Amélioration du système de séchage artificiel des fèves de cacao dans les régions à forte pluviométrie au Cameroun : cas du bassin de production du sud-ouest.par Ignace Christian Bagnaka Institut panafricain pour le développement Afrique centrale (IPD-AC) - Master 2 2017 |
INTRODUCTION GÉNÉRALEI. CONTEXTE ET JUSTIFICATIONDe son nom botanique Théobroma cacao L1(*)., le cacaoyer est une plante de la famille des sterculiacées des forêts tropicales humides originaire d'Amérique Centrale et du Sud. Les Mayas2(*), les Aztèques3(*) et les Olmèques4(*) sont les premiers à cultiver rationnellement cet arbre fragile dont les fèves servent à payer le tribut à la cour, aussi à fabriquer une boisson énergisante et aphrodisiaque. En 1519, à la suite du débarquement des conquistadores conduit par Hernán Cortés sur la côte du Tabasco au Mexique, ces derniers rencontrent l'empereur Moctezuma II qui les reçoit avec une gigantesque coupe d'or remplie de « xocoatl », l'ancêtre du chocolat. On attribue à cette expédition, l'expansion de la culture et de la consommation des produits issus des trois principales variétés de cacaoyer existantes à ce jour (CIRAD, 1999 ; Solorzano, 2007). Ces cépages sont désormais cultivés à travers le monde à savoir le CRIOLLO originaire d'Amérique Centrale et du Mexique qui représente 5% de la production mondiale, le FORASTERO Amazonien qui représente 80% de la production mondiale et le TRINITARIO originaire de Trinidad qui est un hybride des deux précédents cépages et qui représente 15% de la production mondiale (Cassan, 2006 ; Mounjouenpou, 2008). Ces variétés poussent dans toutes les zones forestières où les températures sont comprises entre 18 et 32°C, notamment entre le tropique du Cancer et le tropique du capricorne (C.C.I, 2001). Au Cameroun, le gouvernement encourage de plus en plus la culture du TRINITARIO qui est une variété reconnue pour ses références intrinsèques matérialisées par sa robustesse qui lui permet de résister contre les maladies et son meilleur rendement à l'hectare (CICC, 2016). Ce dernier est également réputé pour la grosseur de ses fèves, son grainage fort et stable, sa bonne homogénéité, sa couleur rouge brique indispensable pour des confiseries. Ce cépage est également doté d'une teneur en beurre envoisinant les 57%, d'une bonne acidité, d'un arôme vif responsable de son goût corsé et de ses notes fruitées (CCI, 2001 ; CICC, 2016). Les produits issus de la transformation du cacao parviennent au Cameroun depuis le Mexique via les Espagnols installés sur l'île de Fernando Pô vers le XVe siècle dans le cadre du commerce triangulaire (Badel, Belletti et Marescotti, 2013). Mais il faudra attendre seulement à la fin du XIXe siècle pour que la culture du cacao soit introduite au Cameroun par l'impulsion des colons Allemands (CICC, 2016). Parmi les pays producteurs et exportateurs de cacao, le Cameroun occupe la quatrième place sur le plan Africain et la cinquième place mondiale derrière la Côte d'Ivoire, le Ghana, l'Indonésie et le Nigéria (Badel, Belletti et Marescotti, 2013). Le Cameroun reconnu comme le berceau de la culture de « l'or brun » agricole en Afrique, compte environ 4.000 km2 de surface exploitée repartie sur sept bassins de production. Par ordre d'importance, nous pouvons citer le bassin de production du Sud-ouest avec 45 % de la production nationale, le Bassin de production du Centre 37%, le Bassin de production du Sud 7.8%, le bassin de production du Littoral 6%, le bassin de production de l'Est 3%, le bassin de production de l'Ouest 1% et le Bassin de production du Nord-ouest 0.2% (Alary, 1996 ; ONCC, 2017 ; CICC, 2016). Le bassin du Sud-ouest est incontestablement le plus important et c'est également l'un des bassins les plus anciens du continent Africain qui s'étend depuis la côte passant par les flancs du mont Cameroun dans le Fako, en direction de la Mémé, de la Manyu, du Koupé-Manégouba, du Lébialem et de Ndian. Ces départements abritent plus de 1 242 700 habitants (2011) pour une superficie de 24.571 km2. Les plantations de cacao y occupent une superficie estimée à 1.039 km2 et datent de l'époque coloniale (Alary, 1996). Michel, 1970 précise qu'en 1885, les sociétés Allemandes, Woëermann et Jantzen-Thômaleen sont les premières à acquérir des terres et à créer des plantations à partir de la campagne 1886-1887 à Victoria sur les flancs du Mont Cameroun à la suite de l'exploration de Jesko von Puttkamer qui y deviendra gouverneur dix ans plus tard. À l'aube de la première guerre mondiale en 1914, les sociétés du Mont Cameroun contrôlent plus de 900 Km2 de superficie arable, des chiffres peu éloignés de ceux d'aujourd'hui. Ces plantations passent en 1922 sous l'autorité Anglaise à la suite de la défaite Allemande à la fin de la grande guerre quatre ans plus tôt. Les Anglais prennent donc le contrôle de l'économie cacaoyère et encourage par tous les moyens la culture du cacao au sein des structures d'exploitation jusqu'au début des années 1960. Depuis l'indépendance du Cameroun, les mouvements migratoires en provenance du Nigeria et du Nord-Ouest du Cameroun se poursuivent alimentant l'offre de travail salarial des petites unités productrices de cette région. Ces migrations, associées à une main d'oeuvre déterminée ont permis l'apparition d'exploitations très importantes. Outre ces facteurs déterminant pour sa position de leader, ce bassin jouit également des conditions agro-écologiques adéquats matérialisées par : o L'existence d'un climat favorable (CICC, 2016) ; o Le sol volcanique, noir et riche en humus, possède une faible teneur en métaux lourds, apporte une très bonne acidité, une amertume unique et renforce le goût corsé des fèves, prisé par les consommateurs (ISF, 2017). Malgré les facteurs propices sus cités, la filière n'a pas échappé aux secousses de la crise économique du début des années 1980 qui s'est traduite par la chute drastique des prix des matières premières agricoles en 1986. Face à cette conjoncture, l'État du Cameroun s'est montré impuissant via l'Office National de Commercialisation des Produits de Base (ONCPB) à réguler davantage les prix de la production (CCI, 2001). De ce fait, la filière cacao a été plongée dans une longue période de léthargie qui a duré plus d'une décennie. Une réforme a été entreprise sous la houlette des bailleurs de fonds et l'État du Cameroun mais cette dernière n'avait pas produit des résultats escomptés une décennie après, poussant ainsi les producteurs à s'orienter vers des cultures plus rentables (PRDFCC, 2014 ; Alary, 1996). Dès la première moitié des années 2000, l'on note la reprise de la croissance de la production stimulée par une augmentation de la demande mondiale, la bonne tenue des coûts sur le marché international, la maîtrise de la libéralisation et la réorganisation de la filière notamment avec la loi 2004/025 du 30 décembre 2004, complétant et modifiant la loi n° 95/11 du 27 juillet 1995 qui stipule que l'achat aux producteurs s'effectue librement, sous réserve du respect notamment des législations et des règlementations sur les normes de la qualité des fèves en général, le poids, les mesures en particulier, ainsi que sur les normes de contrôle de la qualité des produits phytosanitaires » (CICC,2017; Badel et al., 2013 ). Le PRSC (2014), précise que l'État s'est ainsi engagé à défendre « le label Cameroun » en s'arrimant aux exigences qualitatives du marché international et davantage dans le bassin leader où les pratiques post récolte notamment le séchage pose des problèmes. Pour cause, après la période de fermentation qui dure 6 à 8 jours, les producteurs ne peuvent pas procéder aux méthodes de séchage solaire ordinaire connues jusqu'ici à savoir : · Sur une dalle cimentée et lisse ; · Sur le séchoir autobus qui comprend une case fixe et des rails en bois sur lesquels coulissent des claies de séchage ; · Par le séchage à toit mobile, composé d'une aire de séchage fixe avec un toit pouvant être retiré selon les conditions climatiques ; · Au moyen du séchoir à tente non plus qui est couvert par un plastique transparent et l'aire de séchage est de couleur noire afin de conserver l'énergie qui est progressivement libérée pendant la nuit ; · Le séchoir sous serre, quant à lui, est plus onéreux, il permet de réduire les manipulations et de sécher des grandes quantités de fèves. Toutes ces méthodes de séchage sont inadaptées dans cette région du fait que la grande période de récolte coïncide avec la saison pluvieuse et des risques de ré-humidification sont importants. Les producteurs sont contraints de faire recours au séchage artificiel du cacao par les séchoirs rustiques de type SAMOA afin de maitriser les écarts normatifs qui se posent avec acuité (Mounjouenpou, 2008 ; Adabe et Ngo-Samnick, 2014 ; PRSC, 2014). Ce type de séchage dit « artificiel » présente beaucoup d'avantages entre autres l'économie de temps, un séchage plus homogène, une teneur en eau dans les fèves suffisamment basses après séchage (Jacquet, Vincent et Lotode, 1980). Ce procédé permet également de prémunir les fèves de cacao contre le développement des ochratoxines5(*) A (OTA) dont l'apparition est favorisée par les moisissures. En 2014, Adabe et Ngo-Samnick décrivent le séchoir SAMOA comme un dispositif composé de deux ensembles à savoir une partie en structure métallique tubulaire composé de deux buses. La première appelée buse de combustion et la deuxième appelée buse de conduite située en prolongement de la première. À l'extrémité de cette dernière se trouve la cheminée d'évacuation de la fumée. La deuxième partie en ouvrage maçonné construite en agglos sous forme d'un enclos de 20 m2 avec une hauteur de 1,5 mètre dans laquelle les buses sont encastrées. Les fèves de cacao sont épandues sur les claies ou des étagères aménagées au-dessus des buses. La combustion du bois dans la buse propage de l'air chaud compris entre 65 et 70 °C, ce qui provoque l'arrêt de la fermentation ; l'élimination de 40% de l'acide acétique formé pendant la fermentation et l'évaporation du liquide contenu dans les fèves (Jacquet, Vincent et Lotode, 1980). Il est important de préciser qu'au-delà de cette plage de température, il y a des risques de destruction du polyphénol oxydase responsable du brunissement des fèves (facteur de qualité). À la fin du séchage le taux d'humidité obtenu après la fermentation devra diminuer de 55% à 7% afin de permettre une bonne conservation du produit contre les réactions enzymatiques et la protection contre développement des micro-organismes (Amani, 2014). Pour accompagner des producteurs de cet important bassin de production, l'État a lancé un projet financé par l'UE pour la construction de 2500 séchoirs de type SAMOA durant les années 2000. Ces séchoirs ont été fabriqués dans le cadre des projets nationaux notamment avec l'appui de la SOWEDA. Après distribution, le nombre de séchoirs s'est avéré insuffisant. Des reproductions locales ont vu le jour, construites par certains producteurs délaissés. Moins d'une décennie après leur installation tous ces séchoirs se sont retrouvés dans un état de vétusté avancée altérant ainsi la qualité des fèves. Cette situation préoccupante a des effets directs sur l'économie du Cameroun avec une régression de production de cacao de 42 000 Tonnes environs en 2017 par rapport à 2016 (INS, 2017). Les producteurs quant à eux, perdent 40% de leur revenu (Jeuneafrique 2017). Cet état des choses a conduit l'État du Cameroun et ses partenaires à se pencher sérieusement sur cette question afin d'y remédier. D'où le choix de notre thème dont la pertinence et l'actualité sont des plus manifestes. * 1 L., abréviation de Linnaeus : Accompagne généralement l'espèce du cacaotier qui fait l'objet de notre étude (Theobroma cacao L.). Carl Linnæus, puis Carl Von Linné après son anoblissement, né le 23 mai 1707 à Råshult et mort le 10 janvier 1778 à Uppsala, est un naturaliste suédois qui a fondé les bases du système moderne de la nomenclature binominale. * 2 Les Mayas ( 2600 av. J.-C. à 1520 apr. J.-C.), formaient l'une des grandes civilisations de Mésoamérique principalement connue pour ses avancées dans les domaines de l' écriture, de l'art, de l'architecture, de l' agriculture, des mathématiques et de l'astronomie. * 3 Les Aztèques ( 1200 apr. J.-C. jusqu'à 1521 apr. J.-C.) Ou Mexicas (du nom de leur capitale, Mexico-Tenochtitlan), étaient un peuple amérindien. * 4 Les Olmèques sont un ancien peuple précolombien de Mésoamérique s'étant épanoui de 1200 av. J.-C. jusqu'à 500 av. J.-C. sur la côte du golfe du Mexique, dans le bassin de Mexico, et le long de la côte Pacifique (États du Guerrero, Oaxaca et Chiapas) * 5 Les ochratoxines A (OTA) sont des mycotoxines produites par plusieurs champignons microscopiques (genres Penicillium et Aspergillus) et naturellement présentes dans de nombreux produits végétaux du monde entier, tels que les céréales, les grains de café, le cacao et les fruits séchés. C'est un poison naturel fortement toxique pour les reins et pouvant être cancérogène, qui est produit par une moisissure que l'on trouve parfois sur les fèves de café et de cacao. |
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