Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume
Martin
2) Description et analyse
Présentation de l'association
Schéma du fonctionnement de
l'association
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Ce schéma permet de mieux comprendre le fonctionnement
de l'association. L'association forme des membres afin qu'ils puissent à
leur tour informer et sensibiliser des structures (universités,
écoles, associations...) ou des citoyens (proches, famille, amis,
étudiants...). Les structures et les citoyens bénéficient
des outils et des actions de l'association, et fournissent un feedback
essentiel pour à la fois enrichir la réflexion et
améliorer continuellement leur démarche. L'individu formé
participe activement à la vie de l'association à la fois en
relayant son action et en étant force de proposition pour
améliorer ou porter de nouveaux projets. Ici, nous explorerons plus
spécifiquement les liens entre individu (le membre) et l'association (le
collectif).
Pour cela, l'analyse s'appuiera sur la participation à
deux projets de l'association : l'ACademy et l'UEDAC, les deux principaux
projets permettant de recruter des membres (les autres étant plus
tournées vers la sensibilisation extérieure). L'ACademy
est une formation en quatre week-ends sur l'an-née permettant
de former une centaine de personnes chaque année à
présenter une conférence de sensibilisation aux enjeux
énergie-climat (appelée « The Big Conf », ou TBC).
L'UEDAC est l'Univer-sité d'Eté
Décontractée d'Avenir Climatique, une semaine ouverte aux membres
et aux nouveaux pour à la fois apprendre, débattre,
réfléchir à l'avenir de l'association, mais aussi profiter
de la nature, des temps libres et des vacances.
Par la participation observante et par l'entretien
réalisés, nous avons distingué 3 facteurs clés
d'en-gagement de l'association : la connaissance, le pouvoir et la
liberté d'action, et le collectif.
L'association comme moyen de monter en
connaissances et en compétences
Pour Guillaume, l'objectif central de l'association est de
donner les clés de compréhension des enjeux
énergie-climat. L'association a été créée
par un groupe d'ingénieurs, et a en son coeur la rigueur technique et
scientifique des messages et informations qu'elle porte et transmet. Le fait de
s'axer plus sur le constat que sur les solutions est volontaire : l'objectif
est d'outiller les personnes pour qu'elles soient à même
de prendre elles-mêmes leurs décisions. Guillaume
explique ainsi : « Dans la Big Conf, on ne dit pas ce qu'il faut faire,
mais on donne les clés pour que les personnes comprennent la situation
et arrivent aux bonnes conclusions d'action tous seuls. Autre exemple : pour le
bilan carbone, on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais la personne regarde sa
situation, où elle en est, et identifie elle-même les actions qui
lui correspondent par rapport à la marge de manoeuvre qu'elle veut lui
donner. » Thibaud Griessinger confirme : « on voit très bien
que c'est compliqué de sensibiliser sur des actions spécifiques.
Quand AC le fait en mettant l'emphase sur l'énergie, là c'est
plus intéressant car c'est plus facile de voir à l'échelle
individuelle comment tu peux arriver à faire le lien entre ton mode de
vie et ces problématiques, et tu peux toi-même être
constructeur d'actions que tu peux mettre en place ». Angèle,
Juliette, Alix, Luc et Valentin ont tous les cinq participé à
l'ACademy
56
l'année dernière, et l'approfondissement des
connaissances conséquent a, comme nous l'avons vu, largement
contribué à leur engagement.
Au-delà d'une transmission et d'un approfondissement
des connaissances, l'ACademy permet aussi aux participants de monter en
compétences diverses : prise de parole, sensibilisation,
organisation d'événement, communication... Ce peut être
à un niveau supérieur pour les formateurs : une dizaine de
personnes participant à l'ACademy cette année vont devenir
formateurs l'année prochaine, ce qui va leur permettre à la fois
de monter encore en connaissance, mais aussi de développer des
compétences de prise de parole, d'organisation... La palette de
compétences à développer est très large, et
certains papillonnent de projet en projet chaque année en fonction des
compétences qu'ils souhaitent développer.
Au-delà des connaissances et compétences
transmises aux membres, il y a une volonté constante
d'amélioration continue et de co-construction des savoirs. Par
exemple, sur l'outil informatique d'échanges d'AC, framateam, un canal
de discussion est dédié au partage d'informations, aux questions,
aux débats, pour pouvoir évoluer ensemble dans les savoirs. Lors
des week-ends de l'ACademy et lors de l'UEDAC, un tableau
références est affiché, où chacun peut ajouter ses
conseils de lectures, documentaires, films, podcasts... Un projet de
climathèque est aussi en cours, afin de répertorier les
principales sources de données et de savoir à disposition. C'est
aussi dans les discussions, dans les échanges, les débats ou
présentations organisés que peut se construire et transmettre la
connaissance.
On voit donc que la connaissance des enjeux est un levier
d'engagement individuel, mais aussi que chaque personne contribue aussi
à cette connaissance et à l'engagement collectif.
Pouvoir et liberté d'action comme leviers
Un autre aspect clé de l'engagement des personnes au
sein de l'association est bien sûr le fait de pouvoir agir et sentir son
impact. Au-delà de la participation aux projets, des conférences
réalisées et de leur impact, c'est aussi au sein même de
l'association que les personnes peuvent ressentir leur liberté et
pouvoir d'action. Une grande place est en effet laissée à
l'autonomisation, à la participation et à la prise
d'initiatives.
Pour cela, l'organisation globale d'AC est horizontale.
Guillaume explique : « Avenir Climatique n'a pas d'organigramme, pas de
bureau, pas de hiérarchie, pas de chef. Il y a des personnes qui sortent
du lot pour gérer les choses, certaines font partie du CADAC (Conseil
d'Administration d'Avenir Climatique). L'organisation se veut la plus
horizontale possible, à la fois pour que l'association ne repose pas sur
1 ou 2 personnes, mais aussi et surtout pour que chacun se sente libre et
légitime de faire
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des choses, sans avoir à rendre de comptes. »
Aussi, cette volonté de liberté d'initiative se retrouve dans la
gestion et l'organisation des événements. Par exemple, à
l'UEDAC, la semaine est complètement auto-gérée,
c'est-à-dire que les participants sont garants et responsables de la
cuisine, du rangement, du bon entretien, mais aussi de l'organisation
d'ateliers. Il y avait en effet des créneaux spécifiques sur
lesquels les participants étaient libres de proposer un atelier, une
discussion, un jeu... autour de ces enjeux. Ce modèle
d'organisation permet de donner du pouvoir aux membres, qui se sentent acteur
et ont un rôle à jouer au sein de l'association, tout
comme face à aux crises de nos sociétés.
Une grande liberté est aussi laissée dans les
propositions d'idées et dans la prise d'initiative. Des espaces y sont
même spécifiquement dédiés. A la fin de l'ACademy,
lors du week-end 4 est organisé un Forum Ouvert pour laisser libre court
aux propositions des participants pour l'association. Il y a d'abord eu un
temps de propositions libres, où tous pouvaient lancer des idées
de tous ordres ; une trentaine en est ressortie. Puis, il y a eu un temps de
vote pour les projets les plus intéressants, et une dizaine ont
été retenus. Enfin, des groupes se sont formés afin de
discuter et approfondir ces idées, les personnes pouvant passer de
groupe en groupe en trois temps différents. Aujourd'hui, plusieurs
projets proposés et discutés lors de ce forum ouvert sont en
cours de réalisation ou ont été réalisés.
Par exemple, l'internationalisation de la Big Conf, qui est en cours de
traduction et d'adap-tation des données dans plusieurs langues. Un autre
exemple est le projet ACcostage Climatique, qui, après cette idée
lancée lors du Forum, a pu être réalisé cette
année, en partant de zéro et avec seulement quelques mois de
préparation. 13 membres de l'association sont partis 5 jours à
bord de 2 voiliers sur les côtes bretonnes, s'arrêtant de ville en
ville pour organiser des ateliers ou conférences de sensibilisation
autour des enjeux énergie-climat. Ce projet est en voie de devenir un
projet structurant de l'association autour du voyage et de la construction de
nouvelles représentations du voyage. On voit donc qu'il y a une
très grande liberté d'initiatives qui contribue à
l'engagement au sein de l'association. Guillaume voit en fait AC comme
un « véhicule qui peut permettre aux gens de faire des choses
autour de l'énergie et du climat ».
Il y a aussi une liberté laissée dans la
façon de transmettre les messages. Pour Guillaume, « La
seule chose dont on doit être garant est la justesse du discours d'un
point de vue technique et scientifique, mais il est essentiel que les personnes
se sentent libres de porter des projets de la façon qu'elles le
souhaitent. C'est par exemple pour cela que la conclusion de TBC reste vague :
pour laisser aux personnes la possibilité de la faire comme ils le
souhaitent, de se l'approprier. C'est important que les gens adaptent
même le contenu de la conférence pour se sentir à l'aise
avec. Mettre plus ou moins d'émotions, parler de telle ou telle chose,
parler de soi personnellement, être plutôt pessimiste ou
plutôt optimiste... Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de
la faire, mais une bonne façon de la faire par rapport à toi, par
rapport à ta personnalité, par rapport aussi au moment
58
où tu en es dans ta vie... ». Dans les week-ends
de travail de l'ACademy, des temps spécifiques sont ainsi
dédiés à la personnalisation de la Big Conf.
Thibaud Griessinger souligne l'aspect émancipateur de
ce pouvoir d'action : « A partir du moment où tu te sens en
contrôle de ton environnement, tu te sens agent de ta transformation, de
ton destin (...). C'est beaucoup plus émancipateur d'être acteur
de son environnement que de le subir »
Ainsi, la notion de liberté est de pouvoir d'action
permis par le collectif est centrale dans le processus d'engagement
écologique, et elle permet dans le même temps de nourrir l'action
collective par la construction et l'amélioration de projets
conséquente.
Le sentiment d'appartenance à un collectif
comme moteur de l'engagement
Par cette année passée à Avenir
Climatique, j'ai pu observer et vivre, comme tous les membres le
décrivent, un très fort sentiment d'appartenance à
une communauté. Pour Guillaume, « en termes
d'identité, Avenir Climatique est vraiment une bande de potes. Les
personnes prennent généralement beaucoup de temps de façon
bénévole. C'est lié certes au message important qu'ils
veulent passer, à la cause noble portée, mais s'ils le font c'est
aussi parce qu'ils se sentent bien avec le reste des membres. Entre nous, on
parle souvent de « communauté » ou de « famille » en
parlant d'AC. La bière ou le verre de la soirée est aussi dans
l'ADN de l'asso : après chaque événement AC, les membres
vont prendre ensemble un verre. L'UEDAC aussi est un peu marketée.
» En évoluant au sein d'un groupe portant des valeurs communes,
réunie et agissant autour d'un objectif commun, les membres construisent
des relations sociales enrichissantes et épanouissantes.
Ce sentiment d'appartenance peut aussi être moteur de
l'engagement via les normes sociales qui se construisent au sein du groupe. Les
membres essaient en effet d'être exemplaire et en cohérence avec
leurs valeurs, et les personnes arrivant dans le groupe vont avoir tendance
à vouloir se faire accepter, à être en accord avec le
groupe, à se conformer aux normes sociales, et donc à s'engager.
On se souvient du témoignage de Juliette qui expliquait que les membres
étaient devenus comme des « modèles », qui l'avaient
poussée à agir en se disant « si je veux être
cohérente avec ce groupe, cette asso, il faut que ça suive
derrière ». L'exemplarité au sein de l'association s'incarne
essentiellement par les individus, à la fois dans leurs discours, dans
leurs relations sociales et dans leurs actions. L'engagement collectif
peut donc permettre de faire évoluer les représentations de
l'individu (transformation intérieure).
Ces représentations et valeurs s'adaptent au fur et
à mesure via des mécanismes d'interaction spéculaire. Ces
représentations évoluent d'autant plus dans un contexte où
les membres se posent de nombreuses questions sur leurs croyances, sur les
récits et les représentations, et où la construction
59
de nouveaux récits est un des objectifs de
l'association. Ainsi, l'association devient aussi un espace où les
membres peuvent construire ensemble de nouveaux récits et
représentations, ce qui peut aussi renforcer leurs sentiments de pouvoir
d'action et leur épanouissement. Par exemple, pendant l'UEDAC, un espace
de discussion sur le rapport au corps a été lancé
spontanément suite à des questionnements sur la mixité ou
non des douches communes. Au fil des échanges, les questionnements se
sont multipliés : pourquoi les hommes semblent être plus à
l'aise que les femmes avec la nudité ? Qu-est-ce qui nous gêne
dans la nudité ? Le regard de l'autre ? Le regard de l'autre sexe ? La
sexualisation du corps ? Quels sont les déterminants culturels qui
mènent à la pudeur et l'intimité du corps ? Faut-il faire
évoluer ces représentations ? Ou au contraire ? Cet exemple
illustre bien un moment d'échange et de réflexion
intéressant sur un sujet tabou et déterminé par beaucoup
de représentations de nos sociétés modernes, où
chacun a pu réfléchir à ses propres
représentations, les questionner et peut-être les faire
évoluer. Ainsi, au sein de l'association, les individus, par les
idées qu'ils apportent individuellement mais aussi par les temps de
réflexion dédiés et par les interactions, construisent de
nouvelles représentations collectives (transformation
extérieure).
Le sentiment d'appartenance au groupe est tel que,
combiné à la détermination et la force que mettent les
membres dans leur lutte et dans la sensibilisation, il est fréquent
d'entendre des personnes extérieures parler d'AC comme d'une secte, en
plaisantant. Cela révèle aussi, au-delà des aspects
positifs que nous avons évoqués ci-dessous, une des limites de
cet aspect communautaire de l'association, qui peut bloquer certaines personnes
à y entrer. En effet, l'association, bien qu'elle se veuille
aparti-sane, comprend des individus ancrés politiquement d'un certain
côté du débat, ce qui peut parfois bloquer des personnes
n'ayant pas les mêmes positions. Un débat à ce sujet a
été lancé lors de l'Assemblée
Générale de l'association, qui a eu lieu pendant l'UEDAC.
Certains membres les plus à droite se sont dit mal à l'aise
d'exprimer certaines opinions en redoutant qu'elles seraient
caricaturées. Le risque invoqué est à la fois d'exclure
des personnes malgré l'objectif de sensibilisation et d'inclusion du
plus grand nombre, mais aussi de se couper de certaines critiques pertinentes
et de s'enfermer sur ses opinions, rendant plus difficile le travail de
vulgarisation et la position relativement « neutre » de
l'association. Finalement, il a été souligné une
nécessité de vigilance et d'ouverture d'esprit dans les
propos à la fois dans les moments formels mais aussi informels,
où les réflexions peuvent être faites plus naturellement et
inconsciemment du fait de la proximité relationnelle entre les
membres.
L'importance du bien-être des membres et la
place croissante laissée aux émotions
Dans notre entretien, Guillaume a souligné que
l'épanouissement de chacun était essentiel, à la fois
parce que le message porté par des personnes épanouies a plus de
résonnance et d'impact, mais aussi et surtout parce que le fait
que les membres puissent s'épanouir et s'en rendent compte favorise leur
engagement.
60
Cet épanouissement a pu s'observer et s'analyser chez
les membres comme étant le résultat des trois facteurs
présentés : une montée en connaissances et en
compétences, une conscience et mise en oeuvre de son pouvoir d'action,
et un fort sentiment d'appartenance et d'adhésion au collectif. Une
membre de l'association évoquait, lors de l'atelier
d'écopsychologie de l'UEDAC, un sentiment « d'ex-tase »
parfois ressenti dans l'engagement collectif, sentiment faisant écho aux
« moments presque euphoriques » décrits par Juliette. Autre
illustration de cet épanouissement de l'engagement collectif, les
participants parlent parfois entre eux de « déprime post-UEDAC
» ou de « déprime post we ACademy » tant les moments
vécus sont stimulants et épanouissants. A la fin de cette semaine
comme à la fin de chaque week-end de l'ACademy, j'ai pu observer, via
les discussions, via les mails, les messages, et mon ressenti, une grande
énergie, force et motivation chez les participants.
Aussi, pour assurer l'épanouissement dont parle
Guillaume, l'expression des émotions s'est récemment
révélée être un élément important.
Guillaume explique qu'« historiquement, AC est une association
d'ingénieurs un peu « froids et renfermés ». Ça
a beaucoup changé dernièrement, avec des personnes qui ont
amené de l'émotion, de la culture, des éléments un
peu moins « rationnels » dans l'asso et dans les projets. »
L'ACademy a par exemple intégré un temps
spécifique dédié au partage des émotions
vécues dans l'engagement. Guillaume explique qu'il s'agit d'un de ses
ateliers préférés à l'ACademy : celui des «
sensibilisateurs anonymes », où les participants échangent
sur leurs difficultés à convaincre, à vivre leur
engagement. « C'est en fait un atelier qui a été
complètement improvisé il y a deux ans ; il y avait beaucoup de
discussions, les gens étaient très émotionnels, on a
ressenti le besoin de faire ça. Et depuis, c'est resté !
»
Autre exemple clé à l'UEDAC : cette
année, pour la première fois, un atelier de 2h30 a
été consacré au partage des émotions. L'objectif
était de créer un espace pour pouvoir exprimer les
émotions liées à notre engagement, sans qu'il y ait de
débat ou d'objectif de résultat ou de productivité,
simplement pour exprimer ces émotions. L'atelier est parti de la
question suivante : « Quelle émotion vous fait le plus avancer dans
votre combat écologique ? ». Les participants ont été
invités à réfléchir quelques minutes à leur
réponse, puis à se lever et marcher dans le champ où nous
étions, en attendant de rencontrer quelqu'un, et alors de lui demander
son émotion, et former un groupe si elle était similaire. Cela a
permis de former différents groupes de discussion de plus petite taille,
en fonction des émotions de chacun. Parmi les émotions
invoquées, il y a eu la colère, l'angoisse, la tristesse, la
joie, l'espoir, l'alignement (entre ses valeurs et son engagement)...
Globalement, les émotions positives ont regroupé bien plus de
personnes. Chaque groupe a eu un temps d'échange et de discussion, puis
tous les groupes se sont retrouvés pour partager leurs échanges.
Au-delà des résultats de ces
61
échanges, qui, bien qu'intéressants, ne sont pas
ici notre objet d'étude, cet atelier a révélé
l'impor-tance du partage des émotions pour souder le collectif. Cet
atelier a en effet été un moment très fort et intense pour
tous les participants. Chacun a parlé de ses difficultés, de ses
joies, de son engagement, de sa vie, du monde actuel... Certains ont
pleuré, de tristesse, de joie. A la fin, alors que l'atelier prenait
fin, une participante a demandé qu'on reste encore quelques instants,
même si personne n'avait rien à ajouter. Alors, le groupe est
resté, enchaînant les moments de silence, et les nouvelles prises
de paroles. On sentait, dans ces minutes de silence, la puissance des
émotions planer au-dessus du groupe et en nous. Et, dans un de ces
silences, une des participantes a demandé : « est-ce que vous avez
pas tous envie de vous faire un câlin ? », une phrase qui peut faire
rire mais très révélatrice de la puissance collective de
ce moment. Cet atelier a été central dans ma recherche, car il
m'a fait réaliser la force et l'énergie qui sortaient de ce
groupe, ainsi que l'importance du partage des émotions pour
créer du lien, souder le collectif et favoriser
l'engagement.
A noter qu'il y a eu une différence notable dans le
ressenti des participants entre l'atelier des sensibilisateurs anonymes de
l'ACademy et l'atelier d'écopsychologie de l'UEDAC. En effet, l'atelier
de l'ACademy est très vite entré dans des débats, chacun
donnant son opinion et réagissant aux réflexions de l'un ou de
l'autre, alors que l'atelier de l'UEDAC a été
présenté tout de suite comme un moment d'expression,
d'écoute, et non de débat ou de réflexion sur les
solutions. L'impact a été très différent. Dans le
1er atelier, ce qui est principalement ressorti est le contenu des
débats et les différences d'opinion, tandis que dans le second,
la plupart des participants ont souligné combien mettre des mots sur
leurs émotions, les exprimer, les partager et écouter d'autres
les partager était un grand soulagement, une grande aide, et faisait du
bien.
Le Pôle Culturel de l'association, récemment
créé, propose aussi un espace d'expression des émotions
via ses ateliers d'écritures, qui portent souvent sur les ressentis, les
émotions, les nouveaux récits et représentations... Ce
sont aussi de forts moments de partage, et de soulagement ou de bien-être
pour les membres de pouvoir réfléchir, mettre des mots, et
exprimer et partager leurs ressentis.
3) Conclusions
Tableau résumé des principales conclusions
Facteurs d'engagement
|
Conclusions
|
Connaissances
|
- monter en connaissances et en compétences
- co-construction et amélioration continue des savoirs
|
Pouvoir et liberté d'action
|
- modèle d'organisation horizontal permet de donner du
pouvoir et de faire sentir ce pouvoir d'action aux membres
- Liberté d'initiatives
|
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|
- liberté dans la façon de transmettre le
message
|
Communauté
|
- sentiment d'appartenance à une communauté
- exemplarité et les normes sociales du groupe
permettent de faire évoluer les représentations et pratiques des
individus
- les interactions et espaces de réflexions permettent
de construire de nouvelles représentations collectives
- importance d'une vigilance et ouverture d'esprit dans les
propos
|
Bien-être et
épanouisse- ment
|
- l'épanouissement est source d'engagement
- la connaissance, le pouvoir et la liberté d'action,
ainsi que l'aspect humain sont trois facteurs importants et
complémentaires d'épanouissement
- l'expression et le partage des émotions est un
facteur d'épanouissement à la fois personnel et collectif
|
On voit donc que l'engagement individuel et collectif sont
intimement liés, et que les liens se font souvent à double sens.
L'association transmet à l'individu les connaissances nécessaires
à l'enga-gement, alors que les individus coconstruisent et
améliorent ensemble cette connaissance. La liberté d'initiatives
et les projets de l'associations permettent à l'individu de s'engager et
de sentir son pouvoir d'actions, alors que les individus nourrissent
l'association de leurs initiatives et actions au sein de l'association.
L'exemplarité et les normes sociales du groupe permettent à
l'individu de faire évoluer ses pratiques et représentations, en
même temps que les réflexions et interactions des individus
permettent de faire évoluer les représentations du collectif.
Enfin, le collectif peut fournir des espaces d'expression et de partage
d'émotions, qui permettent de renforcer la solidarité, la
cohésion et le groupe.
Là encore, l'aspect systémique des facteurs
d'engagement est important à souligner : ces éléments
fonctionnent ensemble : connaissance, pouvoir d'action et groupe sont
complémentaires et se renforcent entre eux. Le tout permet aux membres
de trouver dans l'engagement collectif un fort épanouissement, qui
renforce encore leur engagement (tant collectif que quotidien et
professionnel). On voit aussi à quel point, via la connaissance, le
pouvoir d'action et les relations humaines, l'engage-ment collectif peut
être source de changements et transformations. Ainsi, lors des deux
dernières Assemblées Générales de l'association, un
membre a à chaque fois versé des larmes d'émotions en
expliquant que « l'association (avait) changé sa vie »,
suscitant des réactions similaires d'autres membres, et suscitant un
moment d'émotion fédérateur et là encore
engageant.
Nous avons maintenant une meilleure compréhension du
processus d'engagement écologique, en l'ayant étudié sous
le prisme individuel puis collectif. Mais cette compréhension est
limitée par l'angle restreint qu'elle comporte, ayant choisi des
individus faisant partie du même collectif. C'est pourquoi
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nous avons complété notre démarche par un
questionnaire destiné à toucher un plus grand nombre de
personnes, mais aussi une plus grande diversité de profils.
III- Questionnaire sur le processus d'engagement
écologique 1) Méthodologie
Le questionnaire se voulait le plus holistique
possible par rapport au vécu de la personne, afin qu'elle
puisse avoir la vision la plus complète de son cheminement. Le
questionnaire a ainsi été construit en 5 parties :
1) Conscience des enjeux
2) Niveau d'engagement
3) Blocages et déclics
4) Emotions
5) Processus et cheminement
Le questionnaire a été construit de façon
humaine et chaleureuse : il comportait une introduction
expliquant ma démarche, utilisait le tutoiement, des notes d'humour, et
une conclusion engagée. Cela avait pour objectif et a permis,
d'après les retours particulièrement positifs que j'en ai eu, de
mettre les personnes dans de bonnes conditions pour répondre au
questionnaire, et de le rendre attractif et agréable à faire
malgré sa longueur (entre 20 minutes et 1h selon le temps de
réflexion des personnes). Le questionnaire alternait questions
fermées et questions ouvertes, afin notamment de disposer de
données qualitatives, parfois plus complètes et libres,
d'éviter des réponses orientées, mais aussi afin de
permettre un espace de réflexion et d'expression aux
répondants.
Le questionnaire a été essentiellement
diffusé sur les réseaux sociaux, sur des groupes plutôt
engagés, ainsi qu'auprès de mes proches (engagés et peu
engagés), et dans les milieux et structures de mes proches peu
engagés.
Le questionnaire ne se veut pas représentatif :
son objectif était de comprendre les différences entre
un groupe de personnes conscientes et engagées, et un groupe de
personnes conscientes et non ou peu engagées. En effet, pour analyser
les réponses du questionnaire, j'ai divisé les 187
répondants en trois groupes, selon leur niveau de conscience et
d'engagement. Cette division en groupes s'est faite selon les réponses
à certaines questions. Une « note » de 1 à 3 a
été attribuée pour chaque question puis une moyenne a
été faite sur le niveau de conscience puis sur le niveau
d'engagement, la moyenne entre les deux donnant le numéro de groupe de
la personne. La méthodologie précise de cette répartition
se trouve en annexe 11.
64
Ce travail a permis de former trois groupes :
- Groupe 1 : peu conscients et pas engagés ?
2 personnes
- Groupe 2 : conscients mais pas ou peu engagés ?
80 personnes
- Groupe 3 : très conscients et engagés ?
105 personnes
Nous voyons donc que seulement 2 personnes se sont
retrouvées dans le groupe 1, dont une clima-tosceptique. Les
données de ce groupe n'ont pas fait l'objet d'une analyse, à la
fois parce que les données ne sont pas représentatives, mais
aussi et surtout parce que notre sujet d'étude porte sur le passage
à l'engagement de personnes déjà conscientes des enjeux.
Le passage de personnes pas conscientes voire pas d'accord sur les enjeux
environnementaux relève de toutes autres logiques et pourrait faire
l'objet d'un tout autre travail. Il était cependant important de
distinguer ce groupe, dont les logiques et les résultats sont
très différents. Nous avons donc analysé les
réponses de 185 personnes, avec une petite
surreprésentation de personnes très engagées (105
personnes, soit 57%) par rapport aux personnes peu engagées (80
personnes, soit 43%). Les données relatives au profil des
répondants se trouvent en annexe 12.
Il convient aussi de noter que cette méthodologie
d'analyse des réponses a nécessité beaucoup de temps
(extraction des données sur excel, formules pour distinguer les groupes
et analyser certaines données, formules, extractions pour chaque
question et chaque groupe, mise en forme sur un tableau word, analyse...). En
raison de cette méthodologie, de la longueur du questionnaire et d'un
manque de temps dans ma démarche de recherche, je n'ai malheureusement
pas pu analyser la totalité du questionnaire, et notamment les
réponses ouvertes. Mais ce ne sont pas des réponses perdues, ces
données sont d'une grande richesse et pourront faire l'objet d'un
approfondissement et d'une analyse après ce mémoire. En
annexe se trouvent donc seulement une partie des résultats du
questionnaire, et seule une partie de ces résultats a fait l'objet d'une
analyse.
Enfin, à noter qu'il existe plusieurs biais à ce
questionnaire, liés :
- A sa construction. Certains répondants ont fait part
d'une orientation dans certaines questions. J'avais ce risque à l'esprit
en construisant le questionnaire, et j'ai essayé d'orienter le moins
possible les questions (notamment en laissant la réponse ouverte lorsque
des réponses fermées auraient impliqué la projection de
mes propres réponses et donc une orientation), mais, comme un objectif
secondaire de ce questionnaire était aussi d'aider les personnes
à faire le point sur leur engagement, j'ai voulu y apporter des notes
d'encouragement, notamment lors de la conclusion qui était très
engagée et sortait quelque peu de mon rôle de chercheur, entrant
plus dans un rôle de chercheur engagé. Cela a pu paraître
comme un manque d'objectivité dans la construction du questionnaire.
- Aux réponses des personnes. Certaines questions
nécessitaient une autoévaluation (de son degré
d'engagement, de son niveau de conscience...), ce qui peut être
sur-évalué ou sous-évalué selon le caractère
de la personne.
- A la distinction des groupes, qui aurait pu être
encore plus rigoureuse dans la méthodologie. Mais cette distinction
s'est révélée pertinente au vu de l'analyse des
résultats, et a l'intérêt d'avoir un bon aperçu des
principales différences entre un groupe engagé et un groupe peu
engagé.
2) Description et analyse
Nous décrirons et analyserons les résultats des
deux groupes sur leur conscience des enjeux, sur leur engagement, blocages et
leviers d'engagement, et enfin sur leur rapport aux émotions.
Conscience des enjeux et vision des crises
Données complètes à retrouver en
Annexe 13
Globalement, les personnes ont conscience de la gravité
des crises : la moyenne du degré de gravité estimé est de
8,56/10 pour le groupe 2, et de 9,56/10 pour le groupe 3. Seulement 3% de la
totalité des personnes interrogées, soit 6 personnes sur 187,
estiment improbable la possibilité d'un effondrement de nos
civilisations. On voit donc qu'il y a une conscience globale de la
gravité des crises et de la possibilité d'un
effondrement. Il y a cependant une différence notable entre les
2 groupes : 67% des personnes du groupe 2 le considèrent comme «
probable, très probable ou certain », contre 95% dans le groupe
3.
67% du groupe 3 considèrent comme improbable ou peu
probable que nous réussissions à mettre en oeuvre une transition
écologique et solidaire, contre 58% dans le groupe 2. Ainsi,
globalement, la plupart ne croit en la réussite d'une
transition, et les personnes engagées y croient moins que celles non
engagées. Les résultats du questionnaire ont aussi
révélé un grand différentiel dans la
croyance en la technologie pour faire face aux crises : à
l'affirmation « nous allons développer des innovations
technologiques qui permettront de faire face aux changements climatiques
», 61% du groupe 2 a répondu probable, très probable ou
certain, contre seulement 26% dans le groupe 3. Enfin, le groupe
engagé a tendance à plus croire en la capacité de la
société civile à se mobiliser : 62% du groupe 3
considèrent comme probable, très probable ou certain une «
mobilisation et révolution sans précédent de la
société civile qui permettraient de mettre en place des
changements radicaux », contre 52% pour le groupe 2.
65
Les résultats du questionnaire révèlent donc
:
66
- une conscience globale de la gravité des crises et de
la possibilité d'un effondrement de nos civilisations
- une tendance d'évolution des représentations
au fil de l'engagement : plus une personne est engagée, :
o plus elle croit en la probabilité d'un effondrement
o moins elle croit en la réussite d'une transition
écologique et solidaire
o moins elle croit en la capacité de la technologie
à faire face aux crises
o plus elle croit en la capacité de la
société civile à changer les choses
Niveau d'engagement, blocages et leviers
Données complètes à retrouver en annexe
14 et annexe 15
Le questionnaire a aussi révélé des
différences notables selon le type d'engagement. D'abord,
l'en-gagement quotidien semble ancré dans les deux groupes
: 99% des personnes du groupe 3 se disent engagées ou
très engagées, contre 87% dans le groupe 2. Cependant, le
différentiel est plus élevé si l'on prend juste la
réponse « très engagé » : 77% dans le groupe 3,
contre seulement 31% dans le groupe 2, ce qui révèle un
engagement quotidien limité du groupe 2. Cette tendance d'un engagement
plus en profondeur du groupe 3 au quotidien se confirme dans les
différents types de pratiques analysées.
Tableau résumé des degrés
d'engagement selon le type de pratique au quotidien :
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
|
Engagés ou très engagés
|
Très engagés
|
Engagés ou très engagés
|
Très engagés
|
Tri des déchets
|
91%
|
60%
|
97%
|
78%
|
Réduction des déchets
|
86%
|
42%
|
98%
|
71%
|
Réduction consommation de viande
|
82%
|
44%
|
99%
|
77%
|
Consommer mieux (alimentaire : bio, local, de saison)
|
84%
|
59%
|
98%
|
72%
|
Consommer mieux (biens de con- sommation)
|
84%
|
42%
|
98%
|
82%
|
Consommer moins (biens de con- sommation)
|
81%
|
41%
|
98%
|
77%
|
Mobilités douces
|
77%
|
52%
|
90%
|
66%
|
Limiter trajets en avion
|
58%
|
40%
|
89%
|
68%
|
Limiter impact numérique
|
32%
|
9%
|
54%
|
14%
|
|
Nous voyons en effet que la majorité des personnes se
considèrent « engagées » ou « très
engagées » sur la plupart des pratiques, à l'exception de
l'impact numérique, et avec un petit différentiel
67
entre entre les deux groupes, mais que ce différentiel
est bien plus grand pour la seule réponse « très
engagée », révélant un engagement quotidien
plus profond et ancré dans le groupe 3 que dans le groupe 2.
Dans l'engagement professionnel, 82% du groupe 3 se dit
engagé ou très engagé contre 57% dans le groupe 2. Cette
différence révèle que l'engagement professionnel
semble être une étape importante du processus d'engagement.
Le différentiel est encore plus grand pour l'engagement
collectif. Pour l'engagement associatif, 67% du groupe 3 se dit engagé
ou très engagé contre 25% dans le groupe 2. Enfin, pour
l'engagement militant, 65% des personnes se disent engagées ou
très engagées (30% très engagés), contre seulement
10% dans le groupe 2 (0% très engagés). De plus, dans les
questions portant sur les leviers d'engagement, on voit que l'engagement
collectif a eu une forte influence dans le groupe des personnes
engagées. En effet, 63% estiment que l'engagement associatif a eu une
influence, grande ou très grande influence sur leur prise de conscience
et leur engagement, et 57% pour l'engagement militant. Ces chiffres ne sont
respectivement qu'à 26% et 13% dans le groupe 2. L'engagement
collectif semble donc être une étape clé du processus
d'engagement écologique.
Certaines des questions cherchaient à évaluer
l'importance de la connaissance dans le processus d'engagement. Or, 66% des
personnes du groupe 2 estiment que le manque de connaissance n'a pas ou peu
d'influence sur leur engagement, et 56% dans le groupe 3. Cela peut
paraître surprenant à l'égard des hypothèses et des
résultats précédemment dressés. Mais ces chiffres
peuvent s'expli-quer facilement. Pour le groupe 3, très engagé,
le résultat parait logique si l'on considère que les
connaissances ont déjà été approfondies.
D'ailleurs, il peut même paraître à l'inverse surprenant que
43% des personnes du groupe 3 considèrent que le manque de connaissance
des enjeux a une influence, une grande influence ou une très grande
influence sur leur engagement. Concernant le groupe 2, on peut supposer que les
personnes, conscientes des enjeux, n'ont pas conscience de leurs lacunes de
compréhension. En fait, le manque de connaissance ne constitue pas
directement un blocage à l'engagement ; il est plus juste de dire que
c'est l'approfondissement des connaissances qui constitue un levier
d'engagement. Et, en effet, les chiffres le valident : 86% des personnes du
groupe 2 considèrent qu'une meilleure connaissance des mécanismes
en jeu a pu favoriser leur engagement. Le pourcentage s'élève
à 98% dans le groupe 3. L'approfondissement des connaissances se
révèle donc être un facteur clé d'engagement.
On voit aussi, dans les leviers d'actions, que la lecture est
privilégiée par rapport aux supports audio-visuels dans le groupe
des personnes engagées : 91% disent qu'une ou des lectures
spécifiques ont eu une importance, contre 73% dans le groupe 2. Pour les
supports audiovisuels, ces chiffres s'élèvent à 89% pour
le groupe 3 et 80% pour le groupe 2. On voit aussi qu'un cours ou une formation
a plus d'influence dans le groupe 3 : 56% vs 42%.
68
Le manque de temps constitue un blocage pour
76% des personnes dans le groupe 2, 69% dans le groupe 3. Le fait d'avoir plus
de temps pour se renseigner et s'engager a eu une influence, grande ou
très grande influence dans 82% des cas dans le groupe 3, contre 65% dans
le groupe 2. Les deux autres blocages clés observés sont le
manque de moyens d'action (73% pour le groupe 2, 61% pour le
groupe 3), et les habitudes (62% pour le groupe 2, 57% pour le
groupe 3).
Ainsi, nous avons vu que :
- les pratiques écologiques quotidiennes sont de plus en
plus profondes et ancrées au fil de l'en-
gagement
- l'engagement professionnel est une étape importante du
processus d'engagement
- l'engagement collectif est une étape clé du
processus d'engagement
- l'approfondissement des connaissances est un facteur
clé d'engagement
- le manque de temps, le manque de moyens d'action et les
habitudes de vie semblent être des
blocages importants à l'engagement
Rapport aux émotions
Données complètes à retrouver en annexe
16
Le questionnaire a aussi révélé des
différences notables dans le rapport aux émotions des deux
groupes. Les sentiments d'impuissance et de peur sont présents plus
souvent dans le groupe 2 que dans le groupe 3 : 59% ressentent souvent ou
très souvent de l'impuissance dans le groupe 2, contre 42% dans le
groupe 3, et 44% de la peur, contre 31% dans le groupe 3. A l'inverse, les
sentiments de lassitude et d'épuisement sont présents plus
souvent dans le groupe 3 que dans le groupe 2 : 35% ressentent souvent ou
très souvent de la lassitude, contre 24% pour le groupe 2, et 26% de
l'épuise-ment dans le groupe 3, contre 14% dans le groupe 2 (42% du
groupe 2 n'en ressentent jamais, contre seulement 22% dans le groupe 2). Enfin,
certaines émotions comme la frustration, la colère, la tristesse,
la culpabilité se retrouvent à peu près autant dans les
deux groupes. Ainsi, les personnes engagées peuvent ressentir
plus souvent de la lassitude ou de l'épuisement, mais l'engage-ment
semble diminuer les sentiments d'impuissance et de peur.
Le plus grand différentiel concerne le sentiment de
détermination, que 41% du groupe 3 ressentent très souvent (79%
souvent ou très souvent), contre seulement 15% dans le groupe 2 (63%
souvent ou très souvent). De même, 46% ressentent de l'excitation
souvent ou très souvent, contre 25% dans le groupe 3 (très
souvent : 14% vs 5%), les chiffres étant quasiment similaires pour le
sentiment de satisfaction. La joie est ressentie très souvent ou
très souvent par 53% des personnes du groupe 3, contre 29% dans le
groupe 2. Enfin, le sentiment de fierté est présent souvent ou
très souvent pour 59% des personnes du groupe 3, contre 30% pour les
personnes du groupe 2. On voit donc que les
69
émotions positives comme la
détermination, la satisfaction, l'excitation, la joie ou la
fierté semblent plus souvent présentes chez les personnes
engagées que chez les personnes non engagées.
De façon plus générale, nous pouvons
noter que les personnes du groupe 3 semblent ressentir plus souvent des
émotions : la réponse « très souvent »
représente 17% du total des réponses, contre 11% pour le groupe,
tandis la réponse « jamais » représente 21% pour le
groupe 2 et 12% pour le groupe 3. D'autres réponses vont en ce sens :
à l'affirmation « je ressens des émotions positives
très intenses », 19% des personnes du groupe 3 ont répondu
très souvent, contre 8% pour le groupe 2. Aussi, 47% des personnes du
groupe 3 indiquent exprimer leurs émotions négatives souvent ou
très souvent, contre 37% dans le groupe 2. Enfin, 35% du groupe 3 estime
utiliser ses émotions souvent, contre 25% pour le groupe 2 (18% ne le
font jamais dans le groupe 2, contre 8% dans le groupe 3). Ainsi,
l'engagement pourrait mener à une libération des
émotions, ressenties plus souvent et plus intensément, ainsi
qu'à une meilleure gestion de ses émotions.
Une autre question de cette partie portait sur la
personnalité des personnes. Une série de qualificatifs a
été proposée, et la personne devait indiquer à quel
degré ces qualificatifs lui correspondaient. Quelques différences
entre les deux groupes peuvent être observées dans les
différents qualificatifs proposés. 51% des personnes du groupe 3
se considèrent « complètement » curieux, contre 41%
dans le groupe 2. 44% se considèrent complètement sensibles, 33%
dans le groupe 2. Pour 71% du groupe 3, le qualificatif « heureux »
leur correspondait complètement, contre 60% dans le groupe 2. Enfin, les
plus grands différentiels concernaient les qualificatifs «
libéré » et « créatif » : 57% du groupe 3
ont indiqué que la créativité leur correspondait beaucoup
ou complètement, contre 40% dans le groupe 2 ; 63% pour l'aspect
libéré dans le groupe 3, contre 49% dans le groupe 2. Ainsi,
l'engagement pourrait rendre les personnes plus créatives, plus
libres, plus sensibles, plus curieuses et plus heureuses.
Enfin, a été abordée la question de
l'importance de facteurs plus généraux ayant une influence sur la
vie de la personne. Dans le groupe 2, 39% indiquent que le regard de l'autre a
une influence, une grande influence ou une très grande influence, contre
26% dans le groupe 3. En ce qui concerne l'importance de l'argent, le chiffre
s'élève à 46% pour le groupe 2 et à 26% pour le
groupe 3. Concernant le besoin de consommation, 45% du groupe 3 indiquent qu'il
n'a pas d'influence sur leur vie, contre 28% dans le groupe 2 (Influence,
grande ou très grande : 19% groupe 3 vs 29% groupe 2). Enfin, la peur de
l'autre ou la méfiance ont une grande influence chez 11% des personnes
dans le groupe 2, contre seulement 1% dans le groupe 3. Ainsi, le
processus d'engagement pourrait diminuer l'importance du regard des autres,
l'importance de l'argent, l'importance de la consommation ainsi que la peur ou
ma méfiance de l'autre.
70
Nous soulignons l'usage du conditionnel dans les trois
derniers paragraphes : il est en effet difficile de tirer des conclusions
certaines de ces éléments, et d'imputer directement les
différentiels observés à l'engagement. En effet, la
personnalité et le rapport aux émotions d'une personne se
construit par de très nombreux facteurs, qu'il faudrait analyser en
détails pour pouvoir en tirer des conclusions. De plus, on pourrait
aussi supposer que c'est parce que les personnes étaient sensibles,
heureuses, libres et créatives qu'elles ont pu s'engager. Cependant, ces
différences sont tout de même importantes et à prendre en
compte, et recoupent aussi des éléments observés dans les
entretiens individuels et dans la participation observante, d'où
l'intérêt d'en faire des hypothèses.
Le questionnaire a donc révélé que :
- l'engagement peut mener à de la lassitude et de
l'épuisement
- l'engagement peut diminuer les sentiments d'impuissance et de
peur
- l'engagement peut mener à une libération des
émotions (plus souvent et plus intensément)
- l'engagement peut mener à plus de détermination,
de satisfaction, d'excitation, de joie et de
fierté
- l'engagement peut rendre les personnes plus créatives,
libres, sensibles, curieuses et heu-
reuses
- l'engagement peut diminuer l'importance du regard des autres,
de l'argent, de la consommation,
et de la peur ou de la méfiance de l'autre
Importance de l'introspection
Au-delà de l'objectif de recherche, ce questionnaire
avait aussi pour objectif de permettre à des personnes de faire le point
sur leur engagement, et éventuellement de les sensibiliser. Au final,
cet objectif secondaire s'est avéré utile dans la recherche ! En
effet, les nombreux retours positifs que j'ai eus en fin de questionnaire ont
montré l'importance de faire le point sur soi, l'importance de
l'intros-pection, et l'importance du développement personnel
qu'évoquait Valentin dans son entretien.
Voici quelques extraits de réponses qui en attestent :
- « En fait ce questionnaire m'a fait du bien. Je pense
qu'un des enjeux climatiques est l'évolu-tion des pensées, et
faire l'exercice d'écrire aide énormément car il force
à organiser ses idées et je me rends compte à quel point
mes idées ont besoin de décanter. Merci ! »
- « Merci beaucoup pour cette introspection, mettre
à l'écrit des choses qui se passent générale-
ment à l'oral ou en pensées m'a fait un bien fou.
Cela m'a fait à la fois réaliser où j'en étais
vraiment, comment continuer à avancer, à sourire, à mettre
mes idées au clair. »
71
- « Merci pour ce questionnaire, qui m'a permis de prendre
un peu de temps pour réellement m'auto-évaluer et
réfléchir au pourquoi & comment. »
- « Merci pour ce questionnaire, d'exprimer sa
pensée face à un ordinateur qui ne te juge pas permet de se
libérer de certaines contraintes. On a peur ni d'être ignorant, ni
d'être arrogant. J'ai passé un bon moment »
- « Ce questionnaire m'a fait réfléchir sur
plein de trucs, merci ! »
Ainsi, nous voyons que réfléchir sur
soi peut être facteur d'engagement et une façon de mieux vivre son
engagement.
3) Conclusions
Tableau résumé des principales
conclusions
Thème
|
Conclusions
|
Vision des crises
|
- il y a une conscience globale de la gravité des crises
et de la possibilité d'un
effondrement de nos civilisations
- tendance d'évolution des représentations : plus
une personne est engagée, :
o plus elle croit en la probabilité d'un effondrement
o moins elle croit en la réussite d'une transition
écologique et solidaire
o moins elle croit en la capacité de la technologie
à faire face aux crises
o plus elle croit en la capacité de la
société civile à changer les choses
|
|
Engagement
|
- les pratiques écologiques quotidiennes sont de plus en
plus profondes et an-
crées au fil de l'engagement
- l'engagement professionnel est une étape importante
du processus d'enga- gement
- l'engagement collectif est une étape clé du
processus d'engagement
- l'approfondissement des connaissances est un facteur clé
d'engagement
- le manque de temps, le manque de moyens d'action et les
habitudes de vie
semblent être des blocages importants à
l'engagement
- la réflexion sur soi peut être facteur de
bien-être et d'engagement
|
Emotions
|
- l'engagement peut mener à de la lassitude et de
l'épuisement
- l'engagement peut diminuer les sentiments d'impuissance et de
peur
- l'engagement peut mener à une libération des
émotions (plus souvent et plus
intensément)
|
Transformation
|
- l'engagement peut mener à plus de détermination,
de satisfaction, d'excita-
tion, de joie et de fierté
- l'engagement peut rendre les personnes plus
créatives, libres, sensibles, cu- rieuses et heureuses
|
72
- l'engagement peut diminuer l'importance du regard des autres,
de l'argent, de la consommation, et de la peur ou de la méfiance de
l'autre
BILAN DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN
Les entretiens individuels, la participation observante à
Avenir Climatique et le questionnaire nous ont permis d'explorer les
hypothèses que nous avions posées, souvent de les valider, et de
les approfondir. Nous reviendrons ici sur chacune des hypothèses en
résumant les principales conclusions tirées de l'enquête de
terrain.
Hypothèse 1 : Connaissance
Le processus d'engagement écologique passe par une
connaissance approfondie et systémique des enjeux, de leurs causes et de
leurs implications
L'enquête de terrain a permis de montrer que la
connaissance était au coeur du processus d'engagement. Valentin
résume ainsi l'importance d'approfondir la compréhension
et la connaissance de ces enjeux pour mieux avancer : « Tous les
facteurs sont tirés au maximum dans toutes les directions, que ce soit
au niveau psychologique, philosophique, écologique, social,
économique, politique... on n'a jamais été dans une
société aussi extrême qu'aujourd'hui. Une fois que tu
comprends tout ça, enfin une fois que tu as commencé à
comprendre tout ça, car je ne pense pas qu'on soit capables en une vie
d'avoir un recul total sur tout ça, ça peut permettre de te faire
grandir beaucoup plus rapidement qu'avant ». En effet, la
complexité des sociétés dans lesquelles nous vivons, la
diversité des crises et des enjeux, leur aspect systémique, et
leur ampleur inédite sont tels qu'ils sont difficiles à saisir.
La population globale a aujourd'hui conscience des problèmes
environnementaux, mais la connaissance reste faible, et comprendre la
nécessité et l'urgence d'agir est une condition clé
à une action efficace.
Nous avons vu que différents
éléments étaient cruciaux à saisir dans cet
approfondissement de connaissances : l'aspect systémique des
crises, la globalité et l'origine des problèmes, les liens entre
les crises et son propre quotidien, et les implications de ces constats et la
possibilité d'un effondrement de nos civilisations.
Enfin, nous avons aussi évoqué
différentes façons d'approfondir ces
connaissances. Beaucoup passent par des lectures (ex : comment tout
peut s'effondrer, le manuel de transition de Rob Hopkins, le rapport Meadows,
les rapports du GIEC), d'autres par des supports audiovisuels.
L'approfondissement des connaissances peut aussi se faire via l'engagement
professionnel ou via les études par des formations ; le rôle de
l'éducation est en ce sens central. Enfin, il peut aussi se faire par
l'engagement collectif, à la fois grâce à des structures
transmettant des savoirs, mais aussi par les échanges et la
co-construction de savoirs au sein d'un collectif.
73
Hypothèse 2 : Groupe
74
Le processus d'engagement écologique est
nécessairement collectif
Nous avons vu que les personnes rejoignaient un collectif pour
deux raisons principales : l'envie et le besoin d'agir, et l'envie et le besoin
de se rapprocher de personnes vivant les mêmes cheminements. Le
collectif est donc un moyen, pour la personne, de trouver du réconfort,
du partage, de la joie dans les échanges, ainsi qu'un moyen de sentir
son pouvoir d'action.
Il peut alors y avoir une boucle d'engagement qui entraine la
personne à la fois à monter en compétences et en
connaissances, à agir, se sentir utile et sentir son pouvoir d'action,
et à des rencontres humaines et en vivant des moments sociaux collectifs
forts. Ainsi, la personne s'épanouit dans son engagement ce qui la
conforte dans sa démarche. Nous voyons donc que l'engagement
collectif est lui-même facteur d'engagement écologique globale de
la personne.
Aussi, le collectif a une importance centrale dans la
construction de nouveaux récits et de nouvelles
représentations. En effet, le système de
représentations et de pratiques d'une personne peut évoluer via
les normes sociales et interactions au sein du groupe d'engagement, tandis que
les interactions et réflexions permises par les individus au sein du
collectif permettent de construire de nouvelles représentations
collectives. Le collectif contribue ainsi à la transformation
intérieure et extérieure des mentalités et des
pratiques.
Hypothèse 3 : Transformation
Le processus d'engagement écologique est un
processus de transformation intérieure et extérieure
libérateur
Le processus d'engagement, via notamment le collectif, donc,
peut effectivement mener à des bouleversements intérieurs
profonds. Le terme est cependant à nuancer, car pour certaines
personnes, l'engagement peut se faire de façon continue, et s'il n'a pas
impliqué un choc ou une phase d'effondrement intérieure, il peut
s'agir d'évolutions plus que de transformations.
L'enquête de terrain nous a donc permis de montrer que
l'engagement écologique pouvait mener à des changements
profonds dans son rapport à soi, aux autres et au monde. Dans
son rapport à soi, l'engagement peut impliquer une meilleure
connaissance de soi, mais aussi plus d'éner-gie, de force, plus de
détermination, de satisfaction, plus de créativité, de
curiosité, et finalement plus de joie. Dans son rapport aux autres, nous
avons observé que l'engagement pouvait mener à des relations plus
simples, plus humaines, basées sur l'entraide, la solidarité et
la confiance, et une importance moins grande donnée à l'image
sociale et au regard des autres. Enfin, dans notre rapport au monde,
l'engagement peut mener à une évolution de nos
représentations avec une importance moins grande à la
technologie, à l'argent ou à la consommation, et une importance
plus grande aux relations humaines, au collectif ou encore à la
nature.
75
Transformation intérieure et extérieure vont de
pair dans un contexte collectif. En effet, comme nous l'avons souligné
pour l'hypothèse précédente et comme étudié
dans la revue de littérature via la notion d'interaction
spéculaire, nos croyances et représentations communes se
construisent par l'adaptation mutuelles de nos représentations
individuelles au fur et à mesure que se multiplient nos rapports
sociaux. Dans le contexte actuel et dans des collectifs engagés
imprégnés de la volonté de changer de récits, les
transformations intérieures et extérieures sont
intimement liées et en cours de co-construction.
Hypothèse 4 : Emotions
L'acceptation, l'expression, la compréhension et
l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le
processus d'engagement écologique
Enfin, nous avons vu que les émotions avaient un
rôle central dans le processus d'engage-ment écologique. Elles
peuvent être à la fois déclencheur et résultat de
l'engagement, et en sont le principal moteur.
Les émotions négatives peuvent
être un déclencheur d'engagement. En effet, nous avons vu
que l'approfondissement des enjeux et la compréhension de la
gravité de la situation et de ses implications pouvait mener à
une phase d'effondrement intérieur, de bouleversement de sa vision du
monde, de sa vie et de son avenir. Cela peut provoquer une perte de sens qui
peut-être plus ou moins difficile à vivre selon le contexte de son
quotidien, et selon son entourage. Pour retrouver du sens, la personne cherche
à s'engager ou à se rapprocher de personnes traversant les
mêmes questionnements. On voit donc que les émotions
négatives sont inévitables pour des personnes qui
approfondiraient les connaissances, mais qu'elles provoquent comme un choc qui
permet ensuite de passer à l'action, avec un impact bien plus important
qu'avant, et aussi avec plus d'épanouissement.
En effet, l'engagement écologique, via l'action,
l'utilité, la connaissance et le groupe, peut être source de
satisfaction, de cohérence, de fierté, d'excitation, et
finalement de joie et d'épanouisse-ment, comme cela a été
décrit, d' « euphorie » ou d'« extase », ce qui
vient renforcer cet engagement. Cet engagement n'est pas tout le temps facile,
il peut aussi mener à de la lassitude, de la frustration, de la peine ou
de la colère, mais ces sentiments peuvent aussi permettre d'entretenir
et de motiver l'engagement. De façon globale, les entretiens
individuels, la participation observante ainsi que le questionnaire ont
montré que l'engagement était avant tout source
d'émotions positives plus que négatives. L'engagement
peut aussi mener à une libération des émotions,
ressenties à la fois plus souvent, et de façon plus
intense.
Aussi, nous avons vu que le fait de comprendre ces
émotions, mais aussi de pouvoir les exprimer et les partager
était important en termes de bien-être, et pouvait être
à la fois source de soulagement, et facteur de consolidation de liens
sociaux et du collectif.
76
PRECONISATIONS
Alors, que faire maintenant ? Comment utiliser ces conclusions
et ce travail pour les rendre utiles ? L'objectif de cette partie est de
proposer des préconisations, des pistes à suivre pour s'engager,
et pour bien vivre son engagement. Il s'agit de pistes, de propositions ayant
pour but d'aider et aiguiller des personnes. Le lecteur, quel que soit son
profil et son rapport à l'engagement, est aussi invité à
réfléchir à ses pistes d'action.
Pour des personnes conscientes mais pas ou peu engagées
C'est le cas de la plupart des personnes en France
aujourd'hui, et c'était l'objet de ce mémoire que de comprendre
comment passer de la conscience non engagée à la conscience
engagée. La première piste consiste à approfondir
les connaissances. Nous avons vu toutes les implications que cela
pouvait avoir, mais c'est un vrai facteur d'engagement, et il est central, dans
les crises et les moments que nous connaissons et dans une telle
complexité, de comprendre les mécanismes en jeu et ses
implications.
La deuxième préconisation est de se
rapprocher de groupes ou de personnes engagées pour
échanger. Nous l'avons vu, cet aspect est central pour pouvoir
agir et monter en compétences et connaissances, mais il est aussi bien
souvent source d'épanouissement ! Il peut s'agir d'associations (de tous
types), de groupements citoyens, de personnes spécifiques...
Pour des personnes engagées
Pour des personnes engagées, les préconisations
à tirer de ce travail sont nombreuses. D'abord, il convient de souligner
l'importance de prendre soin de soi et des autres.
L'épanouissement, nous l'avons vu, est en effet central dans
l'engagement : c'est un fort moteur, à la fois d'engagement personnel,
mais aussi de sensibilisation. Pour cela, un des moyens est de pouvoir
soigner ses émotions, autant positives que négatives
: savoir les exprimer, les partager, les comprendre, est un travail
important qui peut être source de bien-être et de soulagement
à la fois pour la personne, mais aussi pour ceux avec qui la personne
les partage. Cela peut aussi contribuer à faire évoluer les
représentations et la place des émotions dans nos
sociétés.
Une autre conclusion est d'éviter de se
refermer ou critiquer les groupes moins engagés. Ce sont des
sentiments normaux : au vu de la gravité de la situation, il est
légitime d'être en colère ou de ne pas comprendre des
personnes qui ne changent pas leur mode de vie. Il est aussi normal d'avoir des
difficultés à rester avec des personnes ayant moins de valeurs en
commun. Cependant,
77
nous avons vu l'importance qu'avait le fait de garder ces
socles, à la fois pour ne pas s'enfermer dans ses positions et rester
ouverts d'esprits, pour aussi apprendre d'eux, et pour aussi essayer de les
engager. Les blocages sont nombreux et l'inertie compréhensible ;
comprendre l'inaction sera bien plus utile et efficace que de la critiquer.
Une autre préconisation qui en découle est
d'essayer d'accompagner et aider des personnes à entreprendre
cet engagement. Les personnes engagées, par leur cheminement,
peuvent épauler des personnes le vivant ; cela peut passer par de la
sensibilisation, par des partages d'expérience, par des conseils, ou
simplement par des échanges, de l'écoute, de la
compréhension et de l'entraide.
Pour des structures collectives
Nous l'avons vu via l'exemple d'Avenir Climatique, le
rôle du collectif est central dans l'engagement écologique. Ainsi,
les structures (de tous types, même des entreprises, si leur
activité fait de ces enjeux une priorité) ont un rôle
important à jouer pour mettre en oeuvre des éléments qui
pourront permettre de favoriser l'engagement écologique.
Pour cela, il est important de pouvoir fournir à
ses membres les clés de compréhension et de connaissance
des sujets qu'elle porte. Une autre piste est de créer
un esprit de cohésion, de solidarité et de partage au sein du
collectif. Enfin, créer des espaces de partage et
d'expression des émotions est une façon d'accompagner
les personnes dans leur cheminement mais aussi de souder les liens et renforcer
la cohésion.
Pour la recherche
Par ce mémoire, et par les lectures entreprises, j'ai
aussi découvert le potentiel et l'importance de la recherche pour mieux
comprendre les mécanismes de l'engagement dans un contexte où
tout va très vite, où les avis divergent, et où il est
parfois difficile de s'y retrouver.
Donc, une piste évidente serait d'approfondir
les sujets abordés dans ce mémoire pour améliorer la
compréhension du processus d'engagement. En effet, le travail
s'est voulu très global pour avoir une vision d'ensemble et
systémique du processus d'engagement, mais beaucoup
d'éléments mériteraient d'être approfondis, comme
par exemple le rôle des émotions, ou encore la transformation des
personnes ou l'évolution des représentations.
Aussi, par les entretiens individuels et par le questionnaire
réalisé, j'ai compris le potentiel de la recherche comme
outil de sensibilisation. Au-delà du travail de diffusion de ce
mémoire, qui n'a
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pas pour seule vocation de valider mon année
universitaire, mais aussi d'être lu par le plus grand nombre, c'est aussi
la démarche de recherche qui s'est révélée
intéressante quant à notre objet d'études. En effet, les
entretiens et questionnaires ont permis aux participants de les aider dans
leurs questionnements, et pour certains de renforcer leur engagement. On
pourrait donc voir la démarche de recherche aussi comme un moyen
d'engagement, avec pour objectif de rendre la recherche plus accessible et
vulgarisée.
Finalement, nous avons vu les difficultés liées
au processus d'engagement écologique : de nombreux blocages, un
processus pouvant être long, la difficulté émotionnelle
liée... Mais, face à ces difficultés, le gain au bout du
chemin est considérable. En termes d'impact d'abord, parce que cet
engagement contribue non seulement à construire des modes de vie
beaucoup plus durables et résilients, mais aussi souvent à mettre
tout son quotidien, via son métier et/ou via son engagement associatif
et militant, au service de l'action et de la réflexion autour d'enjeux
cruciaux et vitaux de notre temps. Mais aussi en termes de sens donné
à sa vie, de bien-être et de cohérence personnelle et
collective.
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