SECTION III. EVOLUTION ET HISTORIQUE DE LA GREVE
Dans cette section nous allons aborder l'analyse,
l'évolution de la grève en République Démocratique
du Congo et son histoire pendant la période coloniale et la
période post coloniale.
§1. La période coloniale
Le droit de grève n'était reconnu qu'aux
blancs45 et les noirs n'avaient pas le droit de grève.
Au lendemain de la première guerre mondiale lorsqu'on
restaura la parité entre le franc belge et le franc congolais. On
enregistra la baisse du franc belge, cette situation avait créé
une disproportion entre les salaires payés en franc belge aux agents
belges, et ceux payés en livres sterlings aux Anglais, aux Australiens
et aux Sud-africains46.
« La disproportion des salaires avait provoqué des
remous parmi le personnel européen, cela a amené à un
déclenchement des grèves dont les meneurs étaient les
sud-africains qui voulaient imiter ce qui se passait dans les mines de Johannes
bourg et réclamaient le rattachement du personnel blanc du Katanga aux
syndicats Sud-africains »47.
Cette attitude des Sud-africains avait conduit l'Union
Minière du Haut-Katanga d'enregistrer beaucoup de cas de grève
entre 1919 et 192048.
La longue grève de cinq semaines qui avait eu lieu
entre septembre et octobre 1920 avait paralysé les activités de
l'entreprise et avait pour conséquence la chute de la production ;
l'Union minière du haut Katanga produisait 23 000 tonnes de cuivre en
1919 contre 19000 en 1920, cette baisse de la production avait poussé
l'opinion belge à réclamer la nationalisation de
l'entreprise49.
45 .LUWENYEMA LULE, op.cit, p.386.
46 DIBWE DIA MWEMBO, BANA SHABA :
abandonné par leur père structure de l'autorité et
histoire sociale de la famille ouvrière au Katanga (1910-1997),
Harmattan, 2001, p.13.
47 Ibidem.
48 Ibidem.
49 Ibidem.
[19]
C'est à partir des événements
cités ci-haut que certaines fonctions occupées jadis par les
blancs, ont été confiées aux noirs telles que la conduite
des locomotives50.
En 1920 les personnels européens de l'UMHK et du BCK
avaient déclenché une grève pour revendiquer
l'augmentation de salaire, l'activité industrielle se poursuivait avec
les travailleurs autochtones51.
Nous pouvons comprendre par là que les noirs ne
connaissaient pas leurs droits malgré le maigre salaire qu'ils
percevaient, ne les inquiétait à rien leur objectif était
de travailler sans tenir compte des conditions de travail leur imposées
par leur employeur.
En 1941, à l'usine de l'UMHK de Lubumbashi une
grève déclenchée par les travailleurs autochtones fut
durement réprimée par l'armée52.
Cette grève était réprimée du seul
fait que, le droit de grève n'était pas reconnu aux noirs, il
était reconnu aux seuls blancs, or la grève de 1920 des
personnels européens n'était pas réprimée et les
noirs eux, continuaient à travailler53.
A la même année les travailleurs expatriés
avaient déclenché une série de mouvement de grève
parce qu'ils n'avaient pas trouvé satisfaction à leurs
revendications, les usines continuaient à fonctionner normalement
grâce au concours de seuls travailleurs autochtones54.
Les autochtones étaient mis en confiance par « le
coup d'éclat » technique, ils réclamaient à leur tour
des augmentations de salaire pour compenser la hausse des prix des biens de
consommation.
A cette époque, l'exercice de droit de grève
était discriminatoire, il était reconnu aux blancs.
50 DIBWE DIA MWEMBO, BANA SHABA : abandonné par
leur père structure de l'autorité et histoire sociale de la
famille ouvrière au Katanga (1910-1997), Harmattan, 2001, p.13.
51 MWABILA MALELA, Travail et travailleurs aux
Zaïres, PUZ, 1979, p.85.
52 MWABILA MALELA, op.cit, p.84.
53 Ibidem, p.85.
54 Ibidem, p.86.
[20]
Les événements cités ci-haut nous
montrent clairement que les travailleurs noirs n'étaient pas
considérés par rapport aux blancs malgré les promesses que
les recruteurs leur faisaient pendant la période de recrutement, l'union
minière du haut Katanga avait mis en oeuvre différents
procédés dans ses recrutements en vue d'attirer la sympathie et
la confiance de la main d'oeuvre55.
Elle avait utilisé les procédés suivants
:
Le premier procédé fut la propagande de
l'entreprise ; cette stratégie consistait à implanter des
dispensaires dans les milieux de recrutement où la population
était soignée gratuitement pour montrer la richesse et la
générosité56.
Ce procédé visait tout simplement à faire
voir aux recrues qu'ils devraient vivre une très bonne vie ; au
contraire la durée de ces équipements hospitaliers était
fonction de la durée de la mission de recrutement dans la
région.
Cette propagande était utilisée jusqu'à
la malhonnêteté : paroles mensongères et promesses non
tenues.
Cette propagande était chaque fois combattue par les
travailleurs rapatriés qui regagnaient leurs villages et pour lesquels
l'union minière était une dévoreuse
d'hommes57.
Le second procédé utilisé par l'union
minière du haut Katanga était la prime de recrutement, cette
prime était payée aux chefs coutumiers lorsque la politique de
propagande échouait, elle contenait les tissus, l'argent et les
fusils58.
C'est en 1946 que les colons belges ont reconnu aux
travailleurs autochtones la liberté de constituer des syndicats, et
cette liberté syndicale émanait des agents autochtones de
l'administration et non des travailleurs59.
Cette ordonnance de 1946 préconisa en outre la
création des comités et commissions du travail pour le
progrès social, la mise en place des conseils
55 DIBWE DIA MWEMBO, op.cit, p.16.
56 Ibidem.
57 DIBWE DIA MWEMBO, op.cit, pp.16-17.
58 Ibidem, p.17.
59 MWABILA MALELA, op.cit, p.85.
[21]
indigènes d'entreprises afin de maintenir des contacts
permanents entre les travailleurs d'une part et l'administration d'autre part ;
elle réglementait la procédure de conciliation en cas de conflits
collectifs du travail et de cessations collectives du travail60.
Le traumatisme causé par la grève sanglante de
1942 restait encore dans l'esprit de beaucoup de travailleurs du fait de la
répression armée qu'ils avaient eu de la part des
militaires61.
L'administration coloniale assimilait la grève à
l'anarchie à cause de l'insuffisance de la formation ouvrière des
autochtones, c'est pour cela que l'organisation syndicale était ensuite
intégrée à l'ordre politique62.
A cause de cette insuffisance de la formation ouvrière,
la grève était dès lors associée à la
contestation si non à l'opposition politique incompatible, selon les
pouvoirs publics, à l'effort de reconstruction
nationale63.
Il convient de constater que 66% des travailleurs de
l'échantillon n'ont participé à aucune grève au
cours de leur carrière professionnelle64.
Ce qui a justifié la non participation de beaucoup de
travailleurs parce que le mouvement de grève était
réprimé par l'autorité publique65.
Les buts poursuivis dans la grève consistaient en
l'augmentation de salaire, l'amélioration des rapports professionnels,
les conditions de travail66.
Sur les travailleurs ayant participé à une
grève, près de 83% considéraient l'augmentation de salaire
comme la motivation première de la grève67.
Pour les travailleurs noirs les conditions de travail ne les
préoccupaient pas, ce qui était important pour eux c'était
le salaire.
60 MWABILA MALELA, op.cit, p.85.
61 Ibidem, p.152.
62 Ibidem.
63 Ibidem.
64 Ibidem.
65Ibidem, p.153.
66 MWABILA MALELA, op.cit, p.153.
67Ibidem.
[22]
En 1941, les travailleurs blancs de grandes entreprises
mécontents de conditions de travail revendiquèrent le droit
à la pension, à partir de cette revendication la grève fut
déclenchée au Katanga et se propagea dans tout le reste du
pays68.
Au Shaba alors Katanga, trois blancs (QUENON, HEYMEN et
MOSSOUX) furent les meneurs, ils formulèrent une revendication à
l'union minière du haut Katanga au sujet de la pension69.
Suite à cette situation la réaction de
l'employeur fut brutale en licenciant QUENON et les deux autres menacés
de sanctions disciplinaires70.
Les ouvriers blancs de l'union minière, siège de
Jadotville (actuelle LIKASI), se mirent en grève pour protester contre
les puissances alliées ; le but de ces travailleurs était que cet
Italien puisse être licencié, mais malgré le licenciement
la grève avait persisté pour s'intensifier et se propager dans
tout le Katanga71 .
Pour remettre de l'ordre dans l'entreprise suite à la
grève en date du 18 octobre 1941, la direction générale de
l'union minière avait sommé en vain les travailleurs blancs de
reprendre le travail sous peine de licenciement72.
A la suite d'un jugement qui condamna à trois mois de
prison avec sursis HEYMEN et DUTRON, tous deux membres du personnel de l'union
minière, siège de Jadotville, et membres de la
fédération syndicale du Katanga, en Août 1942, les
travailleurs se concertaient pour faire grève dans toute la
province73.
De telle grève peut être qualifiée de
grève de solidarité interne qui vise à soutenir un
travailleur en cas des difficultés.
68 LUWENYEMA LULE, op.cit, p.495.
69 Ibidem.
70 Ibidem.
71 Ibidem.
72 Idem, p.496. 73Ibidem.
[23]
Edifiés par l'exemple des travailleurs blancs, les
travailleurs noirs se réunirent devant le bureau du chef de camp (un
blanc) pour revendiquer l'augmentation des salaires74.
Les travailleurs noirs ont pris conscience, lorsqu'ils
constatent que les difficultés dues à leur pouvoir d'achat
était très faible, il fallait formuler les revendications
auprès de l'employeur, comme les blancs réclamaient des
augmentations salariales et le droit à la pension, l'employeur avait
reçu leurs revendications à travers les
délégués des travailleurs, malheureusement les
négociations n'avaient pas abouti.
Le lundi 8 décembre 1941, les ouvriers de
l'équipe du premier poste arrêtèrent le travail et se
mirent en grève.
Le même jour que les travailleurs avaient
arrêté de travailler, ils ont été invités par
la direction de l'union minière à se présenter le jour
suivant à la plaine de football du camp où le gouverneur de
province, Monsieur MARON, devait les entretenir75.
Le jour suivant, un millier de travailleurs, certains
accompagnés de leurs familles, se sont rassemblés au lieu
indiqué pour écouter le gouverneur ; avant son arrivée des
soldats armés étaient déjà
dépêchés sur les lieux ; l'administrateur local Mr MARSHALL
avait lancé des appels à la reprise du travail, les travailleurs
eux, gardaient leur position de ne pas reprendre le travail76.
Du fait de leur résistance le gouverneur avait
ordonné aux soldats de tirer en l'air, pris de colère, le
gouverneur ordonna aux soldats de tirer sur la foule et il y eut plus de 60
morts et plus de 100 blessés77.
Après cette tragédie, l'employeur avait
accordé aux travailleurs noirs le quintuple de leur revendication, soit
2,50francs par jour or avant la grève ils percevaient 0,50francs par
jour78.
74 LUWENYEMA LULE, op.cit, p.497.
75 Ibidem.
76 Ibidem.
77 Ibidem.
[24]
? la grève de Matadi de 1945
La grève était déclenchée le 25
décembre 1945 couvée par les travailleurs de l'ONATRA, elle se
généralisa dans tous les secteurs à
Matadi79.
Cette grève avait pour origine un mouvement
d'arrêt de travail par les marins congolais du MIV Albertville qui
réclamaient une augmentation salariale ; profitant de cette occasion les
ouvriers noirs de l'ONATRA se décidèrent eux aussi de se mettre
en grève pour réclamer une augmentation salariale de
100%80.
Cette grève avait pour meneur principal le contre
maître VANGU James, surnommé « NTANGWA-SAKA » ; les
grévistes étaient déployés aux sorties de quartiers
indigènes afin d'interdire aux travailleurs de se rendre au travail du
coté du port où résidaient les blancs et où
étaient concentrées les entreprises, c'est à partir de ce
moment là, la grève était devenue
générale81.
A cause du caractère général de la
grève l'administrateur du territoire Mr DASSELET cherchait à
dialoguer avec les grévistes qui exigeaient une augmentation effective
des salaires avant la reprise du travail ; son initiative était vaine
à l'égard des travailleurs.
La grève s'était
dégénérée, un groupe de grévistes avait
déplacé les rails de chemins de fer et avait même
coupé les fils téléphoniques en vue de couper la route aux
renforts éventuels des forces de l'ordre, car les forces de l'ordre
étaient toujours envoyées en cas de grève, c'est pour cela
que les grévistes avaient totalement coupé les fils
téléphoniques pour empêcher la communication.
A cette époque, la reprise du travail par les
grévistes n'était pas seulement l'affaire des autorités
mais de tout le monde.
C'est pour quoi les kimbanguistes exhortaient les
grévistes dans leur quartier indigène sous le rythme de leurs
fanfares afin de reprendre le travail.
78 LUWENYEMA LULE, op.cit, p.497.
79 Ibidem, p.498.
80 Ibidem
81 Ibidem.
[25]
Le deuxième jour, soit le 26 novembre 1945 le mouvement
gagna toute la population noire de Matadi et la revendication passa de 100%
à 500% d'augmentation de salaire par noirs82.
Les travailleurs persistaient de ne pas travailler
malgré les négociations entreprises.
Ce qui avait poussé l'administrateur a ordonné
de tirer sur les grévistes afin de les disperser ; cette fusillade avait
fait sept morts et de nombreux blessés83.
Les grévistes étaient poursuivis et
arrêtés, les travailleurs arrêtés étaient
jugés et condamnés à des peines d'emprisonnement.
? La grève de 1945 de Léopoldville
Cette grève a été
déclenchée par les travailleurs de l'OTRACO chemin de fer
Léo/Matadi.
Ils condamnaient le régime de la ration alimentaire et
réclamaient la contre valeur en argent84.
Au cours de cette grève certains grévistes
étaient arrêtés par la police, mais libérés
lorsque leurs collègues, épouses et enfants s'étaient
présentés au commissariat de police.
Nous pouvons dire que la grève pendant la
période coloniale était discriminatoire, et elle était
tellement réprimée par l'autorité coloniale d'où au
lieu que l'employeur puisse négocier avec les travailleurs
grévistes mais il y avait toujours l'intervention de l'armée pour
négocier avec les grévistes. Cet état des choses n'avait
pas tellement permis aux travailleurs de se sentir à l'aise sur le lieu
de travail.
82 LUWENYEMA LULE, op.cit, p.497
83 POUPART P., Première esquisse de
l'évolution du syndicalisme au Congo, éd. IS.Solvay, 1960.
Cité par LUWENYEMA LULE, op.cit, p.499.
84 LUWENYEMA LULE, op.cit, p.499.
[26]
Lorsque les belges ont compris que les noirs avaient aussi les
droits de revendiquer des mauvaises conditions de travail, d'augmentation de
salaire, il a fallu qu'ils puissent promulguer une ordonnance en 1946 pour
reconnaitre aux salariés noirs le droit de former des syndicats.
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