CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
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La contribution du modèle I à l'explication de
la décision du Cameroun est considérable. Il permet à
l'analyste de construire un raisonnement basé sur des arguments
logiques, par lequel il amène le lecteur à voir que, s'il avait
été dans la même situation que le Cameroun, il aurait fait
le même choix. Il identifie le problème qui s'est posé au
Cameroun, en l'occurrence les convoitises nigérianes sur la
péninsule de Bakassi ; il détermine l'objectif poursuivi par lui
face à ce problème stratégique, à savoir le respect
par le Nigeria de son intégrité territoriale ; ensuite, il
identifie les différentes options soumises au Cameroun et procède
à une analyse des conséquences attribuées à chacune
de ces options. Le choix de Yaoundé, c'est-à-dire le
règlement judiciaire, apparaît à terme comme la voie
optimisant au mieux les chances de ce pays d'Afrique centrale d'atteindre son
objectif. En d'autres termes, l'intérêt du Cameroun se trouvait
dans le règlement judiciaire, en l'occurrence celui de la C.I.J., plus
que dans tout autre mode de règlement de conflit.
Toutefois, nonobstant ses mérites, le modèle I
reste une approche assez désincarnée. La décision est
analysée comme un choix national. Aussi, ce qui revient le plus souvent
ici c'est : l'option du « Cameroun » pour le
règlement judiciaire, l'objectif du « Cameroun », les
alternatives ouvertes au « Cameroun », etc. Il ne rend pas
compte des dynamiques internes - pourtant importantes - qui ont
influencées la prise de décision. D'où
l'intérêt de l'application complémentaire du cadre
conceptuel de James ROSENAU à la présente étude.
DEUXIEME PARTIE :
L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE SELON LES
VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU
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De manière générale, les variables
indépendantes élaborées par James ROSENAU, situent
l'explication de la décision (variable dépendante) à deux
niveaux248 : celui des acteurs institutionnels (Chapitre III), et
celui du contexte sociologique (Chapitre IV).
Au niveau des acteurs institutionnels, la décision du
Cameroun s'explique d'abord par le tempérament et les croyances du
Président Paul BIYA, décideur ultime (variable idiosyncratique).
Elle porte également la marque de l'environnement institutionnel qui l'a
généré (variables de rôle et gouvernementales qui
correspondent au modèle III d'ALLISON) ; en l'occurrence, l'appareil
administratif impliqué dans le processus de prise de décision.
Au niveau du contexte sociologique général,
l'explication prend en compte l'environnement interne dans lequel évolue
le décideur final (variables sociétales), et l'environnement
international, dans lequel le Cameroun se déploie (variables
systémiques).
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248 Pour une taxinomie des théories de la décision,
lire Jean BARREA, 1981, op. cit., pp. 254-255.
CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS
INSTITUTIONNELS
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L'analyse d'un problème
praxéologique249 suppose la compréhension des
structures décisionnelles impliquées250. Selon
Frédéric CHARILLON, la prise de décision de politique
étrangère est considérée comme le domaine
réservée251 des plus hauts responsables de
l'Etat252. Une telle affirmation revêt d'autant plus de
pertinence qu'on se trouve dans le cadre d'un régime
présidentiel, comme c'est le cas au Cameroun253.
Dans ce type de régime où, la politique
étrangère est le domaine réservé du Chef de l'Etat,
il est souvent nécessaire d'explorer le champ psychologique des
décideurs pour rendre intelligible telle orientation ou tel choix de
politique extérieure. En l'espèce, l'idiosyncrasie du
Président Paul BIYA fait partie des variables explicatives
déterminantes de la décision camerounaise (Section II).
Il convient toutefois de relever avec Thierry de MONTBRIAL
que, dans l'immense majorité des cas, le commandement humain n'est pas
le fait d'un homme seul. En effet, même si un décideur ou un
arbitre ultime existe souvent, il repose généralement sur une
organisation multifonctionnelle (structure décisionnelle)254.
François BLUCHE affirme à cet effet que le Roi-Soleil
lui-même qui se voulut monarque absolu, ne gouvernait jamais sans son
conseil255. Ainsi, pour prendre cette décision, le Chef de
l'Etat a eu besoin de l'expertise technique d'administrations
bénéficiant d'une spécialisation en la matière. Ces
dernières ont contribué par leur évaluation de la
situation, à la décision finale (Section I).
249 Praxéologie ici est entendue au sens de Thierry de
MONTBRIAL, c'est-à-dire, « la science des activités
humaines organisées, appréhendées sous l'angle de
l'exercice du pouvoir ». Voir Thierry de MONTBRIAL, 2008, op.
cit., p. 3.
250 Ibid. p. 41.
251 Le Président Paul BIYA relève à cet
effet que « dans tous les Etats modernes, il y a des secteurs qui sont
considérés comme appartenant à ce qu'on peut appeler le
domaine réservé du Président de la République.
C'est la défense, la diplomatie, la sécurité
intérieure, (...) en raison de leur incidence à la fois, sur la
liberté des citoyens, sur la paix et la guerre éventuelle avec
les étrangers », Interview accordée à la
télévision nationale camerounaise, le 19 février 1987,
cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 44.
252 Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op
cit, p. 13.
253En effet, ici, le Président de la
République est le garant de l'indépendance nationale et de
l'intégrité territoriale. La Constitution du 2 juin 1972, en
vigueur à l'époque de l'option des autorités de
Yaoundé pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, fait
de lui le Chef de l'Etat et du Gouvernement (article 5). En tant que tel, il
définit la politique de la nation. Il est responsable de la conduite des
affaires de la République et de l'unité de l'Etat, qu'il
représente dans tous les actes de la vie politique. Il nomme les
Ministres et Vice-ministres qui sont responsables devant lui, et met fin
à leurs fonctions (article 8). Il accrédite les Ambassadeurs et
Envoyés extraordinaires auprès des puissances
étrangères, dont les Ambassadeurs et Envoyés
extraordinaires, en retour, sont accrédités auprès de lui.
Il négocie et ratifie les Accords et les Traités. Il exerce le
pouvoir règlementaire, nomme aux emplois civils et militaires,
crée, organise et dirige tous les services administratifs
nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Chef de la
diplomatie et des forces armées, il veille selon l'article 9 de la
Constitution précitée, « à la
sécurité intérieure et extérieure de la
République ». (Cette énumération n'est pas
exhaustive. Pour plus de détails sur les prérogatives reconnues
au Chef de l'Etat à l'époque, voir les articles 8, 9, 10, et 11
de la Constitution du 2 Juin 1972.)
254 Thierry de MONTBRIAL, 2008, op. cit., p. 41.
255 François BLUCHE, Louis XIV, Fayard, 1988,
cité par Ibid., p. 42.
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