Section 2 : La variable idiosyncratique
La variable idiosyncratique se rapporte aux qualités
particulières qui distinguent un dirigeant des autres par ses choix
politiques et son comportement289. En effet, les actes politiques
sont marqués par la personnalité de leurs auteurs. Comme
expression d'une volonté humaine, la manoeuvre diplomatique, selon Alain
PLANTEY, en a les caractères : audace ou timidité,
sûreté ou velléité, fermeté ou
pusillanimité, ampleur ou médiocrité290.
La figure de certains hommes politiques prend souvent une
place décisive dans le rayonnement international d'un pays, ou encore le
déclenchement ou l'évolution de certaines guerres. Les exemples
d'hommes politiques qui, par leur tempérament ont
déterminé l'orientation politique de leur pays sont
légion. Mohandas KARAMCHAND GANDHI a eu par son exceptionnel charisme et
sa célèbre doctrine de la « résistance passive
», un rôle déterminant dans la lutte pour
l'indépendance de l'Inde. Ahmed SEKOU TOURE a eu une forte influence sur
le rejet par la Guinée, de l'intégration au sein de la
Communauté française. Nicolas SARKOZY a été
l'artisan du retour de la France dans le commandement intégré de
l'OTAN et de son rapprochement avec les USA, après le refroidissement de
leurs relations suite au rejet de l'invasion américaine en Irak. Dans le
cas d'espèce, Sani ABACHA, homme militaire arrivé au pouvoir par
coup d'Etat, a été à l'origine (dans sa quête de
légitimité intérieure) du conflit qui fait l'objet de la
présente étude.
James ROSENAU réaffirme à cet effet,
l'importance des variables idiosyncratiques dans l'analyse de la prise de
décision en politique étrangère. Ce facteur, s'il compte
dans l'étude de la politique étrangère des pays
développés291 est, selon lui, le plus important dans
l'explication du comportement international des pays en
développement292.
288 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p. 512.
289 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43 ; voir
également, James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p. 108 et suiv.
290 Alain PLANTEY, 2000 op. cit., p. 34.
291 De nombreux auteurs ont par exemple mis en exergue
l'importance de la variable cognitive dans l'étude du comportement de
l'administration BUSH (Etats-Unis) lors des opérations «
Enduring Freedom » en Afghanistan et « Iraqi Freedom » en
Irak. Voir par exemple Tanguy STRUYE DE SWIELANDE, « L'influence de la
variable cognitive dans le processus décisionnel de l'administration
BUSH (2001-2005) », Les Cahiers du RMES, volume IV, numéro
1, 2007.
292 Voir en Annexe 13 le tableau reliant les variables les plus
déterminantes par rapport au type de société (page
142).
Aussi est-il nécessaire, dans l'explication du recours
au règlement judiciaire, de ressortir l'idiosyncrasie du
Président Paul BIYA (Paragraphe 1) et d'étudier la
corrélation entre celle-ci et la décision prise (Paragraphe
2).
Paragraphe 1 : L'idiosyncrasie du Chef de l'Etat
La connaissance du passé d'un dirigeant peut permettre
de mieux saisir son comportement d'adulte293. En effet,
l'expérience née des leçons acquises dans le cadre non
seulement familial, spirituel et scolaire, mais aussi, administratif et
politique (A), participe à forger le tempérament des hommes
d'Etat ; et compte parmi les outils qui permettent d'établir le code
opérationnel ou système de croyances politiques desdits hommes
(B).
A. L'expérience accumulée
De sa formation (1), le Chef de l'Etat du Cameroun a acquis
des valeurs perceptibles dans sa prédilection pour un règlement
judiciaire du conflit de Bakassi. En outre, tous les postes de
responsabilité qu'il a occupé avant son accession à la
magistrature suprême lui ont permis d'avoir une expérience des
arcanes du pouvoir (2).
1. La formation reçue
Le Président Paul BIYA est né le 13
février 1933 à Mvomeka'a (Arrondissement de Meyomessala,
Département du Dja-et-Lobo, Région du Sud Cameroun). Il est issu
d'une famille modeste et pieuse de neuf enfants dont le père, Etienne
MVONDO ASSAM, est catéchiste et la mère se nomme Madame MVONDO,
née Anastasie EYENGA.
Après ses études primaires à
l'école de la Mission Catholique de Nden (Zoétélé),
il suit une formation au pré-séminaire Saint Tharcissius
d'Edéa (1948-1950), puis au séminaire Saint Joseph d'Akono
(1950-1954) où il apprend les vertus de la rigueur et de
l'austérité294. Son départ pour une
école laïque, le Lycée Général Leclerc, puis
pour la France où il poursuivra ses études, n'entameront pas sa
culture judéo-chrétienne acquise dans l'enfance. Il obtient une
Licence et un Diplôme d'Etudes Supérieures de Droit Public
à la Sorbonne. Il est également diplômé de
l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (plus connu sous le nom de «
Sciences Po ») où il décroche un diplôme de Sciences
Po, option Relations Internationales, et de l'Institut des Hautes Etudes
d'Outre-Mer, où il obtient un diplôme dans la section
administrative.
293 Raymond-F HOPKINS et Richard-W MANSBACH, Structure and
process in international politics, New York and London, Harper & Row
Publishers, 1ère ed., p. 139, cité par NKOBENA Boniface FONTEM,
2008, op cit, p.97.
294 Lire à ce sujet François MATTEI, Le Code
Biya, Paris, Balland, 2009, pp. 65-90.
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De sa culture judéo-chrétienne acquise dans
l'enfance, le Président Paul BIYA hérite d'une
personnalité anti-belliciste. Florent ETOGA, l'un de ses camarades de
lycée et d'université, affirme à ce propos retenir chez
l'homme un trait constant : « sa répulsion pour tout ce qui est
violent : violence physique, violence morale ou violence intellectuelle
»295. En termes d'expériences, son
parcours professionnel viendra compléter la formation reçue dans
le cadre familial et académique.
2. La carrière administrative
Avant son accession à la magistrature suprême, le
Président Paul BIYA a occupé pendant près de vingt ans
d'importants postes de responsabilité dans l'administration
camerounaise. Grâce à ces différents postes, il a acquis
une expérience riche et variée.
Il a respectivement servi comme Chargé de mission
à PRESICAM (Octobre 1962) ; Directeur du Cabinet du Ministre de
l'Education Nationale, de la Jeunesse et de la Culture (janvier 1964) ;
Secrétaire Général dans le même Ministère
(Juillet 1965) ; Directeur du Cabinet Civil de PRESICAM (Décembre 1967)
; Secrétaire Général et Directeur du Cabinet Civil de
PRESICAM (janvier 1968) ; Ministre d'Etat, Secrétaire
Général de PRESICAM (Juin 1970) ; et Premier Ministre, du 30 Juin
1975 jusqu'en 1982 lorsque, le 6 novembre, en tant que dauphin
constitutionnel296, il devient Président de la
République après la démission du Président Ahmadou
AHIDJO. Les longues années passées dans l'administration lui ont
permis de vite s'adapter à sa stature de Chef de l'Etat. Abdoulaye
BABALE, alors Ministre, témoigne que ce qui a marqué les
Camerounais, c'est la parfaite maîtrise avec laquelle le nouveau
Président de la République a su prendre les choses en main. Il
affirme : « Nous avons eu l'impression d'être en face d'un
athlète qui s'est très bien préparé. Dès les
premières heures, on s'est tout de suite aperçu qu'il
maîtrisait parfaitement les rouages de l'Etat et l'ensemble des
problèmes qui se posaient à notre pays
»297.
Sa carrière politico-administrative lui a permis
d'avoir une expérience des arcanes du pouvoir, une maîtrise des
problèmes épineux, et une perspicacité à saisir les
sentiments humains. Cela lui a également permis d'affiner son point de
vue sur les questions brûlantes d'ordre national et
international298.
L'expérience accumulée par le Président
aussi bien avant qu'après son accession au pouvoir a contribué
à la formation de son système de croyances.
295 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 40.
296 En vertu de l'amendement constitutionnel issu de la loi
N°79/02 du 29 juin 1979.
297 Interview d'Abdoulaye BABALE, ancien Ministre,
réalisé par Aimé Francis AMOUGOU, in
« Paul Biya, l'homme, l'oeuvre, l'ambition », Cameroon
Tribune, Edition spéciale du 06 Novembre 2007, p. 15.
298 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p.99.
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