B. La prudence pragmatique
Dans la poursuite de l'objectif du Cameroun, en l'occurrence
le respect nigérian de la « camerounité » de Bakassi,
le Président Paul BIYA a fait preuve de prudence et de pragmatisme,
éléments figurant parmi ses croyances instrumentales. Par
pragmatisme, il a fait recours à l'instance judiciaire qui, au vue des
arguments juridiques du Cameroun et la souscription nigériane à
la clause facultative de juridiction obligatoire, garantissait le mieux la
réussite de l'action politique. Toutefois, ce pragmatisme était
prudent car, le Nigeria avait à plusieurs reprises prouvé sa
mauvaise foi aux autorités Camerounaises.
En effet, le Président Camerounais qui a occupé
depuis 1962 des postes de responsabilité au sommet de l'administration
camerounaise, avait sans doute été témoin des diverses
démarches de négociation sur les questions frontalières,
dont les résultats avaient plus tard été remises en cause
par le Nigeria330. Qui plus est le régime du
Général Sani ABACHA cherchait depuis le déclenchement du
conflit de Bakassi, selon les termes de Jean Pierre FOGUI, à «
bluffer » le Cameroun331. Un épisode dudit conflit
permet d'illustrer ces propos. En effet, jusqu'en 1991 avant leur modification
par les autorités nigérianes, toutes les cartes utilisées
chez le voisin occidental du Cameroun, situaient la péninsule de Bakassi
en territoire camerounais. En février 1994, lors d'une audience
accordée par le Président ABACHA à la Mission de
Médiation française, l'Attaché militaire de France a
cherché à prouver la vacuité de la thèse
nigériane sur la péninsule de Bakassi en dépliant une de
ces cartes sur la table. Le Chef de l'Etat nigérian, sans embarras, a
réagis en balayant de sa main la totalité de la péninsule
de Bakassi et a déclarant avec vigueur, « Tout ceci est
à nous »332.
La mauvaise foi apparente des autorités d'Abuja a
inspiré une prudence pragmatique au Président Paul BIYA. Instruit
par l'expérience, il a préféré un règlement
définitif du problème par la C.I.J., c'est-à-dire un
règlement prenant clairement à témoin l'opinion publique
internationale et la communauté internationale, et exerçant, de
ce fait, une plus grande contrainte juridique et morale sur les parties
concernées.
329 Message de Voeux du Président Paul BIYA à la
Nation, le 31 Décembre 1994.
330 Il convient de relever par exemple que lors de la
signature (1975) et de la remise en cause (1978) de l'Accord de Maroua par le
Nigeria, et même durant la première grande crise entre le Nigeria
et le Cameroun le 16 mai 1981, le Président Paul BIYA était
Premier Ministre depuis janvier 1975.
331 Lire au sujet de l'usage nigérian de la «
théorie du bluff (ou du poker) » sur le Cameroun, Jean Pierre
FOGUI, 2010, op. cit., p. 22.
332 Episode relaté par Jean Pierre FOGUI, 2010, op.
cit., p. 22.
Dès lors, il peut être affirmé que le Chef
de l'Etat compte parmi les décideurs qui, par leur tempérament
ont déterminé le comportement international de leur pays. Ainsi,
Me Douala MOUTOME, Ministre de la Justice, Garde des sceaux lors de la prise de
décision, et premier Agent du Cameroun lors de la procédure
devant la C.I.J., affirme qu' « il fallait être celui qui dirige
ce pays, le Président BIYA, pour choisir l'option judiciaire à
côté de deux autres : la guerre, ruineuse par ses effets ; ou la
conciliation, expérimentée depuis de longues années sans
résultats tangibles »333. Le Professeur
Maurice KAMTO, co-agent du Cameroun lors de la même procédure,
déclare quant à lui que « le Chef de l'Etat c'est
quelqu'un d'essentiellement pacifique. Son tempérament l'inclinait vers
la recherche d'une solution pacifique »334.
La variable idiosyncratique compte ainsi parmi les facteurs
les plus déterminants qui expliquent le processus de prise de
décision du Cameroun. Elle pèse plus que les variables
gouvernementales et de rôle
Après l'analyse de l'influence des acteurs
institutionnels, il convient de ressortir le rôle qu'ont pu jouer la
société nationale et l'environnement international sur la prise
de décision étudiée.
87
333 Interview de Me Douala MOUTOME, Ancien Ministre de la
Justice du Cameroun, et premier Agent du Cameroun lors de la procédure
devant la C.I.J., réalisé par R. D. LEBOGO NDONGO, in
Cameroon tribune N°9161/5360, Spécial BAKASSI, Jeudi 14
Août 2008, p. 51.
334 Entretien avec le Professeur Maurice KAMTO, op.
cit.
CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES
SOCIOLOGIQUES
88
Les variables sociologiques renvoient dans la présente
étude aux variables sociétales et systémiques du paradigme
général de ROSENAU. En effet, comme le soulève Jean
BARREA, ces deux groupes de variables peuvent offrir les deux grands plans de
l'approche sociologique de la décision335. A travers ces
variables, l'analyste examine l'influence de l'environnement national et
international sur la prise de décision du Cameroun.
Ainsi, sur le plan sociologique, le choix porté par les
autorités camerounaises sur la C.I.J. pour le règlement du
conflit de Bakassi résulte d'une part, de la prise en compte de
considérations d'ordre sociétal (Section I), et d'autre part, de
l'influence du milieu international dans lequel le pays se meut (Section
II).
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