SECTION II : L'ARBITRAGE SOUS L'ÉGIDE
D'INSTITUTIONS NATIONALES : CAS DE LA CÔTE D'IVOIRE ET DU
SÉNÉGAL
Avant l'avènement de l'oeuvre d'harmonisation en
Afrique du droit des affaires, quelques Etats parties de l'OHADA avaient
timidement envisagés la justice arbitrale comme mode de règlement
des litiges. C'est le cas notamment de la Côte d'Ivoire et du
Sénégal qui ont mis en place des institutions. Aujourd'hui, ces
institutions se retrouvent doublées de la CCJA, une institution
suprême nationale dans l'espace OHADA. Dans tous les cas, l'arbitrage
connait des fortunes diverses dans les états parties.
PARAGRAPHE I : LA PRATIQUE ARBITRALE ET L'INSTITUTION
ARBITRALE EN CÔTE D'IVOIRE32
En Côte d'Ivoire, la pratique arbitrale était
essentiellement régentée par les dispositions du code de
commerce, devenu code de procédure civile, commerciale et administrative
ainsi que certaines dispositions du code civil. Mais en l'absence
d'institutions arbitrales, et d'une législation consacrée, les
opérateurs économiques s'orientaient très souvent vers les
institutions internationales d'arbitrage.
A- La pratique arbitrale avant la création de la
CACI
Pendant longtemps, l'arbitrage a connu un développement
très embryonnaire en Afrique du fait d'une part de l'absence de
réglementation légale et d'autre part de la quasi inexistence de
centres ou d'organismes d'arbitrage.
32 Narcisse AKA, « La pratique arbitrale des
institutions d'arbitrage en Afrique : le cas de la Côte d'Ivoire »,
l'OHADA et les perspectives de l'arbitrage en Afrique, colloque de
Yaoundé 1999, p.151, édition Bruylant, Bruxelles 2000
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L'arbitrage n'était généralement
prévu que dans les contrats internationaux qui comportaient sous la
pression des partenaires extérieurs des clauses CCI, CIRDI, LCIA etc.
En 1955 déjà, pour résoudre rapidement
les contestations d'ordre commercial, il fut créé une Chambre
arbitrale auprès de la Chambre de commerce de Côte d'Ivoire.
Après l'accession de la Côte d'Ivoire à
l'indépendance, cette institution n'a pas été
reconstituée. Pourtant, la Côte d'Ivoire a signé et
ratifié plusieurs conventions internationales33 relatives
à l'arbitrage commercial.
Avant 1993, un seul texte ivoirien concernait directement
l'arbitrage ; c'était l'article 631 alinéa 2 du code de commerce
ivoirien, qui validait en droit interne34 la clause compromissoire
en ces termes : « Toutefois, les parties pourront au moment où
elles contractent convenir de soumettre à des arbitres les contestations
ci-dessous énumérées lorsqu'elles viendront à se
produire». On pourrait déduire de cette disposition
l'admission du recours à l'arbitrage en Côte d'Ivoire. Cependant,
cette question n'est si simple, en témoigne les atermoiements de la
jurisprudence. En effet, celle-ci, du fait de l'insuffisance des dispositions
législatives, éprouva de sérieuses difficultés
à répondre à la question de savoir si l'arbitrage
constituait un mode licite de règlement des différends à
caractère commercial.
Dans l'arrêt Wanson rendu par la Cour d'appel
d'Abidjan le 15 juillet 1977, l'une des parties avait sollicité en
référé la nomination d'un expert, en attendant
l'exécution de la clause compromissoire. Les juges d'appel avaient
accédé à cette demande au motif que celle-ci ne
préjudiciait pas au principal. La Cour a ainsi
33 Convention de Washington du 18 mars 1965 instituant
le Centre International pour le Règlement des Différends
aux Investissement (CIRDI) ;
- Convention de New York du 10 juin 1958 sur la
reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales
étrangères - Convention de Lomé IV, dont l'article 307
concerne le règlement des litiges relatifs aux marchés
financés par le FED ;
- le Code des investissements (loi n° 84-1230 du 8 novembre
1984) pose en ses articles 10, 14 et 23 le principe du recours à
l'arbitrage.
34 Henri MELEDJE, « La question arbitrale et la
fonction juridictionnelle en Côte d'Ivoire », Annales de
l'Université d'Abidjan, série A Droit, T.X, 1995, p.13
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conclu que lorsque les parties à un contrat ont
prévu, dans leur convention, l'arbitrage pour tout différend
éventuel, le recours à la procédure de
référé n'est pas pour autant exclu s'il y a urgence. Il
s'ensuit que peut être sollicitée par cette voie la
désignation d'un expert, « mesure de pure information qui ne
préjudicie nullement au principal ». Pourtant, l'appelant avait
soulevé l'incompétence du juge des référés,
en raison de l'existence d'une clause compromissoire. En accédant
à la demande d'expertise sans répondre à l'objection
d'incompétence, le juge ivoirien admettait implicitement le principe du
recours à l'arbitrage et sa compatibilité avec le recours au juge
des référés en cas d'urgence.
Dans le 2e arrêt MARBLOC rendu par la Cour
d'appel d'Abidjan le 23 janvier 1981, l'un des plaideurs avait soulevé
l'incompétence du Tribunal de première instance, en raison de
l'existence d'une clause compromissoire. Son adversaire relevait
l'illicéité de ladite clause. Les juges du fond ont
souligné le caractère illicite de la clause compromissoire, en
l'absence d'une réglementation légale de l'arbitrage.
«Le premier juge s'est fondé sur les dispositions
combinées des articles 5 et 9 du Code de procédure, qui donnent
compétence aux tribunaux de première instance dans toutes les
affaires civiles et commerciales et qui déclarent nulle toute convention
dérogatoire à cette règle ; en se
prononçant ainsi, le premier juge a bien jugé35
».
L'affaire TALAL contre OMAÏS peut être
considérée comme constituant l'illustration la plus
éclatante des hésitations de la jurisprudence, La Cour d'Appel
d'Abidjan, saisie des incidents relatifs à l'exequatur d'une sentence
arbitrale, avait conclu à la régularité de cette
décision par un arrêt du 17 mai 1985. Elle déclarait
notamment: «II est clair que l'article 631 du Code de commerce
autorise la clause compromissoire voulue et acceptée par les parties en
cause, celles-ci ont même expressément renoncé à
tout recours aux tribunaux pour connaître de leurs litiges
éventuels (...). Il s'ensuit que la sentence présentement
attaquée est valable36 ».
35 Cour d'appel d'Abidjan, 23 janvier 1981,
Arrêt MARBLOC
36 Cour d'appel d'Abidjan, 17 Mai 1985, arrêt
TOLAL contre OMAÏS
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Mais la Cour suprême fut d'un avis différent. Par
arrêt du 29 avril 1986, elle cassa la décision de la Cour d'appel
d'Abidjan au motif que : « Les parties peuvent insérer dans
l'acte qui les lie une clause compromissoire visant à une
procédure d'arbitrage ; il n'en reste pas moins vrai que les conditions
et les modalités de cet arbitrage doivent être prévues par
le législateur»37. La Cour suprême reconnaissait
la validité des clauses compromissoires. Elle estimait, toutefois,
qu'à défaut de réglementation étatique en la
matière, la sentence arbitrale ne pouvait être
validée.
La Cour d'appel de Bouaké (Cour de renvoi), dans un
arrêt rendu le 25 novembre 1987 refusait de se plier à cette
interprétation. Elle soutenait que « la sentence arbitrale ne
contenant rien de contraire à l'ordre public, c'est à tort que
l'ordonnance accordant l'exequatur à ladite sentence a été
rétractée »38.
Face à cette résistance du juge du fond, la Cour
suprême consacrait la licéité et la validité de la
sentence arbitrale en ces termes : « ...il s'induit de ce texte que le
principe du recours à l'arbitrage est admis en Côte d'Ivoire; Que
s'il est constant que le Code de procédure civile, commerciale et
administrative n'a ni prévu, ni organisé l'arbitrage, il est non
moins constant que pour l'application dudit texte, les juridictions ivoiriennes
ont recours soit aux principes généraux du droit, soit aux
dispositions du livre du code de procédure civile français
à titre de raison écrite. Qu'il s'ensuit que la Cour d'appel, en
déclarant valable la clause compromissoire et la sentence qui en
résulte n'a aucunement violé les textes visés au
moyen »39.
Le décret 92-21 du 8 janvier 1992 créant et
organisant la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire va
ouvrir une brèche dans la reconnaissance de l'arbitrage comme mode de
règlement des différends, en donnant la possibilité
à cette chambre de créer en son sein des chambres arbitrales
37 Laurence IDOT, « La Cour Suprême et la
règlementation de l'arbitrage en Côte d'Ivoire : à propos
de l'arrêt du 29 avril 1986 », RIDEC, juillet 1989, pp.11-12
38 Laurence IDOT, Ibid
39 Laurence IDOT, Ibid
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et d'en assurer le fonctionnement. Une année plus tard,
le 9 août 1993, le Parlement Ivoirien adoptait une réglementation
de l'arbitrage par la loi n° 93-671 relative à l'arbitrage
largement inspirée - comme c'est souvent le cas - de la
législation française.
Cette loi mettra définitivement fin aux nombreuses
années d'hésitations jurisprudentielles. Peu après
cependant, le 17 octobre 1993, la Côte d'Ivoire et 13 pays de la zone
franc signaient à Port Louis (Ile Maurice) le Traité relatif
à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique. Ce traité
réserve une place importante à l'arbitrage comme mode de
règlement des différends contractuels et confie à la CCJA
une fonction de centre d'arbitrage. Enfin, l'adoption à Ouagadougou d'un
Acte Uniforme particulièrement libéral portant sur l'arbitrage
constitue le dernier palier important franchi pour la promotion de l'arbitrage,
d'autant qu'à l'exception de la Côte d'Ivoire, du Mali, du
Sénégal et du Togo, les autres pays signataires du Traité
ne disposaient pas de législation spécifique en matière
d'arbitrage.
II résulte de tout ce qui précède que la
pratique arbitrale est relativement récente en Côte d'Ivoire et
que les institutions d'arbitrage comme la CACI en Côte d'Ivoire ont un
rôle prépondérant à jouer dans la vulgarisation de
l'arbitrage. Toutefois, certaines pesanteurs sont susceptibles de bloquer le
développement de l'arbitrage en Côte d'Ivoire40.
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