par le président de la République.
Dans l'un et l'autre cas, la Constitution a prévu la
possibilité de contester la décision du président de
l'Assemblée nationale en saisissant le Conseil constitutionnel (article
76.2). Cette possibilité est ouverte à la fois au
président de la République et à un quart des
députés299. Une telle égalité entre les
parties devant la décision du président de l'Assemblée
nationale n'existe
299 La proposition tendant à la reconnaissance au
député auteur de la proposition ou de l'amendement le droit de
saisir le Conseil constitutionnel a été finalement rejetée
de l'article 17 de la loi n° 94-439 du 16 août 1994 relative au
Conseil constitutionnel.
130
cependant pas dans tous les régimes politiques
africains. Ainsi aux termes de l'article 104.3 de la Constitution
béninoise « en cas de contestation..., la Cour constitutionnelle,
saisie par le président de l'Assemblée nationale ou le
Gouvernement, statue dans un délai de huit jours » ; les
députés béninois -contestant une décision
d'irrecevabilité prononcée par le président de
l'Assemblée nationale- n'ont donc pas la faculté de saisir la
Cour constitutionnelle300.
Le Conseil constitutionnel ainsi saisi par le président
de la République ou par un quart au moins des députés
décidera si la proposition ou l'amendement en cause est bien du domaine
législatif ou si au contraire ils empiètent sur le domaine
réglementaire. Quelle que soit la décision que prendra le juge
constitutionnel, il est certain qu'il veillera à ce que
l'Assemblée nationale reste bien dans le cadre des limites que lui a
fixées l'article 71 de la Constitution et quelques autres articles
établissant la compétence législative.
En plus de la protection préventive de son domaine
réglementaire, le président de la République dispose entre
ses mains d'une protection a posteriori.
2. Une protection a posteriori
La protection a posteriori du domaine
réglementaire consiste en un déclassement des dispositions
matériellement réglementaires des lois intervenues avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 (a) et en une
déclaration d'inconstitutionnalité des mêmes dispositions
mais intervenues, cette fois, après l'entrée en vigueur de la
Constitution (b).
a. La déclassement des dispositions
matériellement réglementaires des lois intervenues avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000
L'article 72.2 de la Constitution donne la faculté au
président de la République de modifier par décret les lois
et ordonnances intervenues avant la Constitution de 2000 et portant sur les
matières devenues législatives en vertu de celle-ci : il faut
pour cela un décret pris après avis du Conseil constitutionnel.
On retrouve des dispositions similaires dans toutes les Constitutions
africaines reconnaissant au président de la République ou au
Gouvernement un domaine réglementaire autonome. Ainsi l'article 100.2 de
la Constitution béninoise dispose que « les textes de forme
législative intervenus en ces matières antérieurement
à
300 Il en également ainsi dans le cadre des Constitution
du Sénégal (art. 83.2), de la France (art. 41.2), etc.
131
l'entrée en vigueur de la présente Constitution
peuvent être modifiés par décret pris après avis de
la Cour constitutionnelle ».
Il est toutefois à noter que cette procédure de
délégalisation ne vaut que pour les textes en forme
législative intervenus avant l'entrée en vigueur de la
Constitution de 2000. La même observation vaut également pour la
délégalisation telle que consacrée par de nombreuses
Constitutions africaines (art. 100.2 de la Constitution du Bénin, 103.2
de la Constitution du Niger, etc.). Dans d'autres régimes politiques
africains en revanche, la délégalisation vaut autant pour les
textes de forme législative intervenus avant l'entrée en vigueur
de la Constitution que pour ceux intervenus après cette entrée en
vigueur (art. 76.2 de la Constitution du Sénégal). Ainsi
même si un Gouvernement ne défère pas au juge
constitutionnel, avant sa promulgation, une loi intervenant dans le domaine
réglementaire, lui ou ses successeurs ne sont pas enchaînés
par cette décision puisqu'ils pourront toujours - c'est-à-dire
même après la promulgation de la loi- la remettre en cause devant
le juge constitutionnel et la modifier par décret.
Le Président ivoirien ne disposant pas de chaînes
aussi solides pour contenir l'Assemblée nationale, devra pour sa part
s'en remettre à la déclaration d'inconstitutionnalité des
lois votées après l'entrée en vigueur de la Constitution
s'il estime qu'elles empiètent sur le domaine réglementaire.
b. La déclaration d'inconstitutionnalité des
dispositions matériellement réglementaires des lois
postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de
2000
Si le président de la République n'use pas de la
faculté qui lui est offerte de soulever l'irrecevabilité de
l'article 76.1 tendant à faire échec à une proposition ou
à un amendement empiétant sur le domaine réglementaire, il
peut toujours, après son adoption mais avant sa promulgation,
déférer la loi au contrôle et à la censure
éventuelle du Conseil constitutionnel (art. 95.2 de la Constitution).
Le président de la République qui estime que la
loi adoptée par l'Assemblée nationale ignore les limites du
domaine législatif dispose d'une arme efficace lorsque son droit de
saisine du Conseil constitutionnel est conjugué avec son droit de
promulgation des lois. Tout en s'abstenant de promulguer la loi qu'il conteste,
il saisira, avant l'expiration du délai de promulgation, le Conseil
constitutionnel : il évite ainsi que la loi ne soit
déclarée exécutoire à l'expiration dudit
délai de promulgation (art. 42.2 de la Constitution). Au contraire, il
pourrait
132
immédiatement promulguer une loi qu'il ne conteste pas
avant même que les autres titulaires du droit de saisine ne puissent la
déférer au Conseil constitutionnel la rendant ainsi
inattaquable301.
Si le Conseil constitutionnel est saisi, il doit statuer dans
un délai de quinze jours à compter de sa saisine, le délai
de promulgation étant évidemment suspendu (art. 77 in fine
de la Constitution). Si une disposition est déclarée
inconstitutionnelle, elle ne peut être promulguée ou
appliquée (art. 99 de la Constitution). Si ladite disposition n'est pas
inséparable de l'ensemble de la loi, le président de la
République peut soit promulguer la loi amputée de ses
dispositions censurées soit demander une seconde
délibération de la loi.
Il peut toutefois arriver que le Conseil constitutionnel,
saisi par le président de la République, ne lui donne pas
satisfaction en estimant que les dispositions litigieuses ont bien un
caractère législatif. Mais le président de la
République n'est pas désarmé pour autant car il peut -au
lieu de promulguer la loi- en demander une seconde délibération
soit dans son ensemble soit en certains de ses articles : cette seconde
délibération -on l'oublie souvent-enterre quasiment la loi
puisqu'à défaut de la majorité des 2/3 exigée, elle
est censée tomber.
Contrairement à un domaine réglementaire qui est
efficacement protégé, la protection du domaine législatif
est incertaine.
B/ Une protection incertaine du domaine législatif
L'incertitude de la protection du domaine législatif
résulte de l'inexistence de moyens constitutionnels de sa
protection302 (1). En conséquence, celle-ci ne peut se faire
que par des voies détournées (2).
1. L'inexistence de moyens constitutionnels de protection du
domaine législatif aux mains des députés
Il n'existe pas de moyens constitutionnels de protection du
domaine législatif aux mains des députés. Si l'inexistence
de protection préventive contre les projets de décrets
réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine
législatif est compréhensible (a), celle
301 Le président de la République n'est
guère obligé d'attendre les derniers jours du délai de
promulgation pour promulguer la loi. Mais il peut attendre le dernier moment
afin de permettre aux titulaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel
(en particulier les députés de l'opposition) d'exercer leur
droit.
302 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 83.
133
de la possibilité de déférer les
décrets réglementaires à la censure du Conseil
constitutionnel l'est beaucoup moins (b).
a. L'inexistence d'une protection préventive contre les
projets de décrets réglementaires empiétant sur le domaine
législatif
A l'égard des projets de décrets
réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine
législatif, les députés ne disposent d'aucune
faculté pour faire échec à cet empiètement. Il n'y
a pas de contrepartie, aux mains des députés, de
l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution dont dispose le
président de la République pour faire échec aux
propositions et amendements d'origine parlementaire susceptibles
d'empiéter sur le domaine réglementaire.
L'inexistence d'une protection préventive contre les
projets de décrets réglementaires se justifie toutefois par le
fait qu'étant des actes administratifs unilatéraux, ils sont
formulés par le président de la République seul et n'ont
pas par conséquent à être soumis à la
délibération de l'Assemblée nationale303. C'est
la nature même des décrets réglementaires qui rend donc
impossible une opposition d'irrecevabilité à leur encontre. Et
même si leur nature le permettait, encore aurait-il fallu qu'une telle
irrecevabilité fût prévue par la Constitution.
Tout au plus, le président de la République
peut, s'il le désire, soumettre pour avis au Conseil constitutionnel les
projets de décrets réglementaires avant leur examen en Conseil
des ministres (art. 52). Cet avis du Conseil constitutionnel pourrait mettre en
lumière les empiètements éventuels du projet de
décret réglementaire sur le domaine législatif mais le
président de la République reste, là encore, libre de
faire fi de ses observations.
Si l'on peut parfaitement comprendre l'inexistence d'une
procédure d'irrecevabilité opposable aux projets de
décrets réglementaires en ce que cela nuirait gravement à
l'action gouvernementale, l'inexistence de la possibilité de
déférer au contrôle du Conseil constitutionnel les
décrets réglementaires et de la possibilité de
reclassement de la matière inconstitutionnellement introduite dans le
domaine réglementaire est beaucoup moins compréhensible et plus
éloquente des rapports qu'entretiennent les pouvoirs exécutif et
législatif.
303 Aux termes de l'article 51 de la Constitution, les projets
de décrets réglementaires sont obligatoirement soumis à la
délibération du Conseil des ministres. Mais la nature
présidentielle du régime politique ivoirien fait qu'en
définitive, le Conseil des ministres se présente comme un organe
purement consultatif dont l'avis - requis en certaines matières- laisse
le Président libre de la décision définitive.
134
b. L'inexistence de la possibilité de
déférer les décrets réglementaires empiétant
sur le domaine législatif à la censure du Conseil constitutionnel
et du déclassement de ces règlements
Si le président de la République -en vertu de
son pouvoir réglementaire qu'il tient de l'article 72.1 de la
Constitution- prend un décret réglementaire portant sur des
matières législatives, l'Assemblée nationale ne peut l'en
empêcher. Cet empiètement-type du règlement sur le domaine
de la loi est destiné à se prolonger dans le temps jusqu'à
un éventuel recours devant le juge administratif. Il n'existe en effet
aucun moyen constitutionnel à la disposition des députés
ou du président de l'Assemblée nationale pour saisir le Conseil
constitutionnel d'une telle violation des frontières tracées par
la Constitution entre domaines législatif et réglementaire ni
permettant au Conseil constitutionnel de statuer.
Il aurait été pourtant plus logique et plus
juste de donner aux députés des moyens constitutionnels de
protection du domaine législatif des empiètements
éventuels du président de la République. Cela n'aurait
été au demeurant que la contrepartie de la faculté offerte
au président de la République de déférer au Conseil
constitutionnel les lois votées par l'Assemblée nationale. Sur ce
point, il est intéressant de voir que dans la Constitution du Gabon,
l'article 84 dispose que : « la Cour constitutionnelle statue
obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des
lois avant leur promulgation, des actes réglementaires censés
porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux
libertés publiques (...) » ; si le contrôle
exercé, ici, ne concerne qu'une catégorie
déterminée d'actes réglementaires, la possibilité
se trouve incontestablement ouverte pour la Cour constitutionnelle d'exercer un
contrôle de constitutionnalité sur les actes de
l'exécutif304.
En raison de l'absence d'une disposition semblable dans la
Constitution ivoirienne, il faut donc s'en remettre à une protection du
domaine législatif par des voies indirectes et
détournées.
2. Une protection par des voies indirectes et
détournées
304 Nous retrouvons une disposition similaire dans la
Constitution béninoise en son article 117. Mais dans les deux cas (les
Constitutions gabonaise et béninoise), la Constitution ne dit pas qui a
compétence pour saisir la Cour constitutionnelle. La Constitution du 3
novembre 1960, profondément modifiée à la suite de la
révision du 2 juillet 1998, prévoyait en son article 46.3 que :
« les décrets réglementaires notamment en matière de
libertés publiques peuvent être déférés au
Conseil constitutionnel par le président de chaque assemblée ou
par un quart des députés ».
135
Puisque les auteurs de la Constitution ne se sont pas
particulièrement préoccupés de la protection du domaine
législatif, celle-ci ne peut dès lors se faire que par des voies
indirectes, détournées. Ce sont d'une part, la saisine
éventuelle de la chambre administrative de la Cour suprême par la
voie d'un recours pour excès de pouvoir (a) et d'autre part, la
procédure de déréglementation de facto (b).
a. La saisine éventuelle de la chambre administrative
par la voie d'un recours pour excès de pouvoir305
Un règlement qui empiète sur le domaine
législatif, bien qu'inconstitutionnel, entre en application puisque les
députés ne disposent pas de la faculté de saisir le
Conseil constitutionnel ; celui-ci n'a pas non plus la possibilité de
statuer. Pour que ce règlement soit annulé, il faut attendre
qu'un administré saisisse d'un recours pour excès de pouvoir le
juge administratif et que celui-ci se prononce. Le juge administratif -la
chambre administrative de la Cour suprême- exercera un contrôle de
constitutionnalité de l'acte réglementaire et l'annulera s'il est
contraire à la Constitution, en l'occurrence s'il empiète sur les
matières législatives306.
Le contrôle de constitutionnalité de l'acte
réglementaire par le juge administratif est un procédé
indirect et moins énergique de protection du domaine législatif.
D'abord, parce que ce n'est pas l'Assemblée nationale qui peut former le
recours. Celui-ci ne peut être formé que par le particulier se
sentant lésé par le règlement. En fait, il y aura toujours
quelqu'un à avoir intérêt à voir le règlement
annulé et, par conséquent, à former le recours. Mais il
reste que le moyen de défense n'est pas ouvert aux
députés. Ensuite, le recours pour excès de pouvoir n'est
pas une protection préventive à la différence de
l'irrecevabilité de l'article 76.1 de la Constitution. Le juge est saisi
alors que le règlement est exécutoire et le recours est
enfermé dans un délai court de deux mois à partir de la
publication de l'acte. Enfin, le recours n'est pas suspensif car le
règlement continuera à produire ses effets tant que l'annulation
n'aura pas été prononcée. Malgré toutes ces
insuffisances, le recours pour excès de pouvoir semble bien pourtant la
seule voie de protection efficace du domaine législatif.
305 Il s'agit de la chambre administrative de la Cour
suprême.
306 Le juge administratif est bien juge de la
constitutionnalité, et pas seulement de la légalité
stricto sensu. Le seul contrôle qu'il se refuse à exercer
est celui de la constitutionnalité des lois qui, dans le respect de
l'office, revient au Conseil constitutionnel. C'est ce qu'affirme sans
détour le Conseil d'État français dans un arrêt
Deprez et Baillard (Sect., 5 janvier 2005, n° 257341,
Rec. p. 1) dans lequel il précise que « l'article 61 de la
Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le
soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution
».
136
Le succès de l'autre voie indirecte de protection du
domaine législatif -une procédure de
déréglementation de facto des décrets
réglementaires- reste en effet sujet à caution.
b. La procédure de déréglementation
de facto : la proposition de loi sur la matière objet du
règlement contesté
Un moyen détourné dont les députés
pourraient user pour faire échec à l'empiètement de
l'autorité réglementaire sur le domaine législatif est de
déposer une proposition de loi sur la matière qui vient de faire
l'objet du règlement contesté pour essayer de la rétablir
dans le domaine législatif. Si cette proposition de loi était
adoptée, cela rétablirait dans le domaine législatif la
matière qui y avait été inconstitutionnellement soustraite
par le règlement : on assisterait ainsi à une procédure de
déréglementation de facto.
Cette procédure de déréglementation
risque cependant de demeurer une hypothèse gratuite, c'est-à-dire
peu susceptible d'aboutir. En effet, le président de la
République peut opposer l'opposition d'irrecevabilité de
l'article 76, auquel cas le Conseil constitutionnel tranchera la
difficulté. Mais comme il est possible que tel ait été en
définitive le but recherché par les députés auteurs
de la proposition de loi de déclassement, le président de la
République -craignant que le Conseil constitutionnel ne déclare
la matière législative- s'abstiendra de soulever
l'irrecevabilité. S'il est assuré de sa majorité comme
cela a toujours été le cas depuis 1959, il laissera venir la
proposition en discussion car ayant toutes les chances d'en obtenir le rejet.
La proposition écartée, le règlement éventuellement
inconstitutionnel continuera à s'appliquer, sans que le Conseil
constitutionnel ne se fût prononcé et que les controverses eussent
été tranchées.
Cantonnée dans un domaine étroitement
défini et mal protégé, les initiatives de
l'Assemblée nationale sont par ailleurs bridées.
|