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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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Paragraphe 2 : Les situations exceptionnelles

Les situations exceptionnelles étudiées ici sont l'état de siège et l'état d'urgence158. Pour l'un comme pour l'autre, il faut une initiative du président de la République (A). Mais l'Assemblée nationale prend le relai de celui-ci et exerce ainsi un contrôle (B).

A/ Une initiative prise par le président de la République

Les impératifs de l'urgence (1) justifient le droit reconnu au président de la République de déclarer l'état de siège et l'état d'urgence par décret en Conseil des ministres (2).

1. Les impératifs de l'urgence

L'initiative exercée par le président de la République en cette matière est subordonnée à la survenance de certaines circonstances plus ou moins restrictives (1). Mais le président de la République reste bien évidemment maître de l'appréciation de celles-ci (2).

157 La concurrence des compétences réside dans le fait que, dans un premier temps, c'est le président de la République qui déclenche la mise en oeuvre de l'état de siège et de l'état d'urgence et que, dans un second temps, c'est l'Assemblée nationale qui reprend le relai. En cela réside également l'originalité d'une telle concurrence des compétences.

158 Les règles relatives à l'état de siège et à l'état d'urgence sont fixées, aux termes de l'article 71 de la Constitution, par la loi.

a. 62

La survenance de circonstances plus ou moins restrictives (...)

En ce qui concerne l'état de siège159, sa déclaration est subordonnée à un péril imminent résultant d'une guerre étrangère, d'une guerre civile ou d'une insurrection à main armée : ce sont donc bien les situations dans lesquelles les nécessités militaires s'imposent qui sont visées.

Quant à l'état d'urgence160, il peut être déclaré « en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » et, en outre, en cas de « calamités publiques », ce qui vise les catastrophes telles qu'inondations, tremblements de terre, explosions, etc. Le recours à la notion d'ordre public montre que les considérations de police l'emportent sur les préoccupations de défense.

Les circonstances justifiant la mise en application de l'état de siège sont donc liées aux seules situations de conflit armé et en cela elles sont beaucoup moins larges que celles susceptibles de justifier la déclaration de l'état d'urgence. Mais dans les deux cas, elles sont laissées à l'appréciation du président de la République.

b. (...) laissées en définitive à l'appréciation du président de la République

C'est en définitive le président de la République qui apprécie à sa seule convenance les circonstances nécessaires à la mise en application des états de siège et d'urgence. En ce domaine, il dispose d'une compétence non seulement exclusive mais également discrétionnaire. Nous pouvons faire ici un rapprochement avec l'appréciation des conditions de mise en oeuvre de l'article 48 par le président de la République.

Toutefois le président de la République est tenu de respecter certaines formes dont la principale est de prendre le décret en Conseil des ministres.

2. La déclaration par décret en Conseil des ministres

159 L'état de siège est organisé par les lois du 9 août 1849 et 3 avril 1878 rendues applicables en Côte d'Ivoire par le décret du 30 décembre 1916.

160 L'état d'urgence est institué par la loi n° 59-231 novembre 1959.

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La déclaration de l'état de siège et celle de l'état d'urgence relèvent de la même procédure : la décision est prise par décret en Conseil des ministres (art. 74)161. Dans les deux cas, le décret définit l'espace territorial concerné (a) et entraîne des effets exorbitants (b).

a. Une déclaration définissant l'espace territorial concerné

Le décret désigne le territoire auquel il s'applique et détermine sa durée d'application. Le décret par lequel sont déclarés l'état de siège et l'état d'urgence peut donc concerner aussi bien une partie que l'ensemble du territoire162. C'est là une différence fondamentale avec ce qu'il conviendrait d'appeler l'état de crise, c'est-à-dire le régime prévu par l'article 48 de la Constitution163 : celui-ci ne peut en effet être appliqué qu'à l'ensemble du territoire national.

La déclaration de l'état de siège et de l'état d'urgence entraîne surtout des effets exorbitants du droit commun au profit de l'administration militaire ou civile et en réalité - nous le verrons- au profit du président de la République.

b. Une déclaration entraînant des effets exorbitants : la mise en vacances de la légalité164

La déclaration de l'état de siège emporte trois séries de conséquences. D'abord, l'autorité militaire est substituée à l'autorité civile dans l'exercice de la police du maintien de l'ordre. En pratique, un partage des compétences de police s'instaure entre elles : l'autorité militaire se réserve celles qui lui paraissent nécessaires pour faire face à ses responsabilités et laisse le surplus aux autorités civiles. Ensuite, les pouvoirs de police remis aux autorités militaires ont une étendue supérieure à la normale. L'extension porte sur quatre points : 1° l'autorité militaire peut procéder à des perquisitions de jour et de nuit ; 2° elle peut ordonner la remise des armes et munitions appartenant à des particuliers ; 3° elle peut interdire les

161 L'article 74 de la Constitution ne concerne que l'état de siège. En ce qui concerne l'état d'urgence, sa déclaration initialement réservée au législateur, relève depuis une ordonnance française du 15 avril 1960, de la même procédure que celle de l'état de siège.

162 L'article premier de la loi n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l'état d'urgence dispose en effet que « l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République... ».

163 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 92-96.

164 L'état de siège et l'état d'urgence ont pour effet de mettre en vacances la légalité, ils soustraient « l'administration du respect de la légalité..., substituent une légalité « d'exception », une légalité de crise » (René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 92).

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publications et les réunions susceptibles d'entraîner des désordres ; et enfin elle peut éloigner les repris de justice et les personnes non domiciliées dans la zone en état de siège165.

Il faut souligner le caractère limitatif de cette énumération : le droit commun subsiste pour le surplus.

Sans aller dans le détail des choses, notons simplement que les effets de l'état d'urgence sont essentiellement une extension des pouvoirs de police : l'autorité de police (ministre de l'intérieur), qui reste l'autorité civile normale, à la différence du régime de l'état de siège, se voit investir de pouvoirs qui dérogent profondément au droit commun166.

Ainsi par le seul effet de la déclaration de l'état de siège ou de l'état d'urgence, la légalité est mise « en vacances »167 et une légalité de crise s'y substitue. L'autorité qui bénéficie surtout de cette légalité de crise est le président de la République en sa double qualité de chef suprême des armées et de président du Conseil supérieur de la défense (art. 47) et de chef l'administration (art. 46).

C'est en raison de cette mise en vacances de la légalité par le décret de déclaration de l'état de siège et de l'état d'urgence au profit du président de la République qu'un contrôle de l'Assemblée nationale -par sa reprise en main de la situation- s'avère nécessaire.

B/ Un contrôle exercé par l'Assemblée nationale

Le contrôle de l'Assemblée nationale en matière de légalité de crise s'articule autour de deux mécanismes : l'autorisation de prorogation qu'elle peut accorder ou refuser (1) et sa réunion de plein droit (2).

1. L'autorisation de prorogation accordée par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale ne peut être tenue à l'écart de la matière de la légalité de crise que provisoirement. Au-delà d'un certain délai, elle doit nécessairement intervenir et la poursuite ou non du régime de crise dépendra uniquement d'elle. Elle exerce de la sorte un

165 René DEGNI-SEGUI, ibid., p. 95.

166 René DEGNI-SEGUI, ibid., p. 96.

167 Maurice BOURJOL, Droit administratif : l'action administrative, Masson et Cie éditeurs, Paris, tome II, 1972, p. 89.

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contrôle de la durée d'application des situations exceptionnelles (a) et reprend la main au président de la République (b).

a. Le contrôle de la durée d'application de la période de la légalité de crise

La prorogation de l'état de siège -aux termes de l'article 74.2 de la Constitution- et de l'état d'urgence au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que par l'Assemblée nationale168. Nous retrouvons des dispositions similaires dans le cadre de la quasi-totalité des régimes politiques africains mais le délai au-delà duquel une autorisation parlementaire devrait intervenir varie d'un régime à un autre : ce délai peut être de quinze (art. 101.3 de la Constitution béninoise, art. 105 de la Constitution nigérienne), de douze (art. 69.2 de la Constitution sénégalaise) ou même de dix jours (art. 72.2 de la Constitution malienne), etc. D'autre part, le décret déclarant l'état d'urgence doit nécessairement fixer la durée de son application aux termes de l'article 3 de la loi n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l'état d'urgence169.

Le président de la République n'a donc pas la faculté -comme c'est le cas du régime prévu par l'article 48 de la Constitution- de poursuivre l'application de l'état de siège et de l'état d'urgence indéfiniment avec aucune autre limite temporelle que ce que sa volonté lui impose : il devra nécessairement solliciter l'autorisation de l'Assemblée nationale au-delà de quinze jours d'application de l'état de siège et de l'état d'urgence170.

Au-delà de cette période de quinze jours, l'Assemblée nationale reprend la main car c'est désormais d'elle et d'elle seule que dépendra désormais la poursuite ou non du régime de la légalité de crise.

b. La reprise en main par l'Assemblée nationale

168 « L'état de siège est décrété en Conseil des ministres. L'Assemblée nationale se réunit alors de plein droit si elle n'est pas en session. La prorogation de l'état de siège au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que par l'Assemblée nationale, à la majorité simple des députés » (art. 74 de la Constitution du 1er août 2000).

169 Le décret de déclaration de l'état d'urgence est en tant que tel susceptible de recours contentieux devant la chambre administrative de la Cour suprême. De la sorte, il est possible pour le juge ivoirien d'exercer un contrôle efficace sur la durée d'application de l'état d'urgence édictée dans le décret.

170 Nous verrons en effet, dans les pages qui suivent, comment le président de la République reste maître de la durée d'application de l'état de crise (mise en oeuvre de l'article 48). Mais dans le domaine de l'état de siège et de l'état d'urgence, il ne dispose évidemment pas d'un tel privilège.

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Initialement le président de la République peut mettre en oeuvre l'état de siège et l'état d'urgence sans même que l'Assemblée nationale ne soit simplement consultée à leur sujet. Dans la Constitution béninoise au contraire, le président de la République ne peut décréter l'état de siège et l'état d'urgence qu'après une consultation préalable de l'Assemblée nationale (art. 101.3)171.

Cette manière d'écarter l'Assemblée nationale ne peut cependant être que provisoire ainsi que nous l'avons précédemment observé. Aux termes du délai de quinze jours, l'Assemblée nationale reprend en effet la main au président de la République : la poursuite de l'état de siège et de l'état d'urgence ne procède plus du décret en Conseil des ministres mais de la loi. Ici se manifeste d'une manière dépourvue de toute ambiguïté la concurrence des compétences -concurrence par succession pourrait-on dire- entre le président de la République et l'Assemblée nationale.

Mais l'intervention de l'Assemblée nationale ne s'arrête pas à ce niveau. Elle se réunit en outre de plein droit.

2. La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale

Aux termes de l'article 74.1 de la Constitution, l'Assemblée nationale se réunit de plein droit dès que l'état de siège est décrété en Conseil des ministres172. Cette disposition originale (a) revêt une finalité politique importante (b).

a. Une disposition originale

L'exigence de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en cas de mise en application de l'état de siège est une disposition originale que l'on retrouvait déjà dans la Constitution de 1960173. Mais on ne la retrouve généralement guère dans le cadre des autres régimes politiques africains. La Constitution du Niger la prévoit cependant en son article 105 de même que la Constitution du Sénégal qui l'étend par ailleurs à l'état d'urgence puisque son article 69 dispose que : « L'état de siège, comme l'état d'urgence, est décrété par le président

171 La Constitution du Niger exige quant à elle que l'état de siège soit décrété en Conseil des ministres après avis du bureau de l'Assemblée nationale (art. 105 de la Constitution).

172 La Constitution ne prévoyant pas l'état d'urgence, peut-on également exiger la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en cas de sa mise en oeuvre ?

173 L'article 43 de la Constitution de 1960 exigeait également la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale dès que l'état de siège est décrété en Conseil des ministres.

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de la République. L'Assemblée nationale se réunit alors de plein droit, si elle n'est pas en session ».

Elle n'est pas sans rappeler l'exigence formulée à l'article 48 de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en cas de mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels par le président de la République. Comme en ce domaine que nous étudierons dans les développements ultérieurs, la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale a une finalité politique importante.

b. Une disposition à finalité politique

La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale pendant la mise en application de l'état de siège (et de l'état d'urgence ?) est très importante car les députés ont la faculté d'ouvrir un débat sur la décision de mettre en jeu l'état de siège (et l'état d'urgence ?). Et contrairement à l'hypothèse de l'article 48, cette réunion de plein droit de l'Assemblée nationale est un contrôle politique réel car doté d'une sanction certaine : elle pourrait en effet décider de mettre un terme à la légalité de crise décidée par le président de la République.

A côté des compétences concurrentes la collaboration du président de la République et de l'Assemblée nationale se manifeste également par des compétences conjointes.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus