B. Les limites de la voie diplomatique
Selon Jean BARREA, la négociation, sur le plan
perceptuel, est un phénomène de « convergence des
référents », c'est-à-dire des perceptions ou «
définitions de la situation »146. Dans le cas
d'espèce, les parties n'arrivaient plus à s'entendre car elles
avaient une définition différente de la situation. Le Nigeria
percevait la péninsule de Bakassi comme un territoire nigérian,
et refusait de s'y retirer. Le Cameroun quant à lui était
convaincu de son bon droit c'est-à-dire de la « camerounité
» de Bakassi. L'absence de convergence entre ces deux images, était
en même de
144 Alain PLANTEY, Principes de diplomatie, Paris,
éd. A. PEDONE, 2000, p. 133.
145 Le Gabon et la Côte d'Ivoire figuraient parmi les pays
à avoir reconnu le Biafra.
146 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 257.
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favoriser l'enlisement des négociations, et ainsi la
consolidation de la présence nigériane en territoire
camerounais.
Par ailleurs, la médiation engagée
revêtait également des limites. Comme le relève PLANTEY,
accepter une médiation n'est pas accepter son résultat. Celui-ci
est rarement contraignant, généralement aléatoire, et ne
saurait être imposé aux parties147. Malgré
l'engagement du Président EYADEMA, l'intransigeance du Nigeria (qui
avait toujours souhaité un règlement bilatéral plus
favorable à ses intérêts) et la résignation du
Cameroun, convaincu de l'impossibilité d'une solution bilatérale,
ne facilitaient pas la tâche au médiateur.
En effet, l'une des difficultés auxquelles le Cameroun
faisait face en 1994 est, comme il a été mentionné
ci-dessus, celle de l'échec des différentes démarches
entreprises pour régler diplomatiquement l'antagonisme à propos
de la péninsule de Bakassi. Qui plus est, au-delà du litige
relatif à la presqu'île de Bakassi, jusque là, presque tous
les engagements pris en vue du règlement des problèmes
frontaliers avec le Nigeria avaient ultérieurement été
remis en cause. Les travaux réalisés au sein de la Commission
mixte Cameroun-Nigeria de délimitation de la frontière, et la
Commission du Bassin du Lac Tchad (C.B.L.T.), sont à ce titre
illustratif.
Le 14 août 1970, lors d'une rencontre entre le Cameroun
et le Nigeria qui s'était tenue à Yaoundé et qui est
couramment appelée « Yaoundé I », la Commission
technique paritaire148 était devenue la Cameroon-Nigeria
Joint Boundary Commission (Commission mixte Cameroun-Nigeria de
délimitation de la frontière). Au cours de cette rencontre, le
programme des travaux et les instruments à prendre en compte pour la
définition de la frontière entre les deux pays (notamment les
Accords anglo-allemand du 11 et du 12 avril 1913) avaient été
déterminés et le travail avait été confié
à ladite Commission. Les travaux de cette Commission avaient eu pour
résultats, l'Accord de Yaoundé II et l'Accord de Maroua. L'Accord
de Yaoundé II, signé par les Présidents Yacubu GOWON et
Ahmadou AHIDJO en avril 1971, avait permis la démarcation de la
frontière maritime du point 1 situé à l'intersection de la
ligne joignant Bakassi Point au Cameroun à King Point au Nigeria, au
point 12 représentant la limite des eaux territoriales des deux pays
avec les coordonnées
147 Alain PLANTEY, 2000, op. cit., p.135.
148 La Commission technique paritaire Cameroun/Nigeria a
été constituée en 1965, à la suite de deux
incidents frontaliers : l'appréhension d'une équipe d'experts de
la société Mobile Oil qui faisait de la prospection pour
le compte de l'Etat camerounais dans l'estuaire du fleuve Cross par une
patrouille du service de renseignement nigérian (Voir Ministère
des Affaires Etrangères et de la Fonction Publique
Fédérale, Yaoundé, « Mémorandum » du
Consul des Etats-Unis à Douala. 2/11/1965, documents MESRES.,
cité par Martin Zachary NJEUMA, « Contributions diplomatiques et
administratives à la paix sur la frontière entre le Cameroun et
le Nigeria (1885-1992) », in UNESCO et CISH, Des frontières en
Afrique du XIIème au XXème siècle, Bamako, 1999, p.
174.), et l'éclatement d'un litige foncier entre les habitants de la
localité nigériane de Danaré et leurs voisins Camerounais
du village de Boudam, situés de part et d'autre de la frontière
(Voir Compte rendu de la réunion tenue à Ikom (Nigeria) le 7 juin
1965 en vue de régler le litige frontalier opposant les villages de
Danaré (Nigeria) et de Boudam (Cameroun), documents MESRES, cité
par Ibid., p. 175). Cette Commission était composée de
juristes, de cartographes et de topographes, chargés de faire des
recherches sur le terrain pour tracer la frontière.
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rapportées sur la carte N°3433 de
l'Amirauté britannique149. Quant à l'Accord de Maroua
du 1er juin 1975, signé également par les deux Chefs
d'Etat, il avait prolongé la démarcation de la frontière
du point 12, au point G avec les mêmes coordonnées.
Toutefois, en 1978, alors que les deux gouvernements
s'apprêtaient à poursuivre leurs travaux au-delà du Point
G, le Nigeria a remis en cause unilatéralement l'Accord de Maroua et
plus tard celui de Yaoundé II, anéantissant ainsi tous les
efforts qui avaient été entrepris depuis le 14 août 1970.
Le non respect par les autorités nigérianes de leurs engagements
s'était également illustré au niveau de la
frontière lacustre. En effet, alors que des travaux de
démarcation avaient été entrepris et se poursuivaient dans
le cadre de la C.B.L.T.150 à l'initiative des Chefs
d'Etat151, le Nigeria envahissait la localité camerounaise de
Darak et les villages avoisinants.
Ces faits figurent parmi les éléments qui ont
mûri la décision du Président Camerounais152 qui
était conscient dans ce cas précis, des inconvénients du
règlement diplomatique et de la nécessité du recours
à un mécanisme contraignant. À l'époque, le Porte
parole du Gouvernement camerounais relève à ce propos que :
« si nous signons maintenant un accord avec le Nigeria, on pourra
encore nous dire demain que cet accord n'est pas ratifié
»153. Instruit par l'expérience, le Cameroun
cherchait donc, avant tout, une solution définitive, conforme au droit
international et insusceptible d'être plus tard remise en cause par le
Nigeria. Cette solution ne pouvait venir ni du Conseil de
sécurité, ni de l'Organe Central de l'O.U.A. qui, malgré
leurs efforts tardaient à trouver des réponses satisfaisantes au
problème.
La poursuite isolée de la voie diplomatique ainsi
éliminée, il restait au Cameroun deux options : le
règlement par l'organe judiciaire principal des Nations Unie, et la
solution militaire.
149 Carte accompagnant les Accords germano-britanniques de
1913.
150 Le lac Tchad est un écosystème important
très convoité, et une frontière internationale. Ses Etats
riverains sont le Cameroun, le Niger, le Nigeria, et le Tchad. La C.B.L.T. est
née de la Convention de Fort-Lamy du 22 mai 1964, afin de mettre en
valeur les ressources du bassin du lac Tchad à des fins
économiques, d'assurer l'aménagement des eaux, et la
résolution des différends y relatifs.
151Suite à des incidents entre le Cameroun
et le Nigeria dans la région du lac Tchad en 1983, les deux Chefs
d'Etats convoquèrent une réunion de la C.B.L.T. entre le 21 et le
23 juillet de la même année à Abuja. Cette réunion
avait pour objectif de « confier à la commission le soin de
traiter certaines questions frontalières et de sécurité
». Elle permit la création de deux sous commissions dont les
experts proposèrent la démarcation de la frontière. Cette
opération fut confiée par les quatre Etats membres à la
C.B.L.T. Pour ce faire, les travaux furent entrepris par l'IGN France
International, avec la participation des experts nationaux, sur la base des
instruments juridiques pertinents conclus par les puissances coloniales. Entre
1988 et 1990, quinze bornes en béton ont été posées
avec l'accord de tous les Etats intéressés.
152 Entretien avec Monsieur Hamidou NJIMOLUH KOMIDOR,
Diplomate, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à l'époque
de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun au Congo et en Angola,
26 Juin 2011.
153 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la
Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, op.
cit., p. 4. C'est ce prétexte qui avait été
soulevé par le Nigeria pour remettre en cause les Accords de
Yaoundé II et Maroua.
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