I.2 : REVUE DE LA LITTERATURE EMPIRIQUE SUR LA GESTION
DES RUMEURS
Dans ce point, nous abordons les différentes
façons de gérer les rumeurs auxquelles l'IMF est exposée
dans le processus d'exécution de ses activités et passons en
revue un certain nombre des travaux antérieurs ayant traité sur
la gestion des rumeurs en vue de relever les principaux résultats
auxquels ils ont abouti et d'avoir une idée plus claire sur
l'aboutissement de notre étude.
Différentes33 études ont
montré que les rumeurs se portent particulièrement bien dans un
environnement d'incertitude. Au sein des institutions et entreprises, la rumeur
naît souvent lorsque le personnel ne reçoit pas une information
claire en période de crise ou de changement et/ou lorsque les relations
entre le management et le personnel ne sont pas bonnes. La rumeur peut alors
être dévastatrice pour une entreprise et causer des
dégâts parfois irréversibles : elle peut miner un climat de
travail, casser la motivation et l'implication des collaborateurs, nuire
considérablement à l'image et à la santé d'une
personne, d'une organisation, provoquer un vent d'inquiétude, voire de
panique. Elle pose par ailleurs souvent un problème qui est de l'ordre
du double lien : ne pas réagir à la rumeur revient à
l'accréditer, mais réagir, c'est aussi l'accréditer. Une
information bien organisée et claire au sein de l'institution peut
éviter, voire rapidement désamorcer une rumeur. Une relation de
confiance entre direction et collaborateurs diminuera la probabilité
d'apparition de rumeur. Il faut éviter la politique de l'autruche. Les
membres du
33
www.nouveaudepart.be:Conseil en Image et en Communication
- 26 -
personnel peuvent s'imaginer que si la hiérarchie
ne réagit pas, c'est que la rumeur est forcément fondée et
donc vraie.
Réagir ne signifie pas pour autant s'emballer et faire
n'importe quoi : lorsque l'institution est proie à une rumeur, il faut
évaluer d'abord correctement l'ampleur de cele-ci
et essayer d'identifier, si possible, sa source. Si la source est
révélée, la rumeur aura moins d'impact et sera
discréditée, surtout s'il apparaît que le colporteur a un
intérêt à propager cette rumeur. Réagir à
trop grande échelle pourrait s'avérer contreproductif comme,
par exemple, la faire connaître aux personnes qui n'en ont pas entendu
parler et ainsi l'entretenir. L'utilisation de multiples canaux
d'information pour diffuser un démenti ne doit être
envisagée qu'en dernier recours. Et il faut, autant que possible,
contrer la rumeur par des faits, car pour toute rumeur ce qui est
invérifiable est fiable puisque personne ne peut apporter les preuves du
contraire. En outre, l'émetteur de l'information rectifiée
doit être digne de confiance, compétent et reconnu par le
récepteur, une personne capable de communiquer au nom de l'entreprise ou
de l'institution. Il peut s'agir, par exemple, d'un directeur des ressources
humaines, d'un chargé de communication, etc. A noter que
l'indépendance, l'absence de parti pris, est souvent un
critère de crédibilité dans la contre-attaque et permet le
recul nécessaire pour bien appréhender la situation.
L'amélioration de la communication managériale
est l'une des techniques pour gérer efficacement les rumeurs dans une
entreprise. Les managers se trouvent en situation de recevoir de l'information
stratégique et de devoir la répercuter aux collaborateurs en
suivant une double contrainte : taire les éléments confidentiels
et adapter leur discours à l'activité de l'équipe. Or,
comme le fait remarquer Laurence Houdeville, cela nécessite un
important effort rédactionnel car le langage de la direction est souvent
éloigné de celui opérationnel. Pour être comprise,
l'information doit donc être traduite et argumentée. Pour
cela, elle conseille aux managers d'imaginer toutes les questions,
interprétations et rumeurs qui peuvent être
générées par la communication afin d'y répondre
avant qu'elles n'apparaissent. Et surtout, il faut éviter la langue de
bois !34
34
www.google.com
: Prévenir par la communication
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A part le fait que l'entreprise doit prévenir la
rumeur en communiquant avec ses employés, ele doit
rester vigilante pour détecter les prémices de la
rumeur35. Lorsqu'elle s'installe, il faut jouer franc-jeu. Un
grand nombre de rumeurs sont totalement infondées, mais certaines
d'entre elles possèdent un fond, voire une grande part de
vérité. L'entreprise doit préparer soigneusement ses
arguments et illustrations, confirmer les éléments
véridiques au moyen d'exemples précis, et être impitoyable
avec les assertions mensongères. La sincérité dont elle
fera part sera appréciée à sa juste valeur et
considérée comme une marque de respect vis-à-vis de ses
employés. Cette réunion pourra également fournir
l'occasion rêvée d'interroger ses collaborateurs sur les motifs de
leur inquiétude, en particulier si la rumeur est totalement fausse. Il
ne suffit pas d'apaiser la rumeur : encore faut-il en comprendre les
fondements.
Il existe plusieurs stratégies pour faire face aux
rumeurs. Ces méthodes sont plus connues dans le domaine politique, mais
peuvent être efficaces dans l'environnement de
l'entreprise36.
· Une rumeur se nourrit d'elle-même, donc
le premier réflexe qui est de s'en défendre ou la justifier est
à éviter à tout prix. Plus une personne cherchera à
se justifier, plus la rumeur sera confirmée et durera dans le temps. Une
rumeur est comme une bulle, elle se forme et grossit, puis finit par
éclater et disparaître, sans aucune intervention de notre part,
jusqu'à ce que les gens oublient et trouvent d'autres occupations. Si on
cherche à s'en défendre, l'effet inverse se produira et la rumeur
deviendra incontrôlable, elle se transformera en feu de paille et se
propagera de plus en plus fort et de plus en plus rapidement.
· La technique du 20/80 : cette technique
consiste à affirmer 20% de la rumeur en donnant beaucoup de
détails intéressants, tout en la transformant en positif, et cela
aura l'effet de renier de manière tacite les 80% restants de la
rumeur.
· La technique de la noyade : il s'agit de
lancer soi-même en parallèle cinq ou six rumeurs, toutes
différentes, pour noyer la rumeur initiale. Les personnes qui sont
à l'écoute ne sachant qui croire ou ne pas croire, se perdant
dans les rumeurs multiples, finissent par décrédibiliser la
source et s'ennuyer ou même s'irriter très vite face à un
flux d'informations contradictoires et non vérifiées.
35
www.google.com: Comment
réagir face à la rumeur ?
36
www.google.com: L'impact d'une
rumeur au travail sur une personne dépend de la
réceptivité de la personne calomniée
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Au-delà de ces mesures préventives
citées ci-haut, l'entreprise peut avoir une sorte de règlement
interne, un code déontologique ou des règles de vie bien
arrêtées, donnant lieu à des sanctions et
pénalisations en termes de points sur l'évaluation annuelle par
exemple, ou alors faire simplement intervenir dans les cas extrêmes un
médiateur ou un facilitateur pour accompagner les concernés
(personne calomniée et personne à l'origine de la rumeur) dont le
rôle sera d'améliorer le relationnel des deux personnes
impliquées, mais aussi veiller à ce que le problème ne se
reproduise plus.
Dans leur travail intitulé «Quand on prêche
le faux par la rumeur, quelles en sont les finalités?»,
Béatrice Bocquet et al, ont voulu connaître les finalités
de « fausses rumeurs ». Ils ont montré que les « fausses
rumeurs » obéissent à une logique forte dont ils ont
présenté les mécanismes à travers quelques exemples
appliqués à de nombreux domaines comme le marketing,
l'Internet, la finance et la politique. Ils ont vu que les rumeurs sont
nombreuses et que même si certaines sont « fausses » et n'ont
pas de buts apparents, comme c'est souvent le cas sur Internet, elles sont de
plus en plus utilisées à des fins commerciales. L'une des
finalités les plus communes dans tous ces domaines est de
déstabiliser un concurrent en attaquant son image. Cependant, une
évidence demeure : les rumeurs seront toujours d'actualité,
puisque les individus communiqueront toujours ensemble. Pour ceux qui
penseraient que le secret peut résoudre le fléau des rumeurs en
croyant que l'ignorance entraîne le silence, il faut préciser que
le secret pourra éventuellement éviter la propagation de quelques
rumeurs mais il n'arrivera jamais à en éliminer la
totalité et pourra même en créer d'autres.
Nga Nkouma Tsanga Rosalie Christiane, dans son travail sur
« Rumeur de marque et confiance du consommateur : facteurs explicatifs et
implications managériales » a voulu identifier les facteurs
déterminant la confiance vis-à-vis de la rumeur commerciale. Pour
y parvenir, elle a menée une enquête auprès de deux cent
cinquante consommateurs en vue de mieux cerner les principales raisons de la
croyance à ce phénomène fuyant et d'en déduire des
propositions managériales. Sa méthodologie de recherche est
axée sur trois principaux éléments : le choix du terrain
d'investigation, le type d'étude, les instruments de mesure et les
outils d'analyse de données.
Au terme de cette recherche, elle prouve que les
consommateurs prêtent attention aux rumeurs parce que celles-ci leur sont
révélées par des personnes honnêtes et parce que les
entreprises dont les marques sont rumorées ne les démentent pas
toujours. Il ressort également que
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certains accordent une attention particulière aux
rumeurs parce qu'ils ne font pas absolument confiance aux médias et
d'autres à cause de l'indisponibilité des médias dans
certaines zones. S'agissant des antécédents de la confiance, elle
a pu observer trois catégories : les anticipations
socio-hédoniques, les anticipations techniques et les anticipations
relationnelles. La confiance, continue-t-elle, est d'abord
caractérisée par des anticipations d'ordre
socio-hédoniques ; il s'agit principalement du sentiment de partage des
valeurs. Ainsi, la plupart des répondants (63,78%) développent
une proximité psychologique qui favorise la croyance à la rumeur.
La confiance à la rumeur est également
précédée des éléments techniques tels que la
réputation de la marque (56,1% des réponses obtenues) et le
comportement de l'entreprise dont la marque est rumorée (50, 45% des
déclarations). La familiarité des consommateurs avec la marque
est en outre un vecteur clé constituant un terrain favorable au
développement de la croyance à la rumeur la concernant (62, 23%
des déclarations obtenues).
Cette recherche lui a permis, en outre, de mettre l'accent
sur l'indispensable présence d'éléments relationnels
favorisant la confiance. En effet, la plupart des répondants (89, 54%)
admettent, unanimement, qu'ils sont sensibles aux informations
rapportées par les membres de leurs groupes de référence
à condition que ces derniers soient des personnes qu'ils jugent
honnêtes. L'importance est également accordée aux
informations qui leur sont rendues par des leaders d'opinions et des
spécialistes (40,12% des déclarations obtenues). Les
consommateurs bâtissent en outre leur confiance sur la relation qu'ils
entretiennent avec la marque. En effet, elle a pu observer dans 59,12% de cas
que les consommateurs qui maintiennent une vieille relation avec les marques
rumorées ont souvent tendance à rejeter certaines rumeurs les
concernant. Les variables relatives au contenu de la rumeur, poursuit-elle,
semblent avoir une place déterminante dans la confiance vis-à-vis
de celle-ci. En effet, la plupart des personnes interrogées
déclarent qu'ils font confiance aux rumeurs qui semblent vraisemblables
(86,07%) et qui collent avec les sujets d'actualité (79, 53%). Les
résultats de cette recherche montrent également que la culture du
consommateur est un facteur explicatif de la confiance portée sur une
rumeur. En effet, elle a pu observer que les personnes les plus sensibles
à la rumeur (50,23% des déclarations obtenues) sont des individus
des modernes et non pas des traditionalistes. Pourtant, les connaissances a
priori du consommateur sur la marque paraissent plus significatives dans la
confiance en la rumeur la concernant. En effet, 61% des personnes
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interviewées ont déclaré qu'elles ne
croient pas très souvent aux rumeurs qui viennent contredire leurs
représentations.
En revanche, elle a pu constater que la satisfaction du
consommateur est à la fois un antécédent et une
conséquence de la confiance. L'expérience satisfaisante constitue
un antécédent technique de la confiance (63, 39% de
déclarations); le passage par une expérience de consommation
directe de la marque ou le conseil d'une personne ayant
expérimenté avec satisfaction la marque influence les
prédispositions du consommateur à faire confiance à la
rumeur portée sur cette marque. Par ailleurs, la satisfaction du
consommateur constitue également une conséquence de la confiance
accordée à une rumeur relative à une marque donnée
(50,10% des réponses obtenues).
L'étude lui a permis de relever en plus un certain
nombre de conséquences de la confiance en la rumeur. Il s'agit de
l'engagement du consommateur vis-à-vis de la marque rumorée en
cas de rumeur positive et vice versa. En effet, 51, 03% des répondants
déclarent être prêts à continuer de consommer la
marque malgré les rumeurs négatives ; 67,31% de non consommateurs
ont déclaré se rapprocher désormais de la marque en cas de
rumeur positive.
Thierry Libaert et Christophe Roux-Dufort, de leur
côté, précisent, d'après une étude
menée en 1988 sur cent quatorze entreprises, que celles-ci avaient connu
au moins deux situations de crise déclenchée ou amplifiée
par les rumeurs dans les trois années précédent
l'étude . Pour Allan J. Kimmel, la même entreprise peut être
la cible de plusieurs rumeurs (processus convergent) et plusieurs entreprises
peuvent être victimes d'une même rumeur (processus divergent), pas
nécessairement en même temps.
Les travaux sur la théorie de la dissonance cognitive
ont été financés, à l'origine, par une bourse de
recherche attribuée par la Ford Foundation en 1951, qui
s'intéressait aux médias de masse et à la communication
interpersonnelle. Historiquement, les premières recherches ont
poussé l'équipe dirigée par Festinger à
s'intéresser à la diffusion de rumeurs s'étant
propagées en Inde en 1934 suite à un tremblement de terre. Plus
précisément, les scientifiques cherchaient à comprendre
pourquoi, après un grave séisme, une communauté dont les
voies de communication ont été coupées du reste du monde
faisait circuler des rumeurs annonçant une réplique du
séisme encore plus désastreuse. Festinger et ses
collègues, qui étaient intrigués par les mécanismes
amenant des personnes rendues anxieuses par un événement
catastrophique à s'attendre à un événement encore
pire, supposèrent que ce phénomène
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devait reposer sur un mécanisme psychologiquement
« utile ». L'équipe de chercheurs posa alors les bases d'une
théorie : l'individu est à la recherche d'un équilibre
cognitif qui, lorsqu'il est rompu, génère un état de
tension, lequel motive à son tour l'individu à tendre vers un
univers cohérent. Selon eux, suite à la survenue du
séisme, les membres de la communauté auraient eu besoin
d'informations sur les répliques potentielles de ce séisme afin
de maîtriser leur environnement. Anxieux, sans que cela soit a priori
justifié (du fait du manque d'informations), les membres de la
communauté auraient développé une stratégie visant
à réduire et justifier leur anxiété : donner de
l'importance à des rumeurs allant dans le sens de la survenue d'une
nouvelle catastrophe. Ainsi, l'individu rend son univers cohérent en
trouvant des explications à son anxiété37.
37 Festinger L, & Carlsmith J M, Cognitive
Consequences of Forced Compliance, Journal of Abnormal and Social
Psychology, 1959.
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