Section II : La collaboration conjointe des organes
Ces compétences sont conjointes en ce qu'elles
appartiennent au président de la République et à
l'Assemblée nationale et doivent être exercées par l'un et
par l'autre ensemble (en accord). C'est un concours et non une concurrence de
compétences. Ce type de collaboration vaut aussi bien en matière
de référendum législatif (paragraphe 1) qu'en
matière de traités et accords internationaux (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le référendum
législatif
En dehors du référendum constituant prévu
à l'article 126, la Constitution institue ce que la doctrine
dénomme le référendum législatif. Celui-ci ouvre au
président de la République de larges possibilités (A) tout
en reconnaissant à l'Assemblée nationale des garanties (B).
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A/ De larges possibilités ouvertes au président de
la République
Le domaine du référendum qu'institue l'article
43 est vaste et imprécis (1) mais il semble qu'il soit tout de
même limité à l'adoption d'une loi ordinaire (2).
1. Un domaine vaste et imprécis (...)
Le domaine de l'article 43 est vaste en ce que l'objet du
texte ou de la question sur lequel peut porter le référendum est
défini de manière vague et imprécise (a). Il en
découle une étendue immense de l'objet en cause (b).
a. Un objet défini de façon vague et
imprécise
Le président de la République peut «
soumettre tout texte ou toute question qui lui paraît devoir
exiger la consultation directe du peuple ». L'objet de l'article 43 est
vague et imprécis : il se contente de dire « tout texte » ou
« toute question » à la seule condition que le
président de la République juge discrétionnairement que ce
texte ou cette question est de nature à justifier une consultation
directe du peuple174. Dans certains régimes politiques
africains, l'objet du texte ou de la question du référendum est
défini de manière plus précise. Ainsi cet objet peut
être toute question d'intérêt national, un projet de loi
portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un
accord d'union ou tendant à autoriser la ratification d'un
traité175 (art. 41 de la Constitution du Mali) ou une
question relative à la promotion et au renforcement des droits de
l'homme, à l'intégration sous-régionale ou
régionale et à l'organisation des pouvoirs publics (art. 58 de la
Constitution du Bénin). Rien d'aussi précis dans la Constitution
ivoirienne.
Il résulte du caractère vague et imprécis
de l'objet du référendum prévu à l'article 43 que
le président de la République dispose en régime ivoirien
de très larges possibilités en la matière.
174 L'article 43 de la Constitution de 2000 ne fait que
reprendre à peu de mots près l'article 14 de la Constitution de
1960 qui disposait que : « Le président de la République,
après accord du bureau de l'Assemblée nationale, peut soumettre
au référendum tout texte ou toute question qui lui paraît
devoir exiger la consultation directe du peuple. Lorsque le
référendum a conclu à l'adoption du projet, le
président de la République le promulgue dans les délais
prévus à l'article précédent ».
175 Les traités dont il s'agit sont ceux qui, sans
être contraires à la Constitution, auraient des incidences sur le
fonctionnement des institutions. Quant aux traités contraires à
la Constitution, il faudrait au préalable une révision de la
Constitution avant que la ratification de ces traités ne puisse
intervenir.
69
b. Une étendue immense de l'objet en cause
Il est certain que le texte ou la question que le
président de la République peut soumettre à la
consultation directe du peuple soit un projet de loi destiné à
être promulgué en cas d'adoption puisque -comme nous le verrons-
les députés n'ont guère la possibilité de soumettre
au référendum une proposition de loi. Sous la seule exigence de
la forme d'un projet de loi, le président de la République peut
soumettre à la consultation directe du peuple tout texte ou toute
question sans que son choix soit limité relativement à un objet
quelconque. Tandis que dans la plupart des régimes politiques africains,
l'option ouverte au président de la République de soumettre une
question ou un texte au référendum est limité à un
objet précis - comme nous l'avons précédemment vu- celle
qui est donnée au Président ivoirien est en principe
illimitée quant à son objet. Cet objet peut être aussi bien
un projet de loi sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant
approbation d'un accord d'union ou tendant à la ratification d'un
traité qu'un texte relatif aux droits de l'homme... Le fait que les
auteurs de la Constitution n'aient pas défini avec précision un
objet quelconque autorise une telle interprétation176.
En dépit des possibilités très larges
ouvertes au président de la République, le domaine du
référendum n'est pas sans bornes : il semble strictement
limité à l'adoption d'une loi ordinaire.
2. (...) mais limité à l'adoption d'une loi
ordinaire
Aussi vaste et imprécis que l'on puisse le concevoir,
le domaine du référendum institué par l'article 43 ne
saurait conduire ni à l'adoption d'une loi constitutionnelle (a) ni
même à celle d'une loi organique (b).
a. L'impossibilité d'adopter une loi constitutionnelle
176 Les auteurs des Constitutions de 1960 et de 2000 ont sans
doute gardé à l'esprit le fait que l'article 11 de la
Constitution française insérait le président de la
République dans des limites trop strictes (l'un des rédacteurs de
la Constitution française, Miche Debré, reconnaissait d'ailleurs
ce caractère étroit de l'article 11, « La Constitution de
1958, sa raison d'être, son évolution », Revue
française de science politique, n° 5, 1978, p. 836). Aussi
ont-ils souhaité que le président de la République, dans
le cadre du régime ivoirien, dispose de plus larges possibilités
relativement à l'objet du référendum de l'article 43.
70
Le président de la République ne peut pas
réviser la Constitution par la voie de l'article 43. La procédure
de révision constitutionnelle est en effet prévue aux articles
124 à 127 regroupés sous le titre XIV intitulé « De
la révision de la Constitution ». L'intitulé de ce titre est
aussi clair qu'exclusif : il institue à titre exclusif la
procédure de révision de la Constitution. C'est ce qu'affirme de
manière tout à fait clair le Conseil constitutionnel dans un avis
en 2003177. D'autre part, s'il était possible de
réviser la Constitution par le moyen de l'article 43, concurremment avec
les articles du titre XIV, il serait possible de ne pas respecter les
interdictions posées par ce dernier puisqu'il ne les reprend pas,
même par référence : ce qui serait absurde et ne saurait
être admis178. Par ailleurs et en droit comparé, le
Conseil d'État français a émis un avis allant dans le sens
de ce que l'article 11 -équivalent de l'article 43 de la Constitution
ivoirienne- ne pouvait être interprété comme instituant une
procédure de révision constitutionnelle parallèle à
celle de l'article 89 -les articles 124 à 127 de la Constitution
ivoirienne179.
La Constitution nigérienne est quant à elle tout
à fait explicite sur l'impossibilité de réviser la
Constitution par la voie de l'article 60 instituant le référendum
législatif180.
D'autre part, il semble également que le champ des lois
organiques lui-même ne soit pas non plus couvert par le
référendum législatif de l'article 43.
b. L'impossibilité d'adopter une loi organique
D'autre part, il semble que la loi organique -dont la
procédure d'élaboration est fixée à l'article 78.8
de la Constitution181- soit elle aussi exclue du champ
d'intervention de l'article 43.
Le référendum législatif permet au
président de la République de passer par-dessus la tête des
députés en soumettant directement au peuple une question dont
l'Assemblée nationale
177 Avis n° 004/CC/SG du 17 décembre 2003 du
Conseil constitutionnel demandé par le Président L. Gbagbo
(Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, Les grands arrêts de
la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne, CNDJ, p. 476480).
178 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 499.
179 Lors de la vive controverse qui avait vu jour suite
à sa décision de réviser la Constitution par la voie de
l'article 11, le général de Gaulle avait soumis au Conseil
d'État pour avis le projet de loi portant révision. L'avis
émis par le Conseil d'État le 1er octobre 1962, devant
en principe rester secret, sera dévoilé par le journal Le
Monde. En dépit de l'avis du Conseil d'État, qui allait dans
le même sens que la majeure partie de la doctrine, le projet de loi
devait être soumis à référendum et aboutir à
la révision de la Constitution.
180 Il semble qu'il n'y a que la Constitution
sénégalaise qui permette au président de la
République de procéder à la révision
constitutionnelle par le biais de l'article 51.1 instituant le «
référendum législatif ».
181 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD,
op.cit., p. 102-103.
71
devrait en principe connaître. La Constitution a donc
reconnu à celle-ci certaines garanties qui demeurent toutefois assez
faibles.
B/ Les garanties de l'Assemblée nationale
Le référendum institué par l'article 43
conduisant de fait au dessaisissement de l'Assemblée nationale sur une
question, la Constitution lui a reconnu des garanties (1). Mais celles-ci
mériteraient en retour d'être renforcées car elles
demeurent faibles (2).
1. La reconnaissance de garanties à l'Assemblée
nationale
Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale
résident essentiellement dans la consultation obligatoire du bureau de
l'Assemblée nationale (a). Mais cette consultation laisse le
Président libre de sa décision de recourir ou non au
référendum (b).
a. Une consultation obligatoire du bureau de l'Assemblée
nationale (...)
Le président de la République -au lieu
d'emprunter la voie « normale » de la procédure
législative ordinaire donnant lieu à une loi parlementaire- peut
recourir à la consultation directe du peuple. Cela se traduit en cas de
succès par l'adoption d'une loi référendaire. De la sorte,
il pourrait s'agir pour le président de la République de
court-circuiter l'Assemblée nationale en appelant directement au peuple
par-dessus la tête des députés. La Constitution de 2000
institue donc ce qu'une certaine doctrine a appelé le
référendum de substitution sans intervention
parlementaire182.
C'est la raison pour laquelle la mise en oeuvre du
référendum nécessite la consultation du bureau de
l'Assemblée nationale : sans cette formalité, le président
de la République ne peut valablement recourir au
référendum.
La consultation -certes obligatoire- du bureau de
l'Assemblée nationale ne lie pourtant nullement le président de
la République qui reste maître de sa décision.
b. (...) ne liant pas le président de la
République
182 Marcel PRÉLOT, op.cit., p.609.
72
Si le président de la République est
obligé de consulter l'Assemblée nationale, il n'est pas tenu de
suivre l'avis qui sera émis à la suite de cette consultation :
même si l'Assemblée nationale exprimait son désaccord, elle
ne dispose d'aucun moyen pour empêcher le président de la
République de poursuivre la procédure référendaire.
Nous sommes donc bien en deçà de ce que prévoyaient les
textes de la Constitution de 1960 : celle-ci exigeait en effet non pas la
consultation du bureau de l'Assemblée nationale -consultation donnant
lieu à un avis éventuellement négatif mais que le
président de la République n'est pas obligé de suivre-
mais son accord ; cet accord impliquait la nécessaire approbation par le
bureau de l'Assemblée nationale de la volonté du président
de la République de recourir au référendum. A
défaut de cet accord, le président de la République ne
pouvait pas recourir au référendum (art. 14.1 de la Constitution
de 1960).
Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale
-une consultation obligatoire mais dont le contenu ne lie pas le
président de la République- mériteraient cependant
d'être renforcées car elles sont assez faibles.
2. La faiblesse des garanties reconnues à
l'Assemblée nationale
Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale
dans la mise en oeuvre du processus référendaire sont assez
faibles. Cette faiblesse tient au fait que seul le président de la
République dispose de l'initiative référendaire (a) et
qu'il peut directement consulter le peuple à tout moment (b).
a. L'initiative référendaire, prérogative
exclusive du pouvoir exécutif
L'initiative référendaire est exclusivement
détenue par le président de la République qui l'exerce par
ailleurs de manière tout à fait libre. Elle n'est ni
partagée ni encadrée ou soumise à un pouvoir de
proposition.
A la suite de la révision constitutionnelle de 2008, la
Constitution française prévoit désormais, à
côté de l'initiative du président de la République
en matière de référendum, celle émanant des
parlementaires183 -un cinquième d'entre eux- et soutenue par
les électeurs -un dixième de ceux-ci. Le président de la
République n'a donc plus le monopole de l'initiative en
183 Avant la révision constitutionnelle intervenue en
France en 2008, le référendum prévu par l'article 11 ne
pouvait porter que sur un projet de loi. Désormais il peut
également porter sur une proposition de loi.
73
matière de référendum184.
D'autre part, dans le régime politique malien, le président de la
République ne peut recourir au référendum que sur
proposition du Gouvernement ou sur proposition de l'Assemblée nationale
; sans l'une ou l'autre proposition, le Chef de l'État ne peut user du
référendum : même s'il n'est pas obligé de suivre
l'une ou l'autre proposition refusant d'user du droit qui est le sien de
soumettre le texte à référendum malgré la
suggestion du Gouvernement ou de l'Assemblée nationale, le
président de la République ne dispose pas lui-même de
l'initiative (art. 41).
Toutes ces dispositions -inexistantes en droit constitutionnel
ivoirien- participent d'un équilibre des rapports entre le
président de la République et le Parlement trop souvent en faveur
du premier et au détriment du second. Il ne serait par conséquent
pas superflu, dans le souci même de rééquilibrage entre le
Chef de l'État ivoirien et l'Assemblée nationale, de songer
à faire évoluer les dispositions constitutionnelles actuelles.
Une pareille réflexion peut être également
faite sur le moment de la consultation référendaire.
b. Le moment de la consultation référendaire
Le président de la République est libre d'user
de la prérogative qui lui est offerte par l'article 43 de la
Constitution à tout moment. Il n'y a aucune limite temporelle
relativement à l'usage de ce droit. Dans la Constitution
française, lorsque le référendum a lieu sur proposition
gouvernementale, il s'agit visiblement d'un moyen de passer outre à
l'opposition du Parlement, d'en appeler directement au peuple par-dessus la
tête de ses représentants : c'est pourquoi le
référendum ne peut avoir lieu en dehors des sessions
parlementaires, pendant que les chambres sont pour ainsi dire réduites
au silence. Ce n'est que lorsque le référendum a lieu sur
proposition conjointe des assemblées qu'il peut avoir lieu en tout temps
: cela ne traduit pas une volonté de contournement du Parlement mais
suppose au contraire qu'en face d'un grand problème, qui divise
l'opinion, le Parlement laisse à la nation elle-même le soin de se
prononcer185.
Toutes ces prescriptions -en particulier la faculté de
l'Assemblée nationale d'avoir un pouvoir de proposition du
référendum ou même un droit d'initiative
référendaire et l'exigence que le référendum ait
lieu pendant la durée des sessions parlementaires- sont de nature
à
184 Dispositions de l'article 11 de la Constitution
française à la suite de la loi constitutionnelle de 2008.
185 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 532.
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renforcer le caractère concerté du
référendum entre le président de la République et
l'Assemblée nationale ; mais elles sont inexistantes dans notre
système constitutionnel.
Un autre champ privilégié de la collaboration
entre le président de la République et l'Assemblée
nationale concerne les engagements internationaux de la Côte d'Ivoire.
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