WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR LÉGISLATIF

Le déséquilibre des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif constaté dans l'hégémonie présidentielle est aggravé par la faiblesse parlementaire. Il en résulte que l'Assemblée nationale ne peut faire efficacement contrepoids aux pouvoirs énormes du président de la République. Cette réalité s'explique au moins par deux faits : d'une part, l'Assemblée nationale est strictement cantonnée dans un domaine d'action étroit (section I) et d'autre part ses initiatives sont bridées (section II).

Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine d'action étroit

Le cantonnement de l'Assemblée nationale résulte lui-même de deux faits : le mode de délimitation de ses compétences (paragraphe 1) et le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences au détriment du domaine législatif (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le mode de délimitation des compétences

Nous l'avons déjà évoqué, la Constitution procède à une répartition des compétences normatives entre le président de la République et l'Assemblée nationale. Une telle délimitation des compétences s'est faite par l'inversion de l'équilibre -longtemps en faveur du Parlement- dans les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif (A) : il en résulte un déséquilibre en faveur du Président. Il n'est par ailleurs guère certain aujourd'hui que l'on assiste au rétablissement de l'équilibre des rapports en faveur de l'Assemblée nationale (B).

A/ L'inversion de l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif au détriment du second

Originairement, le Parlement bénéficiait d'un domaine illimité d'attributions273 (1). La Constitution de 2000 -imitant en cela la Constitution française de 1958- va au contraire l'enfermer dans un domaine d'attributions strictement délimité (2).

1. D'un domaine illimité d'attributions (...)

273 L'adage anglais, « Parliament can do anything except turn a woman into a man and a man into a woman » (le Parlement peut tout faire sauf changer un homme en une femme et une femme en un homme), traduit bien la toute-puissance du Parlement.

119

Avant 1958, la loi se définissait en droit français comme l'acte voté par l'organe qui la faisait : était loi tout acte fait par le Parlement dans les formes de la procédure législative. En vertu de ce critère organique, toute tentative pour déterminer l'existence d'un domaine réglementaire par nature, se trouva vouée à l'échec. Il en résultait un domaine illimité et exclusif d'intervention au profit du Parlement (a) quand le Gouvernement devait se contenter d'un domaine limité et dérivé (b).

a. Un domaine illimité et exclusif d'intervention au profit d'un Parlement souverain

Avant l'avènement de la Ve République, la loi se définissait comme l'acte voté par l'organe qui la faisait : était loi, tout acte fait par le Parlement, dans les formes de la procédure législative, abstraction faite de son contenu. C'est le Parlement lui-même qui imprime le caractère de loi aux règles qu'il édicte en forme de loi274.

Le domaine d'intervention du Parlement n'est pas seulement illimité en ce que tout acte voté par lui est loi et que nul ne saurait précisément empêcher qu'il intervienne en quel que domaine que ce soit : il est également exclusif de toute autre compétence. Cette exclusivité du champ d'intervention de la loi fait obstacle à une quelconque répartition matérielle des compétences entre le Parlement et le Gouvernement.

La pratique des décrets-lois surtout à partir de 1948 ne put remettre en cause le principe fondamental selon lequel tout acte voté par le Parlement en la forme législative avait force de loi. En vertu de ce critère organique et formel, toute tentative pour déterminer l'existence d'un domaine réglementaire par nature, se trouva vouée à l'échec275 et la matière éventuelle de la loi continuait à s'étendre à l'infini.

D'autre part, la loi n'était subordonnée au respect de la Constitution qu'en théorie. Mais aucune procédure n'était réellement organisée pour faire respecter cette subordination des lois

274 Raymond Carré de Malberg écrivait ainsi : « Pour qu'une règle soit législative, il est indispensable, et aussi suffisant, qu'elle soit l'oeuvre du pouvoir législatif, c'est-à-dire de l'organe en qui réside, de façon exclusive, ce pouvoir. La notion de loi est donc indépendante de toute condition ayant trait au contenu de l'acte législatif. C'est une notion qui, quelles que soient les bases rationnelles et foncières dudit concept, est d'ordre purement formel ; car elle n'est conditionnée que par l'origine de l'acte, par la qualité de son auteur et la forme de son adoption » (Confrontation de la théorie de la formation du droit, p. 31 et 38).

275 La loi du 17 août 1948 instituant notamment le procédé de l'extension du pouvoir réglementaire, ne pouvait restreindre par la voie législative la faculté constitutionnelle du Parlement à exercer le pouvoir législatif sur l'ensemble des matières. Le Conseil d'État estima d'ailleurs dans un avis du 6 février 1953 que le procédé de l'extension du pouvoir réglementaire était subordonné à certaines conditions, à défaut desquelles il serait contraire à l'article 13 de la Constitution.

120

à la Constitution276. Carré de Malberg estimait d'ailleurs que cette lacune correspondait à l'esprit même du système républicain français, basé sur la conception de Jean-Jacques Rousseau, qui considère la loi comme « l'expression de la volonté générale »277.

Puisque le Parlement disposait -en raison de la souveraineté de la loi- d'un champ d'intervention illimité et exclusif, il s'en suivait nécessairement que le Gouvernement ne pouvait prétendre qu'à un domaine d'intervention limité et subordonné par rapport à celui du Parlement.

b. Un domaine limité et dérivé concédé à un exécutif subordonné

Il résulte que -le Parlement étant seul compétent dès lors qu'il s'agissait de la réglementation juridique de toute question, de toute activité et en tout domaine- des deux pouvoirs législatif et exécutif, l'un est par son appellation même le supérieur de l'autre : il pose les règles que le second applique278.

C'est sur la base de cette hiérarchie entre les autorités étatiques que furent fixés jusqu'en 1958 les domaines respectifs de la loi et du règlement ; le pouvoir réglementaire -en dehors du recours périodique à la pratique des décrets-lois- ne pouvait pas intervenir spontanément, il ne pouvait intervenir qu'en application d'une loi votée par le Parlement. Subordonné à l'autorité de la loi, il ne pouvait l'enfreindre et ne disposait pas de matières propres à lui. Il est demeuré, selon l'expression consacrée par les juristes, un simple « pouvoir dérivé ».

276 Le Comité constitutionnel n'exerçait qu'un embryon de contrôle de constitutionnalité des lois et son intervention était très limitée (article 91 de la Constitution française de la IVe République).

277 Raymond Carré de Malberg écrivait également : « Car ainsi que l'avait dit l'article 6 de la Déclaration, tous les citoyens se trouvent représentés, c'est-à-dire présents dans l'Assemblée législative au moment de la confection des lois -celles-ci, par l'effet de cette représentation, sont donc l'oeuvre du peuple lui-même, c'est-à-dire du souverain. Mais, de ce concept représentatif il résulte aussi que le Parlement, puisqu'il représente le souverain, en détient la puissance dans ce qu'elle a de suprême. Ses pouvoirs législatifs ou autres participent de la souveraineté dont il est investi. Tranchons le mot, ce Parlement, conçu comme le représentant de la nation, devient effectivement le souverain » (op.cit., p. 20).

La Constitution de 1791 et la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour de Cassation tirent la conséquence, sous les IIIe et IVe Républiques, qu' « il n'y a point d'autorité supérieure à celle des lois ».

278 Marcel PRÉLOT, op.cit., p. 456.

121

L'élaboration par le Parlement conférait ainsi à la loi une supériorité sur le règlement et sur tous les autres actes juridiques. Le principe de légalité obligeait ainsi tous les actes du Gouvernement, des ministres, des autorités administratives, etc., à se conformer aux lois279.

Seule une intervention du pouvoir constituant aurait pu modifier de façon permanente cet équilibre dans les rapports entre la loi et le règlement au profit de ce dernier et il ne manquera pas de se produire en 1958.

2. (...) à un domaine limité d'attributions du pouvoir législatif

L'avènement de la Constitution du 4 octobre 1958 met un terme à la souveraineté du Parlement et au domaine illimité de la loi. La Constitution de la Ve République est parvenue à un tel résultat en consacrant la supériorité de la Constitution tout en l'assortissant désormais d'une sanction. Les différentes Constitutions de notre histoire constitutionnelle s'inscrivent toutes dans un tel schéma. Désormais, le Parlement devrait se résoudre à n'intervenir que dans un domaine restrictivement défini (a) et le Conseil constitutionnel veille à ce qu'il ne sorte point de ce domaine (b).

a. Un domaine réservé mais restreint octroyé au Parlement

La Constitution de 1958 a totalement bouleversé la notion de loi -le bouleversement de la notion de budget sera ultérieurement étudié- dans le but clair de limiter le rôle du Parlement ; elle est suivie en cela par toutes les Constitutions ivoiriennes y compris celle qui régit actuellement nos institutions.

Ce qui caractérise la Constitution de 1958 par rapport à celles des Républiques précédentes, et qui caractérise la nôtre, c'est que les pouvoirs du Parlement sont très diminués : la restriction du pouvoir législatif en particulier, par l'adoption d'une définition matérielle de la loi tout à fait étrangère à la tradition française, confine les assemblées dans un domaine d'action très étroit.

Le Parlement ne peut plus agir dans tous les domaines désormais ; il ne peut plus intervenir partout pour définir les cadres de l'action gouvernementale : l'innovation fondamentale de la Constitution de 1958 -innovation dont nous avons hérité dans toutes nos Constitutions depuis 1959- est de déterminer un domaine réservé à la loi, en dehors duquel le

279 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p.755-756.

122

Parlement ne peut pas légiférer. Nous avons déjà passé en revue ces différentes matières et n'y reviendrons plus ici. Mais retenons qu'en dehors de ces matières ainsi énumérées par la Constitution et notamment son article 34 -article 71 de la Constitution ivoirienne- toutes les matières sont réglées par le règlement280. Il y a donc là une atteinte incontestable aux prérogatives de la représentation nationale281.

Une autre atteinte à la toute-puissance du Parlement est la constitutionnalisation de la pratique auparavant interdite des décrets-lois282. Désormais, le pouvoir exécutif peut directement intervenir dans le domaine législatif à condition que le Parlement lui en donne l'autorisation. En bonne théorie juridique, cette délégation du pouvoir législatif devrait déposséder pendant une certaine durée le Parlement du droit de légiférer sur le domaine délégué. Le domaine du Parlement n'est plus ainsi seulement limité par rapport à l'état du droit antérieur à 1958, il n'est plus désormais exclusif.

Ce qui traduit sans doute le mieux cette perte de souveraineté de la loi283 et de l'organe législatif est le contrôle de constitutionnalité des lois.

b. Le Conseil constitutionnel, gardien traditionnel du cantonnement du Parlement dans son domaine réservé

La loi est constitutionnellement définie comme l'acte voté par le Parlement (élément organique) et portant sur l'une des matières énumérées par l'article 71 ou par quelques autres articles de la Constitution (élément matériel). L'existence d'un critère matériel est par conséquent certaine et ses contours sont bien délimités.

280 Le corollaire de la délimitation du domaine législatif par énumération des matières législatives a pour conséquence directe d'étendre considérablement le domaine du règlement autonome jusque-là limité à la police et à l'organisation des services publics. Les règlements autonomes sont de véritables lois (au sens large) et ils échappent, en raison justement de leur autonomie, au contrôle de légalité que le Conseil d'État exerce normalement sur les actes administratifs. Ils ne sont soumis qu'au respect des principes généraux du droit et de la Constitution.

281 Georges BURDEAU, op.cit., p. 605.

282 La constitutionnalisation des décrets -lois, autrefois interdits, résulte des articles 38 français et 75 ivoirien.

283 Depuis 1958, le Parlement a cessé de représenter seule la souveraineté et, pendant la durée de la législature, de l'accaparer. L'autorité suprême reste le peuple lui-même s'exprimant par les votations et les élections. Le principe théorique formulé par Adhémar Esmein, et méconnu sous les Républiques précédentes régies par le parlementarisme absolu, trouve ainsi à s'appliquer : « Le pouvoir n'est point, pour les assemblées, un droit propre, c'est une fonction que la Constitution leur confie, non pour en disposer à leur gré, mais pour l'exercer elles-mêmes d'après les lois constitutionnelles. Seul le souverain peut faire une semblable attribution, et le pouvoir législatif n'est pas le souverain, mais simplement le délégué du souverain » (Revue politique et parlementaire, août 1894).

123

Le Conseil constitutionnel veille dès lors très strictement, lorsqu'il est saisi, à ce que la loi porte bien sur les matières énumérées à l'article 71284 ou beaucoup plus exceptionnellement, à un autre article de la Constitution285. Cette jurisprudence s'accorde très bien avec le caractère propre du Conseil constitutionnel, lequel apparaît comme un organe régulateur des compétences veillant à protéger l'exécutif des empiètements du Parlement.

De ce fait, le Conseil constitutionnel apparaît comme le gardien du cantonnement de l'Assemblée nationale dans ses attributions limitativement énumérées alors que le président de la République et le Gouvernement échappent pour nombre de leurs actes à tout contrôle de sa part286.

Il semble par ailleurs incertain que ce cantonnement du Parlement prenne fin par suite d'une nouvelle inversion de l'équilibre des rapports.

B/ L'incertitude d'une nouvelle inversion de l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au profit du premier

L'incertitude d'une nouvelle inversion des rapports entre l'Assemblée nationale et le président de la République au profit de celle-là s'explique par deux faits au moins : d'une part, la non-transposition en droit ivoirien de la jurisprudence constitutionnelle française extensive des compétences du législateur (1) et d'autre part, l'impossibilité d'étendre ces compétences par les autres voies (2).

1. La non-transposition de la jurisprudence constitutionnelle française extensive des compétences du législateur

Si la transposition de la jurisprudence constitutionnelle française serait souhaitable en ce qu'elle est extensive des compétences du législateur (a), force est de reconnaître que cette transposition n'est pas effective dans notre droit constitutionnel (b).

284 Dans une décision en date du 18 janvier 1962, le Conseil constitutionnel décide que le législateur n'est pas habilité à légiférer « dans une matière qui n'est pas au nombre de celles réservées à sa compétence par l'article 34 de la Constitution » et, dans une autre décision en date du 10 juin 1969, qu'il doit demeurer dans le cadre « des principes fondamentaux ou des règles que l'article 34 de la Constitution a réservé à la compétence du législateur ».

285 Ces décisions sont très peu nombreuses. Cependant, pour une référence à l'article 74 de la Constitution, cf. n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. Rec., p. 75.

286 Tel est le cas des décisions présidentielles de l'article 16 (notre article 48) ainsi que des « actes de gouvernement », pour lesquelles le Conseil d'État s'est toujours reconnu incompétent.

124

a. Une transposition souhaitable

On sait que le domaine de loi fut matériellement délimité par référence quasi-exclusive à l'article 34 de la Constitution française, suivie en cela par toutes les différentes Constitutions ivoiriennes. Cependant, l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle intervenue en France devait considérablement élargir le domaine de la loi.

Cette évolution trouve son point de départ dans sa décision du 16 juillet1971287 lorsque le Conseil constitutionnel décide pour la première fois de procéder à un contrôle au fond de la conformité de la loi à la Constitution et plus précisément à son Préambule. Dès cette décision, la voie s'est trouvée ouverte pour ajouter à l'énumération de l'article 34 de nouvelles matières législatives procédant non seulement d'autres articles de la Constitution mais également des normes visées par le Préambule, c'est-à-dire de la Déclaration de 1789, du Préambule de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Le pas décisif est franchi par une décision du 28 novembre 1973 dans laquelle le Conseil constitutionnel décide que la matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables est législative lorsque lesdites peines comportent des mesures privatives de liberté288. Cette décision ne pouvait pas prendre appui sur l'article 34289. Il a suffi au Conseil constitutionnel, pour aller au-delà de l'article 34, de viser également l'article 66 et surtout le Préambule.

Une telle jurisprudence a pour conséquence que les matières législatives vont au-delà de l'énumération de l'article 34. En réalité, le Conseil constitutionnel peut, en interprétant le Préambule et les normes auxquelles il se réfère, en étendre la liste assez largement. Il est par conséquent clair que le domaine législatif est loin d'être aussi étroitement délimité et assigné qu'on avait pu le croire.

La transposition de cette jurisprudence française en droit constitutionnel ivoirien serait souhaitable en ce qu'elle contribuerait à atténuer la brutalité du cantonnement de l'Assemblée

287 Déc. n°71-44 DC du 16 juillet 1971. Rec., p. 29.

288 Déc. n°73-80 du 28 novembre 1973. Rec., p. 75. Il est également significatif que cette décision du Conseil constitutionnel va à l'encontre de la position adoptée par le Conseil d'État (Société Eky, 12 février 1960, J.P.C., 1960 II 11629 bis note Vedel) et qu'elle se situe en marge de celle adoptée par la Cour de Cassation (Crim. 26 février 1974. 269. Chr. L. Hamon, 83).

289 La matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables ne figure pas en effet dans l'énumération de l'article 34 par suite d'une omission délibérée, les crimes et délits étant eux expressément visés.

125

nationale découlant de la délimitation trop étroite du domaine législatif par l'article 71 de la Constitution de 2000, mais elle n'est pas -ou pas encore- effective.

b. Une transposition non effective

Cette jurisprudence constitutionnelle française extensive du domaine législatif ne peut, telle quelle, être transposée en droit constitutionnel ivoirien parce qu'elle ne s'accorde pas avec l'esprit de nos institutions. En effet, en droit constitutionnel ivoirien comme en droit constitutionnel français, il existe des matières législatives par énumération ou par renvoi ou invitation de la Constitution à la loi. Mais le fait fondamental demeure que la Constitution tend tout entière à cantonner l'Assemblée nationale dans des limites bien précises -limites tracées principalement par l'article 71 pour ce qui concerne le pouvoir législatif de l'Assemblée nationale- en dehors desquelles elle ne peut pas se mouvoir.

En outre, cette jurisprudence émane d'une juridiction française, c'est-à-dire d'une juridiction étrangère et elle ne peut s'appliquer de plein droit dans notre régime politique290.

Toutefois le Conseil constitutionnel ivoirien pourrait valablement s'en inspirer pour élargir le domaine législatif défini par l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution. Pour cela, il lui suffirait, procédant en cela de la même manière que le Conseil français, de contrôler la conformité d'une loi soumise à son examen au préambule de la Constitution de 2000 et d'inclure dans le domaine législatif une matière non prévue à l'article 71 en visant le Préambule ou les normes auxquelles il renvoie, c'est-à-dire la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981. Il en résulterait une extension considérable du domaine législatif.

Mais pour l'heure le Conseil constitutionnel ivoirien ne s'est pas -ou pas encore-engagé dans une telle voie. Il en résulte que le domaine législatif reste circonscrit à l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution et ne s'étend pas aux matières législatives procédant éventuellement des normes auxquelles renvoie le Préambule.

Il en est ainsi d'autant plus que les autres voies par lesquelles on aurait pu espérer une extension du domaine législatif demeurent fermées.

290 La transposition de plano de cette jurisprudence comme celle plus générale des décisions des juridictions françaises en droit ivoirien porterait incontestablement atteinte à la souveraineté juridique de la Côte d'Ivoire. Mais rien n'empêche que les juridictions ivoiriennes s'inspirent, dans les décisions qu'elles prennent, des décisions rendues sur les mêmes questions par des juridictions étrangères.

126

2. La fermeture des autres voies d'extension des compétences législatives

La fermeture des autres voies d'extension des compétences législatives résulte de l'impossibilité d'étendre l'énumération de l'article 71 de la Constitution par une loi organique (a) et de l'incertitude de l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine de compétences du président de la République (b).

a. L'impossibilité d'étendre l'énumération de l'article 71 par une loi

Suivant l'exemple de la Constitution française du 4 octobre 1958, la quasi-totalité des Constitutions africaines y compris ivoiriennes procèdent à une délimitation matérielle de la loi291. Cette délimitation matérielle du domaine de la loi empruntée à la Constitution de la Ve République française apparaît même comme plus rigoureuse dans les Constitutions africaines. En effet, l'article 34 in fine de la Constitution française, après avoir énuméré les matières législatives, dispose toutefois que : « les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ». Une telle possibilité n'existe pas dans la Constitution ivoirienne ni dans la plupart des Constitutions africaines opérant une répartition des matières entre les pouvoirs législatif et exécutif. La Constitution du Sénégal est l'une des rares en Afrique à prévoir une telle possibilité ; ainsi son article 67 in fine est une transposition littérale de l'article 34 in fine de la Constitution française292.

Il résulte de l'impossibilité d'étendre l'énumération des matières législatives par une loi organique voulue par les auteurs de la Constitution ivoirienne que la distinction horizontale entre les domaines de la loi et du règlement est fermée, étanche et sans possibilité d'adaptation293. Les constituants ivoiriens de 2000 sont donc allés plus loin dans leur volonté d'enserrement du Parlement dans un domaine défini et délimité en dehors duquel il ne peut pas sortir ; une telle volonté d'assurer au président de la République un domaine réglementaire irréductible est d'ailleurs traditionnelle en droit constitutionnel ivoirien294.

291 Constitutions du Bénin (art. 98), du Mali (art. 70), du Sénégal (art. 67), etc.

292 Cet article 67 in fine de la Constitution sénégalaise est ainsi libellé : « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ».

293 Obou OURAGA, op.cit., p.234.

294 Ni la Constitution de 1959 ni celle de 1960 ne prévoyaient la possibilité d'étendre l'énumération des matières législatives par le procédé d'une loi organique.

127

Il ne reste donc plus qu'une voie ouverte à l'Assemblée nationale pour élargir son domaine législatif : celle de son intervention dans le domaine réglementaire. Mais une telle intervention semble incertaine.

b. L'incertitude de l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire

L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire serait une voie par laquelle elle pourrait élargir son domaine législatif. Ainsi, une loi pourrait comporter des dispositions portant sur des matières que ni l'article 71 ni d'autres articles de la Constitution ne réservent à la compétence du législateur. Mais une telle intervention n'est pas certaine en droit constitutionnel ivoirien.

D'abord, il faudrait que le président de la République consente à un tel empiètement. S'il voulait empêcher l'Assemblée nationale d'intervenir hors du domaine de la loi, il pourrait s'opposer au cours de la procédure législative et par la voie de l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution à la proposition ou à l'amendement295.

Ensuite, il faudrait également que le Conseil constitutionnel ne considère pas que cette intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire doive être sanctionnée en cas de recours fondé sur l'article 95.2 de la Constitution. La jurisprudence constitutionnelle française énonçant que « la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi »296 par consentement mutuel du Parlement et du Gouvernement ne peut pas en effet s'appliquer de plano en droit ivoirien à moins que le Conseil constitutionnel ivoirien ne la reprenne à son compte.

Le contrôle du cantonnement de l'Assemblée nationale dans des limites très étroites est efficacement assuré par des mécanismes aux mains du Président. Au contraire, l'Assemblée nationale ne dispose pas d'autant de moyens pour empêcher les empiètements de l'exécutif sur le domaine législatif. Il en résulte un caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences.

295 Pour la procédure de l'irrecevabilité de l'article 76, voir les développements précédents.

296 Grandes décisions, n° 35. Cette décision du 30 juillet 1982, « blocage des prix » a été confirmée par une jurisprudence constante, notamment par deux décisions du 18 juillet 1983, « démocratisation du secteur public », et du 19 janvier 1984, « contrôle des établissements de crédits ».

128

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984