Section II : Revue de littérature
Étude empirique sur les transferts
privés et la croissance économique
Si pour les organisations internationales l'impact des
transferts directs sans contrepartie sur les économies d'origine est
ainsi considéré comme globalement positif, ce positionnement est
contesté, notamment par une partie de la communauté scientifique.
La littérature relative aux impacts des transferts privés sur
certaines variables macroéconomique, notamment investissement produit
souvent des résultats contradictoires. Ceci dit que cette
littérature ne permet pas de dégager un consensus. Prenons comme
exemple le cas de Philippines ; deux conclusions différentes sont
parvenues suite à deux études menées sur ce pays. D'un
côté, Burgess et Haksar (2005) ont montré que les
transferts des travailleurs affectent de manière négative la
croissance mesurée par le taux de croissance du revenu par tête.
Et de l'autre côté, Ang (2006) est parvenu à un
résultat contraire en relevant les effets positifs et significatifs
entre croissance et les transferts des travailleurs à destination
Philippines17. De cette
hétérogénéité de résultats, on
parvient à classer en deux groupes la littérature relative
à l'impact des transferts de fonds sur la croissance économique.
Premièrement, on distingue les auteurs qui sont d'avis aux effets
positifs des transferts sur la croissance et deuxièmement, les
défenseurs d'une relation négative voire même inexistante
entre ces deux variables. En effet, il n'existe pas dans la littérature
économique une théorie universelle faisant liaison entre les
transferts privés et la croissance économique ; cependant, compte
de son importance dans l'économie, plusieurs études empiriques
ont été conduites dans le but de mesurer ses impacts sur les
différentes variables motrices de la croissance économique.
16 Bulletin economiques de la BRH, 2013
17 Le système informel de transferts de fonds
et le m'mécanisme automatique du Currency Board :
Complémentarité ou antagonisme ?
16
1.3.1. Effets positifs des
transferts
Pour ses principaux défenseurs (ROCHER et PELLETIER
2008), l'augmentation de 10% de flux de transfert réduit de 1% le niveau
de pauvreté par habitant et une part significative des montants des
transferts est généralement dépensé en bien de
consommation courante et une part très réduite est
épargné ou investie. Et il y a une relation positive entre les
transferts et la consommation des ménages, ce qui veut dire que les
ménages consomment beaucoup plus quand leurs niveaux de transfert
augmentent. Selon eux, Les transferts affectent aussi le financement des
investissements en capital humain ou en infrastructure qui va influencer le
développement à long terme18.
Dans le même ordre d'idées, Ratha (2003) pousse
plus loin l'analyse en chiffrant non seulement l'effet sur la production mais
aussi en le décomposant par zone de résidence. Il a montré
que chaque « migradollar » dépensé au Mexique
fait augmenter le Produit National Brut de 2,69 dollar US si les
bénéficiaires des transferts sont des ménages urbains, et
de 3,17 dollar si les bénéficiaires sont des ruraux. Ce qui
traduit que plus ces ressources s'accroissent, plus ils contribuent à la
production nationale et ce d'autant plus dans les zones où les besoins
en ressources étaient plus importants.
Pour parvenir à la même conclusion, certains
auteurs ont plutôt utilisé le canal indirect de l'investissement.
L'idée est que les transferts permettent d'accroitre l'investissement
qui à son tour impacte la croissance en augmentant la production
domestique. A partir d'une étude réalisée sur des
données de panel provenant de 11 pays d'Europe centrale et orientale,
Léon-Ledesma et Piracha (2001) ont ainsi observé que les
transferts contribuent fortement à l'accroissement du niveau
d'investissement de ces pays même si l'ampleur est faible.
1.3.2. Effets négatifs des
transferts
Pour les tenants de ce courant de pensée, les effets
des transferts sur la croissance seraient plutôt négatifs à
cause des effets pervers qu'ils engendrent et dont les coûts sont plus
importants que les bénéfices qu'ils peuvent engendrer. Ils
soutiennent leurs positions à travers ces arguments : si les transferts
produisent une demande supérieure à la capacité productive
de l'économie considérée, cela pourrait avoir un effet
inflationniste dans le cas où la demande concerne des biens non
marchands (OCDE, 2006), à l'image des terrains agricoles en Egypte dont
les prix ont augmenté de 600% entre 1980 et 1986 à cause des
transferts (Adams, 1991). Ensuite, les transferts peuvent
18 Les transferts de revenus des migrants :
quel impact sur le développement économique et financier des pays
de l'Afrique subsaharienne ?, 2008, Emmanuel ROCHER et Adeline
PELLETIER.
17
favoriser l'accroissement de la demande de produits
importés aussi bien de la part des ménages ruraux qu'urbains,
réduisant ainsi la demande de biens locaux avec pour effet une hausse du
coût de la vie et une baisse du pouvoir d'achat des populations
(Ahouré, 2008). Et enfin, les transferts pourraient influencer les taux
de change en favorisant l'appréciation des monnaies des pays receveurs
ou le ralentissement des dépréciations (le syndrome
hollandais19) avec les effets néfastes sur les
exportations, l'emploi et la croissance. Cette approche a été
validée par des analyses économétriques sur un
échantillon de 113 pays (Chami et al, 2005).
Les transferts sans contrepartie permettent aux ménages
bénéficiaires d'avoir la possibilité de profiter des
services éducatifs et de santés parce que 80% des services
d'éducation sont du secteur privé20 et les prix
offerts sont au-dessus de la capacité de la majorité de la
population. Donc les transferts améliorent le niveau de capital humain.
Mais qu'en est-il pour les personnes qualifiées en Haïti ? Les
transferts des migrants ont une relation inverse avec le nombre des personnes
qualifiées qui est considérée comme instrument de
développement pour le pays. Bénédique Paul explique que la
migration possède un caractère auto-renforcement, ce qui veut
dire que les transferts servent à financer le voyage d'un ou des membres
d'une famille qui implique la fuite des cerveaux d'où l'effet
d'imitation.
Une part très faible des transferts est
consacrée à financer le progrès technique dans certaines
activités mais le reste sert à contribuer en grande partie
à faire sortir l'argent du pays parce que l'industrie est très
limité en Haïti. En effet, toujours dans la perspective d'analyse
de lien entre transferts de fonds et croissance économique en
Haïti, le livre intitulé « Economie d'Haïti,
dépendance, crise et développement, vol. 2 » Fred DOURA a,
lui aussi été objet d'exploration. Au chapitre 8, l'auteur met en
relief les différents facteurs inhérents au problème de la
stagnation de l'économie haïtienne. On retient entre autres le
déficit de l'épargne et de la balance courante, l'insuffisance de
l'investissement. Il avance par ailleurs que les facteurs économiques
qui bloquent le développement sont la faiblesse de l'épargne et
de l'investissement par tête qui ne permettent nullement au revenu
national d'avoir un rythme de croissance supérieur au rythme de
croissance de la population.
19 La maladie Hollandaise est
en général liée aux conséquences négatives
provoquées par l'augmentation des revenus d'un pays et explique le lien
entre le déclin de compétitivité des produits dans
l'industrie manufacturière et l'exploitation des ressources naturelles
dans les années 60 aux Pays bas. Ce sont des problèmes
macroéconomiques liées a l'entrée massive de devise. Un de
ces problèmes est le dutch disease effet ou mal hollandais qui engendre
des influences négatives sur la capacité de production et sur la
compétitivité nationale.
20 Voir
Bénédique PAUL, Migration et pauvreté en Haïti :
impacts économiques et sociaux des envois de fonds sur
l'inégalité et la pauvreté ? Page 15
De ce même chapitre, l'auteur soulève un point
d'un intérêt particulier pour ce travail lorsqu'il prend en compte
les transferts de fonds de la diaspora Haïtienne au regard de la
croissance économique. Son analyse traduit que les transferts n'ont pas
vraiment d'impact positif sur la croissance économique, du fait que la
propension moyenne à consommer des Haïtiens est trop
élevée. Selon lui, une fraction importante de ces fonds est
manifestement utilisée à des fins de consommations
immédiates. Pour lui, bien que les devises étrangères
soient augmentées, une large partie porte généralement sur
les produits importés, par conséquent, l'effet multiplicateur se
fait en partie au profit de l'étranger au détriment de
l'économie nationale. Toutefois, si une grande partie de notre
consommation est importée, donc l'argent des transferts est
retourné vers son pays d'origine. «Les importations alimentaires
représentent chaque année plus de 20% des importations totales
d'Haïti, et près de 60,2 % des importations de ces biens
proviennent des Etats-Unis, principal partenaire commercial
d'Haïti21 »
Considérons le graphique suivant, qui montre, à
travers les données de l'Institut Haïtien de Statistique et
d'Informatique(IHSI), le niveau de consommation des ménages
haïtiens et le niveau des importations par rapport au montant des
transferts reçu. Donc on peut remarquer à travers le graphique
suivant que la grande partie des transferts est consommée, ce qui influe
grandement l'importation en raison de la faiblesse de la production
nationale.
18
21Bénédique PAUL, Migration et
pauvreté en Haïti : impacts économiques et sociaux des
envois de fonds sur l'inégalité et la pauvreté ?
Graphique 1: Evolution de la consommation, des
investissements, des importations ainsi que les transferts des migrants
Haïtiens 2003-2010
Transfert des migrants, consommation, importation
et investissement de 2003 a 2010.
90000000 80000000 70000000 60000000 50000000 40000000 30000000
20000000 10000000
0
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2003-2004 2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008 2008-2009
2009-2010
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transfert des Migrants Consommation Investissement importation
Donc plus les transferts sans contrepartie augmentent plus la
consommation des biens importés augmentent, ce qui traduit
l'entrée massive de devises sert grandement à financer les
importations au détriment des exportations, et donc l'aggravation du
solde commercial. Ce graphique nous confirme leur évolution.
Toutefois, l'augmentation de la consommation au
détriment de l'investissement ne doit cependant pas être vue comme
un effet exclusivement négatif. Ce phénomène permet au
ménage de subvenir à ses besoins et d'augmenter son
bien-être. Cependant, si les biens de consommation courante
achetés par le ménage ne sont pas issus de l'importation, une
augmentation de la consommation peut avoir un effet positif sur
l'économie Haïtienne.
19
20
CHAPITRE II : L'ÉCONOMIE HAÏTIENNE ET SES
TENDANCES ÉVOLUTIVES
Ce chapitre est organisé en trois sections, dont la
première présente le profil de la République d'Haïti,
La deuxième section fait ressortir les tendances évolutives de
l'économie haïtienne et finalement la section 3 présente un
diagnostic des transferts de fonds et le phénomène de la
dollarisation.
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