CHAPITRE PREMIER:
ECONOMIE INFORMELLE ET CULTURE DE L'ANANAS
A travers ce chapitre, nous poursuivons comme objectif
principal l'appréhension conceptuelle et définitionnelle. Cette
approche théorique tourne autour du secteur informel (section
1ère) et de la culture de l'ananas (2e
section).
I.1. NOTION DE L'ECONOMIE INFORMELLE
Le secteur informel prend une part de plus en plus grande dans
l'économie des pays en développement et plus
particulièrement en Afrique, en termes de production, de distribution de
revenu ainsi que de création d'emplois. De plus, les stratégies
de réduction de la pauvreté placent au centre des politiques de
développement les questions d'emploi ou de micro finance, intimement
liées au secteur informel. Par ailleurs, vu l'impact de la crise
économique et financière mondiale et des autres crises, il est
indéniable que l'économie informelle, qui, dans les pays
africains, est à l'origine de la création de plus de 80% des
emplois, a un rôle clé à jouer pour la survie des
populations les plus pauvres.
« Contrairement à ce qu'on a longtemps
supposé, le secteur informel n'est pas un phénomène
passager, ni marginal et voué à disparaître à moyen
terme. Son ampleur et sa complexité grandissantes dans la vie
économique, sociale et politique des pays en développement, en
général, et d'Afrique en particulier, sont une
réalité incontestée et de plus en plus reconnue ». Ce
constat, fait par l'Organisation internationale du travail (OIT), s'appuie sur
des données quantitatives et montre que non seulement le secteur
informel constitue une part significative des économies africaines,
sud-américaines et asiatiques, mais encore qu'il occupe une place de
plus en plus prépondérante dans la création d'emplois et
la production de la richesse nationale.19
Il est important, par ailleurs, de promouvoir la bonne
conduite des affaires publiques et de réduire, pour les pouvoirs
publics, les coûts liés à l'informalité et à
l'informatisation. Les travailleurs et les entreprises du secteur informel sont
souvent
19 Maldonado C. et al, Méthodes
et instruments d'appui au secteur informel en Afrique francophone, OIT,
(2004)
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Mémoire Billy UCBC
victimes de pratiques de harcèlement, de corruption et
d'extorsion de la part de fonctionnaires corrompus et sont confrontés
aux coûts prohibitifs et à la complexité des
procédures administratives liés à la création et
à l'exploitation des entreprises.
En revanche, ils ne paient pas d'impôts directs ni de
cotisations sociales, ce qui constitue un avantage important. Pourtant, on
attend des pouvoirs publics qu'ils assurent aux acteurs de l'économie
informelle un certain accès à tous les services potentiels d'un
Etat responsable, depuis l'infrastructure de base jusqu'à la
sécurité sociale intérieure et extérieure: autant
de services qui doivent être financés en grande partie par la
fiscalité de l'économie formelle. Pour améliorer les
droits et la protection dans l'économie informelle, il faut en
même temps que les gouvernements investissent massivement dans les
structures de la bonne conduite des affaires publiques afin d'assurer
l'exécution des contrats, de protéger les droits de
propriété, de garantir la sécurité des personnes et
la stabilité sociale, de réduire les risques environnementaux et
de santé publique, etc.
Pour un pays pris globalement, l'informalité constitue
un frein à l'utilisation plus efficace des ressources et aux
améliorations de la productivité. Il s'ensuit que
l'économie fonctionne en deçà de ses potentialités,
ce qui a des répercussions négatives sur les taux de croissance
économique.20
Simplifier les règles et les procédures
économiques et diminuer les coûts des transactions encouragerait
l'activité d'entreprise et faciliterait la formalisation. Simplifier les
lois et règlements n'est pas synonyme de déréglementation
totale.
Il faut aussi se souvenir que l'économie informelle
contribue de deux manières au moins à la croissance
économique. Premièrement, dans bon nombre de pays, la production
et les salaires modestes des travailleurs informels contribuent à la
croissance des industries, y compris des principales industries exportatrices.
Deuxièmement, la production des entreprises informelles contribue
également à la croissance économique. Les tentatives
récentes d'estimation de la contribution de l'économie informelle
au PIB situent cette contribution entre 7 et 38 pour cent du PIB total dans 14
pays de l'Afrique subsaharienne.21
20 Conférence internationale du
Travail, op cit
21 Conférence internationale du Travail, op
cit
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Mémoire Billy UCBC
L'économie informelle est le secteur où ont
été créés la plupart des emplois ces
dernières années, mais aussi celui où les droits des
travailleurs posent le plus de problèmes. Pour l'OIT, les droits
fondamentaux au travail ont la même importance dans l'économie
informelle et dans l'économie formelle, ce qui explique le souci de
créer des emplois de qualité, et pas n'importe quel type
d'emplois. «Le travail n'est pas seulement une question d'argent; c'est
aussi une affaire de droits de l'homme. Il ne peut y avoir de travail
décent que si l'équité et la dignité auxquelles
chacun aspire dans son emploi sont garanties.»22
La capacité des décideurs à concevoir et
mettre en oeuvre des politiques fondées concernant le secteur informel,
suppose qu'ils soient correctement informés des réalités
multiformes de ce secteur et reçoivent à temps les données
leur permettant d'en suivre régulièrement l'évolution.
Cependant, l'absence d'information sur le secteur informel, engendre une
sous-estimation du Produit Intérieur Brut (PIB) et de l'emploi global,
limitant ainsi la compréhension des autorités publiques sur les
problématiques telles que la couverture sociale, l'accès au
crédit, ainsi que le différentiel de rémunération
entre l'emploi formel et informel.
La population active occupée dans le secteur informel
comprend toutes les personnes qui, pendant une période de
référence donnée, étaient pourvues d'un emploi dans
au moins une unité du secteur informel indépendamment de leur
situation dans la profession et du fait que cet emploi constitue leur
activité principale ou secondaire.23
I.1.1. Définition de l'économie
informelle
L'économie informelle désigne l'ensemble des
activités productrices des biens et services qui échappent au
regard ou à la régulation de l'Etat.
Selon une autre acception, elle peut être définie
comme étant l'activité économique réalisée
par le « secteur informel » (ou « secteur non structuré
») tel qu'entendu par le bureau international du travail.
22 Conférence internationale du Travail, op
cie
23 Commission économique des
Nations Unies pour l'Afrique (UNCEA), Étude sur la Mesure du Secteur
Informel et de l'emploi informel en Afrique, Juillet 2009
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Mémoire Billy UCBC
Le secteur informel est l'ensemble des activités
économiques qui se réalisent en marge de la législation
pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la
Comptabilité Nationale.
Autrement dit, c'est l'ensemble des activités qui
échappent à la politique économique et sociale, et donc
à toute régulation de l'État.
Dans tous les cas, les deux définitions se recoupent
puisqu'elles soulignent l'idée de fraude. Paradoxalement, ce secteur
censé se soustraire au contrôle de l'État, fonctionne
allègrement au vu et au su de tous. Complaisance ? Ambiguïté
de l'État. ?
Des trois secteurs connus (primaire, secondaire, tertiaire), dans
quelle catégorie classer l'informel dans la mesure où toutes les
activités des trois secteurs y sont représentées ? Banques
traditionnelles (tontines), ateliers de réparation, médecine de
proximité s'y côtoient.
Le secteur informel est officiellement défini comme
« un ensemble d'unités produisant des biens et des services en vue
principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes
concernées. Ces unités, ayant un faible niveau d'organisation,
opèrent à petite échelle et de manière
spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital
en tant que facteurs de production.
Les relations de travail, lorsqu'elles existent, sont surtout
fondées sur l'emploi occasionnel, les relations de parenté ou les
relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords
contractuels comportant des garanties en bonne et due forme».
Ce concept du secteur informel prend naissance. Il englobe des
travailleurs pauvres, exerçant un travail pénible, mais dont les
activités économiques ne sont ni reconnues, ni
enregistrées, ni protégées, ni réglementées
par les pouvoirs publics24.
L'informalité économique est alors : « une
façon de faire les choses » caractérisée par: une
facilité d'entrée, un recours aux ressources locales, une
appropriation familiale des ressources, une production à petite
échelle, une technologie adaptée et une main d'ouvre importante,
dans un marché de concurrence sans
réglementation25.
Jusqu'au milieu des années quatre-vingt, le secteur
informel se définit comme un secteur parallèle au secteur formel.
Il existe alors deux manières d'analyser l'informel.
24 Bureau International du Travail, Rapport
d'activité 2002.
25 MUHEME Gaspard, comprendre l'économie informelle,
Academica, 1996
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Mémoire Billy UCBC
La première associe la pauvreté à
l'informalité. Elle est centrée sur le ménage et
précise que les ressources des familles proviennent à la fois du
secteur formel et du secteur informel.
La seconde analyse est plutôt centrée sur
l'unité de production. Les gouvernements et les institutions
internationales mettent l'accent sur une évaluation quantitative de la
production. De l'aspiration à faire évaluer les petites
entreprises informelles vers le statut de petites entreprises formelles
découle l'aide aux micros entreprises, par le crédit à
l'investissement et l'aide à la formation26.
Selon Bruno Lautier, les politiques d'ajustement structurel
font croître le taux de chômage dans les pays en
développement à partir des années quatre-vingt. Plusieurs
Etats abandonnent leur politique de subsides aux denrées de
première nécessite en milieu urbain. Le discours des organismes
internationaux change.
L'informel a maintenant un rôle plus social que
productif. Il est alors qualifié : « d'éponge à
emploi ». Grâce à ses qualités de
créativité, de dynamisme et de flexibilité, l'informel
devient alors un outil d'adaptation aux politiques d'ajustement
structurel27.
En RDC, le secteur informel a pris une ampleur exceptionnelle
au fur et à mesure que ce pays s'enfonçait dans une crise
économique profonde. Dans son analyse, Oasis Kodila Tedika28
précise que le secteur informel représenterait plus de 80% de
l'économie. Dès lors, il constituerait un frein au
développement plus rapide et un facteur réducteur de l'assiette
fiscale, minimisant ainsi les dépenses d'infrastructures dont le pays a
besoin. Alors que certains voudraient l'atrophier ou le supprimer, le vrai
problème c'est avant tout d'en déterminer l'origine.
Cette « démoralisation » a naturellement
entraîné vers le bas les salaires (le revenu d'un salarié
passe de 1572.5 dollars en 1973 à 28 dollars en 1998) et vers le haut le
taux de chômage (il est estimé à plus de 90% aujourd'hui).
Avec un tel tableau, la population dotée d'esprit d'entreprise s'est
déversée dans les activités dites
26 MUHEME Gaspard, op cit.
27 BRUNO Lautier, l'économie informelle dans le tiers
monde, éd. La découverte, Paris, 1994.
28 Oasis Kodila Tedika, Aux origines du secteur informel en
République démocratique du Congo, inédit
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Mémoire Billy UCBC
« informelles ». L'effondrement du secteur formel
fut donc inévitablement compensé par le développement du
secteur informel. Une situation très préoccupante car handicapant
la consolidation d'une économie intégrée en RDC.
La question revêt plusieurs aspects dit BUABUA WA
KAYEMBE : social, juridique, économique, politique. Elle a en outre de
nombreuses implications d'ordre fiscal dans la mesure où de l'avis des
spécialistes, les personnes qui oeuvrent dans ce secteur
échappent au contrôle fiscal et à
l'impôt29.
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