Paragraphe 2 : La portée des pouvoirs
exceptionnels en période de crise
La portée des pouvoirs exceptionnels est immense (A) et
le contrôle de l'exercice de ces pouvoirs par le Président
paraît insuffisant (B).
A/ L'étendue immense des pouvoirs exceptionnels
Les pouvoirs exceptionnels sont immensément
étendus d'une part, en raison des prérogatives que vise l'article
48 (1) et d'autre part, parce que l'application de l'article 48 entraîne
une suspension de fait des règles constitutionnelles (2).
1. Les pouvoirs visés par l'article 48
Les pouvoirs visés par l'article 48 sont très
étendus (a) mais ils ne sont pas illimités (b).
252 Obou OURAGA, ibid., p. 175.
253 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.
110
a. Des pouvoirs très étendus (...)
Les pouvoirs de l'article 48 sont quasiment illimités.
On ne trouve ici ni de limitation par l'objet ni de limitation par le but,
même si cette dernière limitation y est nécessairement
impliquée.
Le président de la République peut prendre, en
vertu de l'article 48, « les mesures exceptionnelles exigées par
les circonstances ». Le texte est vague et immense : parce que les
circonstances en cause sont elles-mêmes exceptionnelles, rien de ce qui
peut y parer n'est interdit au Président. Il concentre entre ses mains
tous les pouvoirs politiques : il dispose de la plénitude des pouvoirs
exécutif et législatif. En d'autres termes, le Président
exerce, pendant la durée d'application de l'article 48, une
véritable dictature rei publicae servandae, pour sauver la
République254.
Dans la Constitution du Maroc, l'article 59 autorise le Roi
à « prendre les mesures qu'imposent la défense de
l'intégrité territoriale et le retour, dans un moindre
délai, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles
» mais il ajoute : « les libertés et droits fondamentaux
prévus par la présente Constitution demeurent garantis ». Il
en résulte que le Roi ne peut suspendre l'ensemble des droits et
libertés fondamentaux constitutionnellement consacrés : ses
pouvoirs sont donc fortement limités dans leur objet255. Rien
de semblable dans l'article 48 : le président de la République
peut intervenir dans tous les domaines, supprimer tous les droits et garanties
des citoyens, etc.
D'autre part, aucune limitation par le but n'apparaît
clairement à l'article 48 : les mesures exceptionnelles que le
Président est autorisé à prendre ne sont pas explicitement
guidées vers la poursuite d'une fin déterminée. Dans la
Constitution nigérienne, l'article 67, alinéa 4 dispose que :
« les mesures exceptionnelles doivent être inspirées par la
volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les
moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Le fait que
cette finalité des mesures exceptionnelles n'apparaisse pas clairement
dans le texte constitutionnel ivoirien ne signifie pas qu'elle n'y soit pas
254 Dans une dictature au sens précis du droit, le
dictateur est nommé pour une mission déterminée : rei
gerandae, pour une tâche à accomplir, belli gerandae
causa, pour faire la guerre, seditionis sedendae causa, pour
étouffer une sédition ou encore, d'une façon plus
générale, rei publicae servandae, pour sauver la
République.
255 La même limitation par l'objet existe dans la
Constitution du Bénin qui dispose : « (...) le président de
la République, après consultation du président de
l'Assemblée nationale et du président de la Cour
constitutionnelle, prend en Conseil des ministres les mesures
exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis
par la Constitution soient suspendus (...) » (art. 68).
111
impliquée : il est clair que les mesures
exceptionnelles doivent être prises par le président de la
République dans l'esprit du retour à la normalité
constitutionnelle.
b. (...) mais quelque peu limités
Les pouvoirs exceptionnels sont certes très
étendus mais ils ne sont pas illimités. Outre le fait qu'ils
doivent être exercés dans l'esprit du retour à la
normalité constitutionnelle et que l'Assemblée nationale se
réunisse de plein droit, la principale limitation aux pouvoirs
exceptionnels est l'impossibilité de réviser la Constitution.
L'impossibilité de procéder à une
révision de la Constitution par le biais de l'article 48 résulte
implicitement de l'esprit dans lequel les pouvoirs exceptionnels doivent
être exercés : les mesures exceptionnelles doivent être
inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics
constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur
mission. Ce qui doit s'entendre des institutions en place au moment de la mise
en oeuvre de l'article 48 et qui ne peuvent donc faire l'objet d'aucune
modification256. D'autre part, il y a lieu de faire un lien avec
l'article 127 de la Constitution qui dispose qu' « aucune procédure
de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il
est porté atteinte à l'intégrité du territoire
»257.
Cette position qui résulte d'une interprétation
doctrinale258 sera validée par le Conseil constitutionnel
français259. Dans de nombreux régimes politiques
africains, l'interdiction résulte des termes explicites de la
Constitution ; ainsi l'article 116.10 de la Constitution du Gabon dispose que :
« la révision de la Constitution ne peut être entamée
ou achevée en cas
256 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 395.
257 L'atteinte à l'intégrité du
territoire qui constitue, aux termes de l'article 127, une limite temporelle au
pouvoir de révision est par ailleurs une des circonstances
énoncées à l'article 48 et qui, conjuguée avec
l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels, justifie la mise en oeuvre de l'article 48. D'autre part,
l'atteinte à l'intégrité du territoire est susceptible
d'entraîner les autres circonstances de l'article 48 que sont la menace
grave et immédiate sur les institutions de la République,
l'indépendance de la nation et l'exécution des engagements
internationaux.
258 Georges BURDEAU, op.cit., p. 655 ; Maurice
DUVERGER, op.cit., p. 538 ; Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.
259 Décision n° 92-312 D.C du 2 septembre 1992 :
« Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations
touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la
Constitution ne peut être engagée ou poursuivie, qui
résulte des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte
constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du
cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles... ».
(Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 224).
112
d'intérim de la présidence de la
République, de recours aux pouvoirs de crise de l'article 26
ci-dessus ou d'atteinte à l'intégrité du
territoire... »260.
Les pouvoirs exceptionnels sont encore plus étendus par
un fait que l'on oublie souvent : parce que les règles
constitutionnelles sont suspendues, le Président apparaît comme un
organe régulateur du cadre constitutionnel.
2. La suspension des règles constitutionnelles
Dans l'application de l'article 48, on a une suspension de
fait des règles constitutionnelles. La parenthèse de la dictature
constitutionnelle qui s'ouvre en est marquée par le fait que le
Président a non seulement la maîtrise de la durée
d'application de l'article 48 (a) mais il régule également par
lui-même les rapports entre les pouvoirs publics pendant cette
période (b).
a. La maîtrise de la durée d'application de
l'article 48
Normalement l'article 48 n'a plus à s'appliquer
dès lors que les circonstances qui ont justifié sa mise en
vigueur ont cessé et que les pouvoirs publics constitutionnels sont de
nouveau en mesure de fonctionner régulièrement. A la
réalité, de même que le Président a la pleine
maîtrise de la mise en jeu de l'article 48, il dispose seul de la
possibilité d'y mettre fin : la décision de mettre fin à
l'application des pouvoirs exceptionnels est laissée à son
entière appréciation sans contrôle ni sanction.
Il n'existe en effet aucun moyen constitutionnel à la
portée ni de l'Assemblée nationale ni des autres pouvoirs publics
pour obliger le Président à mettre fin à l'application de
l'article 48. Dans le régime politique français d'avant la
révision constitutionnelle de 2008, nous étions dans une
situation similaire261. Désormais les règles y sont
changées puisque la mise en application de l'article 16 est en une
certaine façon limitée dans le temps : au bout de trente jours
d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel a
désormais la
260 L'interdiction de réviser la Constitution pendant
la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels existe explicitement
dans de nombreuses Constitutions africaines : Constitution du
Sénégal (art. 52.3) et autres.
261 Ainsi en 1961, l'application de l'article 16
décidée le 23 avril a été prolongée jusqu'au
29 septembre c'est-à-dire bien au-delà du retour du
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Dans
l'arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962, le Conseil
d'État précisait d'ailleurs que la décision de mettre en
oeuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il
n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier ni la
légalité ni la durée d'application ».
113
possibilité -sur demande de soixante
députés ou sénateurs ou des présidents des
assemblées-d'examiner si les conditions ayant donné lieu à
leur mise en oeuvre sont toujours réunies ; au bout de soixante jours,
le Conseil constitutionnel se saisit lui-même. Des dispositions voisines
à celles ajoutées à l'article 16 de la Constitution
française à l'issue de la révision de 2008 existent dans
certaines Constitutions africaines. Ainsi l'article 67 in fine de la
Constitution nigérienne donne la possibilité à
l'Assemblée nationale d'apprécier à la majorité
absolue de ses membres la durée d'exercice des pouvoirs exceptionnels et
d'y mettre fin en cas d'abus 262!
La Président ivoirien régule en outre -en sa
qualité de gardien de la Constitution- les rapports entre les pouvoirs
publics pendant la période de la dictature constitutionnelle.
b. La régulation des rapports entre les pouvoirs publics
pendant l'application de l'article
48
Le Conseil constitutionnel français, saisi par le
président de l'Assemblée nationale, s'est refusé le 14
septembre 1961 à émettre un avis sur les rapports entre les
pouvoirs publics pendant l'application de l'article 16. Ce refus de la part du
Conseil constitutionnel est un argument de ce que, pendant l'application des
pouvoirs exceptionnels, il y a une suspension de fait de la Constitution comme
nous l'avons précédemment signalé : puisque l'on n'est
plus à proprement parler dans le cadre de la Constitution, le Conseil
constitutionnel -organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs
publics constitutionnels en période normale- n'a plus à
émettre d'avis sur les rapports que devraient entretenir entre eux ces
pouvoirs publics constitutionnels. Dès lors, c'est
l'interprétation donnée par le président de la
République, gardien de la Constitution, qui doit prévaloir.
Le Président se retrouve ainsi en position de se
substituer au Conseil constitutionnel dans le rôle que celui-ci tient en
période normale dans la régulation des rapports entre les
pouvoirs publics constitutionnels. En d'autres termes, outre le fait qu'il
dispose en vertu de l'article 48 de pouvoirs exceptionnels, le président
de la République détermine le contenu des pouvoirs de
l'Assemblée nationale en période de crise comme nous le
constaterons dans les développements ultérieurs.
262 Aux termes de l'article 69 de la Constitution
béninoise, l'Assemblée nationale peut également fixer un
délai à l'issue duquel le président de la
République ne peut plus prendre de mesures exceptionnelles.
114
Les pouvoirs exceptionnels ne sont pas seulement immenses dans
leur contenu ; le contrôle que suppose leur portée
considérable est assez faible.
B/ La faiblesse du contrôle de l'exercice des pouvoirs
exceptionnels
La dictature qu'exerce le Président en vertu de
l'article 48 est encore une dictature constitutionnelle et non une dictature de
fait. Cela suppose non seulement que cette dictature est prévue et
encadrée mais également qu'un certain contrôle existe. Si
le contrôle politique est faible voire illusoire (1), le contrôle
juridictionnel existe bel et bien même si l'on peut regretter son
insuffisance (2).
1. L'illusion du contrôle politique
Le contrôle politique de l'exercice des pouvoirs
exceptionnels est illusoire en ce que la réunion de plein droit de
l'Assemblée nationale en période de crise (a) n'empêche pas
que ses pouvoirs soient considérablement réduits (b).
a. La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale
La Constitution exige que pendant l'exercice des pouvoirs
exceptionnels l'Assemblée nationale se réunisse de plein droit.
On aurait pu penser que, puisque l'Assemblée nationale se réunit
de plein droit dès que l'article 48 est mis en application, elle aurait
la faculté d'ouvrir un débat sur la décision du
Président de mettre en jeu les pouvoirs exceptionnels. Seulement si,
théoriquement, cette hypothèse n'est pas à écarter,
force est de reconnaitre qu'en fait il ne pourrait s'agir que d'un
contrôle illusoire, parce que dépourvu de sanction.
La seule finalité efficace de la réunion de
plein droit de l'Assemblée nationale pourrait être de traduire en
Haute Cour le Président s'il abusait de ses pouvoirs
exceptionnels263.
La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale apparaît ainsi décevante car elle est en
deçà de ce que l'on aurait pu espérer. Mais ce n'est pas
tout : les pouvoirs qui sont les siens en période normale se trouvent
être encore fortement réduits.
b. La réduction des pouvoirs de l'Assemblée
nationale
263 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539.
115
Comme aucun texte constitutionnel ne prévoit les
conditions de fonctionnement de l'Assemblée nationale et du
président de la République pendant la période
d'application de l'article 48, c'est au président de la
République qu'il devrait appartenir, en vertu de sa qualité de
gardien de la Constitution (art.34), de régler cette question. Les
pouvoirs de l'Assemblée nationale dépendront donc de
l'interprétation donnée à la Constitution par le Chef de
l'État.
Deux hypothèses sont à distinguer selon que l'on
se trouve dans ou hors des sessions normales de l'Assemblée nationale.
La première hypothèse est celle de la coïncidence de la
réunion de plein droit avec une session normale de l'Assemblée
nationale : réunie en session ordinaire l'Assemblée nationale
conserverait, malgré l'application de l'article 48, son pouvoir de
contrôle et de législation pour autant qu'il ne s'agisse pas de
mesures prises ou à prendre en vertu de l'article 48. L'Assemblée
nationale peut donc aussi bien exercer son contrôle sur l'action du
Gouvernement que voter des lois, mais sans concurrencer le Président qui
s'est saisi de la plénitude du pouvoir législatif. La seconde
hypothèse est celle où la réunion de plein droit de
l'Assemblée nationale se situe hors d'une session normale : dès
lors la réunion de l'Assemblée nationale ne pourrait avoir aucun
aboutissement législatif.
Ces règles relatives au pouvoir de l'Assemblée
nationale découlent en fait de l'interprétation donnée par
le Président de Gaulle à la Constitution française pendant
la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels en 1961264.
Mais rien n'empêche que le Président ivoirien s'approprie une
telle interprétation pendant la mise en oeuvre de l'article 48 et
réduise ainsi de manière considérable les pouvoirs de
l'Assemblée nationale durant toute cette période.
Il en découle par conséquent que non seulement
le contrôle politique que l'on aurait pu espérer de la
réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se
révèle en définitive illusoire car dépourvue de
sanction265 mais également, et plus grave, que ses pouvoirs
sont tributaires de la volonté du président de la
République. Il ne reste dès lors que de s'en remettre au
contrôle juridictionnel même si celui-ci, l'on s'en rendra compte,
est insuffisant.
2. L'insuffisance du contrôle juridictionnel
264 L'interprétation donnée à la
Constitution française de 1958 par le Général de Gaulle
pendant la mise en application de l'article 16 se fit à travers deux
textes : le message du 25 avril 1961 et la lettre du 31 août 1961. Le
premier texte correspond à l'hypothèse dans laquelle la
réunion de plein droit de l'Assemblée nationale coïncide
avec ses sessions normales et le second texte correspond à celle dans
laquelle la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se
situe en dehors de ses sessions normales.
265 Georges BURDEAU, op.cit., pp. 656-657.
116
Il convient de distinguer entre la décision initiale de
mise en oeuvre de l'article 48 qui constitue un acte de gouvernement
insusceptible de recours contentieux (a) et les décisions prises en
vertu de l'article 48 au cours de sa période d'application (b).
a. La décision d'user de l'article 48, acte de
gouvernement insusceptible de recours contentieux
Le Conseil d'État français considère que
la décision du président de la République de recourir
à l'article 16 constitue un acte de gouvernement. En effet, cette
décision réalise immédiatement une confusion organique des
pouvoirs au profit du président de la République et elle
bouleverse ipso facto la répartition des compétences
entre les pouvoirs constitutionnels266. Le Conseil d'État
s'interdit par conséquent d'en apprécier la
légalité interne et de l'examiner au fond tout en marquant,
cependant, son désir d'en contrôler la régularité
externe267.
Encore convient-il de souligner qu'il s'agit tout au plus
d'une constatation de l'existence de la décision et faut-il marquer les
limites d'un tel contrôle : le Conseil d'État n'apprécie
pas en effet si les circonstances de fait permettaient le recours à
l'article 16 et si les conditions mises par celui-ci à son application
étaient effectivement remplies ; de plus, la simple constatation de la
régularité formelle de la décision ne constitue pas une
garantie bien efficace : « tout contrôle intervenant a
posteriori » de la part du Conseil d'État « serait ou
inutile -si la décision d'appliquer l'article 16 est conforme à
la Constitution- ou dérisoire -si elle ne l'est pas » : on
serait alors « en présence d'un coup d'État que le
Parlement n'aurait pu éviter et il serait trop tard pour le condamner
»268.
En définitive et par transposition de cette
jurisprudence française dans le droit ivoirien, aucun contrôle
juridictionnel pas plus que politique d'ailleurs n'est par conséquent
possible relativement à la décision d'ouvrir le régime des
pouvoirs exceptionnels.
Contrairement à la décision initiale de recourir
à l'article 48, les décisions prises par le président de
la République en vertu de cet article ne constituent pas quant à
elles des actes de gouvernement et sont par conséquent susceptibles du
contrôle juridictionnel.
266 C.E., 19 février 1875, Prince
Napoléon.
267 Dans l'arrêt Rubin de Servens, le Conseil
d'État note en effet que la décision de recourir à
l'article 16 a été « prise après consultation
officiel du Premier ministre et des présidents des assemblées et
après avis du Conseil constitutionnel ».
268 Conclusions du commissaire du gouvernement
Jean-François Henri sous l'affaire Rubin de Servens.
117
b. Le contrôle des seules décisions de nature
réglementaire et des mesures individuelles d'application
En présence d'une confusion des pouvoirs
législatif et exécutif entre les mains d'une même
autorité, le Conseil d'État distingue, parmi les décisions
prises, celles qui ont une nature législative et celles qui ont une
nature réglementaire269. En l'espèce, sa tâche
se trouve facilitée par le partage institué par la Constitution
entre les matières législatives et réglementaires.
Si en appliquant l'article 48, le Président prend des
décisions portant sur des matières législatives -de telles
mesures qui échappent toujours à la censure du juge- lui sont
a fortiori soustraites en ce cas. Mais si le Président prend
une décision de nature réglementaire, elle sera soumise au
régime commun270. Cependant, la jurisprudence relative
à la période d'application de l'article 48 n'offre pas d'exemple
de décision présidentielle de nature réglementaire soumise
au contrôle du juge, la plupart des décisions prises ayant eu un
caractère législatif.
Il ne reste donc que les mesures individuelles d'application
des décisions -que ces décisions soient de nature
législative ou réglementaire- qui peuvent être en fait plus
efficacement déférées au Conseil d'État par la voie
du recours pour excès de pouvoir271. Encore faut-il souligner
que, leur légalité s'appréciant par rapport à la
décision qui leur sert de fondement, le Conseil d'État n'en a pas
toujours fourni une interprétation susceptible de donner une grande
portée à son contrôle. Ainsi le juge tiendra
nécessairement pour légale la mesure individuelle
méconnaissant une disposition de nature législative ou un
principe général du droit que la décision qui lui sert de
fondement aura précisément entendu modifier ou écarter.
Les pouvoirs énormes du Président à la
fois dans le cadre constitutionnel et en dehors de ce cadre constitutionnel ne
seraient pas en soi une mauvaise chose si ces pouvoirs étaient
contrebalancés -comme c'est normalement le cas dans un régime
présidentiel (la doctrine des checks and balances)- par un
Parlement libre et puissant272. Malheureusement, l'Assemblée
nationale -institutionnellement enchaînée par la Constitution et
politiquement inféodée au Président- ne fait contrepoids
à celui-ci que de manière assez marginale.
269 C.E., 30 juillet 1880, Brousse ; C.E., 28 novembre
1873, Élections de Maisons-Alfort, etc.
270 C.E., 16 mars 1962, Rubin de Servens.
271 C.E., 23 octobre 1964, D'Oriano.
272 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 309-310.
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