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Le processus décisionnel dans la politique étrangère du cameroun: le cas du recours au règlement judiciaire dans le conflit de Bakassi


par Zoulica RANE MKPOUWOUPIEKO
Institut des Relations Internationales du Cameroun/Université de Yaoundé II - Master en Relations Internationales 2011
  

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B. Les limites de la voie diplomatique

Selon Jean BARREA, la négociation, sur le plan perceptuel, est un phénomène de « convergence des référents », c'est-à-dire des perceptions ou « définitions de la situation »146. Dans le cas d'espèce, les parties n'arrivaient plus à s'entendre car elles avaient une définition différente de la situation. Le Nigeria percevait la péninsule de Bakassi comme un territoire nigérian, et refusait de s'y retirer. Le Cameroun quant à lui était convaincu de son bon droit c'est-à-dire de la « camerounité » de Bakassi. L'absence de convergence entre ces deux images, était en même de

144 Alain PLANTEY, Principes de diplomatie, Paris, éd. A. PEDONE, 2000, p. 133.

145 Le Gabon et la Côte d'Ivoire figuraient parmi les pays à avoir reconnu le Biafra.

146 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 257.

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favoriser l'enlisement des négociations, et ainsi la consolidation de la présence nigériane en territoire camerounais.

Par ailleurs, la médiation engagée revêtait également des limites. Comme le relève PLANTEY, accepter une médiation n'est pas accepter son résultat. Celui-ci est rarement contraignant, généralement aléatoire, et ne saurait être imposé aux parties147. Malgré l'engagement du Président EYADEMA, l'intransigeance du Nigeria (qui avait toujours souhaité un règlement bilatéral plus favorable à ses intérêts) et la résignation du Cameroun, convaincu de l'impossibilité d'une solution bilatérale, ne facilitaient pas la tâche au médiateur.

En effet, l'une des difficultés auxquelles le Cameroun faisait face en 1994 est, comme il a été mentionné ci-dessus, celle de l'échec des différentes démarches entreprises pour régler diplomatiquement l'antagonisme à propos de la péninsule de Bakassi. Qui plus est, au-delà du litige relatif à la presqu'île de Bakassi, jusque là, presque tous les engagements pris en vue du règlement des problèmes frontaliers avec le Nigeria avaient ultérieurement été remis en cause. Les travaux réalisés au sein de la Commission mixte Cameroun-Nigeria de délimitation de la frontière, et la Commission du Bassin du Lac Tchad (C.B.L.T.), sont à ce titre illustratif.

Le 14 août 1970, lors d'une rencontre entre le Cameroun et le Nigeria qui s'était tenue à Yaoundé et qui est couramment appelée « Yaoundé I », la Commission technique paritaire148 était devenue la Cameroon-Nigeria Joint Boundary Commission (Commission mixte Cameroun-Nigeria de délimitation de la frontière). Au cours de cette rencontre, le programme des travaux et les instruments à prendre en compte pour la définition de la frontière entre les deux pays (notamment les Accords anglo-allemand du 11 et du 12 avril 1913) avaient été déterminés et le travail avait été confié à ladite Commission. Les travaux de cette Commission avaient eu pour résultats, l'Accord de Yaoundé II et l'Accord de Maroua. L'Accord de Yaoundé II, signé par les Présidents Yacubu GOWON et Ahmadou AHIDJO en avril 1971, avait permis la démarcation de la frontière maritime du point 1 situé à l'intersection de la ligne joignant Bakassi Point au Cameroun à King Point au Nigeria, au point 12 représentant la limite des eaux territoriales des deux pays avec les coordonnées

147 Alain PLANTEY, 2000, op. cit., p.135.

148 La Commission technique paritaire Cameroun/Nigeria a été constituée en 1965, à la suite de deux incidents frontaliers : l'appréhension d'une équipe d'experts de la société Mobile Oil qui faisait de la prospection pour le compte de l'Etat camerounais dans l'estuaire du fleuve Cross par une patrouille du service de renseignement nigérian (Voir Ministère des Affaires Etrangères et de la Fonction Publique Fédérale, Yaoundé, « Mémorandum » du Consul des Etats-Unis à Douala. 2/11/1965, documents MESRES., cité par Martin Zachary NJEUMA, « Contributions diplomatiques et administratives à la paix sur la frontière entre le Cameroun et le Nigeria (1885-1992) », in UNESCO et CISH, Des frontières en Afrique du XIIème au XXème siècle, Bamako, 1999, p. 174.), et l'éclatement d'un litige foncier entre les habitants de la localité nigériane de Danaré et leurs voisins Camerounais du village de Boudam, situés de part et d'autre de la frontière (Voir Compte rendu de la réunion tenue à Ikom (Nigeria) le 7 juin 1965 en vue de régler le litige frontalier opposant les villages de Danaré (Nigeria) et de Boudam (Cameroun), documents MESRES, cité par Ibid., p. 175). Cette Commission était composée de juristes, de cartographes et de topographes, chargés de faire des recherches sur le terrain pour tracer la frontière.

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rapportées sur la carte N°3433 de l'Amirauté britannique149. Quant à l'Accord de Maroua du 1er juin 1975, signé également par les deux Chefs d'Etat, il avait prolongé la démarcation de la frontière du point 12, au point G avec les mêmes coordonnées.

Toutefois, en 1978, alors que les deux gouvernements s'apprêtaient à poursuivre leurs travaux au-delà du Point G, le Nigeria a remis en cause unilatéralement l'Accord de Maroua et plus tard celui de Yaoundé II, anéantissant ainsi tous les efforts qui avaient été entrepris depuis le 14 août 1970. Le non respect par les autorités nigérianes de leurs engagements s'était également illustré au niveau de la frontière lacustre. En effet, alors que des travaux de démarcation avaient été entrepris et se poursuivaient dans le cadre de la C.B.L.T.150 à l'initiative des Chefs d'Etat151, le Nigeria envahissait la localité camerounaise de Darak et les villages avoisinants.

Ces faits figurent parmi les éléments qui ont mûri la décision du Président Camerounais152 qui était conscient dans ce cas précis, des inconvénients du règlement diplomatique et de la nécessité du recours à un mécanisme contraignant. À l'époque, le Porte parole du Gouvernement camerounais relève à ce propos que : « si nous signons maintenant un accord avec le Nigeria, on pourra encore nous dire demain que cet accord n'est pas ratifié »153. Instruit par l'expérience, le Cameroun cherchait donc, avant tout, une solution définitive, conforme au droit international et insusceptible d'être plus tard remise en cause par le Nigeria. Cette solution ne pouvait venir ni du Conseil de sécurité, ni de l'Organe Central de l'O.U.A. qui, malgré leurs efforts tardaient à trouver des réponses satisfaisantes au problème.

La poursuite isolée de la voie diplomatique ainsi éliminée, il restait au Cameroun deux options : le règlement par l'organe judiciaire principal des Nations Unie, et la solution militaire.

149 Carte accompagnant les Accords germano-britanniques de 1913.

150 Le lac Tchad est un écosystème important très convoité, et une frontière internationale. Ses Etats riverains sont le Cameroun, le Niger, le Nigeria, et le Tchad. La C.B.L.T. est née de la Convention de Fort-Lamy du 22 mai 1964, afin de mettre en valeur les ressources du bassin du lac Tchad à des fins économiques, d'assurer l'aménagement des eaux, et la résolution des différends y relatifs.

151Suite à des incidents entre le Cameroun et le Nigeria dans la région du lac Tchad en 1983, les deux Chefs d'Etats convoquèrent une réunion de la C.B.L.T. entre le 21 et le 23 juillet de la même année à Abuja. Cette réunion avait pour objectif de « confier à la commission le soin de traiter certaines questions frontalières et de sécurité ». Elle permit la création de deux sous commissions dont les experts proposèrent la démarcation de la frontière. Cette opération fut confiée par les quatre Etats membres à la C.B.L.T. Pour ce faire, les travaux furent entrepris par l'IGN France International, avec la participation des experts nationaux, sur la base des instruments juridiques pertinents conclus par les puissances coloniales. Entre 1988 et 1990, quinze bornes en béton ont été posées avec l'accord de tous les Etats intéressés.

152 Entretien avec Monsieur Hamidou NJIMOLUH KOMIDOR, Diplomate, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à l'époque de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun au Congo et en Angola, 26 Juin 2011.

153 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, op. cit., p. 4. C'est ce prétexte qui avait été soulevé par le Nigeria pour remettre en cause les Accords de Yaoundé II et Maroua.

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