B.3 -- Sa bibliothèque, un lieu de création
et d'inspirations.
Le bureau de la couturière à la maison Lanvin
reflète très nettement sa personnalité. Une
bibliothèque s'étend tout le long du pourtour de la pièce,
offrant un rayonnage impressionnant pour ses ouvrages, avec, en partie, basse
des vitrines pour ranger ses étoffes (ill. 3). Jeanne Lanvin
collectionne de multiples textiles et livres, sa collection pour une femme de
l'époque est remarquable. Sa bibliothèque est
régulièrement citée dans des articles comme ici en 1924
:
« Tous les grands ouvrages d'art, toutes les
reproductions des plus belles galeries publiques ou privées, tous les
documents relatifs à l'histoire vestimentaire, toutes les anciennes
publications de modes composent ce merveilleux répertoire
»134.
La bibliothèque de Jeanne Lanvin est reconnue pour sa
diversité avec des ouvrages en tout genre comme, les Contes de
la Fontaine, une édition des Essais de Montaigne, une
édition du Dictionnaire raisonné de Diderot, des
récits de voyages de Vernet135. Mais aussi des ouvrages
littéraires du XIXème siècle comme Charles
Baudelaire, Gustave Flaubert, André Malraux, Alfred de Musset, George
Sand. De manière plus originale pour une couturière, sa
bibliothèque est aussi composée de livres scientifiques, avec,
notamment, des traités de Chimie ou encore de
Mathématiques136. Mais aussi de nombreux livres de
botaniques, comme le Dictionnaire de Botanique de Pierre Bulliard,
La Flore médicale de François-Pierre Chaumeton, le
Nouveau traité des arbres fruitiers de Duhamel du Monceau.
Jeanne Lanvin
133 « ... avec des formes renaissance ou
moyenâgeuses, dans les décolletés, les bustes et les
manches. Lanvin en est une des meilleures interprètes. » DUFRESNE,
Jean-Luc, MESSAC, Olivier (dir.), Op. Cit., Propos de l'auteur, p.
55.
134 BOUCHER, François, Op. Cit., p. 7-10.
135 Vente aux enchères publiques, Libert Etienne,
Castor Alain, Exceptionnel ensemble de mille neuf cent quatre-vingt-quatre
aquarelles de la « belle époque » ayant appartenu à
Jeanne Lanvin, Paris, 9 février 1994, p. 30.
136 Ibid., p. 28-30.
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collectionne aussi des gravures comme celle de Gustave
Doré, ou encore des caricatures d'Almanach Royal137.
Jeanne Lanvin créant ses modèles à
travers les images, il est certain que sa bibliothèque joue un
rôle majeur dans sa création. Les ouvrages littéraires
l'inspirent pour des noms de modèles comme Bacchus (1929-1930),
Artémis (1925), Salomé (1925), Chat
botté (1925), Hamlet (1929). Les ouvrages de
botaniques servent son imagination pour ce qui est des motifs floraux.
Cependant, les ouvrages d'art sont les plus influents dans la création
de la couturière. Bien qu'elle voyage beaucoup pour découvrir les
oeuvres de ses propres yeux, c'est certainement dans son salon avec ses livres
d'arts qu'elle étudie certaines oeuvres. Il y a environ quatre cents
ouvrages dédiés à l'histoire de l'art dans sa
bibliothèque, dont cinquante-quatre sont exclusivement
dédiés à la Chine ou au Japon dont des ouvrages sur la
sculpture chinoise. Elle a notamment des usuels sur l'art Déco, Le
Dictionnaire raisonné du mobilier français de
Viollet-le-Duc, ou encore la Grammaire de l'ornement par Owen Jones,
mais aussi les traités d'architecture de Blondel138. La
plupart des ouvrages d'art de Jeanne Lanvin sont complétés par
des cartes postales qu'elle chine lors de voyages où que des proches lui
rapportent139, et elle-même tient quelques cahiers où
elle regroupe des images d'oeuvres en fonction des villes ou pays, comme :
Venise, Vérone, Londres, Amsterdam. Avec ces différents ouvrages,
la couturière peut observer de nombreuses oeuvres d'art dans son salon.
Par exemple, l'Italie, qui est un pays cher à son coeur comporte de
multiples artistes dont les représentations d'oeuvres sont parmi les
plus répandues à l'époque140. En effet, des
gravures représentant les oeuvres d'artistes comme Titien, Raphaël
et Fra Angelico sont nombreuses. Dans sa bibliothèque, il y a deux
ouvrages majeurs le Kunstler Monographien141, les tomes de
la collection : les Villes d'Art célèbres édités
par H. Laurens, dont celui sur Venise écrit par Pierre
Gusman142. Dans cet ouvrage de nombreuses oeuvres sont
représentées dont La Madone et l'Enfant de Giovanni
Bellini143, l'Incrédulité de Saint-Thomas par
Cima da Conegliano144, La Glorification de saint Antoine
évêque de Lorenzo Lotto145 ou l'Assomption de
la Vierge de Titien146.Il y a aussi certains tomes de la
Collection des Classiques de l'art édité par Hachette
137 Vente aux enchères publiques, Libert Etienne,
Castor Alain, Exceptionnel ensemble de mille neuf cent quatre-vingt-quatre
aquarelles de la « belle époque » ayant appartenu à
Jeanne Lanvin, Paris, 9 février 1994, p. 8-16.
138 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 99.
139 Ibid., p. 102.
140 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
141 Ibid.
142 GUSMAN, Pierre, Venise, Collection Les Villes d'Art
Célèbres, Paris, H. Laurens éditeur, 1904.
143 Ibid., p. 100.
144 Ibid., p. 111.
145 Ibid., p. 115.
p. 123.
146 Ibid.,
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comme ceux sur Fra Angelico, Mantegna, Rembrandt,
Vélasquez, Raphaël, Watteau ou encore Holbein.
La bibliothèque de Jeanne Lanvin est son lieu de
création, elle s'y recueille, aimant la solitude, elle
préfère rester dans son bureau à collecter ou
découper ses images dans ses cahiers et étudier les divers
textiles accumulés lors des voyages147. Sa
bibliothèque est aussi la démonstration d'un esprit ouvert
à tout, comme le montre la diversité de ces ouvrages du
traité scientifique aux livres d'arts. Cependant, la couturière
est aussi une collectionneuse d'art renommée, baignant dans le milieu
artistique et intellectuel du début du XXème
siècle.
C -- Le milieu artistique et intellectuel du
début du XXème siècle.
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