A. L'affaire en question
A la faveur du plébiscite des 11 et 12 février
1961188, le Cameroun s'était vu privé d'une
communauté humaine de 250 000 habitants et de 44 000 km2 de
territoire189. Lors de ce plébiscite, les populations
(camerounaises sous administration britannique) devaient voter soit pour une
intégration dans la Fédération du Nigeria, soit pour une
réintégration au Cameroun190. Malgré les
résultats de ces consultations traduisant la volonté des
populations du Cameroun septentrional (ou Northern Cameroons) de devenir
nigérianes, le Cameroun n'acceptait pas l'idée de perdre ses
ressortissants et son territoire. Qui plus est, « l'Etat camerounais
établissait un rapport de causalité entre le non respect, par la
Grande Bretagne, de la règle de l'unité du territoire
placé sous sa tutelle et les différences observées dans
les options politiques des Camerounais méridionaux191 et
septentrionaux »192. En effet, sous les régimes
successifs de mandat de la SDN et de tutelle de l'ONU, la Grande Bretagne
n'avait pas respecté l'unité physique du territoire camerounais
qui lui avait été confié après la défaite
allemande (durant la première guerre mondiale). Pour marquer sa
désapprobation contre ces résultats, la République
camerounaise vota contre la résolution 1608 (XV) du 21 avril 1961 des
Nations Unies qui prenait acte de ce plébiscite, et s'opposa au
transfert d'une partie de son territoire au Nigeria. Le 1er Mai, il
proposa à la Grande Bretagne de conclure un compromis à l'effet
de saisir la C.I.J. Celle-ci rejeta ladite proposition le 26 Mai
1961193.
Le Cameroun, qui était conscient des graves
irrégularités qui avaient entachés ce scrutin,
était convaincu que « la seule solution acceptable pour
éviter qu'une monstrueuse injustice ne soit commise »
était « d'annuler le plébiscite dans le Cameroun
septentrional »194 Deux jours avant la fin du
régime de tutelle, en l'occurrence le 30 Mai 1961, le Cameroun
déposa, sur la base d'une clause de l'Accord de tutelle justificative de
la compétence de la Cour, une requête devant la C.I.J. Il y
évoquait les griefs ci-après : méconnaissance de
l'unité administrative du territoire sous-tutelle ; non
réalisation des objectifs énoncés par l'Accord de tutelle
; non respect de la résolution 1473 du
188 Ce plébiscite avait été
organisé en vue de faciliter l'accession des territoires camerounais
sous administration britannique à l'indépendance ; en
l'occurrence, le Northern et le Southern Cameroons, ainsi divisé par la
Grande Bretagne.
189Anicet OLOA ZAMBO, L'affaire du Cameroun
septentrional Cameroun/Royaume-Uni, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 34 et p.
116.
190 Les questions posées étaient les suivantes :
1. Désirez-vous accéder à
l'indépendance en vous unissant à la Fédération
Nigériane indépendante ? ou
2. Désirez-vous accéder à
l'indépendance en vous réunissant à la République
Camerounaise indépendante ? Voir Ibid., p. 119.
191 Le Southern Cameroons (Cameroun méridional) avait
choisi d'accéder à l'indépendance en
réintégrant le Cameroun.
192 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p.189.
193 Lire à cet effet, André-Hubert ONANA MFEGUE,
2002, op cit, p. 160-162.
194 « Position de la République du Cameroun
à la suite du plébiscite des 11 et 12 février 1961 dans la
partie septentrionale du territoire du Cameroun sous administration du
Royaume-Uni de Grande Bretagne D'Irlande du Nord ». Voir, Anicet OLOA
ZAMBO, 2007, op. cit., pp. 176-177.
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12 Décembre 1959 demandant la séparation
administrative du Cameroun septentrional du Nigeria ; anomalies dans la
préparation et le déroulement du plébiscite195.
Pour ces raisons, il demandait à la Cour de juger que le Royaume-Uni
n'avait pas respecté certaines clauses de l'Accord de tutelle. Afin de
démontrer l'incompétence de la C.I.J. à connaître de
cette requête, la Grande Bretagne souleva des exceptions
préliminaires. Dans ces exceptions, il affirmait que la Cour n'avait pas
été saisie selon les conditions requises par l'article 19 de
l'Accord de tutelle196 ; qu'elle était incompétente
ratione temporis, car la date du différend ou, du moins, celle
des questions soulevées était antérieure au 20 septembre
1960, date d'admission de la République Fédérale du
Cameroun aux Nations Unies ; et enfin, que le Cameroun ne poursuivait aucun
recours, ne recherchait pas une décision quelconque de la Cour, mais
visait « à obtenir de la Cour un avis consultatif sur
l'exécution de l'accord de tutelle »197.
La Cour rejeta l'ensemble de ces exceptions
préliminaires, mais, refusa de statuer au fond sur la demande du
Cameroun. Elle affirma que le Cameroun ne pouvait lui demander de rendre un
arrêt au fond sur le non respect par la Grande Bretagne d'un Accord
expiré, conformément à la résolution 1608 des NU,
le 1er juin 1961. Tout en reconnaissant la possibilité pour
elle de prononcer un jugement déclaratoire, la Cour affirma que
« même si une fois saisie d'une requête, elle estime avoir
compétence, elle n'est pas obligée d'exercer cette
compétence dans tous les cas »198. La
C.I.J. constata qu'une décision selon laquelle l'autorité
administrative aurait violé l'Accord de tutelle n'établirait pas
un lien de cause à effet entre cette violation et le résultat du
plébiscite. Qu'en déclarant les allégations du Cameroun
justifiées au fond, elle serait réduite à «
trancher une question éloignée de la réalité
»199 et se trouverait dans l'impossibilité de
rendre un arrêt effectivement applicable ; car selon elle, cet
arrêt « n'infirmerait pas les décisions de
l'Assemblée Générale200. L'arrêt
ne remettrait pas en vigueur et ne ferait pas revivre l'accord de tutelle.
L'ancien territoire sous tutelle du Cameroun septentrional ne serait pas
rattaché à la République du Cameroun. L'union de ce
territoire avec la République du Nigeria ne serait pas invalidée
»201. Jugeant tout arrêt pouvant être
prononcé dans ce litige sans objet, elle refusa comme l'avait
195 Voir à ce propos, Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996,
op. cit., p. 190-191.
196 Cet article subordonnait la compétence de la Cour
à quatre conditions : l'existence d'un différend ; ce
différend devant être soulevé entre l'autorité
chargée de l'administration (en l'espèce la Grande Bretagne) et
un autre membre des Nations Unies ; et s'élevant à
l'interprétation ou à l'application des dispositions dudit accord
; enfin, ce différend devait pouvoir être réglé par
négociations ou autre moyen. Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op.
cit., p. 190.
197 Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., pp.
190-191.
198 Voir, ibid., p. 193.
199 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 193.
200 Il s'agit notamment ici de la Résolution 1608 (XV)
de l'AG de l'ONU, approuvant les résultats du plébiscite des 11
et 12 février 1961.
201 Cité par Narcisse MOUELLE KOMBI, op. cit., p.
193.
demandé le Cameroun de prononcer un simple
énoncé de droit qui « constituerait...son
témoignage vital pour le peuple Camerounais
»202.
Cette décision causa un traumatisme énorme au
Cameroun.
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