Section 1 : Les risques du recours au règlement
judiciaire
Le choix du règlement judiciaire revêtait
essentiellement deux inconvénients : d'une part, l'incertitude sur
l'issue et l'exécution du jugement par le Nigeria (Paragraphe 1) et
d'autre part, le souvenir de la première expérience malheureuse
du Cameroun devant la C.I.J., à l'occasion de l'affaire de Cameroun
septentrional (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'incertitude sur l'issue et
l'exécution du jugement
L'impossibilité d'avoir une connaissance assurée
sur l'issue du jugement de la C.I.J. (dont les résultats sont
obligatoires) (A) et sur son exécution par la partie nigériane,
dans un environnement dominé selon le courant réaliste des
relations internationales par l'anarchie177 (B), fait partie des
raisons qui auraient pu expliquer l'éloignement du Cameroun de la
solution judiciaire. En effet, jaloux de leur souveraineté, les Etats
rebutent parfois à déclencher une procédure dont ils ne
savent pas quel sera le résultat, et si le défendeur s'y
pliera.
176 Photini PAZARTZIS, 1992, op. cit., p. 66.
177 Lire à ce propos Pierre de SENARCLENS et Yohan
ARIFFIN, 2006, op. cit., p. 14.
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A. Un choix à l'issue incertaine
L'incertitude sur l'issue du jugement revêtait deux
aspects pour la partie camerounaise : d'une part, les risques de
détérioration des relations avec le « grand voisin »
nigérian et d'autre part, l'absence de garantie de victoire.
En ce qui concerne le premier aspect, tous les Etats
éprouvent une crainte devant l'inconnu que représente une
décision de justice obligatoire. Aller devant la C.I.J., revenait pour
le Cameroun à s'opposer publiquement au Nigeria ; ce qui aurait pu
être considéré par ce dernier comme un « acte inamical
». En effet, le recours à la Cour, qui ne pouvait se faire que de
manière unilatérale, risquait de compromettre davantage les
relations entre ces deux pays qui étaient déjà
opposés dans une confrontation militaire (quoique de basse
intensité). A titre illustratif, le Nigeria a soutenu devant la C.I.J.
que le Cameroun avait fait preuve de mauvaise foi en continuant à
entretenir avec lui des contacts bilatéraux sur les questions de
frontières, alors qu'il s'apprêtait à s'adresser à
la Cour178. Qui plus est, les autorités de Yaoundé
étaient conscientes du coup psychologique qu'avait porté le
contentieux camerouno-britannique, à propos de l'affaire du Cameroun
Septentrional, sur les relations avec Londres, qui demeurent encore aujourd'hui
« assez timides »179.
Par le recours à la C.I.J., le Cameroun prenait
également le risque de perdre le procès engagé ; ce qui
aurait été ressenti comme un second échec difficilement
acceptable après celui de l'affaire du Cameroun septentrional. Dans ce
contexte, les autorités Camerounaises auraient pu être moins
enclines à recourir au règlement judiciaire. Qui plus est,
l'absence de garantie de victoire découlait principalement du fait que
les juges de l'instance judiciaire (en l'occurrence la C.I.J.) appliquaient un
droit international dont les sources étaient variables et sur lesquelles
les parties n'avaient quasiment aucune maîtrise. Le Statut de la C.I.J.
affirmait à cet effet que « la Cour dont la mission est de
régler conformément au droit international les différends
qui lui sont soumis applique les conventions internationales, soit
générales, soit spéciales établissant des
règles expressément reconnues par les Etats en litige , ·
la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale,
acceptée comme étant le droit , · les principes
généraux de droit reconnus par les nations civilisées
, · sous réserve de la disposition de l'article
59180, les décisions judiciaires et la doctrine des
publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme
moyen auxiliaire de
178 Lire à ce propos Guy Roger EBA'A, 2008, op. cit.,
p. 50.
179 Comme il est analysé plus loin, le Royaume-Uni et
le Cameroun ont entamé leurs relations d'Etats souverains avec un litige
devant la C.I.J. MOUELLE KOMBI, relève à ce propos que «
l'impact psychologique du contentieux camerouno-britannique à propos du
Cameroun septentrional » figure parmi les raisons qui expliquent la
timidité des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays.
Voir Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 134.
180 L'article 59 du Statut de la C.I.J. stipule que : «
la décision de la Cour n'est obligatoire que pour les parties en litige
et dans le cas qui a été décidé ».
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détermination des règles de droit
»181. Ainsi, les parties au litige ne pouvaient pas
forcément savoir quelle source ou alors quel raisonnement l'instance de
jugement allait adopter pour rendre sa décision ; d'où
l'incertitude. Cela aurait pu justifier la crainte par le Cameroun qu'une
interprétation par la C.I.J. aille à l'encontre de son point de
vue (et ainsi de ses intérêts). L'incertitude qui entoure le
recours au règlement judiciaire a par exemple amené la Colombie
et le Venezuela à privilégier, malgré l'existence
d'engagements de règlement judiciaire182, l'institution d'une
commission de conciliation pour le règlement du différend relatif
au tracé de la frontière maritime entre les deux pays dans le
golfe du Venezuela.
Par ailleurs, quelle que soit l'issue du jugement, avant la
saisine d'une juridiction internationale, il est nécessaire de
s'interroger sur les garanties de son exécution. Là encore, des
incertitudes demeurent.
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