Statut du juge constitutionnel en droit positif congolaispar Roger Tshitenge Kamanga Université de Kinshasa - Licence 2019 |
2. Du fondement jurisprudentiel et de la procédureAux Etats-Unis d'Amérique, il faut noter que, de prime abord, la constitution de ce pays du 17 septembre 1987 ne consacre pas expressément un mécanisme de contrôle juridictionnel. C'est l'oeuvre de la jurisprudence éclairée par la doctrine de James OTTIS et John ADAMS qui, déjà, en 1761, firent entrer le principe politique du contrôle juridictionnel des lois dans les revendications d'indépendance des colonies de Nouvelle Angleterre et proclamant à leur tour qu'une loi contraire à la constitution est nulle et non avenue. En outre, le contre ainsi circonscrit est né de la volonté de la Cour suprême elle-même dans son célébrissime arrêt Marbury contre Madison de 1803 ou plutôt de la volonté du chef justice John MARSHALL, Président de la Cour, qui revendiqua, pour le pouvoir judiciaire, le rôle de gardien de la constitution.31(*) Déjà, l'article III, section 1 de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique dispose que « le pouvoir judiciaire des Etats-Unis est dévolu à une Coursuprêmedont le Congrès peut, au fur et à mesure des besoins, ordonner l'établissement. Dominique TURPIN nous apprend qu'à la Convention de Philadelphie déjà, la plupart des Pères fondateurs souhaitèrent transposer au niveau de l'Union cette « subordination de la législature à l'autorité de la Constitution. C'est pour ne pas effaroucher les représentants de certains nouveaux Etats souverains et faire passer la Constitution fédérale que les Pères fondateurs s'en tinrent à l'affirmation de l'existence d'un pouvoir judiciaire mais non celle d'un contrôle de constitutionnalité ». Cette manoeuvre habile du constituant américain est toutefois mise à nu dans l'article VI section 2 de la même Constitution qui dispose que « cette constitution et les lois des Etats-Unis qui seront prises, en conformité avec elle, ainsi que les traités, seront la loi suprême du pays, et les juges de chaque Etat seront liés par eux nonobstant toute disposition contraire des constitutions ou lois étatiques ». Il importe dès lors de dire, tout en nuance, que le principe du contrôle de constitutionnalité est inscrit dans la Constitution de 1787 même si l'organe chargé de sanctionner cette non-conformité n'était pas indiqué. Le rôle capital de l'arrêt Marbury contre Madison de 1803 est d'avoir transformé l'essai en une victoire éclatante du plus vieux des rêves des fédéralistes convaincus que furent le Chief justice John MARSHALL et le Président John ADAMS qui l'avait nommé au lendemain de la victoire de Thomas JEFFERSON. Pour renchérir, Louis FAVOREU indique que le juge MARSHALL s'est du reste inspiré de l'opinion d'Alexander HAMLITON, un des artisans du texte constitutionnel à la Convention de Philadelphie ainsi exprimée ; « Le parlement peut mal faire comme l'illustre notamment la législation coloniale britannique et une majorité peut être oppressive. Ainsi, la constitution des Etats-Unis consacre des limitations précises du pouvoir législatif.32(*) Dès lors, aucune législation contraire à la Constitution ne saurait être valable, sans quoi les limitations prévues n'auraient pas de sens. Or, la Constitution, doit faire comme toute loi, l'objet d'interprétation. De telles prémisses, il découle, de l'avis de HAMILTON, le pouvoir que possèdent les juges de déterminer le sens de la charte fondamentale et d'assurer la suprématie de la norme supérieure. L'arrêt de 1803 reproduit ce raisonnement mot pour mot en adoptant le syllogisme suivant :La Constitution est supérieure à toute autre norme ; La loi sur l'organisation judiciaire de 1789 est contraire à la Constitution ; La loi doit être dès lors invalidée pour inconstitutionnalité. Le juge MASHALL concluait ainsi son opinion en affirmant que le « langage de la Constitution des Etats-Unis confirme et renforce le principe considéré comme essentiel pour toute constitution écrite, qu'une loi contraire à la Constitution est nulle que les tribunaux ainsi que les autres pouvoirs sont liés par un tel instrument ».33(*) Sans l'institution d'une juridiction spécialement constituée à cet effet, ainsi est né le premier système de justice constitutionnelle dont, pour l'essentiel, l'on peut dire qu'il est diffus, concret, s'exerçant a posteriori, par voie d'exception et dont l'arrêt ne bénéficie que de l'autorité relative de la chose jugée. En effet, le système est diffus parce que le contrôle peut être exercé par n'importe quel juge fédéral ou étatique car les juridictions américaines disposent d'une plénitude de juridiction qui veut dire que le juge saisis du fond est compètent pour se prononcer sur l'ensemble d'incidents de procédure, qu'ils soient civils, administratifs ou constitutionnels. Ensuite, il s'agit d'un contrôle dit « concret » parce qu'il ne peut s'exercer qu'à l'occasion des « cas concrets » et des « litiges particuliers ». A ce propos, la doctrine américaine dominante considère qu'à défaut d'exercice d'un contrôle concret, le juge apparait comme pouvant supplanter le législateur, ce qui serait contraire au principe de séparation des pouvoirs qui constitue le socle du système américain. Par ailleurs, s'agissant de régler un cas concret, le contrôle ne peut s'exercer, par principe, qu'à posteriori car le demandeur à l'instance doit être directement touché par la violation de la Constitution et avoir un litige qui porte sur un dommage certain. Le contrôle s'exerce par voie d'exception soulevée par tout justiciable, pour sa défense, à l'occasion d'un procès quel qu'il soit et au cours duquel une loi estimée non conforme à la Constitution tend à être appliquée. Il s'agira, pour le juge, de priver la loi d'effet en l'espèce qui lui est soumise. Enfin, il importe de dire qu'un jugement d'inconstitutionnalité ne vaudra, dans le modèle américain, en principe, que pour l'affaire et les parties en cause. Mais le jeu de la règle du précédent vient à nuancer l'effet relatif de la décision d'inconstitutionnalité et le risque de variation ou de contrariété d'un Etat à un autre, ou d'un juge à un autre. En effet, la Cour suprême peut être saisie par voie d'un recours en certiorari en vue d'obtenir la certification des décisions rendues par les juridictions inférieures. Ce droit jurisprudentiel s'impose en vertu de la règle du précèdent autrement appelée staredecisis. Ainsi, si l'arrêt de la Cour suprême ne peut annuler formellement une loi, il peut en paralyser l'application sur l'ensemble des Etats américains dans la mesure où les juridictions inférieures devront s'y conformer. Dans la pratique, l'on observe que la Cour suprême se prononce, principalement en matière constitutionnelle, sur la conformité ou non de la légalisation des Etats fédérés à la Constitution fédérale.34(*) Il existe, par ailleurs, trois principaux procédés destinés à déclencher le contrôle de constitutionnalité par la Cour suprême, laquelle fonde ses décisions essentiellement sur quatre clauses dont la violation justifie autant de « cas d'ouverture » dudit contrôle. Les voici ; ï La violation de la clause dueprocess of Law.Issue du Law of the Land britannique et incorporée dans le 5ème amendement. Pour ce qui est de l'Etat fédéral et dans le 14ème amendement pour ce qui concerne les Etats fédérés, cette règle ou cette clause de due process of Law interdit de priver quiconque « de sa vie, de sa liberté ou de sa propriété sans une procédure légale régulière ou convenable ». A l'origine, cette règle ne devant s'appliquer qu'aux règles de procédure, la Cour suprême l'a étendue à toutes les règles de fond relatives aux libertés toutes les fois qu'une personne fait l'objet d'une décision défavorable à ses intérêts. ï La violation de la rule of reasonablenessCette règle appelée également balance of convenienceimpose au législateur ou à l'exécutif de maintenir un rapport équitable, raisonnable, entre les sacrifices imposés aux particuliers dans l'intérêt général et les avantages qu'ils peuvent escompter de la vie en société. Là aussi le juge américain dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui lui permet, en cas d'urgence, (emergency) d'en atténuer la portée au point que lui-même doit faire preuve de reasonableness dans l'application qu'il pourrait en faire. ï La violation de la clause des contrats. Contrairement aux deux premières clauses, celle-ci est inscrite à l'article 1er section 10 de la Constitution des Etats-Unis qui interdit aux Etats « d'affaiblir par une loi la force des contrats ». Ici aussi, le juge américain a la latitude d'apprécier souverainement cet affaiblissement des contrats par la loi dans un sens ou dans un autre. Heureusement, depuis l'arrêt de 1827 dit OGDEN contre SAUNDERS, la Cour suprême a arrêté que « tous les contrats des hommes reçoivent une mise en oeuvre relative et non pas absolue. Les droits de tous ne peuvent exister et ne doivent être exercés qu'au service du bien commun ».35(*) ï La violation de la clause d'égalité.Cette clause, née au lendemain de la guerre de cession contre les Etats du sud esclavagistes pour les empêcher de rétablir l'esclavage, par quelque moyen, et tirée de l'interprétation du 14ème amendement selon lequel « aucun Etat ne pourra refuser à quiconque relève de sa juridiction une égale protection des lois », a toujours été utilisée par la Cour suprême, depuis la deuxième guerre mondiale, pour lutter contre toutes les discriminations. Elle tend à être avalée par la clause de due process of Law pour protéger les libertés et s'opposer à toutes les formes de discrimination. La fluidité de cas d'ouverture et la latitude qu'ils offrent au juge américain, donnent à voir deux attitudes chez ce dernier ; tantôt, il privilégie le conservatisme, tantôt, il est porté vers l'activisme. Selon la couleur politique des juges eux-mêmes, le judicialreview peut être actif ou restreint ou selon que les juges sont partisans de la théorie de original intents ou de celle de la transformation sociale (la Constitution doit être interprétée en fonction des critères contemporains et, en tous cas, avec souplesse et adaptabilité).36(*) Parce que la Constitution ne se limite pas à définir un ordre juridique objectif à la défense duquel seraient simplement intéressés les autorités politiques et les juges, mais qu'elle définit, également, un ordre juridique subjectif qui concerne, au premier chef, les individus, il a semblé nécessaire, afin de parfaire l'Etat de droit, d'ouvrir à ces derniers l'accès à la justice constitutionnelle. Si, aux Etats-Unis comme en Allemagne et en Espagne, la possibilité, pour les citoyens, de saisir directement le juge constitutionnel a rencontré un vif succès, elle a aussi très vite, démontré ses limites. Victimes de son prestige et, son succès, la Cour suprême américaine comme la Cour constitutionnelle fédérale allemande et le Tribunal constitutionnel espagnol est dépassée, aujourd'hui, par le nombre de requête en certiorari, des recours constitutionnels et des recours d'amparo et se trouve proche de l'asphyxie structurelle.37(*) Présentement les recours directs qui risquait de venir submerger la juridiction constitutionnelle, le législateur a choisi d'instaurer, des mesures de sélection destinées à corriger les graves dysfonctionnements provoqués par cet afflux croissant de recours.Née, à l'origine, du besoin d'alléger la charge de travail de juridiction encombrée, la procédure d'admission des recours directs se présente, de nos jours, comme un instrument de régulation capital permettant aux juridictions constitutionnelles de séparer le bon grain de l'ivraie. Mais, au-delà de ces considérations d'ordre pratique, la crise fonctionnelle traversée par les juridictions constitutionnelles apparait comme un détonateur d'une discussion qui transcende le simple problème de la sélection pour toucher à la signification et à l'utilité même du recours individuel et à sa place au sein du système de justice constitutionnelle. A vrai dire, l'engagement dont souffrent les juridictions constitutionnelles conduit parfois à s'interroger sur ce qui est l'essence même d'une juridiction constitutionnelle. Malgré cet inconvénient, le modèle a fait des émules, notamment le Brésil. Le statut du juge constitutionnel a été plus influencé par la pratique américaine de constitutionnalité, tout en tirant profit des aspects positifs du modèle européen de contrôle de constitutionnalité * 31 Constitution des Etats-Unis d'Amérique, article III, section 1. * 32 HAMILTON (A.), MADISON (J.) et JAY (J.), Le Fédéraliste, Paris, Nouveaux horizons, pp. 195, 223. * 33 FAVOREU L., op.cit, p.206 * 34 TURPIN D., Droit constitutionnel, Paris, PUF, 1997, p.642 ; voyez aussi ROUSSEAU D., Droit du contentieux constitutionnel, 6ème éd., Paris, Montchrestien, 2001, p.15 * 35 TURPIN D., Droit constitutionnel, op.cit, p.136 * 36 Plusieurs articles ou communications ont été réalisés également, principalement sur la question : Guy SCOFFONI, « Convention pour l'avenir de l'Europe et Convention de Philadelphie : la question du mode de production d'une constitution », Revue des Affaires européennes, 2003, pp.683-691 ;Autonomie locale et Constitution des aux Etats-Unis », rapport présenté à la XXIIe Table ronde internationale sur la justice constitutionnelle, Annuaire international sur la justice constitutionnelle, Paris, Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 2007 ; « Les valeurs du fédéralisme », in La démocratie participative, colloque organisé par le Centre de droit constitutionnel et européen de Lyon III, ocotobre 2005, Paris, L'Harmattan, 2006 ; « de protection of HumanRights in France- A Comparative Perspective », in HumanRihhts in Asia, Colloque de Hong Kong, Routledge, 2005, pp 65-83 ; « Les autorités administratives independantes aux Etats-Unis », in L'Etat pluriculturel et les droits aux différences, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 313-329 ; « Les juges et la Constitution des Etats-Unis à l'épreuve du terrorisme international, », Etudes en l'honneur de Loic Philip, Paris, Economica, 2005, pp. 219-236. * 37 NICOT S., La sélection des recours par les juridictions constitutionnelles (étude de droit comparée Allemagne, Espagnol, Etats-Unis), Paris, LGDJ, 2006 |
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