B. L'inclination de l'opinion publique camerounaise pour le
règlement
pacifique
Bien que certains auteurs lui aient reproché son peu
d'intérêt pour le conflit343, les citoyens, les partis
politiques, les médias et certaines ONG se sont manifestés sur la
question344. Il est vrai qu'au début du conflit, les
Camerounais se sont peu exprimés sur le problème. Une frange de
l'opinion avait d'ailleurs prise l'annonce, le 19 février 1994 par la
CRTV345, des attaques nigérianes à Bakassi pour des
manoeuvres politiques visant une diversion de l'attention des populations des
problèmes nationaux346. C'est la médiatisation des
différentes démarches entreprises par le Gouvernement qui leur a
fait prendre conscience de la réalité des
évènements.
A partir de ce moment, une sorte d'union nationale s'est
créée à propos de la « camerounité » de
la péninsule de Bakassi. Une enquête réalisée
à l'époque à Douala, Yaoundé, et Garoua sur
près d'une centaine de Camerounais de tous les âges, sexes,
religions, professions et tendances politiques a fait ressortir l'opinion du
public sur l'affaire Bakassi, et sa gestion par les autorités
gouvernementales347. Cette enquête a été
publiée le 17 mars 1994 ; c'est-à-dire avant la décision
du Cameroun de recourir à la C.I.J.
D'après ladite enquête, les Camerounais ont
condamné fermement et à l'unanimité l'occupation d'une
partie de leur territoire par les troupes nigérianes. Ils ont
appelé les autorités gouvernementales à tout mettre en
oeuvre pour récupérer tous les points occupés du
territoire. S'agissant de la gestion gouvernementale du problème, les
Camerounais interrogés à Douala, Yaoundé et Garoua, ont
pensé que les autorités gouvernementales avaient agi dans le bon
sens. Certains ont estimé toutefois que l'opinion nationale aurait
dû être informée en décembre 1993, dès
l'occupation d'une partie de la péninsule. Ils ont adhéré
à l'unanimité avec la stratégie du Gouvernement faite de
souplesse et de fermeté, et considéré la saisine des
instances internationales incontournable pour un règlement durable de ce
conflit ; car, estiment-ils, « on ne peut pas négocier avec
quelqu'un qui vous tient à la gorge ».
Primus FONKENG qui a travaillé sur l'opinion de deux
journaux de langue anglaise, The Herald et The Post, à
propos du conflit de Bakassi, permet, par le biais des résultats de ses
recherches, de ressortir l'avis des Camerounais culturellement et
géographiquement les plus proches
343 C'est le cas par exemple de Zacharie NGNIMAN, 1996, op
cit., p. 122.
344 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op cit, p. 83. Dans
sa thèse, il montre comment la majeure partie de l'opinion publique
soutenait le Cameroun dans la gestion du conflit de Bakassi.
345 CRTV : Cameroon Radio Television, chaîne de
radio et de télévision nationale.
346 Voir l'Annexe 12, qui traite des articles de presse
négatifs publiés par The Herald et The Post sur
le conflit de Bakassi Propos (page 141).
347 Enquête réalisée par trios
Journalistes de Cameroon Tribune, en l'occurrence NTA à BITANG (à
Douala), Isidore MENDENG (à Garoua), et Jean-Marie NEOSSI (à
Yaoundé). Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°5555,
Jeudi 17 mars 1994, p.3. Voir en Annexe 10, les résultats de cette
enquête (page 139).
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de la zone de conflit et du Nigeria. The Herald et
The Post ont condamné l'occupation nigériane de la
péninsule de Bakassi. Toutefois, ils ont relevés que cette
situation était imputable à la négligence par les
autorités gouvernementales des zones et des populations vivant le long
de la frontière avec le Nigeria. Selon The Herald,
«The Government has neglected the people, making them to rely on the
Nigerian Government for their social and economic sustenance. For example,
Cameroonians have to travel through Nigeria to get to Akwaya in Cameroon, due
to the absence of roads linking Akwaya to the rest of the
country»348. Quant au journal The Post
il affirme que: «Bakassi is the outcome of the criminal neglect
and marginalisation of the people living along the Cameroon-Nigeria border and
the english-speaking provinces»349. The Herald
recommande en revanche que, dans une situation comme celle de Bakassi,
où l'intégrité du territoire est menacée, pour
rester crédible vis à vis du monde, « all Cameroonians
should rally behind the Government and seek measures to resolve the conflict
»350.
De nombreuses ONG se sont prononcées en faveur d'un
règlement pacifique, quel qu'il soit. Le Mouvement National de Dialogue,
une association des Droits de l'Homme, a approuvé l'attitude graduelle
de dialogue, d'apaisement, de paix et de fermeté adoptée par
Yaoundé pour le règlement de ce conflit. Dans un
Communiqué, l'association a interpellé les deux parties au
conflit à un règlement pacifique car, selon elle, « une
guerre entre les deux pays serait une catastrophe pour les populations des deux
communautés et engendrerait des souffrances physiques et morales aux
pauvres citoyens soumis jusqu'ici aux misères quotidien
»351. La Ligue Nationale des Droits de l'Homme du
Cameroun, a appelé au sens inné de justice et de
vérité, de loyauté et de solidarité des leaders
politiques, des organisations humanitaires, des personnalités morales et
des Etats, « afin que soit engagé un dialogue direct et sans
condition en vue d'un règlement définitif de ce conflit honteux
»352. Le « Nigerian Union in Cameroon »
important groupe d'intérêt comprenant la communauté
nigériane du Cameroun a loué la voie du règlement
pacifique353.
S'agissant de l'apport des partis politiques, les leaders
politiques ont unanimement condamné l'agression nigériane. Le
R.D.P.C., parti au pouvoir dont le Chef de l'Etat camerounais est le
Président national, a réaffirmé par la voix de son
Secrétaire Général, son soutien et ses encouragements aux
démarches engagés par le Gouvernement. Il a recommandé la
solution du conflit sur la base des éléments de droit existants,
le respect du principe du règlement pacifique des
348 The Herald, N°1271, October 27, 2002, p. 7.,
cité par Primus FONKENG, The Views of the Herald and the
Post
newspapers on the Cameroon-Nigeria border crisis over the
Bakassi peninsula, 1993-2002, Master, Yaoundé, Université de
Yaoundé I, 2004, p. 40.
349 The Post, N° 0171, May 8, 2000, p. 9, cité par
Primus FONKENG, 2004, op. cit., p. 52.
350 The Herald, N° 1277, November 10, 2002, p. 6,
cité par Primus FONKENG, 2004, op. cit., p.47.
351 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5563,
Mardi 29 mars 1994, p. 3.
352 Idem.
353 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op cit, p. 83
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différends, ainsi que le recours aux instances
internationales compétentes. Le M.D.R., et l'U.P.C., ont affiché
la même position. Bien que relevant « le refus du Gouvernement
d'informer comme cela se doit le peuple Camerounais », l'U.D.C. a
condamné le recours au règlement militaire et souhaité une
solution pacifique au conflit354. Le M.D.P. a demandé
instamment au Gouvernement de persévérer dans la «
recherche d'une solution définitive en recourant à l'arbitrage
d'une instance internationale afin d'éviter à l'avenir le
renouvellement des revendications et/ou occupations nigérianes au
gré des changements de régime dans ce pays voisin
»355. Le S.D.F., principal parti de l'opposition, tout en
étant favorable au règlement pacifique du conflit, a
affirmé que la poursuite des hostilités était imputable au
Président Paul BIYA qui, selon lui, avait fait montre de son
incapacité à engager le dialogue avec le gouvernement
nigérian356.
En bref, malgré l'existence d'une certaine opinion qui
réclamait de fortes représailles militaires357, la
majorité des Camerounais, influencée par la culture nationale de
paix était favorable à l'orientation pacifique mais ferme
adoptée par le Gouvernement. Ces avis ont influencé la
décision camerounaise, ne serait ce qu'en tant que ressource morale. En
effet, contrairement à la situation au Nigeria, une certaine union
sacrée de la nation s'est faite autour du Gouvernement Camerounais. Le
Pr Augustin KONTCHOU KOUOMEGNI, Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement a témoigné à
l'époque que, malgré quelques petites voix dissidentes (parlant
du S.D.F.) le Gouvernement ressentait cela358.
Le contexte socio-économique et politique
intérieur, compte parmi les paramètres qui ont influencés
le processus de prise de décision du Cameroun.
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