4.4 Les thèmes
Chanson douce, le roman comme le film véhiculent des
thèmes primordialement humains.
Les deux récits (récit écrit,
récit filmique) développent quasiment les mêmes sujets, sur
la maternité et l'aliénation domestique, l'infanticide ainsi que
la différence sociale et culturelle
Le scénario de ce drame angoissant s'attaque à
un sujet tabou dans notre société : l'infanticide. Pour
écrire son roman, Leïla Slimani s'était inspirée
d'une terrible histoire vraie qui s'est déroulé en 2012 aux
Etats-Unis pour décrypter les rapports de classes et le rapport complexe
qu'entretient une mère avec la nounou de ses enfants.
En fait, l'autrice y a vu de l'inspiration pour parler d'autre
choses qu'un meurtre sanglant, elle a voulu s'intéresser à ces
femmes qui s'occupent des enfants
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des autres, à la charge mentale, à la solitude,
à l'humiliation sociale que peuvent vivre ces personnes occupant un
poste si difficile, mais tellement invisible.
Chanson douce propose une allégorie assez
lourde sur la lutte des classes modernes, et sur l'humiliation sociale que
connaît une partie de la classe moyenne inferieure, incarnée par
Louise. D'un côté, il y a ce couple parisien, bobo, qui se plaint
que leurs deux enfants partagent la même chambre, dans leur joli quartier
du onzième arrondissement. De l'autre côté, il y a Louise
qui habite un studio dans une banlieue très lointaine ; aussi, les
voyages quotidiens illustrent explicitement le déclassement de
Louise.
Chanson Douce (le livre et le film) parle de la
domesticité, celle des employés de maison et celle des femmes.
C'est sur cet aspect que le scénario, co-écrit avec
Jérémie Elkaïm, insiste et nous attache à ses
personnages
En revanche, La notion de maternité est au centre,
accompagnée par un sentiment de culpabilité toujours
présent : la culpabilité d'une femme qui renonce à des
moments précieux avec ses enfants pour pouvoir s'accomplir en tant que
personne, qui se confronte à la culpabilité avouée
à demi-mots d'une autre qui n'a pas pu ou su s'accomplir en tant que
mère.
Le récit de Leïla Slimani, en effet,
démonte brillamment le mécanisme d'une impitoyable
aliénation sociale, morale, sentimentale et psychique qui transforme une
pauvre créature sans amour en machine à tuer.
4.5 Les scènes
Pour faire un passage du roman au film ? L'adaptation est le
moyen le plus courant ; en fait, une transposition d'une oeuvre à la
scène ou à l'écran donne une liberté au
réalisateur à des changements, tout en essayant de garder les
grandes lignes du roman.
En effet, Lucie Borleteau a permis de modifier les
scènes du roman ; nous remarquons qu'elle a gardé certaines
scènes, tout en y appliquant des changements.
La réalisatrice et son co-scénariste,
Jérémie Elkaim, préfèrent narrer d'une
manière linéaire ; ils n'ont gardé ni la construction, ni
les éléments du passé qui servaient à
éclairer le présent, et aussi sans montrer les corps des enfants
a la fin du film ; tandis que l'autrice franco-marocaine ouvrait en effet son
récit inspiré d'une histoire vraie, sur l'assassinat
glaçant des deux enfants par la nounou et la découverte du crime
par la mère, avant de raconter en analepse tout ce qui avait conduit
à cela ; l'adaptation s'ouvre sur l'histoire de ses jeunes parents, et
de Myriam, mère de deux enfants, épuisée mentalement qui
souhaite reprendre son travail d'avocate. Le film se déroule d'une
façon chronologique, faisant monter petit à petit la tension, en
prenant le parti d'un suspense qui dévoile le récit
jusqu'à la scène finale.
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Le film est construit sur une succession d'entrées et
de sorties du couple dans l'appartement parisien, de promenades dans le parc,
ou d'embrassades plus que nuancées de la nounou vers les petits. La
majeure partie de la narration donne à voir les scènes de
complicité entre Louise et les deux enfants, qui alternent avec les
remontrances des deux jeunes parents.
Malgré une certaine répétition des
scènes de vie quotidienne, elles apportent chacune cependant un
degré de tension et de folie différent et donc permet la
montée en puissance pour nous préparer à la conclusion.
Nous remarquons aussi que tous les chapitres intercalés
qui nous donnaient à voir des éléments de la vie de Louise
par le prisme de personne l'ayant côtoyée de prés (sa
fille, ses employeurs..) ont été supprimés ; ils ont
occultés le passé de l'héroïne, qui est très
fouillé dans le roman. Pour autant, on retrouve au détour d'une
scène des références à ces chapitres
supprimés, comme des échos du livre (la petite peluche ayant sans
doute appartenu à Stéphanie par exemple).
En revanche, les scènes rajoutées se greffent
parfaitement dans l'atmosphère du récit de Leila Slimani, par
exemple celle des poulpes. Une scène fait apparaître un poulpe
impressionnant qui symbolise une bouffée délirante (qui n'est pas
ainsi exprimée dans le livre, où il est dit que Louise est
allée dans un hôpital psychiatrique). A noter qu'il s'agit d'un
vrai poulpe, avec effets spéciaux, pour qu'il envahisse l'espace.
Pour susciter une réelle empathie,
l'héroïne s'offre plusieurs séquences d'anthologie (la
tigresse, le lâcher-prise dans l'appartement déserté de ses
patrons, le pipi au pot sous les yeux médusés des enfants) ; ce
sont des scènes qui provoquent particulièrement le malaise chez
les spectateurs, et qui montrent le comportement de Louise qui devient de plus
en plus étrange. Le film peine à retranscrire à
l'écran la crudité de certaines scènes, comme celle de la
carcasse de poulet, détaillée dans le roman jusqu'à
l'écoeurement
Parmi les scènes ajoutées au film, il y a celle
où Louise s'allongeait, nue, de face, dans un peignoir ouvert, ce qui
explique que l'héroïne est aussi inquiétante dans cette
déviance maniaque que dans ses désirs de femme.
De ce qui précède, nous pouvons dire que la
réalisatrice a ajouté ces détails pour montrer les
attitudes maniaco-dépressives du personnage principal « Louise
» qui est capable de donner un visage confiant à un monstre qui
parait cacher son jeu.
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