Le processus décisionnel dans la politique étrangère du cameroun: le cas du recours au règlement judiciaire dans le conflit de Bakassipar Zoulica RANE MKPOUWOUPIEKO Institut des Relations Internationales du Cameroun/Université de Yaoundé II - Master en Relations Internationales 2011 |
Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAUDans sa pré théorie de la politique étrangère, ROSENAU97 situe l'explication de la décision de politique étrangère, dans une combinatoire mouvante de cinq variables explicatives à savoir : la variable individuelle ou variable idiosyncratique, la variable de rôle, la variable gouvernementale, la 94 Samy COHEN fait partie des auteurs qui ont critiqués cette proposition (d'application horizontale, mais aussi verticale). Selon lui, « il n'existe pas de lien de causalité simple entre ces deux variables, sinon on devrait en conclure que tout autre Président que KENNEDY aurait pris la décision du blocus, (...) de même faudrait il croire que les militaires seraient a priori des « faucons » et les dirigeants civils, des « colombes » », Samy COHEN, 1998, op. cit., p. 84. 95 Lire Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile Crisis», in Philippe BRAILLARD, op cit., pp. 193. Lire la version originale en langue anglaise in, Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p. 193. 96 Samy COHEN, 1998, op. cit., p. 85. 97 James N. ROSENAU est un célèbre politologue américain. Il a servi comme président de l'Association des Etudes Internationales de 1984 à 1985. Professeur érudit, son enseignement était axé sur la dynamique du monde, la politique et le chevauchement entre affaires intérieures et étrangères (lire à ce propos la théorie du « linkage politics » évoquée plus haut). Il a été l'auteur de nombreux articles et de plus de 35 livres. Il a été parmi les premiers auteurs à appliqBuer la science de la complexité , un système d'analyse interdisciplinaire avec des origines dans les sciences dures, à la science politique et les affaires internationales. La revue Foreign Policy l'a énuméré, dans son numéro de novembre/décembre 2005, parmi les savants les plus influents dans le domaine des affaires internationales. Il a enseigné à la Elliott School of International Affairs de l'Université George Washington jusqu'à sa mort en 2011. 25 variable sociétale et enfin la variable systémique98. En vue d'atteindre les objectifs fixés par la présente étude, il convient d'examiner les variables non cognitives de ROSENAU (Paragraphe 1), et d'associer sa variable idiosyncratique au code opérationnel développé par Alexander GEORGE (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : Les variables non cognitivesLes variables non cognitives analysées ici sont d'une part, celles gouvernementale et de rôle (A), et d'autre part, celles sociétales et systémiques (B). A. Les variables gouvernementales et de rôleLes variables de rôle et gouvernementales situent l'explication de la décision de politique étrangère dans l'environnement le plus immédiat du décideur, c'est-à-dire son environnement politico-administratif99. Elles correspondent à l'approche bureaucratique d'ALLISON. La variable de rôle privilégie dans l'explication du comportement extérieur d'un Gouvernement, l'influence du statut et des attentes qui accompagnent la fonction des individus impliqués dans la prise de décision, que ces individus soient Premier Ministre, Ministre des Relations Extérieures, ou de la Défense. ROSENAU affirme qu'indépendamment de la personnalité des dirigeants, leur rôle affecte également le contenu de la décision d'une manière propre. Le « rôle » correspond au statut et aux attentes multiples liées à la fonction exercée par les acteurs impliqués dans le processus décisionnel. En effet, selon ROSENAU, chaque fonction s'accompagne de contraintes particulières qui requièrent un comportement spécifique de tous ceux qui l'occupent100. Dans le cas des hommes d'Etat, il est souvent difficile de dissocier leur personnalité du rôle que leur impose la fonction publique qu'ils assument101. La variable gouvernementale quant à elle, renvoie aux conditions relatives à la structure du gouvernement qui influencent le processus de prise de décision102. Hormis le Chef de l'exécutif, elle regroupe toutes les institutions administratives qui influencent la prise de décision. En effet, si le Chef de l'Etat est l'acteur ultime du processus décisionnel, il n'en est pas l'unique protagoniste. La multiplicité des domaines en matière de politique étrangère (sécurité, finance, commerce, 98 Combinatoire mouvante car, la hiérarchisation (ou combinaison) de ces variables explicatives change selon le génotype du Gouvernement (ou le type de société) qui a pris la décision étudiée. James N. ROSENAU, The Scientific Study of Foreign Policy, New York, Free Press, 1971, p.108-109. 99 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 260. 100 James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p.108-109. 101 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op cit, p. 57. 102 James N. ROSENAU, 1966, op. cit., p. 43. 26 environnement, santé, etc.) requièrent l'intervention de plusieurs acteurs. Blaise SARY NGOY relève à ce propos que « tous les animateurs de ces domaines participent à la formulation et à la pratique des politiques étrangères »103. La variable gouvernementale s'assimile au modèle III d'ALLISON dans la mesure où elle suggère un éclatement du processus décisionnel et une influence des institutions gouvernementales. B. Les variables sociétales et systémiques Par les variables sociétales, ROSENAU désignent les sources non gouvernementales - nationales - qui influencent le comportement international de l'Etat104. Il s'agit de la société civile, des médias, des leaders d'opinion, des mouvements religieux, du degré d'unité et d'homogénéité nationale, de la culture nationale et de la nature du système économique. Au niveau sociétal, l'opinion publique est l'élément dont l'influence sur la politique étrangère fait l'objet de plus de débats. Si les idéalistes tout en s'opposant à l'arbitraire du souverain placent l'opinion publique au centre de la vie publique et y défendent l'intégrité de son rôle, les réalistes minimisent l'influence de l'opinion publique en matière de politique étrangère. En effet, ces derniers estiment que la politique étrangère exige un minimum de secret et que le public, indifférent, versatile et capable uniquement de réactions passionnelles, ignore tout des questions internationales105. Pourtant, comme le relève Inis Claude « l'opinion publique est d'un grand intérêt et d'une grande importance pour les Parlementaires, les Premiers Ministres et les Présidents, les Monarques et les dictateurs, les instances dirigeantes des partis et les juntes militaires - c'est-à-dire pour les hommes politiques de toute coloration »106, car leur succès dépend en partie de la conformité établit entre leurs actes et les aspirations de la masse. ATANGA qui a étudié le processus de prise de décision de politique étrangère au Cameroun, relève que « l'opinion a un mot à dire dans la politique étrangère au Cameroun ». Le problème qui se pose selon lui est celui de « sa marge de manoeuvre réelle »107. Les variables systémiques, quant à elles, représentent tous les éléments et évènements de l'environnement international qui ont influencés d'une manière ou d'une autre la décision de politique étrangère étudiée. Il est important de mentionner que ROSENAU inclut dans cette branche aussi bien des facteurs intra-nationaux non humains comme la géographie (la frontière, la situation 103 SARY NGOY Blaise, « Lire les décisions de politique étrangère du Congo. Du pragmatisme de Mobutu à l'idéalisme de Kabila L. D. », [En ligne], www.kitenge.com/analyses.htm, consulté le 3 janvier 2010. 104 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43. 105 Sur ce débat, lire Nathalie LA BALME, « Opinion publique et politique étrangère : l'évolution d'un débat », Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op cit., p. 193-211. 106 Claude INIS, cité par Simplice ATANGA, Le processus de prise de décision en politique étrangère au Cameroun, Thèse de Doctorat, IRIC, Yaoundé, 1991, p. 257. 107 Simplice ATANGA, 1991, op cit., p. 258. 27 ou localisation stratégique de l'Etat, la distance par rapport aux autres Etats, les ressources naturelles et énergétiques), que des facteurs extra-nationaux tels que les défis lancés par des agresseurs, les perceptions, appuis et recommandations des autres acteurs des Relations Internationales108 que sont les Etats, les Organisations Internationales Gouvernementales (OIG) et Non Gouvernementales (OING), et l'opinion publique internationale de façon générale. Les variables sociétales et systémiques du paradigme général de ROSENAU peuvent offrir les deux grands plans de l'approche sociologique de la décision109. Elles suggèrent de prendre en compte l'influence de l'environnement national et international sur le processus qui a conduit au choix du règlement judiciaire. Cette influence s'analyse en termes de contraintes, mais aussi, d'opportunités qu'offrent lesdits milieux aux dirigeants d'atteindre leurs objectifs110. |
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