II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT
Mais le régime présidentiel suppose alors
qu'entre le Président ivoirien et l'Assemblée nationale,
détentrice du pouvoir législatif, s'établissent
séparation (spécialisation fonctionnelle et indépendance
organique) et équilibre30. Dans la théorie
générale même du régime présidentiel, la
séparation peut n'être guère absolue31. On peut
ainsi noter un certain empiètement des différents organes sur
leurs fonctions réciproques : l'Assemblée nationale ivoirienne
peut influer sur la fonction exécutive par les prérogatives
qu'elle détient en matière budgétaire et diplomatique
(art. 71) et le président de la République intervient dans la
27 Il ne saurait en effet être question, dans
le cadre du régime présidentiel ivoirien, de rapports entre le
Gouvernement -stricto sensu- et l'Assemblée nationale.
28 Stricto sensu, un Gouvernement n'existe que dans
un régime parlementaire ou semi-parlementaire
(semi-présidentiel). Il suggère l'idée d'un organe
collégial solidairement responsable devant l'organe législatif et
distinct du Président, chef de l'État. Ainsi dans les
Constitutions africaines établissant un régime
semi-présidentiel soit un titre est consacré au Gouvernement
(titre IV des Constitutions du Mali et du Sénégal) soit sous un
même titre, différentes sections sont consacrées au
président de la République et au Gouvernement (titre III
intitulé : « Du pouvoir exécutif » et sections 1 et 2
respectivement consacrées au président de la République et
au Gouvernement dans la Constitution nigérienne). Au contraire, la
Constitution ivoirienne ne consacre pas un titre spécifique au Premier
ministre ou au Gouvernement ; le titre III consacré est ainsi
intitulé : « Du président de la République et du
Gouvernement » tandis que le titre IV est intitulé : « Du
Parlement » ; ce qui démontre que le « Gouvernement » est
simplement un outil chargé de mettre en oeuvre la politique
présidentielle.
29 Le Président des États-Unis
recueille simplement l'avis de ses secrétaires d'État : mais
c'est lui qui décide, et pas toujours suivant l'opinion de ceux-ci.
Rappelons le mot célèbre de Lincoln, seul de son opinion du
Cabinet : « sept non, un oui : les oui l'emportent ».
30 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit
constitutionnel, 33e éd., Paris, L.G.D.J., 2012, p. 120
; Carl SHMITT, Théorie de la Constitution (traduit de
l'allemand Verfassungslehre par Lilyane Deroche), Paris, P.U.F., 1993,
p. 321-336.
31 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 179 ; Pierre
PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153.
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fonction législative par le pouvoir
réglementaire, c'est-à-dire le pouvoir de faire des actes de
portée générale et impersonnelle pour compléter et
préciser les lois adoptées par l'Assemblée nationale (art.
41.1, 44, 72). On peut même voir apparaître certains moyens
d'action des organes l'un sur l'autre, qui sont autant d'atteintes à
leur indépendance : il s'agit de moyens structurels permettant à
un organe d'agir sur l'autre32. On peut ainsi partir de l'initiative
des lois reconnue au président de la République, de son droit de
veto suspensif33 jusque, dans certains régimes politiques
étrangers, à un droit de dissolution de
l'Assemblée34 ou à une procédure de destitution
du Président (impeachment, en droit constitutionnel
étatsunien)35. Ces assouplissements
s'avèrent nécessaires car des difficultés
institutionnelles et politiques graves résulteraient d'une conception
intransigeante de la séparation des pouvoirs : paralysie politique, coup
d'État, etc.36.
Mais le régime présidentiel -contrairement
à ce que l'on pourrait être amené à croire-exige
toujours qu'une égalité existe et qu'un équilibre soit
maintenu entre les organes exécutif et législatif. Aucune
atténuation ne peut être apportée à cette formule
sans, du même coup, conduire à une déformation : si
l'équilibre des pouvoirs est rompu au profit du seul Président,
on aboutirait de fait à une semi-dictature, à ce régime
que d'aucuns ont qualifié de présidentialiste37. Ainsi
l'autorité immense détenue par le Président devrait
être nécessairement contrebalancée et freinée par de
véritables pouvoirs aux mains de l'Assemblée
32 Il faut donc mettre à part l'action d'un
organe sur un autre par l'exercice de sa propre fonction : par une loi,
l'Assemblée nationale peut orienter l'autorité de
l'exécutif et par un acte de portée individuelle ou un acte
matériel, le Président peut avoir une influence sur
l'Assemblée.
33 Le président de la République dispose
de l'initiative des lois (art. 42.1) et du veto suspensif (art. 42.3).
34 Certaines Constitutions africaines
établissant un régime présidentiel reconnaissent cependant
un droit de dissolution de l'Assemblée nationale au président de
la République : Constitution du Burkina-Faso (art. 50), de la
Guinée (art. 43), etc. On peut alors se demander si un tel régime
est encore réellement présidentiel car il crée un
déséquilibre entre les organes.
35 L'article II, section 4 de la Constitution des
États-Unis dispose : « Le président, le
vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis
seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation
pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».
36 Georges BURDEAU, op.cit., p. 181 ;
Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153 ; Obou
OURAGA, op.cit., p.66.
37 Martin Djézou BLÉOU, « Le
système constitutionnel ivoirien », in Common law et
Constitutions d'Afrique et d'Haïti, Université de Moncton,
Canada, 1996, p. 114 ; Jean BUCHMANN, L'Afrique noire indépendante
(c'est lui qui inventa le terme de « présidentialisme »)
; Mamadi KOUROUMA, Etude du présidentialisme en Afrique noire
francophone à partir des exemples guinéen et ivoirien,
Thèse droit public, Paris, Université de Droit,
d'économie et de sciences sociales (Paris 2), 1978, p. 16 ;
Dimitri-Georges LAVROFF et Gustave PEISER, Les Constitutions africaines :
l'Afrique occidentale, Paris, Pédone, 1961, p. 24 ; Obou OURAGA,
op.cit., p. 67 ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO,
« Faire et défaire la Constitution en Côte d'Ivoire, un
exemple d'instabilité chronique », Draft paper presented at
African Network of Constitutionnal Law Conference on Fostering
Constitutionnalism in Africa, Nairobi, avril 2007, p. 10 ; Maurice-Pierre
ROY, Les régimes politiques du Tiers-monde, Paris, L.G.D.J.,
1977, p. 110.
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nationale38. Cette exigence d'égalité
et d'équilibre dans les rapports entre le président de la
République et l'Assemblée nationale est-elle respectée
dans le cadre des institutions établies par la Constitution de 2000 ?
Et, au-delà de la question limitée des rapports entre organes
exécutif et législatif, le régime politique ivoirien
est-il réellement présidentiel ?
La réponse à de telles interrogations exige,
certes, de s'en référer au texte de la Constitution de 2000 mais
également, au-delà du texte constitutionnel, de jeter un regard
sur la pratique vécue.
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