Afin de saisir le système de croyances ou code
opérationnel du Président Paul BIYA, il convient de
répondre aux dix questions proposées par Alexander GEORGE et, se
rapportant aux principales croyances politiques d'ordre philosophique (1) et
instrumental (2) du décideur ultime.
Les dix questions susmentionnées se divisent en deux
groupes composés de cinq questions. Le premier groupe permet de saisir
les croyances du Président Camerounais à l'égard des
problèmes philosophiques ci-après :
· Quelle est la nature essentielle de la vie politique ?
Quel est le caractère fondamental des opposants politiques de quelqu'un
?
De son expérience dans les arcanes du pouvoir, il tire
la leçon selon laquelle, dans la vie comme en politique, les hommes sont
capables du meilleur, comme du pire. La responsabilité des dirigeants
à quelque niveau qu'ils soient dans l'appareil de l'Etat étant,
selon lui, de faire en sorte que le pire n'advienne pas299, et cela
commence à son avis par la promotion de l'éthique dans la vie
politique ; d'où son credo « rigueur et moralisation ». Selon
lui, « il n'y a pas de société viable sans une
éthique acceptée »300.
Il perçoit le monde comme étant de plus en plus
interdépendant, mais encore marqué par les appétits de
domination et d'exploitation des nations puissantes sur les nations faibles et
par des affrontements idéologiques de plus en plus meurtriers ;
d'où la nécessité d'oeuvrer pour l'avènement d'une
humanité plus solidaire301.
· Quelle est la probabilité pour quelqu'un de
réaliser ses valeurs et aspirations politiques fondamentales ? Peut-on
être optimiste ou doit-on être pessimiste à ce sujet ?
Le Président Paul BIYA est un homme politique
optimiste. Dans son action extérieure comme dans le domaine de la
politique intérieure, son « pari fondamental demeure le rejet
de la fatalité : en effet, selon lui, à l'image de l'individu, le
Cameroun ne peut s'affirmer et s'épanouir que dans un environnement
équilibré et profondément marqué par la paix. Or,
les conditions premières de celle-ci sont aujourd'hui la consolidation
de l'indépendance des Etats et l'impulsion de leur coopération
»302. Il croit ainsi que ces modalités
exigent des nations la promotion des
299 Propos du Président Paul BIYA, extrait de
François MATTEI, 2009, op. cit., p. 118.
300 Propos du Président Paul BIYA devant le Conseil
national de l'UNC, en novembre 1982, extrait de François MATTEI, 2009,
op. cit., p. 230.
301 Paul BIYA, 1987, op cit., p.19.
302 Ibid., pp. 19-20.
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principes tels que la tolérance, le respect des
différences culturelles et idéologiques, l'abstention de recourir
à la force en vue d'imposer une vision du monde ou un système
sociopolitique303.
· Le futur politique peut-il être prévu ?
A l'analyse de son parcours et de ses discours, on peut
affirmer qu'il ne croit pas en l'existence d'un chemin, tout tracé et
prédestiné, qui conduise un acteur individuel ou collectif
à ses aspirations. Pour lui, la capacité de réussite de
tout un chacun dépend de son acharnement. Tout n'est pas acquis. La vie
se caractérise par l'imprévisibilité ; d'où la
nécessité de se fixer des objectifs et de se donner les moyens de
les atteindre. A titre illustratif, s'adressant à la jeunesse
camerounaise, il affirme : « rappelez-vous (...) qu'à
l'échelle individuelle et collective, rien de grand ne peut se faire
sans dépassement, sans sacrifices, sans victoire sur soi même,
finalement sans une certaine ascèse »304.
· A quel point peut-on contrôler ou dominer le
développement historique?
Comme il a été susmentionné, le
Président Paul BIYA est un homme politique optimiste. Il a la conviction
ferme que « dans un pays, en toutes circonstances, on trouve toujours
les ressources du sursaut et du renouveau »305. Il pense
ainsi, qu'en tant que dirigeant, il a un grand rôle à jouer dans
l'infléchissement ou l'orientation de l'histoire dans des directions
salutaires au Cameroun. A titre illustratif, il déclare le 21 juillet
1990 dans une interview accordée à Yves MOUROUSI sur Radio Monte
Carlo qu'il « souhaiterait entrer dans l'histoire comme celui qui a
apporté la démocratie et la prospérité au Cameroun
».
· Quel est le rôle de la chance dans les affaires
humaines ?
Il n'accorde pas grand rôle à la chance dans les
affaires humaines. Pour lui, tout est question de dépassement de soi, de
travail et de sérieux. A titre illustratif, François MATTEI, qui
a écrit une biographie du Président Paul BIYA, raconte comment
ses camarades d'université se souviennent de son ironie envers ceux qui
jouaient sur la chance en faisant des impasses sur les
programmes306. Pour lui, rien de durable, et encore moins
d'efficace, ne peut se faire dans l'improvisation et le manque
d'engagement307.
303 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 21.
304 Voir Discours du Président Paul BIYA à la
jeunesse camerounaise à l'occasion de l'édition du 11
février 1983 de la Fête de la jeunesse, cité par
François MATTEI, 2009, op. cit., p. 233.
305 Propos du Président Paul BIYA, extrait de
François MATTEI, 2009, op. cit., p. 115.
306 François MATTEI, ibid., p. 136.
307 Ibid., p. 121.
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2. Les croyances instrumentales
Le deuxième groupe de questions se rapporte aux
croyances relatives aux moyens de l'action politique, encore appelées
« croyances instrumentales » :
· Quelle est la meilleure façon d'arrêter les
objectifs de l'action politique ?
Pour lui, les objectifs de l'action politique doivent
correspondre aux réalités de la société vers
laquelle ils sont orientés. Toute décision avant d'être
prise doit avoir été suffisamment mûries et
confrontées aux réalités. Il reste persuadé que la
science politique est une science de la réalité quotidienne telle
que vécue dans une cité donnée, et qu'une théorie
politique n'est digne d'attention que si elle surmonte l'épreuve de
cette réalité vécue dans la cité308. Il
affirme ainsi que : « la cité camerounaise a ses valeurs et ses
particularités. C'est de celle-ci que nous tentons de tirer les
enseignements nécessaires à notre action, plutôt que
d'emprunter à d'autres cités des règles de conduite et
d'action mal adaptées à la vie nationale camerounaise
»309.
· Quelle est la façon la plus efficace de poursuivre
ces objectifs ?
Selon lui, le légalisme, la patience, le pragmatisme,
la paix et la discrétion sont les conditions d'une poursuite efficace
des objectifs de l'action politique.
S'agissant du légalisme, son passage au
séminaire lui a permis d'intégrer pour sa vie entière le
commandement : « custodi regulam, et regula custodiet »
(« garde la règle, et la règle te gardera
»)310. Ainsi, le respect des normes dans la poursuite des
objectifs de l'action politique constitue pour lui une garantie
d'efficacité et de sécurité. Quant à la patience,
elle est pour lui une vertu. Elle s'accompagne chez lui du silence, ce qui le
rend totalement imprévisible. François MATTEI relève
à ce propos que : « la Bible et les grands philosophes n'ont
fait que nourrir et renforcer chez lui une tendance innée à
réfléchir longtemps avant d'agir »311.
Il croit qu'en politique, il est parfois nécessaire
d'être pragmatique. Il affirme à ce propos que : « la
politique de conduite d'une nation nécessairement est obligée
d'être par moments, pragmatique. Car ici, à un moment
donné, les nécessités de l'action ou de la réussite
de l'action appellent non pas l'abandon, mais l'oubli momentané de
certains aspects idéologiques. On n'a pas à choisir. La
primauté, c'est la réussite de l'action politique
»312. Ainsi, tout en ne s'opposant à aucune
idéologie, il ne garde que les vertus de chacune. « Il prend ce
qui est bon à droite et à
308 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 13.
309 Idem.
310 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 80.
311 Ibid., p. 245.
312 Propos du Président Paul au Club de la Presse de RFI
(Radio France Internationale) à ses débuts dans la
carrière de Président, extrait de François MATTEI, 2009,
op. cit., pp. 319-320.
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gauche, et rejette ce qui est mauvais, pour en faire une
politique idéale »313. Sa conception de la
politique de non alignement est une parfaite illustration de ce pragmatisme. En
effet, pour lui, le non alignement ne signifie ni le rejet de tout partenaire,
ni le refus de toute alliance, mais, il consiste plutôt à
sauvegarder en permanence la possibilité et la liberté de
négocier de nouvelles alliances ou de dénoncer les
anciennes314.
Le Président Paul BIYA a en répulsion toutes
les formes de violence. En effet, la paix est pour lui le meilleur moyen
d'atteindre les objectifs de l'action politique. Il s'agit d'un concept
très présent dans son discours politique ; au point où,
certains observateurs parlent d'une véritable « obsession de la
paix »315. Le Chef de l'Etat camerounais considère
ce concept comme une finalité et un préalable à la
construction nationale, mais également comme un facilitateur, et le
socle des relations entre les États316.
Enfin, pour lui, la discrétion est un gage de
succès de toute entreprise politique. Il affirme à ce propos qu'
« un Chef d'Etat doit être discret. La gesticulation n'est pas
un signe de vitalité. L'important n'est pas le verbe. C'est l'action
méthodique et rationnelle »317.
· Comment les risques de l'action politique sont-ils
calculés, contrôlés et acceptés ?
Dans la réalisation des objectifs de l'action
politique, il fait preuve « d'une prudence pragmatique
»318. Face à un problème, avant de prendre
une décision, il discerne parmi les différentes solutions
proposées celle qui présente le moins d'inconvénients, car
il est convaincu « qu'aucune solution n'est parfaite. Seul le temps
contraint à choisir la moins mauvaise »319.
Bien qu'il ne cherche pas les situations à risque, face à
elles, il les accepte et s'applique à les vivre sans céder
à leur pression320.
· Quelle est la meilleure chronologie à suivre dans
la poursuite des objectifs ?
Le Président Paul BIYA n'est pas un impulsif. Pour
lui, il est mieux d'attendre le temps opportun pour agir ; c'est-à-dire
lorsqu'on sait que son action ne génère plus
d'inconvénients ou d'effets secondaires. « Dans l'urgence, il
se hâte de donner au temps, le temps...de digérer tout ou partie
du problème, de lui permettre d'avoir une vision lucide de tous les
paramètres qui composent
313 François MATTEI, Ibid., p. 319.
314 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 147-148.
315 Lire à ce sujet Marc OMBOUI, « Paul BIYA :
l'obsession de la paix », in
http://cameroun2010.info/fr/politique-cameroun-paul-biya.html,
consulté le 9 juillet 2011.
316 Voir idem.
317 Interview accordé à l'hebdomadaire
Jeune Afrique, en septembre 2004, extrait de François MATTEI,
2009, op. cit., p. 33.
318 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p. 102.
319 François MATTEI, 2009, op. cit., p.
319-320.
320 Pour des illustrations, lire François MATTEI,
Ibid., p. 286.
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ce problème, et ensuite seulement, d'introduire les
aménagements, de formuler les propositions, de prendre les
décisions. Bref de reprendre la main »321.
· Quels sont l'utilité et le rôle des divers
moyens aptes à une telle poursuite ?
Il convient de rappeler qu'il privilégie dans une telle
poursuite, la paix, le légalisme, la patience, la discrétion et
le pragmatisme.
Pour lui, la paix est utile dans la mesure où elle
offre les conditions propices à la réalisation des objectifs de
l'action politique. A titre illustratif, il a la conviction indubitable que
c'est dans la paix et la stabilité que le Cameroun peut espérer
développer ses richesses et en jouir322. S'agissant du
légalisme, le respect des normes dans la poursuite des objectifs de
l'action politique est pour lui une condition d'efficacité et de
sécurité. Quant à la patience, son utilité
réside dans le fait qu'elle permet de garder son sang froid et de
résister aux difficultés, quelle que soit leur gravité
apparente, tout en étant capable de prendre une décision rapide
et ferme au moment le plus approprié ; la patience favorise ainsi la
rationalité dans la prise de décision323. Pour ce qui
est de la discrétion, il s'agit selon lui d'une qualité
nécessaire au succès de l'action politique. C'est pour cette
raison que dans ce domaine, « il a toujours
préféré voir qu'être vu »324.
En ce qui concerne le pragmatisme, tout en appréciant la liberté
qu'il confère dans la poursuite des objectifs de l'action politique, le
Président Camerounais affirme la nécessité d'essayer de
maintenir la balance égale entre l'exigence momentanée de
pragmatisme (pour la réussite de ladite action), et l'exigence
d'idéologie325.
L'analyse du code opérationnel du Président Paul
BIYA révèle la centralité du pacifisme dans son
système de croyances. En effet, la paix est pour lui non seulement un
idéal et une valeur dont la construction doit être permanente (ce
constat découle de l'analyse de ses croyances philosophiques), mais
aussi, un moyen et un objectif de l'action politique (ce constat découle
de l'analyse de ses croyances instrumentales).
Le système de croyances du Chef de l'Etat ainsi
dégagé, il convient de ressortir son impact sur la
décision de saisir la C.I.J., pour un règlement judiciaire du
conflit de Bakassi.
325 Propos du Président Paul au Club de la Presse de RFI
(Radio France Internationale) à ses débuts dans la
carrière de Président, extrait de François MATTEI, 2009,
op. cit., pp. 319-320.
Le système de croyances du Président Paul BIYA a
influencé le comportement international du Cameroun de deux
manières. A travers la persévérance dans la voie du
pacifisme (A), et la prudence pragmatique dont le recours à la C.I.J.
est le reflet (B).