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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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Paragraphe 2 : La portée des pouvoirs exceptionnels en période de crise

La portée des pouvoirs exceptionnels est immense (A) et le contrôle de l'exercice de ces pouvoirs par le Président paraît insuffisant (B).

A/ L'étendue immense des pouvoirs exceptionnels

Les pouvoirs exceptionnels sont immensément étendus d'une part, en raison des prérogatives que vise l'article 48 (1) et d'autre part, parce que l'application de l'article 48 entraîne une suspension de fait des règles constitutionnelles (2).

1. Les pouvoirs visés par l'article 48

Les pouvoirs visés par l'article 48 sont très étendus (a) mais ils ne sont pas illimités (b).

252 Obou OURAGA, ibid., p. 175.

253 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.

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a. Des pouvoirs très étendus (...)

Les pouvoirs de l'article 48 sont quasiment illimités. On ne trouve ici ni de limitation par l'objet ni de limitation par le but, même si cette dernière limitation y est nécessairement impliquée.

Le président de la République peut prendre, en vertu de l'article 48, « les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances ». Le texte est vague et immense : parce que les circonstances en cause sont elles-mêmes exceptionnelles, rien de ce qui peut y parer n'est interdit au Président. Il concentre entre ses mains tous les pouvoirs politiques : il dispose de la plénitude des pouvoirs exécutif et législatif. En d'autres termes, le Président exerce, pendant la durée d'application de l'article 48, une véritable dictature rei publicae servandae, pour sauver la République254.

Dans la Constitution du Maroc, l'article 59 autorise le Roi à « prendre les mesures qu'imposent la défense de l'intégrité territoriale et le retour, dans un moindre délai, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles » mais il ajoute : « les libertés et droits fondamentaux prévus par la présente Constitution demeurent garantis ». Il en résulte que le Roi ne peut suspendre l'ensemble des droits et libertés fondamentaux constitutionnellement consacrés : ses pouvoirs sont donc fortement limités dans leur objet255. Rien de semblable dans l'article 48 : le président de la République peut intervenir dans tous les domaines, supprimer tous les droits et garanties des citoyens, etc.

D'autre part, aucune limitation par le but n'apparaît clairement à l'article 48 : les mesures exceptionnelles que le Président est autorisé à prendre ne sont pas explicitement guidées vers la poursuite d'une fin déterminée. Dans la Constitution nigérienne, l'article 67, alinéa 4 dispose que : « les mesures exceptionnelles doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Le fait que cette finalité des mesures exceptionnelles n'apparaisse pas clairement dans le texte constitutionnel ivoirien ne signifie pas qu'elle n'y soit pas

254 Dans une dictature au sens précis du droit, le dictateur est nommé pour une mission déterminée : rei gerandae, pour une tâche à accomplir, belli gerandae causa, pour faire la guerre, seditionis sedendae causa, pour étouffer une sédition ou encore, d'une façon plus générale, rei publicae servandae, pour sauver la République.

255 La même limitation par l'objet existe dans la Constitution du Bénin qui dispose : « (...) le président de la République, après consultation du président de l'Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle, prend en Conseil des ministres les mesures exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis par la Constitution soient suspendus (...) » (art. 68).

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impliquée : il est clair que les mesures exceptionnelles doivent être prises par le président de la République dans l'esprit du retour à la normalité constitutionnelle.

b. (...) mais quelque peu limités

Les pouvoirs exceptionnels sont certes très étendus mais ils ne sont pas illimités. Outre le fait qu'ils doivent être exercés dans l'esprit du retour à la normalité constitutionnelle et que l'Assemblée nationale se réunisse de plein droit, la principale limitation aux pouvoirs exceptionnels est l'impossibilité de réviser la Constitution.

L'impossibilité de procéder à une révision de la Constitution par le biais de l'article 48 résulte implicitement de l'esprit dans lequel les pouvoirs exceptionnels doivent être exercés : les mesures exceptionnelles doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Ce qui doit s'entendre des institutions en place au moment de la mise en oeuvre de l'article 48 et qui ne peuvent donc faire l'objet d'aucune modification256. D'autre part, il y a lieu de faire un lien avec l'article 127 de la Constitution qui dispose qu' « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire »257.

Cette position qui résulte d'une interprétation doctrinale258 sera validée par le Conseil constitutionnel français259. Dans de nombreux régimes politiques africains, l'interdiction résulte des termes explicites de la Constitution ; ainsi l'article 116.10 de la Constitution du Gabon dispose que : « la révision de la Constitution ne peut être entamée ou achevée en cas

256 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.

257 L'atteinte à l'intégrité du territoire qui constitue, aux termes de l'article 127, une limite temporelle au pouvoir de révision est par ailleurs une des circonstances énoncées à l'article 48 et qui, conjuguée avec l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels, justifie la mise en oeuvre de l'article 48. D'autre part, l'atteinte à l'intégrité du territoire est susceptible d'entraîner les autres circonstances de l'article 48 que sont la menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l'indépendance de la nation et l'exécution des engagements internationaux.

258 Georges BURDEAU, op.cit., p. 655 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 538 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.

259 Décision n° 92-312 D.C du 2 septembre 1992 : « Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut être engagée ou poursuivie, qui résulte des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles... ». (Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 224).

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d'intérim de la présidence de la République, de recours aux pouvoirs de crise de l'article 26 ci-dessus ou d'atteinte à l'intégrité du territoire... »260.

Les pouvoirs exceptionnels sont encore plus étendus par un fait que l'on oublie souvent : parce que les règles constitutionnelles sont suspendues, le Président apparaît comme un organe régulateur du cadre constitutionnel.

2. La suspension des règles constitutionnelles

Dans l'application de l'article 48, on a une suspension de fait des règles constitutionnelles. La parenthèse de la dictature constitutionnelle qui s'ouvre en est marquée par le fait que le Président a non seulement la maîtrise de la durée d'application de l'article 48 (a) mais il régule également par lui-même les rapports entre les pouvoirs publics pendant cette période (b).

a. La maîtrise de la durée d'application de l'article 48

Normalement l'article 48 n'a plus à s'appliquer dès lors que les circonstances qui ont justifié sa mise en vigueur ont cessé et que les pouvoirs publics constitutionnels sont de nouveau en mesure de fonctionner régulièrement. A la réalité, de même que le Président a la pleine maîtrise de la mise en jeu de l'article 48, il dispose seul de la possibilité d'y mettre fin : la décision de mettre fin à l'application des pouvoirs exceptionnels est laissée à son entière appréciation sans contrôle ni sanction.

Il n'existe en effet aucun moyen constitutionnel à la portée ni de l'Assemblée nationale ni des autres pouvoirs publics pour obliger le Président à mettre fin à l'application de l'article 48. Dans le régime politique français d'avant la révision constitutionnelle de 2008, nous étions dans une situation similaire261. Désormais les règles y sont changées puisque la mise en application de l'article 16 est en une certaine façon limitée dans le temps : au bout de trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel a désormais la

260 L'interdiction de réviser la Constitution pendant la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels existe explicitement dans de nombreuses Constitutions africaines : Constitution du Sénégal (art. 52.3) et autres.

261 Ainsi en 1961, l'application de l'article 16 décidée le 23 avril a été prolongée jusqu'au 29 septembre c'est-à-dire bien au-delà du retour du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Dans l'arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962, le Conseil d'État précisait d'ailleurs que la décision de mettre en oeuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier ni la légalité ni la durée d'application ».

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possibilité -sur demande de soixante députés ou sénateurs ou des présidents des assemblées-d'examiner si les conditions ayant donné lieu à leur mise en oeuvre sont toujours réunies ; au bout de soixante jours, le Conseil constitutionnel se saisit lui-même. Des dispositions voisines à celles ajoutées à l'article 16 de la Constitution française à l'issue de la révision de 2008 existent dans certaines Constitutions africaines. Ainsi l'article 67 in fine de la Constitution nigérienne donne la possibilité à l'Assemblée nationale d'apprécier à la majorité absolue de ses membres la durée d'exercice des pouvoirs exceptionnels et d'y mettre fin en cas d'abus 262!

La Président ivoirien régule en outre -en sa qualité de gardien de la Constitution- les rapports entre les pouvoirs publics pendant la période de la dictature constitutionnelle.

b. La régulation des rapports entre les pouvoirs publics pendant l'application de l'article

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Le Conseil constitutionnel français, saisi par le président de l'Assemblée nationale, s'est refusé le 14 septembre 1961 à émettre un avis sur les rapports entre les pouvoirs publics pendant l'application de l'article 16. Ce refus de la part du Conseil constitutionnel est un argument de ce que, pendant l'application des pouvoirs exceptionnels, il y a une suspension de fait de la Constitution comme nous l'avons précédemment signalé : puisque l'on n'est plus à proprement parler dans le cadre de la Constitution, le Conseil constitutionnel -organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels en période normale- n'a plus à émettre d'avis sur les rapports que devraient entretenir entre eux ces pouvoirs publics constitutionnels. Dès lors, c'est l'interprétation donnée par le président de la République, gardien de la Constitution, qui doit prévaloir.

Le Président se retrouve ainsi en position de se substituer au Conseil constitutionnel dans le rôle que celui-ci tient en période normale dans la régulation des rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels. En d'autres termes, outre le fait qu'il dispose en vertu de l'article 48 de pouvoirs exceptionnels, le président de la République détermine le contenu des pouvoirs de l'Assemblée nationale en période de crise comme nous le constaterons dans les développements ultérieurs.

262 Aux termes de l'article 69 de la Constitution béninoise, l'Assemblée nationale peut également fixer un délai à l'issue duquel le président de la République ne peut plus prendre de mesures exceptionnelles.

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Les pouvoirs exceptionnels ne sont pas seulement immenses dans leur contenu ; le contrôle que suppose leur portée considérable est assez faible.

B/ La faiblesse du contrôle de l'exercice des pouvoirs exceptionnels

La dictature qu'exerce le Président en vertu de l'article 48 est encore une dictature constitutionnelle et non une dictature de fait. Cela suppose non seulement que cette dictature est prévue et encadrée mais également qu'un certain contrôle existe. Si le contrôle politique est faible voire illusoire (1), le contrôle juridictionnel existe bel et bien même si l'on peut regretter son insuffisance (2).

1. L'illusion du contrôle politique

Le contrôle politique de l'exercice des pouvoirs exceptionnels est illusoire en ce que la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en période de crise (a) n'empêche pas que ses pouvoirs soient considérablement réduits (b).

a. La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale

La Constitution exige que pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels l'Assemblée nationale se réunisse de plein droit. On aurait pu penser que, puisque l'Assemblée nationale se réunit de plein droit dès que l'article 48 est mis en application, elle aurait la faculté d'ouvrir un débat sur la décision du Président de mettre en jeu les pouvoirs exceptionnels. Seulement si, théoriquement, cette hypothèse n'est pas à écarter, force est de reconnaitre qu'en fait il ne pourrait s'agir que d'un contrôle illusoire, parce que dépourvu de sanction.

La seule finalité efficace de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale pourrait être de traduire en Haute Cour le Président s'il abusait de ses pouvoirs exceptionnels263.

La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale apparaît ainsi décevante car elle est en deçà de ce que l'on aurait pu espérer. Mais ce n'est pas tout : les pouvoirs qui sont les siens en période normale se trouvent être encore fortement réduits.

b. La réduction des pouvoirs de l'Assemblée nationale

263 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539.

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Comme aucun texte constitutionnel ne prévoit les conditions de fonctionnement de l'Assemblée nationale et du président de la République pendant la période d'application de l'article 48, c'est au président de la République qu'il devrait appartenir, en vertu de sa qualité de gardien de la Constitution (art.34), de régler cette question. Les pouvoirs de l'Assemblée nationale dépendront donc de l'interprétation donnée à la Constitution par le Chef de l'État.

Deux hypothèses sont à distinguer selon que l'on se trouve dans ou hors des sessions normales de l'Assemblée nationale. La première hypothèse est celle de la coïncidence de la réunion de plein droit avec une session normale de l'Assemblée nationale : réunie en session ordinaire l'Assemblée nationale conserverait, malgré l'application de l'article 48, son pouvoir de contrôle et de législation pour autant qu'il ne s'agisse pas de mesures prises ou à prendre en vertu de l'article 48. L'Assemblée nationale peut donc aussi bien exercer son contrôle sur l'action du Gouvernement que voter des lois, mais sans concurrencer le Président qui s'est saisi de la plénitude du pouvoir législatif. La seconde hypothèse est celle où la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se situe hors d'une session normale : dès lors la réunion de l'Assemblée nationale ne pourrait avoir aucun aboutissement législatif.

Ces règles relatives au pouvoir de l'Assemblée nationale découlent en fait de l'interprétation donnée par le Président de Gaulle à la Constitution française pendant la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels en 1961264. Mais rien n'empêche que le Président ivoirien s'approprie une telle interprétation pendant la mise en oeuvre de l'article 48 et réduise ainsi de manière considérable les pouvoirs de l'Assemblée nationale durant toute cette période.

Il en découle par conséquent que non seulement le contrôle politique que l'on aurait pu espérer de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se révèle en définitive illusoire car dépourvue de sanction265 mais également, et plus grave, que ses pouvoirs sont tributaires de la volonté du président de la République. Il ne reste dès lors que de s'en remettre au contrôle juridictionnel même si celui-ci, l'on s'en rendra compte, est insuffisant.

2. L'insuffisance du contrôle juridictionnel

264 L'interprétation donnée à la Constitution française de 1958 par le Général de Gaulle pendant la mise en application de l'article 16 se fit à travers deux textes : le message du 25 avril 1961 et la lettre du 31 août 1961. Le premier texte correspond à l'hypothèse dans laquelle la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale coïncide avec ses sessions normales et le second texte correspond à celle dans laquelle la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se situe en dehors de ses sessions normales.

265 Georges BURDEAU, op.cit., pp. 656-657.

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Il convient de distinguer entre la décision initiale de mise en oeuvre de l'article 48 qui constitue un acte de gouvernement insusceptible de recours contentieux (a) et les décisions prises en vertu de l'article 48 au cours de sa période d'application (b).

a. La décision d'user de l'article 48, acte de gouvernement insusceptible de recours contentieux

Le Conseil d'État français considère que la décision du président de la République de recourir à l'article 16 constitue un acte de gouvernement. En effet, cette décision réalise immédiatement une confusion organique des pouvoirs au profit du président de la République et elle bouleverse ipso facto la répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels266. Le Conseil d'État s'interdit par conséquent d'en apprécier la légalité interne et de l'examiner au fond tout en marquant, cependant, son désir d'en contrôler la régularité externe267.

Encore convient-il de souligner qu'il s'agit tout au plus d'une constatation de l'existence de la décision et faut-il marquer les limites d'un tel contrôle : le Conseil d'État n'apprécie pas en effet si les circonstances de fait permettaient le recours à l'article 16 et si les conditions mises par celui-ci à son application étaient effectivement remplies ; de plus, la simple constatation de la régularité formelle de la décision ne constitue pas une garantie bien efficace : « tout contrôle intervenant a posteriori » de la part du Conseil d'État « serait ou inutile -si la décision d'appliquer l'article 16 est conforme à la Constitution- ou dérisoire -si elle ne l'est pas » : on serait alors « en présence d'un coup d'État que le Parlement n'aurait pu éviter et il serait trop tard pour le condamner »268.

En définitive et par transposition de cette jurisprudence française dans le droit ivoirien, aucun contrôle juridictionnel pas plus que politique d'ailleurs n'est par conséquent possible relativement à la décision d'ouvrir le régime des pouvoirs exceptionnels.

Contrairement à la décision initiale de recourir à l'article 48, les décisions prises par le président de la République en vertu de cet article ne constituent pas quant à elles des actes de gouvernement et sont par conséquent susceptibles du contrôle juridictionnel.

266 C.E., 19 février 1875, Prince Napoléon.

267 Dans l'arrêt Rubin de Servens, le Conseil d'État note en effet que la décision de recourir à l'article 16 a été « prise après consultation officiel du Premier ministre et des présidents des assemblées et après avis du Conseil constitutionnel ».

268 Conclusions du commissaire du gouvernement Jean-François Henri sous l'affaire Rubin de Servens.

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b. Le contrôle des seules décisions de nature réglementaire et des mesures individuelles d'application

En présence d'une confusion des pouvoirs législatif et exécutif entre les mains d'une même autorité, le Conseil d'État distingue, parmi les décisions prises, celles qui ont une nature législative et celles qui ont une nature réglementaire269. En l'espèce, sa tâche se trouve facilitée par le partage institué par la Constitution entre les matières législatives et réglementaires.

Si en appliquant l'article 48, le Président prend des décisions portant sur des matières législatives -de telles mesures qui échappent toujours à la censure du juge- lui sont a fortiori soustraites en ce cas. Mais si le Président prend une décision de nature réglementaire, elle sera soumise au régime commun270. Cependant, la jurisprudence relative à la période d'application de l'article 48 n'offre pas d'exemple de décision présidentielle de nature réglementaire soumise au contrôle du juge, la plupart des décisions prises ayant eu un caractère législatif.

Il ne reste donc que les mesures individuelles d'application des décisions -que ces décisions soient de nature législative ou réglementaire- qui peuvent être en fait plus efficacement déférées au Conseil d'État par la voie du recours pour excès de pouvoir271. Encore faut-il souligner que, leur légalité s'appréciant par rapport à la décision qui leur sert de fondement, le Conseil d'État n'en a pas toujours fourni une interprétation susceptible de donner une grande portée à son contrôle. Ainsi le juge tiendra nécessairement pour légale la mesure individuelle méconnaissant une disposition de nature législative ou un principe général du droit que la décision qui lui sert de fondement aura précisément entendu modifier ou écarter.

Les pouvoirs énormes du Président à la fois dans le cadre constitutionnel et en dehors de ce cadre constitutionnel ne seraient pas en soi une mauvaise chose si ces pouvoirs étaient contrebalancés -comme c'est normalement le cas dans un régime présidentiel (la doctrine des checks and balances)- par un Parlement libre et puissant272. Malheureusement, l'Assemblée nationale -institutionnellement enchaînée par la Constitution et politiquement inféodée au Président- ne fait contrepoids à celui-ci que de manière assez marginale.

269 C.E., 30 juillet 1880, Brousse ; C.E., 28 novembre 1873, Élections de Maisons-Alfort, etc.

270 C.E., 16 mars 1962, Rubin de Servens.

271 C.E., 23 octobre 1964, D'Oriano.

272 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 309-310.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault