B.2 -- Le goût des voyages.
Les voyages réalisés par Jeanne Lanvin
renforcent son image de couturière « historienne ». Elle
divorce d'Emilio di Pietro en 1903 et se remarie en 1907 avec le journaliste
Xavier Melet qui devient consul de France à Manchester jusqu'en 1908 et
elle l'accompagne dans certains de ses voyages professionnels120.
Cependant, elle voyage généralement seule, prenant des vacances
quand sa société le lui permet. Elle voyage en Italie, en
Grèce, en Espagne, aux États-Unis dès 1915 ou encore en
Égypte (une photographie représentant Jeanne Lanvin
117 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 146.
118 Auteur inconnu, « Lanvin », La Gazette du
Bon Ton, 1925, supplément au n° 7, p. 318-319. PICON,
Jérôme, Op. Cit., p. 102.
119 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
120 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 28.
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devant les pyramides l'atteste)121. Cette
photographie montre cette recherche de sources pour ses créations (ill.
6). Comme le montre cette citation : « C'est pourquoi je vais chercher au
loin des sources d'inspiration et je me sers de mes voyages pour procurer des
aliments toujours nouveaux à mon imagination »122.
Cependant, un voyage aussi lointain est rare. En
général, elle préfère rester en Europe, lui
permettant de rester à proximité de Paris. À
l'époque, elle demeure tout de même l'une des rares
couturières à voyager. Les voyages ont une influence
conséquente sur ses créations. Ils lui facilitent la
découverte de nombreux monuments et on lui connaît un amour pour
les cathédrales. Cela lui permet aussi de découvrir des oeuvres
d'arts plastiques. Jeanne Lanvin se cultive par les livres, mais
préfère Ñ comme tout amoureux de l'art Ñ voir les
oeuvres en réelles, pour en apprécier la couleur, la
lumière, l'énergie qui s'en dégagent. Comme le
démontre cette citation :
« Mme Lanvin ne se contente pas de puiser des
inspirations dans le vaste réservoir de documents qu'elle s'est
constitué, et qui enclot tous les reflets des plus belles oeuvres du
génie humain, ces oeuvres, elle va les admirer, en été,
quand elle peut prendre quelques vacances, dans les Musées de l'Europe.
Les loisirs sont consacrés à l'étude, à la
méditation, à la chasse aux idées...
»123.
L'Italie pour ses paysages et son art, en fait l'une des
destinations favorites de Jeanne Lanvin. L'influence de ce pays dans ses
créations est reconnue à l'époque : « Elle est venue
de l'Italie, la voix de Rome Antique, dans ce modèle de Lanvin
»124. L'Italie et sa peinture sont une source d'inspiration
majeure pour Jeanne Lanvin125. La couturière adore ce pays,
où elle y passe notamment son voyage de noces126. Dans ses
collections deux modèles illustrent cette passion pour l'Italie : La
Cape Ascanio de 1920, c'est une cape en velours de coton noir garni de
biais d'asmodé bleu dur, avec un col châle de loutre de
rivière. Et le modèle : San Remo de 1920 c'est une cape
aussi en velours cerise garni de mouflon gris.
L'amour des voyages se retrouve aussi dans les noms de ses
modèles. Notamment avec des noms rappelant l'Italie : Ca d'Oro
(1929-1930), Vénitien (1929), Ciel de Naples
(1927-1928), Borghèse (1925). Jeanne Lanvin s'inspire
aussi des paysages français et notamment des paysages de bords de mer
qu'elle aime particulièrement pour le nom de ses modèles. Elle
a
121 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 28, 79.
122 Minerva, Art. Cit., 1938.
123 BOUCHER, François, « Le faubourg
Saint-Honoré : Jeanne Lanvin », La Renaissance de l'art
français et des industries du luxe, 1924, Juin 1924, p. 7-10.
124 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 22. Citation sans
source de 1921.
125 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
126 Ibid., p. 57.
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notamment une demeure à Pyla-sur-Mer, près
d'Arcachon127. En 1925, elle nomme un manteau en velours de laine
cerise doublé de foulard noir à pois blancs : le Pyla.
Plus généralement la couturière se passionne pour des pays
comme la Chine, le Japon, la Perse, mais aussi pour des cités comme
Babylone, Cnossos, Pompéi128. Elle a un goût pour les
formes antiques, asiatiques, mais aussi orientales. En Europe, le début
du XXème siècle connaît une vague de goût
pour l'exotisme par le colonialisme et notamment l'Exposition Coloniale
Internationale en 1931 à Paris. Des pays comme le Maroc,
l'Algérie sont redécouverts et suggèrent par exemple des
motifs de broderies et des formes de manteaux dérivés du burnous
à la créatrice. Jeanne Lanvin est de nature
réservée, mais ambitieuse, elle aime se cultiver, et notamment
par les voyages. Ces derniers sont nombreux et parfois lointains pour une femme
à l'époque du XXème siècle, mais sa
condition lui permet. En voyageant, la couturière s'ouvre l'esprit
à d'autres traditions, observe d'autres vêtements, d'autres
techniques qui l'inspire considérablement dans ses propres
créations, lui permettant même parfois de ramener des textiles
pour compléter sa collection.
En effet, Jeanne Lanvin possède dans sa
bibliothèque-bureau une collection de textiles
impressionnante129 (ill. 3). Majoritairement, ces textiles viennent
de ses voyages ou achetés aux Puces130. La plupart sont
encore présents dans son bureau. Sa collection est constituée de
tissus anciens, contemporains ou orientaux. Elle collectionne les costumes, les
étoffes, les bijoux, de divers pays ou époques131.
Comme des cols en dentelle de Venise, des tuniques africaines brodées,
des broderies coptes. Lors de la vente aux enchères de 2006, certains
modèles vestimentaires de sa collection personnelle sont vendus. Il y a
notamment des saris indiens brodés, des mouchoirs alsaciens du
XIXème siècle, des vêtements liturgiques des
XIXes siècles et XXes siècles. Cette
collection de tissus est indispensable dans le processus créatif de
Jeanne Lanvin. Les oeuvres d'art sont l'une des principales sources
d'inspirations, mais l'influence des vêtements du passé, les
voyages et les tissus le sont aussi132. Jeanne Lanvin
récupère très souvent des techniques, des broderies vues
sur des textiles, pour ses collections. Notamment son goût pour les
vêtements liturgiques se retrouve dans les années 1922-1923 avec
des vêtements qui reprennent des manches évasées
caractéristiques de ce type de vêtement. La couturière est
même considérée à l'époque comme la meilleure
interprète de ses
127 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 203.
128 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 146-154.
129 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 104.
130 Ibid., p. 105.
131 Ibid.
132 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 105.
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vêtements liturgiques133. Les vêtements
japonais sont aussi souvent repris dans ses collections avec des vestes de
forme kimono comme avec le modèle Bouclier de 1934. C'est une
veste de forme kimono tronquée en taffetas de soie noir et rouge,
rebrodée de petits losanges en métal doré. La robe de soie
noire coupée en biais porte la même broderie métallique.
Ainsi, les vêtements variés que conserve Jeanne
Lanvin dans sa bibliothèque lui servent d'inspirations pour des
broderies ou des coupes. Sa bibliothèque où sont conservés
ses collections d'objets, de textiles et ses ouvrages est un lieu
apprécié par la couturière aimant s'y retrouver seule pour
réfléchir à ses prochaines collections.
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