Annexe 7 : Retranscription - Gaëlle
J'ai 22 ans, je suis née à Orléans, j'ai
vécu à Lyon, j'ai fait une prépa scientifique, puis j'ai
été en école d'ingé-nieur à l'Ensta en
région parisienne. Je suis partie pour un double diplôme pour
faire mon master à Vienne parce que j'avais envie de voir autre chose.
Entre l'ensta et le double diplôme, j'ai fait mon stage de recherche
pendant 3 mois à Cardiff au Royaume-Uni. Puis j'ai fait 1 an et demi
à Vienne où j'ai commencé à m'intéresser
à ces enjeux. En ce moment je suis en stage en France au laboratoire des
sciences du climat et de l'environne-ment (LSCE) et au laboratoire de
météorologie dynamique. J'ai été prise en
thèse pour l'année prochaine au LSCE, sur les
modélisations du cycle du carbone et l'impact sur les calottes
glaciaires.
Connaissance des enjeux et sources d'information
:
Par rapport à la population générale,
oui, très clairement. Après, je pense qu'il y a toujours des
choses qu'on ignore. Je m'informe sur internet, en faisant des recherches. Je
lis des livres en rapport. J'ai eu une grosse phase en mode binge watching
d'informations, et maintenant je n'ai pas l'impression de m'informer au
quotidien, de lire des articles déprimants au quotidien... J'ai un peu
l'impression que j'en connais assez globalement, je suis plus trop dans la
phase de recherche d'informations même si je le fais encore quand je veux
me renseigner sur quelque chose de spécifique.
Gravité des crises :
Typiquement, sur la biodiversité, j'ai du mal à
me rendre compte. De ce que je comprends de la biodiversité, c'est plein
de choses qui interagissent, et t'en enlèves, t'en enlèves, t'en
enlèves, et ça tient encore, jusqu'à un moment où
il y a un effet de seuil. Donc ça j'ai du mal à m'en rendre
compte, avec ces effets de seuil, on ne se rendra pas compte jusqu'à
être devant le fait accompli. Je sais que c'est grave,
6ème extinction... mais en quoi ça nous affecte et
à quel point ça va nous affecter... je pense beaucoup, mais j'ai
du mal à me le représenter.
Pour ce qui est changement climatique, j'ai aussi du mal
à me le représenter, ça va dépendre tellement de ce
qu'on fait dans le futur. 1,5, 2 degrés, je n'y crois pas trop. Mais il
y a quand même de grosses différences avec les pires
scénarios où c'est au moins +4 de moyenne. En fait, je ne me le
représente pas par un truc de concret. J'ai capté que
c'était la merde, mais j'ai du mal à la visualiser
concrètement.
Engagement quotidien :
Pour les déplacements, j'ai arrêté
l'avion. Pour l'alimentation, je suis végétalienne. Je mange des
produits majoritairement bio, locaux, de saison et en vrac. Je fais pas mal de
zéro déchet, je ne suis pas à 100% mais j'essaie de
limiter au max. Pour la consommation, je n'achète plus grand-chose de
neuf. Ça fait un an et quelques que je n'ai rien acheté de neuf.
Après, typiquement, quand j'ai emménagé, j'ai voulu
trouver de l'occasion mais j'ai dû acheter du neuf.
Engagement métier/études :
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C'est central, c'est une condition. Mais je suis clairement en
dilemme intérieur en ce moment. Je voulais faire un stage orienté
climat. La recherche pour moi c'était un moins pire par rapport aux
métiers que j'aurais pu faire après une école
d'ingé.
La recherche en climat ça me permet d'apprendre des
trucs, ça aide la recherche dans le domaine, ça a un impact
carbone neutre, je ne me lève pas pour aider des entreprises à
s'enrichir. Pour ma thèse, c'est partagé. Je me dis que chaque
temps compte, et que les 8h par jour que je passe au bureau je pourrais les
passer à autre chose. Est-ce que je ne ferais pas mieux de faire autre
chose pendant ce temps ? Parce que certes je vais apprendre plein de choses sur
mon sujet, mais la recherche c'est pas mal de temps devant un ordi à
coder des trucs, à faire tourner des simulations, et pendant ce temps tu
ne sensibilises pas grand monde.
Chaque année compte. J'ai envie d'utiliser ce que je
fais en thèse à l'extérieur.
Engagement associatif :
A Avenir climatique je suis engagée dans un projet qui
d'appelle EduClimat, qui développe des outils pédagogiques autour
des enjeux énergie-climat pour les jeunes de primaire, collège et
lycée. Ça me prend beaucoup de temps.
Engagement collectif :
Non. Je suis allée une fois à la marche pour le
climat. J'aimerais bien participer à une action de
désobéissance civile, mais je n'ai pas encore eu l'occasion
notamment par manque de temps et de disponibilité.
Je pense que les petits pas et les actions personnelles ne
suffisent pas. Je crois beaucoup dans l'éducation, et notamment chez les
jeunes qui n'ont pas encore des années d'habitudes derrière eux.
Il y a plus de gens végétariens autour de la vingtaine que de la
trentaine. Cette petite dizaine d'années d'habitudes en plus fait la
différence. Donc j'ai beaucoup confiance en l'éducation, en le
fait que les jeunes peuvent changer en étant bien informés, et
aussi faire changer leurs parents et leurs proches.
Cheminement :
Au début, je voulais travailler dans les
énergies renouvelables, mais sans plus de connaissances sur le sujet. Ce
qui a fait que j'ai commencé à vraiment m'intéresser
à tout ça, c'est la viande. Une amie végétarienne
m'avait expliqué pourquoi elle ne mangeait plus de viande. J'ai
essayé d'arrêter, j'ai vu que ce n'était pas
compliqué. Puis j'ai commencé à m'informer sur la
question, à regarder des documentaires... Puis un peu plus sur
l'environnement. Dans le groupe d'amis où j'étais, on parlait
très peu de ces enjeux, ce n'était pas vraiment nos
préoccupations. J'ai commencé à comprendre les effets des
changements climatiques. Je suis allée calculer mon bilan carbone, et
changé quelques petites choses.
Je n'avais pas encore vraiment conscience des interconnexions,
de toutes les crises. Au début de mon stage à Vienne j'ai
arrêté de prendre l'avion en réalisant l'impact que
ça avait.
Puis j'ai lu le fameux bouquin de Pablo Servigne, d'autres
sources, et j'ai commencé à comprendre que ce n'était pas
juste un problème, que tout était connecté, que ce n'est
pas juste un problème mais que toute la société, tout le
système va mal. Pourquoi on travaille pour enrichir des grosses boites
qui polluent, le côté de sens en général...
J'étais avec des amis peu sensibilisés, je me
sentais un peu seule. Ce n'était ni dur ni facile. J'ai l'impression que
je me posais plein de questions intenses et assez dures pendant mes temps
libres, mais à côté, le fait d'être avec des gens peu
sensibilisés ça me permettait de me vider le cerveau. Donc
finalement ça ne m'a pas tant pesé. Mais j'ai quand même
ressenti le besoin de me rapprocher de personnes, de milieux qui me
comprennent. J'ai cherché tout ce qui existait sur internet, et je suis
tombée sur la page d'Avenir Climatique, et je me suis inscrit pour
l'université d'été. C'était génial, parce
que j'ai passé quand même 6 bons mois à être
consciente de tout ça et à en parler à personne sauf
à ma mère, et à mon copain, mais avec qui on
n'était pas
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forcément d'accord sur tout. Là, rencontrer que des
gens où tu n'as pas besoin de te justifier sur ce que tu fais, où
toutes les discussions t'intéressent... Ca a créé une
émulsion. Et je me suis engagée dans EduClimat. Ensuite j'ai
réussi à faire mon stage en lien avec ces enjeux. Mais je me pose
encore des questions sur si c'est le plus utile.
Donc pour résumer, j'ai d'abord eu une période
« je peux faire des trucs pour protéger la planète et
ça ne me demande pas trop d'effort, pourquoi pas le faire ». Donc
je les ai faits, et j'ai eu besoin de convaincre les gens de les faire ce qui
m'a menée à plus me renseigner et donc à prendre
conscience notamment du changement climatique. Ensuite il y a eu l'étape
où j'ai compris que tout était interconnecté, que
c'était un énorme problème de société. Puis
je suis passée de l'engagement personnel à l'engagement
associatif. Enfin, mon engagement au sein du boulot est en cours et en cours de
réflexion !
Blocages :
C'est compliqué à dire, mais les amis. On
avançait plus du tout dans la même direction. La période
où je m'in-téressais à ça et j'étais un peu
la seule à m'intéresser à tout ça, ça m'a
forcément « retardée » dans mon engagement. Il y a
aussi le boulot, le manque de temps.
Théories de l'effondrement :
Je ne sais plus ce que j'en ai pensé au début.
Mais sur le coup, je n'ai pas fini le bouquin, ça veut tout dire... Ca a
un peu été un effondrement personnel. Une perte de sens. On t'a
toujours dit il faut faire ça, avoir tel métier... Et en fait, tu
réalises que ça n'a pas de sens, que notre société
telle qu'elle est ne pourra pas continuer bien longtemps. Sans dire que je sois
collapsologue, parce que je ne sais pas trop où me situer par rapport
à ça, je ne suis pas en mode collapso à 100%. Mais c'est
plus que ça permet d'avoir une prise de conscience que la
société telle qu'elle est actuellement n'a pas beaucoup de sens
et ne peut pas continuer indéfiniment comme ça, alors que c'est
toujours ce qu'on nous a vendu. Donc ça a été un
effondrement de mes propres convictions.
Changement personnel :
Je pense que des valeurs qui étaient déjà
là se sont affirmées. La compassion, l'affirmation de mes
convictions notamment.
Emotions :
Le fait d'avoir rencontré d'autres personnes ça
a beaucoup enlevé les émotions négatives. Je pense que
j'ai une visualisation dans ma tête du fait que ça ne va pas et
qu'il faut agir. En agissant au max ça enlève bcp d'aspects
négatifs. Depuis mon boulot, j'ai de nouveau des questionnements sur le
sens qu'il a. Un sentiment de frustration. D'impuissance face à la norme
sociale, car j'aimerais bien, mais ne me sens pas prête à tout
quitter.
Le fait de sentir mon impact fait se sentir mieux. Les moments
où ça ne va pas, c'est plus sur des trucs précis et
spécifiques. Par exemple à l'élection de Bolsonaro
(président brésilien), je me suis sentie mal, je me suis dit
« ah ouais on n'y arrivera jamais ». Ça arrive parfois. Mais
j'arrive à être positive pas mon engagement et les proches. Il y a
aussi la satisfaction de voir son impact sur les proches qui commencent
à être sensibilisés et à changer.
Il y a le côté humain et social de l'engagement
associatif qui apporte beaucoup. D'un point de vue plus personnel, ça me
permet d'apprendre plein de choses sur moi, sur le monde... C'est super
enrichissant.
Optimiste ou pessimiste :
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Plutôt pessimiste. Ça dépend par rapport
à quoi. On sait qu'il y aura forcément des problèmes, mais
à voir jusqu'à quel point. Je pense qu'on peut changer bcp de
choses par l'éducation des jeunes. Pour les gens de 30 ans et plus, j'y
crois moins, et là je suis un peu plus pessimiste. Il y a un peu des
deux.
On a fait un week-end de travail avec EduClimat, où on
a été à un festival. La question « Qui est-ce qui
croit qu'on va s'en sortir ? » a été posée, et on est
2 à ne pas avoir levé la main. Pourtant on est le deux plus
investis sur le projet. Au fond de nous, on n'y croit peut-être pas, mais
on a peut-être d'autant plus envie d'agir.
Et pour le futur j'ai peur de me mettre dans le moule alors
que je n'ai pas envie. Pourquoi pas monter une ferme, vivre en autonomie, mais
actuellement je ne serais pas prête à faire les démarches,
j'attends plus que ça me « tombe » dessus, je serai facile
à motiver ! J'envisage une vie pas classique, je ne sais pas encore ce
que ça veut dire mais j'espère que je ne me laisserai pas prendre
dans le moule.
Vision dans 30 ans
C'est compliqué de savoir à quel point les
changements vont aller vite, ça dépend de ce qu'on va faire
à très court terme. Je me vois vivre à la campagne, dans
un écovillage, dans une communauté.
Retour au mémoire
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