INTRODUCTION
2
« Le régime présidentiel est
réputé fondé sur la séparation, stricte, des
pouvoirs ; il est donné comme caractérisé par
l'égalité et l'équilibre des organes »1.
La séparation stricte des pouvoirs signifie, qu'à
côté du pouvoir législatif détenant le monopole de
l'initiative législative et la pleine maîtrise de la
procédure législative, existe un président de la
République disposant, quant à lui, pleinement du pouvoir
exécutif2 ; ces deux pouvoirs existent indépendamment
l'un de l'autre et ne disposent pas de moyens d'actions réciproques : le
Parlement ne peut renverser le Gouvernement et le Président ne peut
dissoudre le Parlement3.
Il est, en outre, caractérisé par le mode
d'élection -au suffrage universel- du président de la
République. C'est cette élection au suffrage universel -au
même titre que l'organe législatif donc- qui lui confère
une légitimité et un prestige semblables à ceux dont jouit
l'Assemblée4. Car toute autre solution ne contribuerait
qu'à l'affaiblir vis-vis de la représentation nationale et
à en faire un Chef d'État parlementaire, c'est-à-dire
dépourvu de tout pouvoir5. Il faudrait enfin ajouter aux
critères du régime présidentiel le monocéphalisme
de l'exécutif : le président de la République
détient à titre exclusif le pouvoir
exécutif6.
C'est ce régime présidentiel que prétend
établir la Constitution de 2000 à l'alinéa 7 de son
préambule : « (le peuple de Côte d'Ivoire)... exprime son
attachement aux valeurs démocratiques reconnues à tous les
peuples libres, notamment (...) la séparation et l'équilibre
des pouvoirs... ». Plusieurs éléments du texte
constitutionnel vont clairement en ce sens : l'élection au suffrage
universel direct du président de la République (art. 35), le
caractère exclusif du pouvoir exécutif qu'il détient
-renforcé par la responsabilité du Gouvernement devant lui (art.
41), l'affirmation du principe de l'irrévocabilité mutuelle des
pouvoirs, c'est-à-dire l'inexistence du droit de dissolution reconnu au
président de la
1 Francis V. WODIÉ, Institutions
politiques et droit constitutionnel en Côte d'Ivoire, Abidjan,
P.U.C.I., 1996, p. 191.
2 Ce n'est que par commodité que nous
continuons à désigner par le terme de « pouvoir
exécutif » une autorité, le président de la
République, qui, aux termes de l'article 50 de la Constitution,
détermine et conduit la politique de la Nation. La fonction
présidentielle va bien au-delà de la traditionnelle
exécution des lois du Parlement (Yédoh S. LATH,
Systèmes politiques contemporains, Abidjan, ABC, 2013, p. 208).
3 Maurice DUVERGER, Institutions politiques et
droit constitutionnel, 10e éd., Paris, P.U.F., 1968, p.
152 ; Obou OURAGA, Droit constitutionnel et sciences politiques,
3e éd., Abidjan, Les éditions ABC, 2007, p. 66 ;
etc.
4 Georges BURDEAU, Droit constitutionnel et
Institutions politiques, 18e éd., Paris, L.GD.J., 1977,
p. 181 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 181 ; Marcel PRÉLOT,
Institutions politiques et droit constitutionnel, 5e
éd., Paris, Dalloz, 1971, p. 87 ; Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN, Institutions politiques et droit constitutionnel,
31e éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2012, p. 152.
5 Georges BURDEAU, op.cit., p. 180-181 ;
etc.
6 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 152 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 66 ; etc.
3
République et la contrepartie de ce droit de
dissolution aux mains du Parlement de renverser le Gouvernement,
etc.7.
Le président de la République et
l'Assemblée nationale entretiennent pourtant dans ce régime
présidentiel des rapports étroits, très proches des
rapports de type parlementaire. Il s'agit notamment de rapports de
collaboration, qui se manifestent tout particulièrement à
l'occasion de l'élaboration de la loi8. Il est, à cet
égard, important de garder à l'esprit que la Constitution de 2000
-comme toutes celles qui ont régi nos institutions jusqu'à nos
jours9-emprunte énormément à la Constitution
française du 4 octobre 1958 qui établit -nous le savons- un
régime parlementaire, quoique très
rationalisé10. Or, comme l'écrit Maurice Duverger :
« Techniquement, régime parlementaire et
séparation des pouvoirs sont deux choses différentes. En
régime parlementaire, les organes collaborent et les fonctions sont
mélangées : Gouvernement et Parlement ont des moyens d'action
réciproques ; lois et règlements ne sont pas confinés dans
des domaines rigoureusement délimités, mais interfèrent
dans les mêmes matières. Au contraire, les régimes de
séparation des pouvoirs se caractérisent par un double effort
d'isolement des organes et de délimitation des fonctions
»11.
De cette constatation, il est autorisé de penser que la
Constitution de 2000 établit un régime hybride : dans le cadre
d'un régime présidentiel, elle introduit des
éléments de collaboration des pouvoirs.
C'est dans le cadre de ce régime présidentiel
atypique que s'inscrit l'objet de notre étude, à savoir les
rapports entre les pouvoir exécutif et législatif en Côte
d'Ivoire.
I. DÉLIMITATION DU SUJET
7 La volonté de certains de doter la
Côte d'Ivoire d'un régime parlementaire ou même de type
mixte lors la rédaction de la Constitution de 2000 n'a d'ailleurs pas
été retenue. Les rédacteurs de la Constitution de 2000 ont
clairement voulu confirmer le régime présidentiel de la
Constitution de 1960.
8 Initiative des lois partagée entre le
Président et l'Assemblée nationale (art. 42.1),
prérogatives aux mains de l'exécutif dans la procédure
législative telle que l'opposition d'irrecevabilité (art. 76 et
art. 78.2), la saisine du Conseil constitutionnel (art. 95.2), la demande de
seconde délibération (art. 42.3), la promulgation des lois (art.
42.1), etc.
9 La constitution du 26 mars 1959, celle du 3 novembre
1960 et enfin celle du 1er août 2000.
10 Les rapports entre la Constitution
française de 1958 et la plupart des Constitutions des ex-colonies
françaises (Maurice A. GLÉLÉ, « La Constitution ou
Loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de
l'Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Les Nouvelles éditions
africaines, tome I, 1989, pp. 21-52).
11 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 512.
4
Si la notion de pouvoir législatif ne pose pas
tellement de problème en ce que le pouvoir législatif est sans
conteste détenu et exercé par l'Assemblée nationale, celle
de pouvoir exécutif doit être précisée. Jusqu'en
1990, le président de la République a cumulé les fonctions
de Chef de l'État et de chef de Gouvernement réalisant le
monocéphalisme de l'exécutif12. A la suite de la
révision constitutionnelle du 6 novembre 1990, il est institué un
poste de Premier ministre : on est ainsi passé du monocéphalisme
au bicéphalisme13. Cette réforme constitutionnelle
dont Obou Ouraga écrit, à juste titre, qu'elle se justifie
difficilement dans un régime présidentiel -d'autant plus que le
Premier ministre est formellement désigné comme le chef de
Gouvernement14- sera pourtant réaffirmée dans la
Constitution de 200015. Mais la distance est grande entre le droit
et le fait. En droit, il y a un commencement de partage du pouvoir
exécutif entre le président de la République et son
Premier ministre. Celui-là ne peut, en effet, nommer les autres membres
du Gouvernement et mettre fin à leurs fonctions que sur proposition de
celui-ci ; le président de la République ne jouit plus d'un
pouvoir discrétionnaire et inconditionné en matière de
formation du Gouvernement et de révocation des ministres, ce pouvoir
étant désormais subordonné à une proposition faite
par le Premier ministre. Il en résulte que le pouvoir de nomination et
de révocation aux mains du président de la République peut
être paralysé par le pouvoir de proposition aux mains du Premier
ministre16. Mais en fait, nous pouvons en douter : politiquement on
voit mal comment le Premier ministre refuserait de faire la proposition de
nomination d'une personnalité au sein du Gouvernement ou de
révocation d'un ministre si le président de la République
le lui demandait. Nous pouvons en douter d'autant plus que la situation du
Premier ministre s'est précarisée depuis l'avènement de la
seconde République : la Constitution ne dit plus, en effet, que le
président de la République met fin aux fonctions du Premier
ministre « sur présentation par celui-ci de la démission
du Gouvernement »17. Il en découle que le sort du
Premier ministre -et partant celui du Gouvernement dans son ensemble-
dépend désormais
12 Le président de la République est,
aux termes de l'article 12 de la Constitution de 1960, « le
détenteur exclusif du pouvoir exécutif » ; celui-ci
n'est donc nullement partagé avec un Premier ministre qui n'existe
d'ailleurs pas à cette époque (avant 1990).
13Loi constitutionnelle n° 90-1529 du 6
novembre 1990 portant modification des articles 11, 12 et 24 de la Constitution
du 3 novembre 1960, Journal officiel, numéro spécial,
n° 43 du mercredi 7 novembre 1990, p. 379.
14 L'article 41.2 de la Constitution de 2000
désigne le Premier ministre comme le chef du gouvernement.
15 Obou OURAGA, op.cit., p.139.
16 Francis V. WODIÉ, op.cit.,
p.130.
17 L'article 12.2 de la Constitution de 1960
était ainsi écrit : « Le président de la
République nomme le Premier ministre, chef du Gouvernement, qui est
responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions sur
présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement
». Il en découlait en conséquence que le
président de la République ne pouvait mettre fin aux fonctions du
Premier ministre que sur présentation, par ce dernier, de la
démission du Gouvernement. Mais sur ce point également, le droit
avait peu de chances de s'appliquer car le Président pouvait toujours,
en fait, contraindre à la démission le Premier ministre et son
Gouvernement.
5
tout entier -sur le plan juridique même- du
président de la République18. Sur ce point, le droit a
rejoint la réalité : si, d'aventure, le Premier ministre refusait
de proposer la révocation d'un ministre ou la nomination d'une
personnalité au Gouvernement, le président de la
République mettrait tout simplement fin à ses fonctions (art.
41.2 de la Constitution de 2000).
D'autre part, la qualité de chef de Gouvernement
reconnue au Premier ministre est vide de toute substance. Tout au plus, la
Constitution lui reconnaît un rôle d'animation et de coordination
de l'action gouvernementale (art. 41.2), une faculté de
suppléance du président de la République (art. 53.2) et,
enfin, la possibilité -seulement si le Président le veut bien- de
se voir déléguer certains des pouvoirs de celui-ci. Mais cette
possibilité est limitée dans le temps et dans la matière
(art. 53.3) et il n'est plus le seul du reste à pouvoir en
bénéficier19.
Contrairement à ses homologues des régimes
semi-présidentiels africains, le Premier ministre ivoirien -et pas plus
que le Gouvernement qu'il dirige- ne dispose donc pas de pouvoirs propres. Dans
le régime établi par la Constitution malienne du 25
février 1992, c'est le Gouvernement -instance collégiale
distincte du président de la République- qui détermine et
conduit la politique de la Nation, dispose de l'administration et de la force
armée (art. 53)20 et c'est le Premier ministre qui, en plus
de suppléer le président de la République à la
présidence des conseils et comités supérieurs de
défense nationale (art. 55.4) et à la présidence du
Conseil des ministres (art. 55 in fine), dirige et coordonne l'action
gouvernementale (art. 55.1), assure l'exécution des lois et dispose du
pouvoir réglementaire commun et est responsable de l'exécution de
la politique de défense nationale (art. 55.2), etc. D'autre part, le
Gouvernement et le Premier ministre prennent une part très active dans
l'élaboration de la loi ordinaire et ont en charge la préparation
et l'exécution des lois de finances : initiative des lois et droit
d'amendement (art. 75.1, 76, etc.), saisine de la Cour constitutionnelle (art.
88, 89.2, etc.), etc. Il en résulte que le Premier ministre malien et
son
18 Il convient de faire ici une mise au point :
techniquement, la démission du Gouvernement -qui est
liée au fait que le président de la République mette fin
aux fonctions du Premier ministre- est différente de la
révocation des ministres. Tandis que la démission du
Gouvernement est collective et entraîne nécessairement avec elle
le départ du Premier ministre, la révocation des ministres est
individuelle et n'a pas d'incidence sur le sort de celui-ci.
19 Aux termes de l'article 53.1 de la Constitution
de 2000 en effet : « Le président de la République peut, par
décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du
Gouvernement ». Sous l'empire de la Constitution de 1960, cette
possibilité offerte au Président de déléguer
certains de ses pouvoirs était expressément limitée au
Premier ministre (art. 24.1). Le pouvoir de délégation s'est par
conséquent élargi du Premier ministre à tous les ministres
; il en résulte que le Premier ministre apparaît de plus en plus
comme un ministre parmi d'autres.
20 De manière générale, toutes
les compétences exercées en Conseil des ministres appartiennent
en fait au Gouvernement : le décret d'état d'urgence et
d'état de siège (art. 76), les ordonnances (art. 74.2), les
projets de lois (art. 75), etc.
6
Gouvernement forment avec le président de la
République un véritable bicéphalisme à la
tête de l'exécutif21.
Le bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien est
une illusion. Comment pouvait-il en être autrement dans un régime
présidentiel ? L'institution d'un Premier ministre n'apparaît, en
définitive, que comme un emprunt -parmi d'autres, nous l'avons
déjà fait observer- à une Constitution établissant
un régime de type parlementaire -la Constitution française du 4
octobre 1958. Mais cet emprunt s'arrête à la simple
désignation et ne touche pas au fond : le Premier ministre
français est doté de pouvoirs propres et le Premier ministre
ivoirien reste « primus inter pares »22. Ou alors
l'institution primo-ministérielle n'apparaît que comme purement
accidentelle dans notre histoire constitutionnelle23. Quoiqu'il en
soit, c'est le président de la République qui détient
entre ses mains la réalité du pouvoir exécutif et c'est
lui qui exerce chacune des compétences que nous avons vu détenir
et exercer le Premier ministre et le Gouvernement d'un régime
semi-présidentiel24. C'est lui qui -sans être
formellement désigné comme tel- exerce sans aucune concurrence
toutes les prérogatives du chef de Gouvernement25. Comme le
fait observer Francis Wodié à propos de la situation sous la
première République -mais l'observation vaut parfaitement pour la
seconde- le fait que la Constitution désigne et qualifie toujours le
président de la République détenteur exclusif du
pouvoir exécutif dit tout26.
C'est cette réalité qui justifie que nous ayons
-dans le cadre de cette étude relative aux rapports entre les pouvoirs
exécutif et législatif en Côte d'Ivoire- fait abstraction
du Premier
21 Le président de la République
malien nomme le Premier ministre et, sur présentation par celui-ci de la
démission du Gouvernement, met fin à ses fonctions (art. 38.1).
C'est sur proposition du Premier ministre qu'il nomme les autres membres du
Gouvernement et met fin à leurs fonctions (art. 38.2). Cependant, comme
le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale et non
devant le Président (art. 54), celui-ci ne peut librement
procéder ni à la nomination du Premier ministre et des ministres
ni à leur révocation : il doit tenir compte de la majorité
à l'Assemblée nationale. Il en résulte un
bicéphalisme réel : le président de la République
ne pourrait déterminer la politique nationale et la mettre en oeuvre que
s'il est soutenu par la majorité ; dans le cas contraire, il y a
cohabitation et l'effectivité du pouvoir exécutif est
transférée au Premier ministre.
22 Littéralement « premier parmi les
pairs > : le Premier ministre ivoirien « préside > le
Gouvernement sans avoir de pouvoirs propres ; il n'exerce que des fonctions de
représentation (Yédoh S. LATH, op.cit., p. 211).
23 Le 1er Premier ministre, Alassane
Ouattara, fut nommé dans un contexte de crise politique et
socio-économique aigüe aggravée par la maladie du
président de la République, Houphouët-Boigny : il fit alors
office de véritable chef de l'exécutif.
24 Dans la Constitution de 2000, le
président de la République, détenteur exclusif du pouvoir
exécutif (art. 41.1), continue tout naturellement à
déterminer et à conduire la politique de la nation (art. 50),
à disposer de l'initiative législative (art. 42.1), à
être doté du pouvoir réglementaire (art. 42.1, 44, 72),
à être le chef de l'administration et à nommer aux emplois
civils et militaires (art. 46), le chef suprême de l'armée (art.
47), etc.
25 Voir note précédente.
26 Francis V. WODIÉ, op.cit., p.
135.
7
ministre et du Gouvernement27. Il n'y a même
pas à proprement parler de Gouvernement28, puisque les
ministres ivoiriens ne forment pas un organe collégial et solidaire,
ayant des tâches et des responsabilités propres : nommés
individuellement et étant tout aussi individuellement responsables
devant le Président, ils sont des collaborateurs individuels de
celui-ci. Ils sont, en effet, chargés de mettre en oeuvre sa politique,
chacun en ce qui le concerne et pour les tâches qui lui sont
confiées. Dans le droit constitutionnel étatsunien, on parle
précisément de secrétaires d'État29.
Quand le Premier ministre ou tout autre ministre rentre en relation avec
l'Assemblée nationale, c'est, en définitive, en tant
qu'auxiliaire ou délégataire du président de la
République de sorte que la substance des rapports entre organes
exécutif et législatif se situe en vérité entre le
président de la République et l'Assemblée nationale.
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