B.2 -- La broderie, l'ultime détail des
modèles Lanvin.
Les broderies sont l'une des caractéristiques
principales de l'art de Jeanne Lanvin227. Après la
Première Guerre mondiale, elle favorise le travail de broderie et de la
dentelle228. La maison Lanvin est composée de trois ateliers
de broderie. Les premiers sont des ateliers dits
225 Diego Vélasquez, L'Infante Marguerite en bleu,
1659, Huile sur toile, 127 x 107 cm, Le Kunsthistorisches Museum,
Vienne.
226 « Lanvin », La Gazette du Bon Ton, Paris,
1925, supplément au n7, p. 319.
227 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109.
228 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 134.
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classiques avec des ouvrières qui travaillent les
broderies à la main pour un travail de précision. Il y a aussi
des ateliers dits mécaniques ou « Cornelie »229
pour des détails moins techniques230, même si les
broderies se font surtout à la main. En tout, ce sont environ 1000
personnes qui travaillent dans les ateliers de la maison Lanvin. Un chiffre
remarquable, qui dénote de la richesse de cette maison de haute couture
et du soin apporté à ses tenues, et notamment aux
décors231. D'après Olivier Saillard, les ateliers de
la maison Lanvin, dont ceux de broderies ont été parmi les plus
talentueux de Paris à cette époque.232 Ce goût
pour la broderie, et généralement du détail soigné
lui vient de la création de chapeaux233. En effet, Jeanne
Lanvin avant de créer des robes confectionnait des chapeaux. À
l'époque, le chapeau est un accessoire dans lequel le décor prend
régulièrement le dessus sur la fonction pratique. Le chapeau est
constitué de plumes, de rubans, de dentelles ou encore de perles. C'est
un accessoire transformable au grès des envies. La couturière
n'oublie pas ces éléments et les réutilise dans la couture
amenant l'originalité de ses tenues par les détails comme le
décrit Sophie Grossiord :
« La prédilection de Jeanne Lanvin pour le
décor brodé, d'un grand raffinement, se manifeste très
tôt. La maison se fait une spécificité des applications de
passementerie et des rehauts soutachés d'or qui dessinent, chez l'adulte
comme chez l'enfant, de délicats décors vermicultés
»234.
La couturière emploie les broderies de
différentes façons avec de fausses perles fines, des perles de
verres, des perles blanches ou de couleurs, des perles argentées, des
perles rondes ou plates. Mais les broderies sont aussi parfois composées
de tubes, de plumes, de copeaux de métal, de bandelettes de fourrure ou
encore de paillettes. Les broderies sont souvent de différentes
couleurs. Généralement, on retrouve les broderies sur les
ceintures ou les ourlets de jupes tombant à la cheville, mais aussi de
nombreuses fois sur le devant du vêtement235. Jeanne Lanvin
utilise particulièrement la broderie dans les années
1920-1925236, ainsi que le perlage. Néanmoins, elle abandonne
ces deux techniques au profit du travail des
229 Le véritable nom de ces machines à coudre
mécanique est Cornely. L'orthographe « Cornelie » est
certainement une erreur d'orthographe de l'époque.
VAUDOYER, Mary, Le livre de la Haute Couture, Neuilly-sur-Seine, V
& O Éditions, 1990. Propos page 242 : « [É] elle sera
d'ailleurs la première à intégrer dans son
établissement deux ateliers permanents de broderie : un, classique, de
broderies à la main et un second de broderies mécaniques dites
« Cornelie », du nom de son inventeur. »
230 VAUDOYER, Mary, Op. Cit., p. 242.
231 Groppo Pierre, « Visite privée de l'exposition
Jeanne Lanvin au Palais Galliera », Site internet Vogue Paris, 8
mars 2015. Propos d'Olivier Saillard, directeur du palais Galliera -
Musée de la mode de la ville de Paris.
232 Ibid.
233 GROSSIORD, Sophie (dir), Op. Cit., p. 49-50.
234 Ibid., p. 110.
235 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109-112.
236 Ibid.
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tissus comme le lamé vers 1930. L'un des modèles
illustrant ces broderies est le modèle Cyclone
réalisé en 1939 (ill. 23). C'est une robe de soirée
en taffetas gris fumée tirant sur le noir. Le bas de la robe est
baleiné à double volant. Le bustier, la bretelle et le
côté droit au niveau de la hanche sont rebrodés de
paillettes argentées, de perles de rocaille et de petites marguerites en
verre corail. Le modèle Mille et une nuits de 1925 (ill. 24)
est aussi un parfait exemple des broderies de la maison Lanvin. C'est une robe
du soir en crêpe de soie vert absinthe lamé et brodé de
perles nacrées, de cristaux du bijoutier Swarovski et de longs tubes
transparents. Les découpes en lamé sont aussi ornées des
mêmes détails, elles sont reliées aux avant-bras.
L'encolure est agrémentée d'un sautoir à double rang en
trompe-l'oeil. La robe a pour but d'être « une robe bijoux
»237. Les robes de Jeanne Lanvin se transforment en
véritable bijou pour les clientes. L'idée est de rien n'avoir
à enfiler d'autre que la robe. Ce sont surtout les robes pour le soir
qui sont ornées de manière somptueuse, comme l'explique cette
citation d'époque du magazine Vogue : « Les broderies de perles
somptueuses comme un travail de joaillerie restent les plus
élégantes pour le soir »238. Les bijoux sont un
accessoire primordial dans les tenues du soir de l'époque permettant de
montrer son statut social, et aussi son élégance. Une citation
d'un article rappelle l'importance du bijou dans les tenues bourgeoises du
début du XXème siècle : « En un temps
où l'élégance véritable exige un bijou pour chaque
robe, un bijou qui s'harmonise avec le vêtement par la couleur et par le
style, on devait arriver à travailler en bijoux les perles
irisées et les gemmes scintillantes »239. La presse de
l'époque fait les louanges de ces robes en rappelant leurs similitudes
avec la joaillerie. Certains décors de robes s'apparentant à de
longs sautoirs comme la robe Lesbos de 1925 (ill. 21).
À la fin des années 1920, Jeanne Lanvin dresse
la broderie et le perlage au sommet de leur art en réunissant l'ornement
flamboyant et brillant avec le classicisme sobre des robes du
soir240. Cette excellence dans les broderies est reconnue par les
journalistes de l'époque qui ne manquent pas de le rappeler aux futures
clientes :
« Les broderies, cette saison, sont faites
d'incrustations d'étoffe ou de fourrure, en rosaces, en étoiles,
en bandes, en losanges, souvent serties ou rebordées de métal, de
perles, de nacre ou d'ivoire sculpté. [É] Les robes du soir sont
toutes des chefs-d'oeuvre. Tuniques blanches de satin incrusté de
rosaces de soie rose rebrodées de perles, fourreaux noirs largement
rayés de pourpre soulignée de losanges de sequins brillants,
dentelles d'azur aux
237 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109-112.
238 Vogue, 1er Septembre, 1925, p. 4.
GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 112.
239 « Robes perlées », Gazette du Bon
Ton, n6, 1924-1925, p. 291. PICON, Jérôme, Op.
Cit., p. 134.
240 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109.
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ailes constellées de diamants forment une merveilleuse
symphonie de formes et de couleurs »241.
Ce goût pour la broderie et le perlage de la
couturière lui vient des tuniques242. Ce vêtement est
un haut qui se caractérise par son absence d'ouverture sur le devant. Ce
type d'habit est présent dans les pays orientaux ou dans le monde
liturgique et il est généralement orné. Jeanne Lanvin aime
ce vêtement simple qu'elle marie avec un décor riche très
apprécié de l'époque, comme la broderie243.
C'est un vêtement courant dans les pays orientaux où se trouvent
aussi de nombreuses broderies qui inspirent la couturière comme le
montre le modèle Saxe de la collection hiver de 1912 (ill. 25).
Ce modèle est une robe de velours de soie bleu clair et sur le devant de
la tenue se trouve une broderie faite de fils noirs, bleus, ocre et rouges. Ce
modèle reprend les caractéristiques de la tunique par sa coupe
peu ouverte sur le devant et par ses motifs d'inspiration orientale
Jeanne Lanvin est réputée pour ses broderies qui
sont d'une grande finition, mais aussi pour le renouvellement qu'elle offre
à cette technique244. En étudiant les tissus
étrangers et notamment orientaux, la couturière découvre
de nouvelles techniques de broderie comme la méthode du « m'tra
»245 et du « ménézel
»246. Ces techniques orientales mettent fin
au matelassage de soie repiquée au travers et point passé plat.
Ce ne sont plus des broderies françaises classiques comme on pouvait
trouver dans les régions de la Bretagne, de la Flandre et de l'Auvergne.
Finalement, c'est surtout des cultures étrangères que Jeanne
Lanvin s'inspire, notamment en Roumanie ou au Japon.
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