B. L'absence de certitude sur l'exécution du
jugement
Bien qu'aux termes du Statut de la C.I.J. ses décisions
sont obligatoires pour les parties en litige183, l'absence d'une
autorité supranationale (c'est-à-dire d'un supérieur
commun) capable de garantir leur exécution effective est au centre du
débat, entre les tenants des courants réalistes et
idéalistes, au sujet de la pertinence du droit international.
S'inscrivant en faux contre les auteurs idéalistes, les réalistes
affirment que du fait de la souveraineté étatique, les relations
internationales sont caractérisées par leur faible niveau
d'intégration institutionnelle. En effet, pour eux : « il n'y a
pas de cour internationale habilitée à juger de manière
systématique et cohérente l'ensemble des différends
étatiques, ni de forces de police pouvant sanctionner les agressions
afin de rétablir la paix. L'individu qui viole la loi au sein d'un Etat
est passible d'une sanction. L'Etat contrevenant au droit international ne
l'est généralement pas »184. ARON a ainsi vu
dans l'absence d'une instance qui détienne le monopole de la violence
légitime, le trait spécifique des relations
internationales185.
Dès lors, le règlement d'un conflit par la voie
judiciaire dépend généralement de l'existence de part et
d'autre d'un minimum de volonté. Dans le cas contraire, cette voie
risque d'être inefficace. En l'espèce, lors des travaux de la
deuxième session ordinaire de l'Organe Central du Mécanisme de
l'O.U.A. sur la prévention, la gestion, et le règlement des
conflits en Afrique, les 24
181 Article 38 du Statut de la C.I.J.
182 Les deux Etats étaient liés par un
Traité bilatéral de non agression, de conciliation et de
règlement judiciaire datant du 17 décembre 1939. Malgré la
proposition du recours à la C.I.J. par le Secrétaire
Général de l'Organisation des Etats Américains et le
Président Argentin lors des tensions en 1988, elle n'a pas
été suivie par les parties.
183 Article 59 du Statut de la Cour Internationale de Justice.
184 Pierre de SENARCLENS, Yohan ARIFFIN, 2006, op. cit.,
p. 33.
185 Lire Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 62
53
et 25 mars 1994 à Addis Abeba, alors que le Cameroun
attendait entre autres dudit Organe qu'il invite les deux pays
(c'est-à-dire le Cameroun et le Nigeria) à soumettre leur
antagonisme devant la C.I.J., le Nigeria insistait pour qu'il soit
réglé par voie bilatérale. Dans ce contexte, des
incertitudes pouvaient exister quant à l'acceptation nigériane de
la compétence de la Cour, et ipso facto, l'exécution
d'un arrêt éventuellement défavorable.
Par ailleurs, les modalités d'exécution des
arrêts de la Cour, prévues par l'article 94 de la Charte des
Nations Unies, étaient restées purement théoriques ; ceci
en raison de considérations d'ordre politique. En effet, cet article
donne la possibilité à l'Etat ayant eu gain de cause de faire
recours, en cas d'inexécution de l'arrêt par la partie adverse, au
Conseil de sécurité des Nations Unies ; qui, s'il le juge
nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures
à prendre pour faire exécuter l'arrêt. Toutefois, le
problème qui se pose à ce niveau est celui d'éventuelles
collusions entre les Etats membres du Conseil de Sécurité et
l'Etat contre lequel le recours est orienté ; les Etats poursuivant
avant tout leurs intérêts. L'affaire des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci186,
qui demeure à ce jour la seule affaire où il a
été fait appel au Conseil de Sécurité est à
ce titre illustratif. Dans ce cas précis, les USA (membre permanent du
Conseil de sécurité) avaient refusé d'exécuter
l'arrêt du 27 Juin 1986 rendu par la C.I.J. Ils étaient
allés jusqu'à opposer leur veto à une résolution du
Conseil de sécurité qui avait pour objet de les contraindre,
conformément à l'article 94 précité, à
l'exécution de la décision de la Cour. Dès lors,
même en cas de victoire du Cameroun, dans l'hypothèse où le
Nigeria aurait refusé l'exécution de l'arrêt de la C.I.J.,
rien ne garantissait le succès d'un éventuel recours au Conseil
de sécurité ; ses membres ayant a priori plus
d'intérêts vis-à-vis d'Abuja que de Yaoundé.
A côté des incertitudes qui accompagnaient le
choix du règlement judiciaire, le Cameroun avait été
psychologiquement affecté des années auparavant par une
décision, rendue par la Cour, qui consolidait le transfert d'une partie
de son territoire au Nigeria.
Paragraphe 2 : Le traumatisme de la première
expérience devant la C.I.J : l'affaire du Cameroun
Septentrional
Le spectre de l'affaire du Cameroun septentrional (A)
planait également autour de l'option judiciaire. En effet, les rapports
entre le Cameroun et la C.I.J. avaient été pendant longtemps
marqués, du fait de ladite affaire, par « une crise de
confiance »187 (B).
186 Voir, Affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil, 1984 ; fond, arrêt,
C.I.J. Recueil, 1986.
187 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 99.
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